Il n'a pas de valeur légale et peut contenir des erreurs.
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Assemblée plénière du 12 décembre 2023 (Adoption à l'unanimité)
Résumé
La CNCDH a auditionné de nombreux professionnels de la protection de l'enfance, du milieu social, médical, enseignant, enquêteur et judiciaire, afin de traiter et approfondir le sujet difficile des morts violentes d'enfants dans le cadre familial dont on n'a connaissance que lorsque, drame après drame, les médias s'en emparent.
Cet avis, par son approche pluridisciplinaire, révèle que de très nombreux passages à l'acte aux conséquences tragiques, loin de relever de la fatalité, auraient pu être évités par l'accompagnement approprié des parents, le repérage précoce des situations à risque, la protection et la mise à l'abri efficients des enfants.
C'est pourquoi, tout en étant consciente de la difficulté de rechercher et d'analyser les dysfonctionnements et les manquements ayant permis la commission de ces violences dont meurent un à deux enfants par semaine, la CNCDH émet des recommandations visant à améliorer le recueil et le croisement des données statistiques, les procédures de détection des violences puis d'investigation sur elles, le fonctionnement des alertes, et bien-sûr la formation de tous les professionnels en contact avec des enfants.
Au-delà des violences ici traitées, nécessairement circonscrites, la CNCDH recommande également que soit engagée ou poursuivie la réflexion sur les violences envers les enfants, dans le cadre familial, perpétrées dans les territoires qui enregistrent des taux de maltraitance infantile plus élevés, sur celles survenant entre mineurs, par exemple dans la rue, ou encore sur celles dont sont victimes les enfants ou adolescents particulièrement vulnérables que sont les mineurs non accompagnés.
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Les morts violentes d'enfants, ces violences indicibles souvent traitées à la rubrique des faits divers, suscitent toujours l'effroi et l'indignation. Trop souvent, alors qu'on se demande comment on en est arrivé là, l'analyse des affaires révèle des dysfonctionnements systémiques aux conséquences tragiques. Cela fut notamment le cas en août 2009, dans l'affaire dite « Marina », une enfant de 9 ans, battue à mort par ses parents après avoir subi un calvaire de plusieurs années. A l'issue du procès, tenu devant la cour d'assises de la Sarthe au mois de juin 2012, de très nombreuses voix politiques s'élèvent pour dire « plus jamais cela ». Et pourtant, le 15 novembre 2023, la cour d'assises du Var a confirmé en appel la peine de réclusion criminelle à perpétuité prononcée contre le beau-père de Mohamed-Reda, un enfant de deux ans, mort des suites des tortures et actes de barbarie. Le constat est accablant : au moins un enfant décèderait tous les cinq jours en France à la suite des mauvais traitements infligés par ses parents ou par un proche. Pire encore, si ce chiffre atteste de l'extrême gravité des maltraitances commises à l'encontre des enfants, il semble largement sous-estimé tant les données sur ces morts violentes peinent à être établies avec précision par les diverses institutions concernées. Bien qu'envisagées comme une priorité de santé publique par de nombreux professionnels, les violences sur enfants restent encore insuffisamment considérées par les politiques publiques.
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C'est pourquoi, face à la répétition de drames pourtant fréquemment évitables, Mme Francesca Pasquini, députée, membre de la délégation aux droits de l'enfant de l'Assemblée nationale, a consulté pour avis la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), aux fins d'analyser et comprendre le phénomène des « morts violentes d'enfants au sein des familles et des enfants placés », et pour y remédier.
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La CNCDH a procédé à de nombreuses auditions de professionnels de tous les secteurs concernés (médecins, enseignants, travailleurs sociaux, enquêteurs, magistrats, avocats…), afin de mieux cerner les dysfonctionnements et carences observés. Toutes les personnes auditionnées ont insisté sur l'absolue nécessité d'un repérage précoce de la maltraitance dès lors que, dans la majorité des cas, la survenance de la mort n'est que l'étape ultime d'une longue chaîne de violences à laquelle un enfant a été exposé. Dans ce but, les professionnels entendus ont souligné l'importance tant d'une prise en compte effective de la parole de l'enfant par leurs différents interlocuteurs que de l'interprétation des signaux non verbaux fréquemment constatés chez un jeune enfant par des personnes susceptibles de le protéger, comme autant de « clignotants » d'une situation anormale.
