JORF n°0262 du 5 novembre 2024

Avis

Adopté lors de l'Assemblée plénière du 17 octobre 2024 (Adoption à l'unanimité)

Introduction

  1. Qu'ils soient mineurs exclus, isolés, enfermés, Roms, Gens du voyage, en situation de très grande pauvreté vivant en lieux de vie informels ou hôtels sociaux, originaires de territoires ultramarins, qu'ils soient malades, porteurs de handicap, en décrochage… en France, nombre d'enfants (1) ne sont pas scolarisés et ce, en violation des dispositions prévues par le droit international, européen et français.

  2. A l'international, l'article 26 de la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH) prévoit depuis 1948 le droit à l'éducation. Les articles 13 et 14 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels affirment le droit à l'éducation et le caractère obligatoire et gratuit de l'enseignement primaire. De façon complémentaire, l'article 2 du Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales indique que « Nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction ».

  3. L'adhésion de la France à la Convention internationale pour les droits de l'enfant (CIDE) l'engage en matière d'éducation, notamment par l'article 28 qui prévoit le droit à l'éducation sur la base de l'égalité des chances. Le même article 28 précise les conditions nécessaires pour accéder à ce droit : la France s'est ainsi engagée à « prendre des mesures pour encourager la régularité de la fréquentation scolaire et la réduction du taux d'abandon scolaire ».

  4. Au niveau européen, depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne de 2009, l'article 14 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne a acquis une force juridique contraignante. Elle stipule que « Toute personne a droit à l'éducation, ainsi qu'à l'accès à la formation professionnelle et continue. Ce droit comporte la faculté de suivre gratuitement l'enseignement obligatoire ».

  5. Les engagements pris au niveau international et européen se retrouvent en droit français : Le préambule de la Constitution précise que « la nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat ». Le code de l'éducation prévoit que l'instruction soit « obligatoire pour chaque enfant dès l'âge de trois ans et jusqu'à l'âge de seize ans » et le décret n° 2020-978 du 5 août 2020 prévoit l'obligation de formation des jeunes de seize à dix-huit ans. Le code de l'éducation, les lois en faveur de l'inclusion scolaire (11 février 2005 et 8 juillet 2013), les circulaires relatives aux modalités d'inscription des élèves de nationalité étrangère, de familles itinérantes, des élèves à besoins particuliers, etc. vont toutes dans le même sens : garantir le droit à l'éducation pour tous via un accès égal à la scolarisation.

  6. L'avis utilisera le terme « non-scolarisation » dans un sens large qui comprend l'ensemble des formes d'éloignement scolaire subies par les enfants non-inscrits à l'école mais aussi par ceux pour lesquels aucune continuité scolaire n'est assurée, et ce pour diverses raisons. Il recouvrira ainsi toutes les situations comportant un risque de renoncement aux engagements de la France dans le cadre de la CIDE quant « à la régularité de la fréquentation scolaire et [à la] réduction des taux d'abandon scolaire » (art. 28) des enfants de 3 à 18 ans.

  7. Il s'agira d'identifier les situations de non-inscription et/ou de non admission dans un cursus scolaire ou de formation, celles qui, après une inscription, conduisent à l'abandon progressif par l'élève, celles qui conduisent à une scolarisation partielle pour des raisons de moyens mis à disposition par les services de l'Etat.

  8. Déjà abordée par la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) (2) ainsi que par de nombreux acteurs institutionnels et associatifs, la non-scolarisation touche aux droits fondamentaux à de nombreux égards (3). A titre d'exemple, il est difficile de se soigner correctement et de rendre effectif le droit à la santé quand on ne sait pas lire une notice de médicaments, difficile aussi de trouver du travail sans diplôme. Il est aussi difficile d'aller à l'école quand on habite loin sans moyen de transport ou quand l'eau manque pour se laver… L'interdépendance des droits fondamentaux vient rappeler l'urgence qu'il y a à requalifier les politiques publiques et leur accorder les moyens nécessaires pour garantir à chaque jeune l'effectivité du droit à la scolarisation.

  9. La non-scolarisation questionne une valeur plus large, celle de l'égalité. Les personnes non-scolarisées peuvent faire l'objet de discriminations notamment fondées sur l'origine géographique, l'appartenance à une communauté, le niveau de richesse, l'état de santé, la situation administrative ou judiciaire, etc. L'effectivité du principe d'égalité, pourtant aux fondements des droits de l'Homme et des droits de l'enfant (4), s'en trouve remise en cause. La non-scolarisation met aussi à mal un des grands principes portés par le ministère de l'éducation nationale : celui de « l'égalité des chances ». L'observatoire des inégalités fait état en 2023 de résultats scolaires corrélés au niveau social des familles, et ce dès la classe de CP (5), laissant craindre des décrochages ultérieurs. Une politique nationale dédiée à la lutte contre la non-scolarisation doit donc, pour être efficace, intégrer tous les risques de décrochage dans une logique de droits indivisibles.

  10. La non-scolarisation vient aussi questionner le droit « au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales » (Art. 26 - DUDH).

  11. Enfin, elle questionne l'articulation entre les différents acteurs contribuant à l'éducation d'un jeune et le dialogue écoles/familles.

  12. Cet avis revient sur certaines recommandations formulées précédemment par la CNCDH, notamment sur la scolarisation des enfants vivant en extrême pauvreté (6), avec un focus sur la situation dans les territoires ultramarins de la Guyane et de Mayotte. Il élargira le spectre de ses recommandations en évoquant la situation des enfants enfermés, des enfants handicapés et celle des enfants malades.

  13. Cet avis débute avec un bref état des lieux de la non-scolarisation en France. Il rappelle, dans un deuxième temps qu'une scolarité effective doit être pensée avec d'autres impératifs, notamment une prise en compte des besoins des enfants. L'avis alerte en conclusion sur la nécessité d'impulser une politique globale de lutte contre la non-scolarisation.