Les présentes recommandations reprennent et organisent en un document unique l'essentiel de la doctrine élaborée par le CGLPL depuis sa création en 2008. Elles constituent le socle minimal des mesures à prendre pour respecter la dignité et les droits fondamentaux des personnes privées de liberté.
Ces recommandations concernent tous les lieux dans lesquels des personnes sont privées de liberté sur le fondement d'une décision administrative ou judiciaire, sous les seules réserves qu'elles précisent. Elles ne peuvent en aucun cas être invoquées pour justifier le retrait de mesures plus favorables aux personnes privées de liberté antérieurement appliquées dans un lieu ou une catégorie de lieux de privation de liberté ou au bénéfice d'une catégorie de personnes.
Elles ont été communiquées le 12 décembre 2019 à la garde des sceaux, ministre de la justice, à la ministre des solidarités et de la santé, au ministre de l'action et des comptes publics et au ministre de l'intérieur. Il leur a été demandé de faire connaître leurs observations dans un délai de deux mois à compter de cette date.
Le CGLPL n'a reçu aucune réponse des ministres consultés avant cette publication.
Avant-propos Vers un droit de la protection des personnes privées de liberté
La loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a de facto incité à étudier et comparer des lieux relevant jusqu'alors de domaines distincts : établissements pénitentiaires, hôpitaux psychiatriques, centres de rétention administrative, zones d'attente, geôles et dépôts des tribunaux, locaux de garde-à-vue ou de rétention, centres éducatifs fermés ou établissements pénitentiaires pour mineurs. Sous le regard de cette institution singulière, ces lieux, si différents soient-ils dans leur nature et leur vocation, présentent de nombreux traits communs - dans les enjeux qu'ils soulèvent, les contraintes qu'ils rencontrent, les solutions qu'ils mettent en œuvre.
Chargé de veiller au respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a également été amené à s'interroger sur la définition de ces droits particuliers, pour lesquels on ne dispose ni d'une liste ni d'une définition. Il est sans doute périlleux de donner une définition théorique de ce que ces droits recouvrent. Néanmoins, l'expérience du CGLPL - les constats qu'il fait dans les lieux qu'il visite, les témoignages qu'il reçoit - lui permet de risquer la définition suivante. Les droits fondamentaux sont les droits qui, lorsqu'ils sont méconnus, portent atteinte à l'intégrité physique ou morale d'une personne, à ce qui lui confère sa singularité, et à ce qui la relie à ses proches ou à une communauté, c'est-à-dire à sa dignité, qui est par nature égale pour tous les êtres humains. Le contrôleur reconnait l'atteinte aux droits fondamentaux à l'indignité qui en découle.
A défaut de disposer d'une liste, le CGLPL et les pouvoirs publics disposent de bien des sources - nationales et internationales, universelles et particulières, contraignantes ou relevant de la catégorie du droit souple. A partir de celles-ci, le CGLPL a pu faire émerger une liste des droits fondamentaux : dans chacun des lieux qu'il visite, il veille au respect de ces droits et prévient les atteintes qui peuvent leur être portées.
Cette liste, qui sous-tend les présentes recommandations, comprend les catégories suivantes :
- Les droits communs à tous les êtres humains définis dans des textes nationaux ou internationaux, contraignants ou non.
Relèvent de cette catégorie des textes à vocation universelle ou à vocation particulière. Parmi les premiers, on retrouve notamment la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par les Nations unies en 1948 et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales adoptée par le Conseil de l'Europe en 1950. Parmi les secondes, la Convention de 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes complétée en 1995 par le programme d'action de Beijing, la Convention internationale des droits de l'enfant de 1989, ou encore la Convention de 2006 relative aux droits des personnes handicapées.