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Au-delà du fait en soi dramatique, les violences, a fortiori mortelles, sur un enfant notamment au sein de sa famille, interrogent sur la place que notre société accorde à cet être vulnérable, auquel on dénie trop souvent la qualité de sujet de droit à part entière. Les relations entre adultes et enfants sont encore trop marquées du sceau de la domination du fort sur le faible, à l'image des relations hommes-femmes et d'une certaine conception de l'autorité qui inscrit trop souvent les violences dans une répétition transgénérationnelle.
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Certes, si le temps de la toute-puissance du « pater familias » doté d'un pouvoir absolu, y compris du droit de vie et de mort sur ses enfants, est révolu, ce n'est qu'en 1970 (loi du 4 juin) que l'autorité parentale s'est substituée à la « puissance paternelle » du code Napoléon. Or, c'est au nom de cette même autorité que les parents doivent protéger « la sécurité, la santé et la moralité » de leurs enfants, satisfaire leurs besoins fondamentaux et assurer leur bon développement. En aucun cas, ils ne sauraient s'autoriser des violences sous prétexte d'éducation. Il a néanmoins fallu attendre la loi du 14 mars 2016 pour que le mot « maltraitance » réapparaisse expressément dans le code de l'action sociale et des familles (1) et celle du 7 février 2022 pour avoir une définition légale de la maltraitance, commune aux familles et aux institutions (2), alors qu'il est capital de nommer les choses si l'on veut les combattre. Entre temps, une loi du 10 juillet 2019 sur l'interdiction des violences éducatives ordinaires est intervenue pour prohiber expressément l'usage de violences physiques et psychologiques dans l'éducation (3). Cette loi représente une grande avancée tant il est fréquemment constaté un continuum entre les violences « ordinaires » et celles entraînant la mort de l'enfant. La CNCDH note également avec intérêt la diffusion de la circulaire du 28 mars 2023 sur les violences envers les enfants (4).
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Pour sa part, en imposant aux Etats parties de faire de « l'intérêt supérieur de l'enfant » « une considération primordiale » de toute décision le concernant, la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE) (5) a placé hors la loi toute violence commise à son encontre qu'elle soit institutionnelle ou privée. Et le Comité des droits de l'enfant de rappeler, dans son Observation générale n° 14, qu'il a pour objectif de « garantir dans sa globalité, l'intégrité physique, psychologique, morale et spirituelle de l‘enfant ». De même, le Conseil constitutionnel a énoncé que la protection de l'intérêt supérieur de l'enfant était une « exigence constitutionnelle » (6).
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Face à l'ensemble de ces proclamations rassurantes, mais très souvent mal respectées malgré leur caractère contraignant, il est urgent de remédier à cette situation en plaçant la protection de l'enfant au cœur de l'action publique, en appréhendant la maltraitance comme un fait social et non comme un fait divers.
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C'est ce à quoi s'attachera la CNCDH dans cet avis en proposant une réflexion en deux temps : d'abord, celui d'une analyse des types de violences potentiellement mortelles subies par des enfants telles qu'elles ressortent des statistiques, seraient-elles imparfaites (I), ensuite, celui des remèdes à apporter pour prévenir efficacement ces violences et, en cas d'échec, c'est-à-dire de mort de l'enfant, pour les traiter de manière adéquate afin d'éviter leur répétition (II).
