L'article 9 de la loi du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) permet à cette autorité, lorsqu'elle constate une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, de communiquer sans délai aux autorités compétentes ses observations, de leur impartir un délai pour y répondre et, à l'issue de ce délai, de constater s'il a été mis fin à la violation signalée. S'il l'estime nécessaire, le CGLPL rend immédiatement public le contenu de ses observations et des réponses reçues. Les présentes recommandations ont été adressées au ministre de l'intérieur, un délai de quatre semaines lui a été imparti pour faire connaître ses observations.
La visite inopinée du service interdépartemental de la police aux frontières (SIPAF) de Montgenèvre (Hautes-Alpes), effectuée par cinq contrôleurs du 12 au 16 mai 2025 a donné lieu au constat de nombreux dysfonctionnements entraînant des atteintes graves aux droits des personnes qui y sont privées de liberté. Ce service faisait l'objet d'une première visite du CGLPL.
Pendant la visite, les contrôleurs ont mené de nombreux entretiens avec les membres du personnel du SIPAF. Les observations formulées en cours de visite n'ont pas été prises en compte et les réponses apportées à leurs demandes ont souvent varié selon les interlocuteurs.
- Des mesures privatives de liberté sont mises en œuvre hors de tout cadre légal et les personnes privées de liberté ne sont pas suffisamment informées de leurs droits
1.1. Des personnes sont privées de liberté en méconnaissance des normes et délais légaux
En 2024, 4 572 personnes - dont 1 462 se déclarant mineures non accompagnées (MNA) - ont été interpellées par les agents du SIPAF de Montgenèvre ; entre le 1er janvier et le 30 avril 2025, 1 359 personnes ont été interpellées, dont 476 se déclarant MNA.
En premier lieu, il convient de questionner le cadre juridique de l'enfermement de ces personnes. D'après les informations recueillies auprès des autorités responsables du SIPAF, les personnes retenues en 2024 l'étaient au titre d'une vérification du droit au séjour (RVDS) (1) ou d'une vérification d'identité (RVI) (2) en proportion sensiblement égale (3). Or, dès lors qu'elles sont interpellées à la suite de contrôles d'identité opérés sur le fondement de l'article 78-2 alinéa 8 du code de procédure pénale (CPP), leur qualité d'étranger commande que, si elles font l'objet, au titre de l'article 78-3 du même code, de vérifications qui justifient leur maintien à la disposition de l'administration, les procédures diligentées à ce titre soient celles régies par les articles L. 813-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) relatifs à la RVDS. L'article L. 813-2 du CESEDA dispose en effet que « lorsqu'un étranger retenu aux fins de vérification de son identité en application de l'article 78-3 du code de procédure pénale n'est pas en mesure de justifier de son droit de circuler ou de séjourner en France, les dispositions de l'article L. 813-1 sont applicables. »
Outre ces dispositions expresses, le cadre ainsi défini par le CESEDA a été confirmé par une récente décision du Conseil d'Etat (4), aux termes de laquelle « en l'état de la législation, la situation d'un ressortissant d'un pays tiers faisant l'objet d'un refus d'entrée à l'issue d'un contrôle à une frontière intérieure en vue de sa réadmission par l'Etat membre dont il provient est régie par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en particulier par les dispositions suivantes, qui sont applicables. D'une part, selon les articles L. 813-1 et L. 813-3 de ce code, si un étranger n'est pas en mesure de justifier, à l'occasion d'un contrôle, de son droit de circuler ou de séjourner en France, il peut être retenu aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français, conduit dans un local de police ou de gendarmerie et y être retenu par un officier de police judiciaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale le temps strictement exigé par l'examen de son droit de circulation ou de séjour et, le cas échéant, le prononcé et la notification des décisions administratives susceptibles d'être prises à son égard, dans la limite de vingt-quatre heures à compter du début du contrôle. »
En application de cette décision, des instructions nationales ont été adressées à la police aux frontières (PAF), déclinées au niveau départemental, qui indiquent expressément que les personnes interpellées à la frontière franco-italienne ne doivent pas faire l'objet d'un refus d'entrée sur le territoire mais être retenues aux fins de vérification de leur droit au séjour. A Montgenèvre, cette consigne résulte d'une note en date du 13 février 2024 (5), aux termes de laquelle « les procédures diligentées à l'encontre des étrangers en situation irrégulière contrôlés en zone frontalière ont évolué depuis l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat, dit arrêt “ADDE”, le 2 février 2024. Il n'est plus possible de prononcer des mesures de non-admission non assorties de mesures d'éloignement ».