Ces droits, comme le droit à l'intégrité physique ou psychique, l'accès aux soins, le maintien des liens familiaux ou le droit d'expression ne sont pas propres aux personnes privées de liberté qui n'en sont pas, pour autant, privées ; l'enfermement peut parfois justifier des limites à leur exercice mais celles-ci doivent être légales, nécessaires et proportionnées. - Des droits que les personnes privées de liberté doivent pouvoir exercer dans des conditions équivalentes à celles du milieu libre à moins d'avoir expressément été supprimés ou suspendus par la loi ou par décision d'une autorité compétente.
On trouve notamment dans cette catégorie des droits relevant du code civil, du code des relations entre le public et l'administration, du code de l'éducation, du code de l'action sociale et des familles, du code de la santé publique, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ou encore du code électoral ou du code de la consommation. Il s'agit par exemple de l'exercice de l'autorité parentale, du droit de vote ou de la protection des données personnelles.
Leur exercice est, par nature, menacé par l'enfermement qui peut le rendre difficile ou impossible : la possibilité de les mettre en œuvre doit par conséquent faire l'objet d'un contrôle effectif. - Des droits liés à la mesure de privation de liberté n'ayant vocation à s'appliquer qu'aux personnes qui y sont soumises et ayant pour objet d'en définir le cadre légal, de lui fixer des limites ou de l'accompagner de garanties.
Ces droits sont généralement issus de la législation nationale, mais peuvent aussi trouver leur source dans des instruments internationaux tels que l'Ensemble des règles minima pour le traitement des détenus dites Règles Nelson Mandela (ONU) ou les Règles pénitentiaires européennes (Conseil de l'Europe).
Ces droits, comme le droit à l'information, les droits de recours, la limitation des fouilles ou celle du recours à la contrainte, protègent la personne privée de liberté contre les abus qui pourraient naitre de la mesure dont elle fait l'objet.
Ces catégories de droits fondamentaux, telles qu'elles sont ici présentées, n'ont pas vocation à épuiser leur étude. Elles permettent cependant d'établir une liste opérationnelle de ce à quoi, dans le cadre de son contrôle, le CGLPL doit veiller.
En l'état actuel du droit, les personnes enfermées - peu visibles, peu audibles, et peu écoutées - ne sont certes pas dépourvues de droits ; relevant de disciplines juridiques variées - droit pénal, droit des étrangers, droit de la santé, droit processuel administratif ou judiciaire, pour ne citer que les principaux - ils ne font cependant pas l'objet d'une doctrine unifiée. Il en est de même des autorités en charge des lieux de privation de liberté, assujetties à des règles de toutes natures mais admettant volontiers leur besoin d'être guidées lorsqu'est abordée la question des droits fondamentaux. Les juridictions, liées par la classification que les textes leur imposent, n'ont guère vocation à élaborer une doctrine, que l'université peine elle-même à distinguer comme un objet d'études.
Durant ses douze premières années d'existence, le CGLPL a adressé aux gouvernements successifs des milliers d'observations « concernant l'état, l'organisation ou le fonctionnement » des lieux qu'il a visités ou « la condition des personnes privées de liberté » qu'il y a rencontrées, autant de recommandations « relatives aux faits ou aux situations » rapportées dans le cadre des témoignages qui lui parvenaient - soumises à une répartition par type de lieu commandée par les modalités de son action.
Fort de cette expérience, il lui semble désormais possible de dégager de ce corpus très dense une première doctrine, qu'il lui reviendra, avec d'autres que lui, de préciser et de faire évoluer.
Les principes et recommandations formulés ne doivent naturellement pas être regardés comme suffisants ou proposant un modèle de lieu de privation de liberté. Il s'agit de recommandations minimales, applicables à toutes les catégories de lieux de privation de liberté. Elles visent à formuler les principes directeurs qui, dans un Etat de droit, doivent inspirer et régir les modalités de prise en charge des personnes privées de liberté ainsi que les principales règles d'une bonne organisation de ces lieux et, conformément à la vocation du CGLPL, prévenir les atteintes et risques d'atteintes aux droits qu'entraîne toute mesure d'enfermement. Elles restent fondées sur les libertés et droits fondamentaux fixés par les instruments internationaux et nationaux qui doivent en demeurer la source et l'inspiration.