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Auparavant trois précisions s'imposent. D'abord, alors que le cadre de l'avis a été systématiquement adressé aux personnes auditionnées, celles-ci se sont unanimement focalisées sur les violences intrafamiliales et n'ont quasiment pas abordé celles commises en foyer ou dans des lieux dépendant de l'Aide sociale à l'enfance (ASE), qui nécessiteraient une recherche à part entière et au long cours. Ensuite, même si ce cadre ne vise que les « morts violentes » d'enfants, dès lors que ces morts résultent le plus souvent d'une chaine de violences, l'avis abordera la problématique de la maltraitance familiale en général des mineurs. Il est en effet important de rappeler que les enfants maltraités, lorsqu'ils ne décèdent pas à l'issue des violences subies, se retrouvent parfois dans des situations de handicap d'une gravité variable, en même temps qu'ils sont marqués à jamais du point de vue psychologique. Il est également important de rappeler que, dans de nombreux cas, les violences, y compris morales, commencent par des punitions, considérées comme normales et anodines. Enfin, alors même que le combat à mener doit viser tous les enfants en danger sans exception, la situation de deux catégories d'entre eux ne sera pas abordée dans l'avis : d'une part, celle des enfants violentés dans les outre-mer qui mériterait une étude à part tant il est vrai que les dysfonctionnements constatés sur ces territoires sont toujours le miroir grossissant de ceux constatés en métropole ; d'autre part, celle des mineurs étrangers isolés, dits mineurs non accompagnés, en raison de la spécificité de la violence dont ils font l'objet, subie essentiellement en institution ou dans la rue.
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Panorama et analyse
Si les violences sur les enfants sont d'une grande diversité criminologique (1) les statistiques peinent à quantifier clairement et complètement le phénomène (2).
1.1. Diversité criminologique des situations de violence
- Les violences, qui peuvent conduire à des morts d'enfants, se caractérisent par une diversité des auteurs, des actes (7), ainsi que des victimes que leur âge rend plus ou moins vulnérables. La période du très bas âge représente un danger majeur pour l'enfant car, moins visible dans la société, celui-ci se trouve dans l'incapacité totale de se défendre ou d'appeler les secours. En grandissant, l'enfant acquiert la parole et se déplace, il peut ainsi échapper plus facilement à ses agresseurs et mieux être repéré lorsqu'il est victime, dès lors qu'il est généralement scolarisé. Enfin, à l'adolescence, les morts violentes sont beaucoup plus rares au regard du sujet étudié et relèvent davantage de rixes et de suicides. Ce qui transparaît également s'agissant des décès au sein de l'ASE, au regard du peu d'informations recueillies à cet égard, où les morts liées à des mauvais traitements semblant extrêmement rares (8). L'on tentera une classification des enfants victimes avant d'en analyser les facteurs de risque.
1.1.1. Proposition de classification
- Alors qu'il existe des divergences entre tous les secteurs intervenant sur les violences envers les enfants sur les définitions des classes d'âge des bébés, enfants et adolescents, la CNCDH a choisi de retenir les classifications utilisées par le secteur médical, considérant qu'elles reflètent mieux une réalité scientifique et sociétale. Ainsi, les tranches d'âge suivantes peuvent être distinguées :
- nouveau-né : bébé qui vient de naitre et jusqu'à un mois en moyenne (9) ;
- nourrisson : selon la Haute Autorité de santé, un nourrisson est un bébé de moins de deux ans ; de même, la circulaire sur la prise en charges des morts inattendues du nourrisson (10) s'applique au bébé jusqu'à deux ans. Enfin, pour l'ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) un nourrisson a entre 8 jours et 23 mois ;
- enfant : de 2 à 12 ans révolus ou 15 ans (l'enfant entre 12 ans révolus et 15 ans étant considéré comme un pré adolescent) ;
- adolescent : de 12 ans révolus à 18 ans.
- A ces différents âges des victimes répondent des actes mortifères le plus souvent spécifiques, même s'il peut arriver que des violences de même nature (des coups par exemple) répétées depuis le très jeune âge d'un enfant ne conduisent à son décès qu'après plusieurs années. La CNCDH a fait le choix d'opérer une distinction entre les violences qui concernent tous les âges et celles qui sont spécifiques aux nourrissons (11).
1.1.1.1. Morts violentes concernant tous les enfants
Elles-mêmes se subdivisent.
1.1.1.1.1. Mort violente causée par des violences répétées
- Le décès de l'enfant survient à l'issue de coups et blessures répétés pouvant aller jusqu'à des tortures ou actes de barbarie, généralement dans un cadre intrafamilial.
Cour d'assises d'appel du Morbihan, du 24 septembre au 1er octobre 2021 : condamnation d'un couple à vingt-cinq ans de réclusion criminelle pour torture et actes de barbarie ayant entraîné la mort sans intention de la donner d'un mineur, en l'espèce, leur fils âgé de 8 ans. L'enfant était décédé par noyade au domicile familial. Cette ultime scène de violences avait succédé à de nombreuses violences graves exercées à son encontre depuis plusieurs mois par sa mère et son beau-père.