C'est donc en toute connaissance de cause que les agents du SIPAF appliquent aux personnes interpellées des dispositions dont leur situation ne relève pas. Or l'illégalité des procédures qui résulte de cette erreur de droit emporte des conséquences très concrètes pour les personnes concernées, qui se trouvent privées des garanties inhérentes à la procédure de vérification du droit au séjour régie par les dispositions précitées du CESEDA (6). L'inquiétude du CGLPL à cet égard se trouve en tout état de cause confortée par le fait que la proportion des personnes enfermées dans les locaux du SIPAF de Montgenèvre au titre de la vérification d'identité est croissante, 92 % des personnes retenues (7) entre le 1er janvier et le 30 avril 2025 ayant fait l'objet d'une retenue pour ce motif.
En second lieu, l'analyse du registre dématérialisé des « procédures administratives » pour la période du 1er janvier au 14 mai 2025 révèle que la durée moyenne des mesures de privation de liberté mises en œuvre dans les locaux du SIPAF excède largement le cadre défini par les dispositions qui régissent la procédure de rétention aux fins de vérification d'identité : 73 % des personnes retenues à ce titre sont privées de liberté pendant une durée excédant quatre heures, et 32 % pour une durée supérieure à huit heures (8). L'article 78-3 du code de procédure pénale dispose pourtant que « la personne qui fait l'objet d'une vérification ne peut être retenue que pendant le temps strictement exigé par l'établissement de son identité. La rétention ne peut excéder quatre heures, ou huit heures à Mayotte et dans la collectivité territoriale de Guyane, à compter du contrôle effectué en application de l'article 78-2 et le procureur de la République peut y mettre fin à tout moment ».
Ainsi, la majorité des personnes retenues dans les locaux du SIPAF de Montgenèvre, non contentes d'être privées de liberté au titre de dispositions qui ne leur sont pas applicables, le sont de surcroît pour des durées qui excèdent ce que permettraient lesdites dispositions si elles devaient effectivement s'appliquer. Ce cumul d'illégalités emporte des atteintes graves à leurs droits fondamentaux, au premier rang desquels les droits de la défense et le droit à la sûreté tel que garanti par les articles 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 66 de la Constitution et 5 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Par ailleurs, lorsque des familles sont interpellées avec des enfants mineurs, ces derniers sont enfermés de fait le temps de la vérification d'identité de leurs parents et, le cas échéant, de l'accord des autorités italiennes à la demande de réadmission formulée par leurs homologues françaises. L'attente est alors susceptible de se prolonger jusqu'à l'arrivée de la Croix-Rouge italienne chargée de les ramener en Italie. Les policiers priorisent les procédures concernant des adultes accompagnés de mineurs mais la durée d'enfermement peut atteindre plusieurs heures, dans des locaux où rien n'est prévu pour l'accueil d'enfants (voir infra).
Toute mesure d'enfermement doit être mise en œuvre dans le strict respect des dispositions législatives applicables. Il doit être mis fin sans délai à l'enfermement des personnes interpellées au-delà des délais légaux.
L'enfermement des familles avec enfants au service interdépartemental de la police aux frontières de Montgenèvre, même pour une courte durée, doit être proscrit.
1.2. Les personnes privées de liberté ne reçoivent aucune information sur leurs droits
La pratique consistant à interpeller des groupes de personnes ou plusieurs personnes simultanément, source d'imprécisions et d'irrégularités, impacte de manière significative le traitement des procédures y-afférentes. Alors que la similitude des situations individuelles commande la plus grande rigueur afin que soit respecté le principe d'individualisation des procédures, l'analyse de ces dernières révèle au contraire leur caractère particulièrement stéréotypé.