Ces recommandations sont le plus souvent conformes au droit positif ; elles vont parfois plus loin et, parfois, s'y opposent. Elles doivent naturellement s'analyser, dans cette dernière hypothèse, comme une invitation à le modifier.
Traditionnellement, deux techniques de mise en œuvre des libertés publiques existent au sein d'un Etat de droit. Le régime répressif (ou régime d'interdiction), dans le cadre duquel prime l'autonomie des personnes, qui ne répondent qu'a posteriori de l'usage qu'elles en ont fait ; et le régime préventif (ou régime d'autorisation), moins libéral, dans le cadre duquel, préalablement à leurs actions, les sujets sont soumis à l'autorisation de la puissance publique.
En milieu ouvert, en général, le régime d'interdiction prédomine et la liberté est la règle. « Ce qui n'est pas interdit est autorisé ». En milieu fermé, c'est l'inverse.
Ainsi, dans un lieu de privation de liberté, l'accès aux droits et l'exercice d'un droit fondamental doivent être organisés. Il s'agit là, dans une large mesure, de la condition de leur effectivité. Les personnes privées de liberté sont « entièrement » confiées à une autorité administrative ; cette situation impose de traduire à l'intention de cette dernière les modalités d'exercice de droits qui, en milieu ouvert, relèveraient de la seule responsabilité de celui qui en est titulaire.
Sommaire
Principes directeurs
- Intégrer le respect de la dignité et des droits fondamentaux dans l'aménagement et l'organisation des lieux de privation de liberté
Principes généraux
1.1. Une structure adaptée
1.2. La séparation des catégories de population
1.3. La formation et la supervision des professionnels
1.4. Le contrôle des lieux et locaux de privation de liberté - Accueillir, informer et orienter les personnes entrant dans un lieu de privation de liberté
Principes généraux
2.1. La procédure d'accueil
2.2. La prise en charge
2.3. Les conditions matérielles des séjours transitoires ou de courte durée
2.4. La prise en compte de la situation antérieure
2.5. La prise en compte des situations de vulnérabilité
2.6. L'orientation - Protéger les personnes privées de liberté contre toute atteinte à leur intégrité physique ou psychique
Principes généraux
3.1. Le constat des violences
3.2. Les suites données aux constats de violences - Satisfaire les besoins élémentaires des personnes privées de liberté et respecter leur dignité dans les actes de la vie quotidienne
Principes généraux
4.1. Les besoins élémentaires
4.2. L'hébergement
4.3. L'hygiène
4.4. La restauration
4.5. L'accès à l'extérieur - Permettre aux personnes privées de liberté de s'exprimer, de participer à une vie sociale et d'exercer des activités
Principes généraux
5.1. Les voies d'expression individuelle et collective
5.2. L'enseignement et la formation
5.3. Le travail
5.4. Les autres activités - Garantir aux personnes privées de liberté un accès aux soins équivalent à celui de la population libre
Principes généraux
6.1. La prévention et l'adaptation des conditions matérielles
6.2. L'accès aux soins
6.3. Le secret médical et la confidentialité des soins
6.4. La fin de vie et le décès des personnes privées de liberté - Favoriser le maintien des liens familiaux des personnes privées de liberté et leurs relations avec l'extérieur
Principes généraux
7.1. L'information des proches
7.2. Les droits de visite et de sortie
7.3. L'accès à la correspondance écrite et au téléphone
7.4. Le maintien des liens avec la société civile
7.5. L'accès à internet
7.6. L'accès à l'information - Garantir l'exercice effectif des droits de la défense et des droits civils, civiques et sociaux des personnes privées de liberté
Principes généraux
8.1. L'accès au droit
8.2. Le droit à la vie privée
8.3. L'exercice de la citoyenneté
8.4. L'exercice de l'autorité parentale
8.5. La protection des données personnelles
8.6. Les droits sociaux
8.7. Le droit de propriété et le droit de la consommation
8.8. La liberté d'expression