1.1.1.1.2. Mort violente survenue dans le cadre d'une séparation conflictuelle
- Le décès survient dans un contexte de séparation réelle ou de menace de séparation. Un parent tue son ou ses enfants pour se venger de son conjoint, ou encore pour s'assurer que ce dernier n'obtienne pas la garde des enfants, lesquels deviennent l'objet du conflit entre deux adultes. L'enfant est utilisé pour atteindre l'autre parent. L'acte s'accompagne parfois du suicide ou d'une tentative de suicide du parent auteur.
Cour d'assises de Haute-Savoie, du 20 au 23 mai 2019 : condamnation d'un homme à trente ans de réclusion criminelle assortie d'une période de sûreté de vingt ans pour meurtre d'une mineure de 15 ans, en l'espèce pour avoir tué sa fille âgée de 3 ans pour se venger et faire souffrir son ex-compagne. La fillette avait été retrouvée inanimée dans son lit, étouffée, ainsi qu'une lettre du conjoint à destination de son ex-femme dans laquelle il indiquait avoir commis cet acte pour se venger de la demande de garde exclusive demandée par elle. - Moins courants sont les infanticides liés à un épisode psychotique, ou à une volonté d'abréger les souffrances d'un enfant gravement malade ou lourdement handicapé.
1.1.1.2. Morts violentes spécifiques aux nourrissons
- S'agissant des nourrissons, ils peuvent être victimes, outre de ces violences, d'actes spécifiques à leur tranche d'âge.
1.1.1.2.1 Le néonaticide
- Le néonaticide, à savoir l'homicide d'un nouveau-né de moins de 24 heures imputé le plus souvent à la mère, occupe une place à part, tant dans ses spécificités criminologiques que dans son appréhension par la société. Il intervient fréquemment dans un contexte de grossesse non prévue et dissimulée, voire déniée, après un accouchement discret et solitaire, mais en dehors de toute pathologie mentale connue ou avérée. Il a toujours existé et a même été considéré comme une technique de contrôle de la population, plus ou moins tolérée (12), voire comme au 19e siècle, la seule méthode de contraception. Aujourd'hui, il est devenu quasiment marginal, grâce à l'accès à la contraception et à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) (13). Les femmes auteures de néonaticides présentent certains points communs (14) comme un milieu social précaire (15), une autonomie réduite et un manque de ressources financières, un niveau d'études faible, une exposition fréquente à des violences passées ou actuelles, un grand isolement dans la grossesse (16), le poids de la famille, une absence de conjoint ou alors un conjoint qui a exprimé son refus d'avoir un enfant… N'ayant pas ou peu bénéficié d'une éducation à la sexualité, elles ont un rapport au corps compliqué, étant rappelé que l'accès à la contraception et aux services de santé sexuelle et reproductive est inégal selon les femmes. Souvent, la grossesse est vécue comme une catastrophe, que la future mère soit trop jeune, qu'elle ait déjà assez d'enfants ou encore un conjoint violent, etc. Ces femmes cumulent des difficultés à un moment de leur vie, elles ne sont pas en mesure d'interrompre leur grossesse non voulue dans les délais légaux. Ainsi, hors le cas de déni de grossesse, la femme poursuit sa grossesse sans projet de vie avec l'enfant (17). L'ensemble de ces informations permettent de conclure que la particularité du néonaticide découle essentiellement des inégalités sociales en santé reproductive.
Cour d'assises de Seine-Saint-Denis, du 26 au 30 juin 2023 : condamnation d'une femme à cinq ans d'emprisonnement dont 3 ans de sursis probatoire pour privation de soins ayant entraîné la mort de son enfant nouveau-né, après requalification du meurtre sur mineur de 15 ans. L'accouchement s'était déroulé dans le huis-clos d'une salle de bain, sans assistance médicale ou d'une tierce personne. Le corps de l'enfant aurait ensuite été déposé dans un local à poubelles, et n'a jamais été retrouvé.