Dans ces conditions, les personnes interpellées ne sont pas valablement informées du motif de leur privation de liberté et des droits dont elles disposent dans ce cadre. A l'exception de celles qui y étaient gardées à vue, les personnes retenues dans les locaux du SIPAF entendues par les contrôleurs ne savaient pas à quel titre ni pour combien de temps elles s'y trouvaient, pas plus qu'elles n'étaient informées de l'issue possible de cette retenue. Quel que soit le cadre juridique dans lequel s'inscrit la retenue d'une personne aux fins de vérification de sa situation par l'administration, les dispositions applicables font pourtant expressément obligation aux autorités compétentes de lui délivrer un certain nombre d'informations, dont le motif de sa retenue (9).
L'obligation faite aux autorités qui reçoivent une demande de protection internationale (10) n'est pas davantage respectée, puisqu'aucune information à cet égard n'est délivrée spontanément aux personnes privées de liberté, même mineures : une note de service dispose à cet égard que c'est à la personne interpellée qu'il incombe d'« exprimer spontanément son souhait de demander l'asile en France au cours de son audition » (11). Le cas échéant, selon la même instruction, il doit être mis fin à la retenue pour vérification d'identité. L'intéressé est alors libéré, sans qu'aucune convocation ne lui soit délivrée ; au mieux, il quitte le SIPAF avec un simple prospectus indiquant les modalités de dépôt d'une demande d'asile à la structure de premier accueil des demandeurs d'asile (SPADA) de Marseille (Bouches-du-Rhône) (12). Aucune autre information n'est délivrée, pas même sur la possibilité de demander, sans attendre l'introduction de la demande d'asile, un hébergement dans le cadre du dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile coordonné par l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). Il ressort en outre des procédures consultées pendant la visite que dans deux dossiers, la demande de réadmission adressée aux autorités italiennes porte la mention manuscrite selon laquelle les intéressés n'ont pas sollicité l'asile lors de leur audition, alors même qu'il est consigné dans leur procès-verbal d'audition qu'elles en avaient exprimé le souhait.
Chaque personne interpellée au titre de la vérification de son droit au séjour ou de son identité doit être informée du motif de sa privation de liberté et des droits dont elle dispose dans ce cadre. Une information concernant le droit de demander l'asile et les modalités d'exercice de ce droit doit lui être systématiquement délivrée, sans attendre qu'elle en fasse la demande.
- Les conditions de prise en charge des personnes interpellées portent gravement atteinte à leur dignité
2.1. Les conditions d'accueil des personnes privées de liberté font obstacle à une prise en charge respectueuse de leurs droits et de leur dignité
2.1.1. Des locaux inadaptés, sous-dimensionnés et dépourvus d'équipements indispensables
Au moment du contrôle, le SIPAF disposait de cinq locaux de privation de liberté : deux structures modulaires et trois geôles. De nouvelles structures modulaires étaient par ailleurs en cours d'installation, pour une mise en service à la fin du mois de mai 2025. Ces structures modulaires sont pourtant peu adaptées à l'accueil prolongé de personnes, en raison notamment de la rudesse des hivers alpins, à 1 800 mètres d'altitude, quand bien même elles comportent un système de chauffage - lors du contrôle objet des présentes, à la mi-mai, les deux radiateurs peinaient à chauffer ces espaces. En été, il y fait rapidement une chaleur étouffante.
A leur arrivée, faute de salle d'attente, les personnes interpellées patientent assises sur les marches de l'escalier desservant les deux étages du SIPAF, sur des bancs en bois placés devant les bureaux des policiers ou dans l'entrée du service. Une fois la mesure de retenue aux fins de vérification de leur identité notifiée, elles sont conduites dans l'une des deux structures modulaires. Ces dernières, entourées de grilles, jouxtent le bâtiment du SIPAF. Elles sont accessibles par une porte fermée à clef depuis la salle de repos des policiers ou par deux portes également verrouillées situées à mi-étage de l'escalier desservant le service. Chaque modulaire est d'une surface de 20 m2 et dispose d'une courette.
Au regard des flux quotidiens, les modulaires préfabriqués sont manifestement sous-dimensionnés et, en l'absence de note de service en fixant la jauge, le nombre de personnes pouvant y être accueillies, y compris la nuit, est laissée à la seule appréciation des agents de la PAF. Le registre des « procédures administratives » révèle que jusqu'à vingt personnes peuvent être placées dans un modulaire, y compris dans celui réservé aux MNA. Le cas échéant, pour respecter les mesures de séparation entre hommes et femmes, il arrive que les femmes majeures passent la nuit dans le hall d'entrée du SIPAF, sur les bancs face au poste ou dans les geôles laissées ouvertes. Dans ces conditions, la sécurité des personnes privées de liberté est d'autant moins garantie qu'il n'y a ni bouton d'appel ni sortie de secours. La nuit, ce danger est aggravé par le nombre réduit d'agents présents sur le site et son isolement géographique.
