III.-Sur l'article 18
L'article 18 crée une peine complémentaire d'interdiction de manifester lorsqu'une personne est condamnée pour des faits de violences ou de dégradations commis lors d'une manifestation. Les infractions visées par le texte sont des crimes et des délits d'ores et déjà punis par des peines allant de deux ans d'emprisonnement et 200 000 F d'amende à vingt ans de réclusion criminelle. Il s'agit donc là d'infractions dont la gravité a été reconnue par le législateur et qui, commises dans le contexte particulier d'une manifestation, constituent non pas l'expression du droit de manifester, mais un très grave dévoiement de celui-ci au regard des valeurs démocratiques. Cette évidence, à la fois juridique, philosophique et éthique, semble tout simplement ignorée des requérants.
La peine complémentaire d'interdiction prévue à l'article 18 est contestée aux motifs qu'elle porterait atteinte à la liberté d'expression, qu'elle assimilerait manifestants et << casseurs >> et que, par défaut d'effectivité, elle ne serait pas nécessaire. Aucun de ces griefs n'est fondé.
a)L'article critiqué permet en effet aux tribunaux de restreindre le droit de manifester d'une personne déterminée, lorsque celle-ci a commis, lors d'une manifestation, une infraction grave.
La disposition contestée est à l'abri de la critique constitutionnelle:
- la sanction pénale vise l'atteinte aux droits et libertés commise par la personne qui, profitant du cadre propice offert par une manifestation, a commis de graves infractions;
- elle a également pour effet de restituer au droit de manifester la signification que lui a donnée, en ses articles 4 et 10, la Déclaration de 1789.
S'agissant des peines complémentaires, elles sont toujours une sanction, en cela qu'elles privent en tout ou partie la personne de l'exercice d'un droit, mais elles sont aussi, à titre accessoire, une assurance que l'ordre public, troublé par la commission d'une infraction lors de l'exercice abusif de ce droit, ne le sera pas à nouveau.
Dans l'hypothèse qui nous occupe, le juge qui constatera que l'exercice du droit de manifester a été le moyen de commettre une infraction pourra, dans toute la mesure où il l'estimera nécessaire, restreindre l'exercice de ce droit. De même, lorsqu'il constate que l'exercice d'une activité professionnelle ou sociale a été le moyen d'une infraction, peut-il aujourd'hui interdire cette activité.
Il faut souligner que cette interdiction est limitée dans le temps et dans l'espace. L'interdiction de manifester ne peut en effet excéder trois ans et la décision qui la prononce doit fixer les lieux auxquels elle s'applique.
Elle n'est par ailleurs qu'une faculté pour le juge et peut faire l'objet de toutes voies de recours.
b)Il n'y a pas assimilation des manifestants aux casseurs, mais constatation par l'autorité judiciaire qu'un individu a commis une infraction grave sous le couvert d'une manifestation. Il y a condamnation pour ces faits et si cette interdiction porte sur un droit, c'est parce que ce droit a été dévoyé et parce qu'il y a lieu de craindre un nouveau dévoiement. Bien loin de s'opposer au droit de manifester, la peine accessoire en protège l'exercice. c)Les auteurs de la saisine soutiennent que cette peine complémentaire d'interdiction de manifester en certains lieux méconnaît le principe de nécessité des peines posé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Selon eux, en effet, faute d'identifier systématiquement les manifestants ou d'assigner les personnes condamnées à demeurer en un lieu déterminé lors de chaque manifestation, elle serait inefficace.
Il convient de relever que l'efficacité absolue n'est pas l'objectif d'une sanction pénale et ne doit pas être confondue avec sa nécessité. Certaines sanctions sont assorties de mesures de sûreté afin d'accroître leur efficacité immédiate, mais sans garantie absolue du respect de ces mesures.
Ainsi, la suspension du permis de conduire, avec exécution provisoire,
n'interdit pas matériellement au condamné de conduire sans permis.
En l'espèce, le condamné sera averti des interdictions qui lui sont faites par l'autorité judiciaire. Il devra les respecter. S'il ne le fait pas, il encourra les peines prévues par l'article 18.
Le législateur n'a pas entendu laisser impunie la personne qui passerait outre à la condamnation. En effet, cette personne encourt les peines prévues au deuxième alinéa de l'article 18 (soit un an d'emprisonnement et 100 000 F d'amende). Ces peines ne sanctionnent pas l'exercice du droit de manifester, comme le soutiennent étrangement les requérants, mais bien la violation d'une décision prise par l'autorité judiciaire.
Enfin, l'appréhension des personnes n'ayant pas déféré à l'interdiction n'a rien d'impossible: elles peuvent par exemple être surprises par les forces de l'ordre alors qu'elles commettent de nouvelles dégradations sur les lieux et au moment d'une manifestation qui leur est interdite.
Confondre efficacité et nécessité d'une sanction pénale est restreindre la portée du principe posé à l'article 8 de la Déclaration de 1789. En effet,
cela conduirait à ne vouloir retenir que les peines dont l'efficacité est assurée, comme l'emprisonnement ferme, voire uniquement s'il est assorti de mesures permettant son exécution immédiate. Cela reviendrait également à supprimer, comme contraire au principe de nécessité, des peines telles que l'interdiction de séjour, la suspension du permis de conduire et l'interdiction d'exercer une activité professionnelle.
Pour l'ensemble des motifs qui précèdent, le Gouvernement demande au Conseil constitutionnel de rejeter les deux recours.
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