Recommandation n° 1 : Afin de prévenir la commission de néonaticides, la CNCDH recommande un renforcement de la prévention à travers l'amélioration de l'éducation à la vie sexuelle et affective, la garantie de l'accès universel à la contraception et à l'IVG pour toutes les femmes. Elle recommande également de fournir un suivi approprié à la femme enceinte dans son environnement
1.1.1.2.2. Le syndrome du bébé secoué
- Le syndrome du bébé secoué (SBS) ou traumatisme crânien non accidentel (TCNA) provoqué par secouement est une des violences les plus répandues sur les nourrissons, dont peut résulter le décès. Faisant partie des traumas crâniens les plus sévères pour l'enfant, son analyse clinique et les lésions consécutives au secouement sont désormais bien renseignées (18). Contrairement à une idée reçue, il s'agit rarement de l'acte isolé d'un adulte qui « craque » face aux pleurs inexpliqués d'un bébé mais bien d'une violence volontaire, souvent répétée, généralement dans le but de faire cesser ces pleurs. On estime à environ 400 à 500 enfants victimes de SBS chaque année (19), dont environ 10 % meurent des suites des traumatismes crâniens infligés et plus des trois quarts des survivants gardent des séquelles à vie. Ce syndrome touche par ailleurs les enfants de moins d'un an et dans deux tiers des cas de moins de six mois. Le SBS se produit toujours à huis clos. Au sein du couple, les auteurs sont majoritairement masculins, mais il ne faut pas oublier les faits imputables à des assistantes maternelles (et leur entourage) (20).
- Parce qu'ils se déroulent dans des espaces privés ou dans des lieux où ne se trouvent aucun autre adulte que l'auteur des faits, les actes de secouement volontaires sont parfois difficiles à établir, voire parfois déniés (21). Ce syndrome, insuffisamment connu, peut faire l'objet de contestations visant à expliquer l'état du bébé par d'autres causes, tels les maladies génétiques, les hématomes spontanés ou les chutes accidentelles. A cet égard, la Haute Autorité de santé (HAS) a émis en 2011, des recommandations, actualisées en 2017, et validées par le Conseil d'Etat (22), précisant « la démarche diagnostique (repérage, conduites à tenir, lésions observées, bilan clinique et para-clinique, diagnostics différentiels, critères diagnostiques), le mécanisme causal et la datation des lésions, ainsi que les aspects juridiques lorsque le diagnostic est évoqué ou posé (23) ». Il est en effet ressorti des auditions menées à la CNCDH que certains enfants victimes de SBS avaient déjà été examinés par un médecin, voire avaient déjà été hospitalisés avant l'ouverture d'une procédure judiciaire. Des erreurs de diagnostics initiaux par des praticiens ne connaissant pas le contexte peuvent entraver la manifestation de la vérité judiciaire. Face à des symptômes d'intensité variable, la CNCDH recommande de renforcer le rôle des radio-pédiatres, ces derniers étant spécialement formés à détecter des situations de risques sur les enfants, notamment en très bas âge, grâce à des examens spécifiques (radiographie du squelette, imagerie cérébrale et échographie abdominale).
Recommandation n° 2 : La CNCDH recommande de renforcer la formation des professionnels de santé à la particularité du syndrome du bébé secoué afin que soient améliorés son diagnostic et sa prise en charge
Cour d'assises de Seine-et-Marne, du 13 au 15 novembre 2019 : condamnation d'un homme à sept ans d'emprisonnement pour des violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner d'un mineur, en l'espèce, pour avoir violemment secoué son fils de 9 mois. Selon les experts, l'hématome sous-dural associé à une hémorragie rétinienne consécutif à un traumatisme crânien par secouement avait conduit au décès.