Les personnes se prévalant de la qualité de mineur sont séparées des adultes, mais garçons et filles peuvent être regroupés dans le même local. Leur vulnérabilité ne fait l'objet d'aucune attention particulière et leur prise en charge ne diffère en rien de celle des adultes : mêmes locaux indignes, aucune disposition spécifique pour les repas et l'accès à l'hygiène ou aux soins. Lorsque la minorité alléguée ne semble pas devoir être contestée (du fait de leur apparence physique ou de la confirmation des policiers italiens qui les ont enregistrés comme tels), le conseil départemental est averti, à charge pour lui de prévenir l'association Coallia, qui vient chercher les mineurs jusqu'à 20 heures. Au-delà, ils passent la nuit au SIPAF.
Le modulaire réservé aux adultes comporte trois lits équipés de matelas en mousse et de bancs qui, joints deux par deux et recouverts d'un matelas par les personnes retenues, servent de lits. Le local est par ailleurs équipé de deux tables - mais pas de chaise - et d'une fontaine à eau. Il n'y entre que peu de lumière naturelle car deux de ses trois fenêtres donnent sur le second modulaire, situé à une vingtaine de centimètres. Dans la courette attenante, une construction en dur dont la porte ne peut être verrouillée abrite un WC et un lavabo délivrant exclusivement de l'eau froide.
Le modulaire réservé aux MNA ne comporte aucun lit. Il est équipé d'une fontaine à eau, de huit matelas posés au sol et de cinq bancs et une table, qui sont également utilisés par les personnes retenues pour y poser un matelas. L'une des deux commandes lumineuses est défectueuse et les prises électriques censées permettre de charger un téléphone ne fonctionnent pas. L'unique WC, de type toilette chimique transportable de chantier, installé le premier jour du contrôle dans l'enclos jouxtant ce local a été déplacé dans l'après-midi du 13 mai vers les nouveaux modulaires en cours d'aménagement. Les mineurs qui sont restés enfermés au même endroit n'avaient donc plus accès aux toilettes. Les policiers n'étaient pas informés de ce changement et au moment du départ des contrôleurs, trois jours plus tard, personne ne s'était encore soucié de l'accès des mineurs à des toilettes.
Les deux modulaires en cours d'installation, d'une surface de 6,65 m2 sont percés de fenêtres barreaudées. Chacun est desservi par un escalier métallique - ce qui les rend inaccessibles aux personnes à mobilité réduite et ne manquera pas d'entraîner, l'hiver venu, des difficultés d'accès (neige, verglas). Au bas de chaque escalier, un WC chimique, dépourvu de toute commande lumineuse, a été installé dans l'après-midi du 13 mai 2025. Au moment du contrôle, le mobilier commandé pour équiper les nouveaux locaux se limitait à une fontaine à eau par structure et quelques chaises.
Les geôles sont susceptibles d'accueillir chacune jusqu'à trois personnes, alors que deux d'entre elles sont d'une superficie inférieure à 7 m2. Le CGLPL rappelle à cet égard que le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) préconise une surface d'environ 7 m2 s'agissant des cellules de police individuelles pour un séjour dépassant quelques heures et de 11 m2 pour deux personnes.
Les trois geôles destinées aux personnes placées en garde à vue ou en retenue pour vérification du droit au séjour (RVDS) sont situées dans le bâtiment abritant le SIPAF, à proximité du poste. Leur équipement se limite à un bat-flanc en béton de 46 cm de large, trop étroit pour accueillir les matelas de 70 à 80 cm. Elles sont mal ventilées, dépourvues de sanitaire, de point d'eau et de bouton d'appel et la zone de sûreté ne comporte pas de douche accessible aux personnes privées de liberté.
Les locaux destinés à l'accueil des personnes privées de liberté doivent être adaptés aux contingences climatiques et leur surface justement calibrée au regard du nombre de personnes susceptibles d'y être enfermées simultanément.
