A. - Sur la violation du principe de nécessité
et de proportionnalité des mesures de police
La mise en place d'un appareillage de vidéosurveillance généralisée équivaudrait à l'évidence à la mise des techniques les plus modernes d'inquisition électronique au service de visées littéralement totalitaires incompatibles avec tout respect des libertés constitutionnellement garanties. Dès lors, le recours à ce procédé ne peut, on le répète, être autorisé que dans de strictes limites de lieux, de temps et de motifs.
Or, même si en cours de discussion parlementaire on a finalement pu constater avec soulagement que ne pourraient être ainsi visualisées << les images de l'intérieur des immeubles d'habitation >>, ce qui éloigne in extremis une part du cauchemar orwellien, il reste que le dernier état du texte voté n'édicte semblable interdiction en ce qui concerne les << entrées >> de ces immeubles d'habitation que si la visualisation est opérée << de manière spécifique >> (sic).
Cette formule issue du laborieux compromis entre les deux assemblées est d'une redoutable ambiguïté; on peut cependant la comprendre comme interdisant de réaliser un cadrage exclusif de l'entrée d'un immeuble d'habitation. En revanche, il n'est nullement interdit de faire en sorte qu'un immeuble dont on veut surveiller les allées et venues des occupants soit pris dans le champ - cadré un peu plus largement - d'une caméra municipale... ou même privée.
Il suffit de comparer ce flou législatif avec la formulation retenue par la C.N.I.L. dans sa recommandation précitée (<< il y a lieu [...] de veiller à ce que le fonctionnement permanent des caméras prenant dans leur champ de vision les voies et lieux publics ne porte pas une atteinte excessive aux libertés individuelles, et notamment au droit de chacun au respect de sa vie privée [...] a fortiori les caméras implantées pour surveiller les voies publiques ne devront pas visualiser les entrées d'immeubles >>: ainsi ces entrées ne devraient-elles pas être incluses dans le champ de visualisation des caméras) pour prendre la mesure de l'espace ainsi laissé à l'atteinte arbitraire au respect de la vie privée.
Sur ce plan plus général et non moins grave, la loi autorise le recours à la vidéosurveillance non seulement << sur la voie publique >>, mais aussi << dans des lieux et établissements ouverts au public particulièrement exposés à des risques d'agression ou de vol >>, c'est-à-dire, compte tenu du caractère là encore extrêmement flou de la formule retenue, dans la plus grande partie des zones urbaines du territoire.
On notera de même que la loi déférée ne comporte aucune limitation de temps à l'utilisation de la vidéosurveillance, qui est donc possible non seulement à peu près partout mais encore à tout moment...
Quant aux motifs qui légitiment le recours à la vidéosurveillance, il serait illusoire d'espérer qu'ils devraient relever systématiquement du souci de protéger l'ordre public et plus précisément la sécurité publique: ce n'est pas un hasard si l'intitulé de la loi fait référence à la << sécurité >> sans autre qualificatif, ce qui d'ailleurs lui donne un objet si ambitieux qu'il en devient quasi fantasmatique.
En effet, la loi déférée ne permet pas seulement le recours à la vidéosurveillance aux autorités publiques - sur la voie publique - mais aussi à toute personne privée (aucune limitation n'étant énoncée sur ce plan) - dès lors qu'il s'agit d'un lieu ouvert au public. Ainsi s'ajoute, à la vidéopolice municipale, la vidéomilice privée... En d'autres termes, la vidéosurveillance est mise au service non seulement de la protection de l'ordre public, mais aussi d'un << ordre privé >> qui pourra fort bien ne bénéficier qu'à des intérêts particuliers; dans cette mesure, l'atteinte portée aux libertés fondamentales est évidemment privée de tout fondement constitutionnel.
De plus, alors que dans un premier état de rédaction (première lecture devant l'Assemblée nationale) la loi déférée n'autorisait les opérations de vidéosurveillance que lorsqu'elles étaient << nécessaires à la protection de bâtiments et installations publics et de leurs abords >>, etc., le Sénat (en deuxième lecture) a substitué à cette rédaction relativement protectrice la formule, finalement retenue après intervention de la commission mixte paritaire, de compétence des autorités publiques << aux fins d'assurer la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords >>, etc. En d'autres termes, la vidéosurveillance est désormais permise, dès lors qu'elle est utile - et quand pourrait-on affirmer qu'elle ne le serait pas,
si peu que ce fût? - et alors même qu'elle n'est pas nécessaire à la protection de l'ordre public ... ou des intérêts d'un propriétaire privé.
La violation manifeste du principe de nécessité et de proportionnalité des mesures de police est incontestable.
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