1.1.1.2.3. La mort inattendue du nourrisson
- Certaines négligences ou imprudences peuvent entrer dans la catégorie de la « mort inattendue du nourrisson » (MIN), définie par la Haute Autorité de santé comme « le décès subi d'un enfant âgé de 1 mois à 2 ans jusqu'alors bien portant, le plus souvent durant le sommeil, alors que rien dans ses antécédents connus ni dans l'histoire des faits ne pouvait le laisser prévoir » (24). A titre d'exemple, le couchage inadapté de l'enfant est l'une des causes fréquentes de MIN. En l'absence d'explication du décès par une cause médicale, chirurgicale ou traumatique, dans 50 % des cas environ, on parle de mort subite du nourrisson (MSN). Ce n'est qu'après une exploration approfondie lors d'une autopsie qu'une mort inattendue du nourrisson peut être classée en mort subite du nourrisson. Selon des associations et experts auditionnés par la CNCDH, il arrive que des dossiers de mort inattendue du nourrisson soient classés sans suite sans que soient recherchés les causes du décès et les éléments du contexte. Dans le cadre d'une politique pénale de protection de l'intégrité physique et morale des enfants, les parquets devraient se montrer plus vigilants et demander plus systématiquement une expertise en cas de mort inattendue du nourrisson.
1.1.2. Facteurs de risque
- La diversité de ces actes et de leurs victimes met en évidence une diversité des auteurs et des facteurs de risque qu'il convient toutefois d'interpréter avec prudence, tant chaque situation est complexe et présente ses particularités. Ainsi, s'agissant des auteurs, même s'il s'agit de violences intrafamiliales, les rôles de chacun peuvent être plus ou moins marqués en fonction de l'acte commis : dans le cas du néonaticide, l'auteur est quasi exclusivement la mère ; dans les autres cas de violence ce sont plutôt les deux parents, bien que les hommes en restent les auteurs principaux. Ces situations de violence naissent de l'interaction entre différents facteurs, analysés au niveau international comme des « facteurs de vulnérabilité » et repris dans des études françaises (25). Certaines caractéristiques socio-familiales et environnementales (contexte de séparation conjugale, violences intrafamiliales, isolement et monoparentalité, situation de précarité, troubles psychiatriques, addictions, etc.), et certaines caractéristiques de l'enfant (jeune âge, situation de handicap) peuvent créer un contexte favorisant les violences. Il convient en outre de souligner que souvent, l'auteur ayant lui-même été victime de violences dans son enfance, il risque, à l'âge adulte, de répliquer cette histoire douloureuse.
1.2. Analyse statistique : le chiffre noir des violences
- Il est demandé à la CNCDH de procéder à une analyse statistique des morts violentes d'enfants. Au vu des auditions réalisées et des chiffres qui lui ont été soumis, son étude porte parfois également sur les « tentatives d'homicides » (voir point 1.2.1). Les chiffres analysés ne prennent cependant pas en compte les maltraitances de toute nature subies par les enfants, ce qui permettrait d'avoir une idée encore plus complète du phénomène. Inversement les données traitées portent sur le mineur au sens juridique d'une personne âgée de 0 à 18 ans (26), ce qui est plus vaste que « l'enfant » au sens plus strict.
- Le constat principal dressé par la CNCDH est que les données relatives aux morts violentes d'enfants sont largement méconnues et insuffisantes : aucun recensement précis et centralisé n'est effectué à ce jour (27). Les instances qui établissent des statistiques recueillent des données à partir de sources très disparates si bien qu'il est compliqué de les comparer et les croiser entre elles. En outre, il n'existe pas, ou que rarement, d'échanges entre ces instances, ce qui rend la collecte des statistiques peu fiable et les données partielles et cloisonnées. Ce défaut de fiabilité laisse à penser que le nombre de morts violentes d'enfants est plus important dans la réalité si l'on tient du compte du « chiffre noir » que constituent par exemple les meurtres non révélés de nouveau-nés à la naissance ou encore les homicides d'enfants non repérés, principalement ceux victimes du syndrome du bébé secoué (SBS), ou encore les morts consécutives à des suicides des parents avec leurs enfants.