8.9. La liberté de conscience - Limiter les contrôles et les contraintes additionnelles à la privation de liberté
Principes généraux
9.1. Les fouilles et autres moyens de contrôle
9.2. Les moyens de contrainte et l'usage de la force
9.3. Les mesures de mise à l'écart et d'isolement - Préparer et accompagner le retour des personnes privées de liberté dans la communauté
Principes généraux
10.1. Les sorties progressives ou provisoires
10.2. Les formalités administratives et les relations avec les organismes extérieurs
10.3. Les effets personnels et documents administratifs
10.4. Le retour à la liberté
Principes directeurs
Les droits fondamentaux n'ont de réalité que si leur effectivité est assurée. En d'autres termes, un droit n'est véritablement garanti, exercé ou respecté que si l'ensemble des conditions nécessaires à son exercice sont également garanties. Il ne s'agit pas uniquement de reconnaître qu'une personne privée de liberté est titulaire d'un droit ; l'administration doit en assurer l'effectivité, c'est-à-dire en permettre la mise en œuvre.
Les droits fondamentaux reposent, plus largement, sur une série de principes directeurs, fondés sur une triple nécessité. Il s'agit tout d'abord d'assurer la protection des personnes privées de liberté dans leur dignité et l'exercice de leurs droits fondamentaux ; il faut encadrer l'autorité des administrations en charge des lieux de privation de liberté en lui imposant des limites et en lui fixant une méthode ; enfin, ces administrations doivent exercer leurs prérogatives dans le respect d'un principe de bonne foi.
I. - Assurer la protection des personnes privées de liberté dans leur dignité et l'exercice de leurs droits fondamentaux
L'enfermement rend les personnes captives vulnérables puisque, confiées à une administration, elles perdent une grande part de leur autonomie.
Les droits et libertés fondamentales des personnes privées de liberté reposent donc en premier lieu sur un principe de protection. Contre le risque d'arbitraire, contre les tentations de faire primer l'ordre, la sécurité ou la bonne administration des lieux d'enfermement, les personnes privées de liberté doivent être protégées dans leur dignité, leur intégrité et leurs droits.
La dignité est à la fois le fondement et le corollaire de l'ensemble des droits des personnes privées de liberté. Même enfermés, les êtres humains sont « libres et égaux en dignité et en droits » (1). Un droit n'est véritablement garanti que s'il peut être exercé dans le respect « de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine » (2). L'obligation de prendre en charge les repas des personnes privées de liberté n'impose pas seulement de leur apporter de quoi manger, mais aussi les couverts qui leur permettront de se nourrir dignement. La dignité n'est pas désincarnée. Son respect doit être le souci constant des autorités, comme de tout intervenant au sein des lieux de privation de liberté.
Le respect de la dignité des personnes doit gouverner leur prise en charge, de leur arrivée à leur sortie, dans leurs conditions de vie et d'hébergement, et lors de leurs transports et transfèrements. Il s'impose comme une règle absolue à laquelle aucune exception ne saurait être admise.
L'enfermement expose, par nature, les personnes privées de liberté à un risque accru de violences commises contre elles, par elles-mêmes ou par autrui. La nécessité de garantir la protection de l'intégrité physique et psychique des personnes privées de liberté est également un principe qui doit en permanence guider l'action des administrations concernées. Celles-ci ont à ce titre une double obligation : l'obligation négative de ne pas porter elles-mêmes atteinte à la sécurité des personnes privées de liberté et l'obligation positive de les protéger contre tout risque d'atteintes. Elles doivent se donner les moyens d'en prévenir les causes et d'en détecter les effets afin de pouvoir y mettre fin et d'éviter leur réapparition.