Pour garantir une prise en charge respectueuse de la dignité des personnes qui y sont accueillies, ces locaux doivent être équipés de couchages et d'assises propres et en nombre suffisant, de boutons d'appel, de points d'eau et de toilettes, d'horloges indiquant la date et l'heure, d'espaces de rangement sécurisés ainsi que d'un chauffage et d'une ventilation efficace.
Toute personne se déclarant mineure doit être immédiatement prise en charge par les services du conseil départemental, bénéficier d'un accueil d'urgence et être accompagnée vers son lieu de mise à l'abri.
2.1.2. Un état d'insalubrité alarmant et une hygiène gravement défaillante
Les modulaires préfabriqués sont dans un état de saleté extrême. Les prestations de ménage sont insuffisantes et aléatoires puisque ces locaux ne sont pas nettoyés systématiquement : le ménage n'y est fait que lorsqu'ils ne sont pas utilisés - ce qui relève de l'exception dans ce service à forte activité.
Dans le modulaire réservé aux adultes, les contrôleurs ont trouvé à leur arrivée des poubelles non vidées, des couvertures roulées en boule, des taies d'oreiller maculées de saleté et de traces de sang ainsi que des vêtements abandonnés. Les matelas en mousse et leur housse en tissus maculés de tâches ne sont jamais nettoyés : un simple produit désinfectant est vaporisé dessus. Les couvertures sont simplement repliées pour les prochains arrivants. Dans les geôles, les couvertures polaires à usage unique sont réutilisées et lavées à l'occasion. La housse en tissu qui recouvre certains matelas est nettoyée de façon aléatoire.
Les toilettes fixes installées dans la cour du modulaire réservé aux majeurs dégagent une odeur pestilentielle et sont dépourvues de papier toilette, comme d'ailleurs les WC chimiques. Les MNA n'ont aucun endroit où se laver les mains avec du savon.
La vidange des deux WC chimiques est effectuée par un prestataire qui intervient uniquement à la demande, sans contrat de vidange à périodicité fixée. C'est la société de ménage chargée de la zone des modules préfabriqués qui alerte lorsque les WC sont pleins ; la vidange peut alors n'être effective que deux à trois jours plus tard, notamment si l'alerte est faite une veille de week-end ou de jour férié. En hiver, la porte des WC chimiques est bloquée par la neige, à charge pour les policiers d'en déneiger l'accès.
Ces conditions d'hygiène sont d'autant plus alarmantes que des cas de tuberculose, de gale et, au cours du premier trimestre 2025, d'infection à Mpox (13) ont été suspectés parmi des personnes interpellées et signalés à l'agence régionale de santé (ARS), sans compter le risque accru de présence de nuisibles telles que puces et punaises de lit. Pour préserver de tout risque sanitaire les personnes enfermées et les fonctionnaires, il est impératif et urgent de prendre des mesures immédiates pour remédier à cette situation d'absolue indignité, qui constitue en tout état de cause une urgence sanitaire caractérisée.
Des mesures doivent être prises en urgence pour remédier à l'indignité des conditions d'hébergement dans les locaux du SIPAF. L'hygiène et le nettoyage des locaux sont une urgence sanitaire absolue. Aucune mesure de privation de liberté ne doit se dérouler dans des conditions matérielles qui ne garantissent pas le respect de la dignité et de la sécurité des personnes enfermées.
2.1.3. Des besoins élémentaires non pris en charge
En l'absence d'affichage et d'information orale, les personnes enfermées dans les modulaires ne savent pas comment leurs besoins élémentaires (se nourrir, se laver) seront satisfaits. Il n'existe par exemple aucun pictogramme les informant de l'existence d'une fontaine à eau et de la façon de l'utiliser. Des personnes privées de liberté, postées à côté d'une fontaine, se sont plaintes d'avoir soif et ce sont les contrôleurs qui leur ont montré comment actionner le mécanisme. Aucun gobelet n'est mis à disposition des personnes retenues, contraintes de boire dans leurs mains qu'elles ne peuvent laver.
Les kits d'hygiène (composés de lingettes rafraîchissantes, de pâte dentifrice à croquer et, pour les femmes, de serviettes hygiéniques) ne sont pas distribués aux personnes privées de liberté alors même qu'un stock existe. Faute de bouton d'appel et de WC dans les geôles ainsi que dans la cour du modulaire réservé aux mineurs, les personnes enfermées sont dans l'obligation de se manifester auprès des policiers pour accéder aux toilettes. Les contrôleurs ont constaté de surcroit qu'elles ne sont pas toutes informées de cette possibilité.