1.2.1. Les chiffres du ministère de l'intérieur
- Au sein du ministère de l'intérieur, c'est le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), créé en 2014 et rattaché à la DGPN et à la DGGN (28), qui produit celles pouvant éclairer sur les morts violentes d'enfants, dès lors qu'il recense les données sur les homicides commis sur le territoire français dans leur ensemble. Ses sources proviennent des données transmises par la police et la gendarmerie. Le SSMSI différencie les homicides consommés des tentatives. Collectées sur une base « victimes » à partir des seuls dépôts de plainte, ces données sont relatives aux victimes d'homicide âgées de moins de 18 ans et dont l'auteur est un proche (père, mère, beaux-parents, grands-parents, oncles, tantes, membre de la fratrie). (29) Elles sont donc à interpréter avec précaution puisqu'elles ne reflètent qu'une partie du phénomène, celle portée à la connaissance des services de police et de gendarmerie. Depuis 2021, le SSMSI cherche à fiabiliser les statistiques des homicides consommés afin de mieux repérer les doublons et de vérifier la réalité du décès de la personne. Cependant, ce processus de sécurisation des données n'ayant pu être mis en œuvre rétrospectivement de 2020 à 2016, l'analyse de l'évolution des taux doit être prise avec précaution. De plus, si ce processus permet de préciser le nombre de victimes il ne permet pas de ventiler les chiffres par âge, genre, ou contexte de la commission. Ce processus, très poussé, de fiabilisation de la statistique des homicides repose sur une identification des victimes à partir des index, qui permettent, contrairement à la classification NATINF (30), de différencier les homicides aboutis (victime décédée) des tentatives d'homicides (victime survivante) ; mais aucune vérification n'est faite de la cohérence entre la NATINF et l'index ou l'éventuel lien intrafamilial entre la victime et l'auteur, enregistré par les services (31) (voir point 1.2.2). Les chiffres issus du SSMSI doivent donc être rapprochés d'autres sources de données (ministère de la justice, CepiDC, délégation d'aide aux victimes (DAV), ministère de la santé etc. Ces données sont reprises par l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE), soit en 2021, 49 morts intrafamiliales d'enfants de 0 à 18 ans.
Une majorité des morts violentes d'enfants au sein de la famille :
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Source : Nombre annuel de victimes mineures, chiffres de 2016 à 2022, SSMSI
- Ces chiffres font apparaître qu'en moyenne annuelle depuis 2016, 99 enfants ont été victimes d'homicides et 217 enfants victimes de tentative d'homicide volontaire (32). Parmi, les victimes d'homicides, 57,5 enfants sont décédés de mort violente dans le domaine intra-familial (soit 58 % des victimes au total) en moyenne annuelle.
- Entre les âges « moins d'un an » d'une part, « 13 à 17 ans » d'autre part, le rapport des homicides aux tentatives s'inverse. Les actes commis à l'encontre des bébés sont des meurtres la plupart du temps consommés en raison de la particulière vulnérabilité de la victime. Les actes perpétrés à l'encontre des adolescents renvoient, eux, au fur et à mesure que ceux-ci grandissent, aux formes de violence qui prévalent chez les adultes (rixes, règlements de comptes, notamment liés au trafic de drogue…) sans pour autant conduire nécessairement à la mort et hors de tout contexte familial.
- La CNCDH regrette que la variation année par année n'ait pas pu être établie, l'évolution dans la fiabilisation des statistiques produites ne permettant pas de disposer de chiffres annuels robustes dans le champ des homicides de mineurs, avec le niveau de détail attendu. Cela peut s'expliquer en raison de la faible variabilité des facteurs exogènes, contrairement à la délinquance raciste potentiellement influencée, par exemple, par des faits d'actualité, hormis éventuellement des évolutions sociétales de fond peu perceptibles sur du court terme.
Des victimes essentiellement âgées de moins d'un an :
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Source : Nombre annuel moyen de victimes mineures, chiffres de 2016 à 2022, SSMSI
- Ce graphique confirme que la tranche de 15 à 17 ans n'est quasiment pas concernée par l'objet de l'avis. C'est au cours de la première année de vie que les enfants sont les plus exposés aux violences, deux tiers des homicides étant commis par leurs parents. Ainsi, 81 % des victimes d'homicides au sein de leur famille sont âgées de moins d'un an.
- La notion d'« autre famille » fait référence à des faits commis au sein de la famille mais par des personnes autres que la famille proche, telles que des nourrices, des amis, des voisins… Cette information est à mettre en relation avec le manque de données existantes sur les décès survenus hors du cadre familial, ce qui peut sembler étonnant vu qu'ils sont en principe l'objet d'un plus fort contrôle institutionnel. La CNCDH souligne qu'il aurait été intéressant de posséder les chiffres bruts et pas uniquement des pourcentages.