Enfin, en application des articles 1er, 4 et 66 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, toute personne arrêtée, détenue, retenue ou enfermée par l'effet d'une décision publique doit pouvoir en faire examiner la légalité et la régularité auprès de l'autorité judiciaire. Le respect de la sûreté individuelle des personnes privées de liberté doit les assurer contre tout risque d'enfermement arbitraire. Les personnes privées de liberté doivent disposer des moyens, en fait et en droit, d'ester en justice, de préparer leur défense et de comparaître devant leur juge dans le respect des principes du procès équitable.
II. - Encadrer et contrôler l'action de l'administration
Dans le cadre de leurs missions respectives, les autorités en charge des lieux de privation de liberté disposent de nombreuses prérogatives, y compris coercitives, susceptibles par nature de porter atteinte à la dignité et aux droits des personnes qui leur ont été confiées.
Qu'il exerce des fonctions d'agent, de cadre ou de direction, le personnel des lieux d'enfermement doit prêter une attention constante au respect d'un juste équilibre entre l'exercice de son autorité et la dignité et les droits des personnes qui lui sont confiées. Cet équilibre, toujours fragile, doit être structuré autour de principes qui doivent lui permettre, d'une part, de connaître le sens, la mesure et la finalité des décisions qu'il prend et, d'autre part, de définir une méthode.
Le principe de légalité est le premier de ces principes, dont l'autorité publique tire sa légitimité. Toute action mise en œuvre au sein des lieux de privation de liberté doit reposer sur une base légale ou réglementaire, seule garantie dont disposent les citoyens contre le risque d'arbitraire. Ces règles doivent elles-mêmes être accessibles, claires et compréhensibles.
Toute décision, individuelle ou collective, prise par l'autorité gardienne d'un lieu de privation de liberté doit également respecter le principe de proportionnalité et poursuivre un objectif auquel elle est adaptée. Il en est ainsi dès lors que ces décisions ont notamment pour effet direct ou indirect de réduire l'autonomie ou la liberté des personnes qui lui ont été confiées ou de porter une atteinte supplémentaire à leurs droits.
Le principe de nécessité impose enfin aux administrations d'être en mesure de justifier leurs décisions, qui doivent constituer le moyen unique, ou le moins « coûteux » en termes de risque d'atteinte aux droits, d'atteindre l'objectif qu'elles se fixent.
L'application de ces principes implique d'individualiser les décisions prises à l'encontre des personnes privées de liberté, c'est-à-dire que toute décision susceptible d'aggraver les sujétions inhérentes à l'enfermement doit faire l'objet d'une motivation mettant en lumière la proportionnalité qui existe entre le but poursuivi et la nature de la restriction imposée. L'autorité gardienne doit également être en mesure de justifier qu'aucune mesure moins contraignante ne permettait d'atteindre le but poursuivi et faire état des dispositions prises pour s'en assurer.
Limitée dans ses actions, l'administration doit également être encadrée dans ses méthodes. Dans les décisions qu'elles prennent ou les actions qu'elles entreprennent, les autorités en charge des lieux de privation de liberté doivent toujours informer les personnes concernées, leur laisser le temps et leur accorder les moyens de présenter leurs observations et tracer, enfin, de manière claire et contradictoire chaque étape du processus.
Toute mesure qui, directement ou indirectement, entraîne la modification d'un régime de prise en charge, la réduction de l'autonomie, a fortiori la privation ou la restriction d'un droit, doit faire l'objet d'une information transparente, complète, compréhensible et, sauf exception, préalable. Elle comprend, en plus de la décision envisagée, les motifs qui la fondent, en fait et en droit. Cette information doit être accessible à la personne qu'elle concerne, qui doit pouvoir s'y référer en tant que de besoin.