S'agissant de la possibilité de se nourrir, en fonction des agents de service, les personnes retenues pour vérification d'identité et les MNA reçoivent un repas chaud ou un paquet de chips, ce qui semble témoigner d'une absence de consigne à cet égard, alors que des plats chauds ou froids sont disponibles en nombre. Les personnes gardées à vue ou retenues pour vérification de leur droit au séjour reçoivent un repas chaud deux fois par jour et des biscuits ou madeleines le matin, mais sans boisson chaude ou froide. Des MNA enfermés pendant la visite du CGLPL n'ont reçu un repas qu'à la suite de l'intervention des contrôleurs. Les enfants ne reçoivent pas de goûter le temps qu'ils passent enfermés au SIPAF avec leurs parents. Le service ne dispose pas d'aliments adaptés aux enfants ni de matériel de puériculture.
Les personnes privées de liberté dans les locaux du SIPAF doivent être mises en mesure de pourvoir à leurs besoins en matière d'hygiène, d'accès à l'eau et à des sanitaires. Un repas doit être proposé à toutes les personnes privées de liberté. Des aliments adaptés aux enfants et du matériel de puériculture doivent être mis à disposition des personnes retenues.
2.2. L'intégrité physique et psychique des personnes privées de liberté n'est pas garantie
La procédure de retenue pour vérification d'identité ne prévoit pas le droit d'être examiné par un médecin. Or ainsi qu'il a été précédemment exposé, bien que la plupart des personnes retenues dans les locaux du SIPAF de Montgenèvre relèvent des dispositions du CESEDA, elles se voient majoritairement appliquer la procédure de retenue pour vérification d'identité régie par le code de procédure pénale. Dans ces conditions, leur accès à des soins relève de la seule appréciation des policiers. Il en résulte un risque sanitaire d'autant plus important que certaines des personnes interpellées le sont aux termes de marches périlleuses sur un terrain de haute-montagne et se trouvent dans un état de grande vulnérabilité physique et psychique.
Aucun médecin ne se déplace au SIPAF. En cas d'urgence, il est fait appel aux pompiers de Briançon. Toutefois, cet appel n'est pas systématique, même lorsque l'état d'une personne interpellée semble nécessiter une consultation médicale d'urgence. Ainsi, un ressortissant d'Erythrée se disant MNA, d'apparence juvénile et d'une maigreur inquiétante, a été interpellé dans la matinée du 13 mai 2025, en présence de l'équipe du CGLPL, au bord de la RN 94 qu'il remontait à pied depuis Clavière (Italie) avec un groupe de quatre autres jeunes. A 12 h 05, il s'est plaint de douleurs diffuses et présentait un état de faiblesse physique et d'épuisement manifeste, confirmé par ses compagnons de voyage qui ont précisé qu'ils marchaient ensemble depuis plusieurs jours sans se nourrir ou boire correctement. Alerté par les contrôleurs, le personnel du SIPAF, en l'absence de sa hiérarchie, n'a pas jugé nécessaire de faire examiner ce jeune homme par un médecin. Il a d'abord été placé sur un banc dans l'attente de la suite de la procédure de vérification de son identité puis dans un des modules préfabriqués et s'est endormi sous une couverture. De l'heure de son interpellation jusqu'à 16 heures, il a reçu pour toute alimentation un petit paquet de chips. A 16 heures, sur ordre du commandant du SIPAF alerté par les contrôleurs, un repas lui a été servi et les pompiers sont intervenus. Soutenu par deux pompiers, il a marché avec difficultés jusqu'à leur camion avant d'être évacué vers le centre hospitalier. Il était encore hospitalisé le 14 mai à 14 heures.
Enfin, aucun protocole d'évaluation et de prise en charge des risques liés au froid (hypothermies, gelures) lors de l'arrivée des personnes interpellées au SIPAF n'a pu être présenté aux contrôleurs, malgré leur demande en ce sens.