- Quant à la délégation aux victimes (DAV) (33), elle réalise chaque année, depuis 2006, une étude sur les décès au sein du couple, laquelle comptabilise à son tour les décès d'enfants survenus dans le seul cadre de violences conjugales : enfant tué en même temps qu'un des parents et enfant tué alors qu'aucun des deux parents ne l'a été. La DAV recense les faits constatés par la police et la gendarmerie sur une année civile et construit ses chiffres à partir des télégrammes et synthèses de la police judiciaire et données issues des logiciels de rédaction des procédures. Les affaires sont ensuite vérifiées et enrichies par des informations issues des bases départementales de chaque circonscription de police ou groupement de gendarmerie départementale (logiciels de rédaction des procédures). Puis les données sont harmonisées avec celles du Service statistique ministériel de la sécurité intérieure précité (SSMSI). Du fait de son objet spécifique, cette étude ne permet pas d'avoir des données précises pour le sujet étudié par la CNCDH même si elle met en lumière une forte corrélation entre violences conjugales et violences commises sur les enfants.
Vous pouvez consulter l'intégralité du texte avec ses images à partir de l'extrait du Journal officiel électronique authentifié accessible en bas de page
Source : Etudes nationales sur les morts violentes au sein du couple réalisées annuellement depuis 2017 par la délégation d'aide aux victimes et le ministère de l'intérieur
- L'analyse des six dernières années fait ressortir les données suivantes :
- en 2017 : 25 enfants tués - dont 11 concomitamment à l'homicide d'un des parents, 14 séparément mais dans le contexte du conflit conjugal ;
- en 2018 : 21 enfants tués - dont 5 concomitamment et 16 séparément ;
- en 2019 : 25 enfants tués - dont 3 concomitamment et 22 séparément ;
- en 2020 : 14 enfants tués - dont 8 concomitamment et 6 séparément ;
- en 2021 : 12 enfants tués - dont 0 concomitamment et 12 séparément ;
- en 2022 : 12 enfants tués - dont 8 concomitamment et 4 séparément.
1.2.2. Les chiffres du ministère de la justice
- Le service statistique du ministère de la justice (SSMJ) travaille selon les mêmes principes et pratiques que le SSMSI en relation étroite avec la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) (34). Les deux principales sources relatives aux morts violentes d'enfants sont le logiciel Cassiopée (35) et le casier judiciaire. Mais ce système présente des lacunes en termes de collectes de données. S'il traite des délits jusqu'à l'exécution des peines, en revanche, il ne traite des crimes que jusqu'à la mise en accusation devant la cour d'assises (OMA) ; au-delà il faut consulter un autre fichier. De plus, dans Cassiopée, l'âge de la victime n'étant pas toujours renseigné, des morts violentes d'enfants peuvent échapper aux statistiques. Quant au casier judiciaire, il n'est qu'un instrument partiel d'analyse des données dès lors qu'il ne fait apparaître que les condamnations définitives après épuisement de toutes les voies de recours. En outre, ces données concernant les seuls condamnés, il est nécessaire de croiser différentes variables pour déterminer les circonstances de l'infraction et l'âge de la victime : ainsi, alors que 15 codes NATINF (36) peuvent concerner une mort violente d'enfant, ceux-ci ne précisent pas toujours la nature de la relation entre l'auteur et la victime. Quant aux circonstances aggravantes, celle sur « mineur de 15 ans » se voyant très souvent retenue, elle reste trop vague pour permettre de déterminer avec précision l'âge de l'enfant victime. D'autant qu'elle n'est pas toujours retenue par les magistrats lorsque l'homicide est au surplus prémédité, ces derniers faisant le choix de la préméditation plutôt que de la minorité de 15 ans. De même, la notion d'autorité, de droit ou de fait, exercée par l'auteur sur la victime dépasse trop largement le cadre familial pour constituer un critère d'analyse précis d'une situation infractionnelle.
Vous pouvez consulter l'intégralité du texte avec ses images à partir de l'extrait du Journal officiel électronique authentifié accessible en bas de page
Source : ministère de la justice/SG/SEM/SDSE/Fichier statistique du Casier judiciaire national des personnes physiques
Note : les données 2020 du CJN sont semi définitives, les données 2021 sont provisoires.
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