De telles mesures doivent pouvoir être débattues contradictoirement et préalablement entre la personne concernée, le cas échéant assistée d'un défenseur, et un représentant de l'administration. La personne concernée doit disposer des moyens et du temps nécessaire pour prendre connaissance des éléments nécessaires à la compréhension de sa situation, consulter un conseil et faire valoir ses observations, par écrit ou oralement.
Enfin, l'administration est garante de la traçabilité des décisions qu'elle prend, ainsi que des observations, contestations ou moyens de défense soulevés par les personnes concernées. Ces écrits doivent être le reflet fidèle du contenu des échanges et sont, à l'issue de la procédure, signés par les parties. En cas de refus de signer par la personne concernée, ce refus doit être acté, ainsi que le motif invoqué. Une copie doit en être conservée pour une durée préalablement fixée, dont la personne concernée est expressément informée, comme elle est informée des moyens dont elle dispose de contester ces décisions. Une copie doit enfin en être remise à la personne concernée.
III. - Le principe de bonne foi
Au-delà des principes directeurs, il importe également de guider, plus largement, le travail des autorités - quelles qu'elles soient - dans leur travail de contrôle des lieux, des pratiques et des procédures qui y sont mises en œuvre.
Dans un Etat de droit, la liberté est la règle. La privation de liberté s'entend dès lors comme d'un état exceptionnel, lequel, à ce titre, ne doit donc pas restreindre les droits et les libertés des personnes privées de liberté « ni plus qu'il n'est juste, ni plus qu'il n'est nécessaire ». Il en découle, à la charge des autorités en charge des lieux d'enfermement, une obligation de bonne foi dans ses décisions, ses pratiques et ses procédures, laquelle pourrait se décliner autour des principes suivants.
Le principe d'interprétation stricte des restrictions interdit aux autorités en charge des lieux de privation de liberté d'imposer des restrictions de droits autres que celles imposées directement et nécessairement par la mesure de privation de liberté qu'elle met en œuvre. Ces restrictions doivent être nécessaires et adaptées aux objectifs qu'elles poursuivent.
Le principe de cohérence impose aux autorités responsables des lieux de privation de liberté de mettre en place des modalités et conditions d'enfermement respectueuses de la finalité que la mesure d'enfermement poursuit. Lorsqu'on enferme un patient pour le soigner, aucune modalité d'enfermement ne doit nuire à l'objectif thérapeutique. De même, dans un établissement à visée éducative, aucune mesure ne doit avoir pour effet de réduire l'accès à l'enseignement. Toute prise en charge au sein d'un lieu de privation de liberté doit garantir le respect de cette finalité qui, sans constituer un droit subjectif des personnes privées de liberté, doit en toute hypothèse demeurer le fil conducteur de leur parcours.
Enfin, le principe de transparence impose de permettre l'accès de personnes extérieures aux lieux de privation de liberté, notamment via le contrôle d'une autorité indépendante, mais également des inspections, de l'autorité judiciaire, des parlementaires, etc., ainsi que de contrôles plus ciblés (services de contrôle sanitaire, inspection du travail, organismes de certification, etc.) identiques à ceux qui s'exercent ailleurs dans la société. Aucune entrave qui ne soit strictement nécessaire à la finalité de la mesure de privation de liberté ou au respect des droits des personnes ne peut limiter cette transparence.
Le respect de ces principes doit rendre possible, pour toute personne enfermée, de contester toute décision qui lui est imposée et qui la concerne devant l'autorité compétente. Dans les lieux d'enfermement, la prise en charge des personnes privées de liberté prend généralement la forme de décisions. Parmi ces décisions, toutes celles susceptibles de porter atteinte à leurs droits doivent pouvoir trouver leur juge. Il doit également permettre d'assurer l'effectivité du contrôle des autorités - judiciaire, administrative ou indépendante - dont c'est la mission.
(1) Article 1er de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948.
(2) Préambule de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948.
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