La surveillance des personnes privées de liberté n'est encadrée par aucune note de service, étant rappelé qu'aucun des locaux de privation de liberté n'est équipé d'un bouton d'appel. Cette surveillance, lorsqu'elle est effectuée, n'est pas tracée. Pour surveiller les personnes accueillies dans les modulaires préfabriqués, un policier est en principe positionné dans la salle de repos derrière une vitre sans tain, se tenant prêt à réagir lorsqu'une personne privée de liberté se manifeste par un signe ou un appel. Cependant ce policier n'est pas présent en permanence et les personnes privées de liberté ne sont pas informées de sa présence, qu'elles ne peuvent deviner : des MNA installés dans la zone dépourvue de toilettes à compter de l'après-midi du 13 mai 2025 se sont ainsi plaints d'avoir appelé en vain pour accéder à des sanitaires.
L'intégrité physique et psychique des personnes retenues doit être garantie.
L'accès aux soins des personnes interpellées doit être garanti et ne saurait dépendre de la seule appréciation des policiers quant à l'état de santé d'une personne interpellée. Une procédure doit être formalisée à ce titre, qui traite des risques liés à l'exposition au froid.
Les locaux d'hébergement doivent être équipés d'un dispositif d'appel.
Les personnes retenues doivent faire l'objet d'une surveillance humaine constante et être informées des modalités selon lesquelles elles peuvent faire appel aux agents du SIPAF.
2.3. Des mesures de contrôle et de sécurité sont mises en œuvre selon des modalités qui portent atteinte aux droits et à la dignité des personnes
Les agents interpellateurs procèdent systématiquement à une palpation de sécurité des personnes interpellées, sauf si l'absence d'une femme dans la patrouille y fait obstacle. Les interpellations se déroulent pourtant dans le calme, d'après les constats opérés par les contrôleurs : à la vue des forces de l'ordre, les personnes s'assoient et attendent.
A l'arrivée au SIPAF, en application d'une note d'organisation interne (14), la palpation de sécurité peut être réitérée sans motivation particulière, alors même que les personnes interpellées sont par définition restées sous la surveillance continue des policiers. En outre, lors de l'interpellation d'une famille le 13 mai 2025, la palpation du père de famille a été réalisée dans des conditions attentatoires à sa dignité, dans le couloir desservant les bureaux des officiers de police judiciaire (OPJ), devant ses enfants en bas âge. Ces pratiques méconnaissent en tous points les dispositions de l'article R. 434-16 du code de sécurité intérieure (15).
D'après les témoignages recueillis, les incidents impliquant des personnes privées de liberté seraient rares et non systématiquement tracés dans la main courante informatisée (MCI).
Les locaux du SIPAF de Montgenèvre sont équipés de caméras de vidéosurveillance. L'objectif de celles qui sont orientées vers les geôles réservées aux gardes à vue et aux personnes en retenue pour vérification du droit au séjour est recouvert de scotch brun. Une note de service locale (16) rappelle notamment qu'en vertu de l'article L. 256-1 et du code de la sécurité intérieure, les systèmes de vidéosurveillance peuvent être mis en œuvre par l'autorité administrative « dans les cellules de garde à vue et de retenue douanière pour prévenir les risques d'évasion […] et les menaces sur [la personne concernée] ou sur autrui […] ». Pendant la visite, les caméras donnant sur les geôles ont pourtant été activées sur ordre du commandant du SIPAF alors que la personne enfermée (17), placée en retenue pour vérification du droit au séjour, ne relevait pas des dispositions précitées. Cette circonstance est de nature à entacher d'illégalité ces modalités de surveillance.
Les mesures de contrôle et de sécurité à l'encontre des personnes interpellées doivent être mises en œuvre dans le strict respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur. En application de ces dispositions, la palpation de sécurité des personnes interpellées ne doit pas revêtir un caractère systématique mais être réservée aux cas dans lesquels elle apparaît nécessaire à la garantie de la sécurité du policier qui l'accomplit ou de celle d'autrui. Elle doit se dérouler à l'abri des regards afin de préserver la dignité de la personne interpellée. La réitération de la palpation de sécurité d'une personne demeurée sous la surveillance continue des agents de police est à proscrire.
Conformément aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur, le recours à la vidéosurveillance dans les cellules ne doit concerner que les personnes placées en garde à vue et en retenue douanière.
- Conclusion
Face à la gravité de ces constats, le CGLPL appelle l'attention du ministre de l'intérieur sur la nécessité de remédier sans délai aux dysfonctionnements affectant la prise en charge des personnes interpellées par le SIPAF de Montgenèvre, afin qu'il soit mis un terme à l'indignité des conditions dans lesquelles elles y sont privées de liberté.
Il rappelle à cet égard que le respect du principe de légalité par l'autorité publique constitue le premier fondement de sa légitimité. Toute mesure de privation de liberté doit être mise en œuvre dans le strict respect des normes en vigueur, seule garantie dont disposent les citoyens contre le risque d'arbitraire.
(1) Articles L. 813-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).
(2) Article 78-3 du code de procédure pénale (CPP).
(3) Selon les données produites par l'administration, respectivement 1 139 et 1 130.
(4) Conseil d'Etat, « Association des avocats pour la défense des droits des étrangers » (ADDE), n° 450285, 2 février 2024.
(5) Note de service n° 2024/18 du 13 février 2024 du directeur de la DIPN 05.
(6) Les articles L. 813-5 et suivants du CESEDA prévoient notamment le droit à l'assistance d'un avocat, d'être examiné par un médecin et d'avertir les autorités consulaires de son pays alors que l'article 78-3 CPP al. 1 et 2 ne prévoit pas ces garanties s'agissant de la retenue pour vérification d'identité. Cet article prévoit seulement un droit de faire aviser le procureur de la République de cette vérification (obligatoire si la personne est mineure) et un droit de prévenir à tout moment sa famille ou toute personne de son choix. Lorsqu'il s'agit d'un mineur de dix-huit ans, le procureur de la République doit être informé dès le début de la rétention. Sauf impossibilité, le mineur doit être assisté de son représentant légal.
(7) 66 personnes ont fait l'objet d'une retenue pour vérification du droit au séjour et 760 d'une retenue pour vérification d'identité.
(8) Le temps d'enfermement ainsi calculé inclut le temps de réalisation de la procédure et l'attente avant une prise en charge par l'association mandatée par le conseil départemental des Hautes-Alpes s'agissant des mineurs non accompagnés (MNA) ou par les autorités italiennes en cas de réadmission dans ce pays.
(9) L. 813-15 CESEDA pour la RVDS et 78-3 CPP pour la RVI.
(10) L. 521-4 CESEDA.
(11) Note de service n° 2024/18 du 13 février 2024 signée par le directeur interdépartemental de la police nationale des Hautes-Alpes relative au « traitement procédural des étrangers interpellés à la frontière ».
(12) Le prospectus mentionne l'adresse et les horaires d'ouverture de la SPADA et contient un plan d'accès.
(13) Le virus Mpox est une maladie infectieuse due à un orthopoxvirus qui se caractérise notamment par une éruption cutanée qui peut être isolée ou précédée ou accompagnée d'une fièvre ou de ganglions. La transmission interhumaine se produit par contact direct avec une personne infectée, à travers les fluides corporels, les lésions cutanées de la maladie ou les muqueuses internes comme la bouche, ainsi que de manière indirecte par des objets que le malade a contaminés, comme des vêtements ou du linge de lit ou dans une moindre mesure à l'occasion d'un contact prolongé en face à face par des gouttelettes (postillons, éternuements).
(14) Note de service n° 2024/16 du 11 septembre 2024 portant sur l'organisation de la prise en charge des migrants au SIPAF de Montgenèvre.
(15) Article R. 434-16 CSI : « (…) Le contrôle d'identité se déroule sans qu'il soit porté atteinte à la dignité de la personne qui en fait l'objet. La palpation de sécurité est exclusivement une mesure de sûreté. Elle ne revêt pas un caractère systématique. Elle est réservée aux cas dans lesquels elle apparaît nécessaire à la garantie de la sécurité du policier ou du gendarme qui l'accomplit ou de celle d'autrui. Elle a pour finalité de vérifier que la personne contrôlée n'est pas porteuse d'un objet dangereux pour elle-même ou pour autrui. Chaque fois que les circonstances le permettent, la palpation de sécurité est pratiquée à l'abri du regard du public. »
(16) Note du SIPAF du 9 septembre 2024 intitulée : Application de la nouvelle législation concernant la vidéo surveillance des GAV.
(17) Procédure 2025/1727, déclenchement de la vidéo-surveillance le 12 mai 2025 à 21 heures.
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