JORF n°0125 du 31 mai 2024

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Avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme sur la surpopulation carcérale

Résumé La CNCDH critique les politiques actuelles de surpopulation carcérale et propose un mécanisme contraignant.

Assemblée plénière du 23 mai 2024 (Adoption à l'unanimité)

  1. Jamais autant de personnes n'ont été détenues dans les prisons françaises. Au 1er avril, 77 450 personnes étaient incarcérées pour 61 570 places opérationnelles (1). La majorité d'entre elles sont enfermées dans les maisons d'arrêt, prisons destinées aux personnes en attente de jugement et à celles condamnées à une peine de maximum deux ans. Le taux d'occupation y dépasse 150 % en moyenne, et franchit officiellement 200 % dans 17 prisons ou quartiers pénitentiaires. Ces constats chiffrés reflètent, en 2024, la situation dramatique des prisons de la République française.

  2. En quarante ans, le nombre de personnes détenues pour 100 000 habitants en France a quasiment doublé (2), soit une dynamique inverse à celle observée dans les pays du Conseil de l'Europe où ce nombre a en moyenne diminué de plus de 20 points entre 2010 et 2020 (3). La France, septième économie mondiale, évolue donc à contre-courant des autres pays à population et situation économique comparables.

  3. La Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France en 2020 dans l'arrêt J.M.B contre France pour les traitements inhumains ou dégradants subis par les requérants en raison d'une surpopulation carcérale structurelle et de l'absence de recours effectif permettant de contester l'indignité des conditions de détention : promiscuité, vétusté, insalubrité ou encore manque d'activités (4). L'un des trente-deux requérants en faisait ainsi état : « Les cellules pour deux abritent quatre personnes. De ce fait, ceux qui dorment à terre cohabitent avec des cafards, des souris, des scolopendres, avec les risques de piqûres mortelles que cela peut entraîner. Les douches sont dans un état lamentable. […] Les rendez-vous chez le médecin sont donnés après trois semaines d'attente, voire des mois. » (5).

  4. En 2022, deux ans après cette condamnation, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) constatait une aggravation de la situation dans un avis sur l'ineffectivité de nombreux droits fondamentaux en prison (6). Elle soulignait les conséquences délétères de la surpopulation carcérale en matière de droits humains et d'augmentation du risque de récidive. Dans cet avis, la Commission faisait observer qu'au-delà du droit à la dignité de la personne détenue, c'est l'ensemble de ses droits fondamentaux (7) qui se trouvent malmenés : droit à l'intégrité physique, à l'intimité, à la vie privée et familiale, à la santé, au travail, à l'enseignement, etc. Elle notait également les conséquences de la surpopulation carcérale sur les conditions de travail des personnels de l'administration pénitentiaire, et sur les relations que ceux-ci entretiennent avec les personnes détenues.

  5. Dans ce même avis, la CNCDH déplorait le caractère endémique d'une telle surpopulation tout autant que l'inertie des pouvoirs publics face à un problème systémique identifié depuis de nombreuses années par une variété d'acteurs politiques, académiques, professionnels, syndicaux ou encore associatifs. Elle proposait une série de recommandations concrètes et réalistes pour réduire la surpopulation carcérale et le recours à l'enfermement.

  6. En vain, alors que la France était de nouveau condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme sur les mêmes fondements en juillet 2023 (8), la situation ne cessait d'empirer. En dépit d'exemples européens de déflation carcérale réussis, la situation française continue d'être pointée du doigt par les instances internationales et européennes. La dernière alerte a été donnée par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe, dans le cadre du suivi de l'exécution de l'arrêt J.M.B. c. France (9). Dans sa décision du 14 mars 2024, il a « exprimé sa profonde préoccupation face aux derniers chiffres attestant […] d'une aggravation de la situation, […] d'une croissance constante de la population carcérale ; et invitait instamment les autorités à reconsidérer leur stratégie de lutte contre la surpopulation, en s'attaquant à ses causes profondes ». Puis il a invité les autorités à « examiner sérieusement et rapidement l'idée d'introduire un mécanisme national contraignant de régulation carcérale ».

  7. Les « causes profondes » de la surpopulation carcérale résident avant tout dans des politiques pénales toujours plus répressives (10), souvent décidées en réaction à des faits-divers ou inspirées par ce qui peut être qualifié de « démagogie électoraliste ». On remarque ainsi, au gré de l'actualité, un nombre croissant de comportements punissables d'une peine d'emprisonnement (11), de nouvelles circonstances aggravantes, un quantum des peines encourues sans cesse allongé (12), et un recours accru à la procédure de comparution immédiate (13), génératrice de nombreux placements en détention, avant comme après jugement (14). Ces politiques se traduisent en conséquence par un allongement de la durée des peines prononcées (15) et une augmentation du nombre de personnes incarcérées en attente de leur jugement (16). Elles ont contribué à multiplier par deux, dans les quarante dernières années, la durée moyenne de détention effectuée (17), sans bénéfice démontré en matière de sécurité ou de protection des personnes et des biens.

  8. En contradiction avec le code pénal, selon lequel « toute peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine indispensable et si toute autre sanction est manifestement inadéquate » (18), la peine d'emprisonnement demeure la référence. De fait, c'est aussi une peine dont on interroge peu l'efficacité (19) et le sens, tant pour la société que pour l'individu, en particulier les populations vulnérables incarcérées (20). Elle est en outre la plus coûteuse d'un point de vue économique (21).

  9. La CNCDH ne peut que réaffirmer la nécessité de mettre un terme à cette dynamique du « tout-carcéral ». Une réflexion globale et un plan national d'action relatifs aux politiques pénales doivent être mis en place urgemment afin d'agir sur les entrées en détention et sur la longueur des peines. La CNCDH renvoie en ce sens à ses recommandations formulées en 2022, notamment à la nécessité de limiter le recours à la procédure de comparution immédiate (22) et à la détention provisoire, de supprimer le recours à l'enfermement pour certains délits ou encore d'envisager la dépénalisation de certains comportements (23).

  10. Pour autant, l'objet du présent avis est axé sur les sorties de prison. Au vu de l'urgence de la situation, la CNCDH souhaite en effet développer et nourrir la recommandation finale de son avis adopté en 2022, à savoir « inscrire dans la loi un mécanisme de régulation carcérale qui interdise à tout établissement pénitentiaire, et tout quartier le composant, de dépasser un taux d'occupation de 100 % ». Il apparaît pour la grande majorité des acteurs de la chaine pénale que seul un mécanisme contraignant est à même de mettre un terme à la surpopulation carcérale.

  11. Avant d'énoncer une pluralité de leviers législatifs déjà existants et offerts aux acteurs de l'exécution de la peine [5] puis de fixer le seuil d'intervention du mécanisme de régulation carcérale [6], l'avis soulignera l'inefficacité de politiques pénales souvent contradictoires [1], l'échec des initiatives nationales incitatives et des expérimentations locales de régulation carcérale pourtant prometteuses [2], l'existence d'un consensus de plus en plus net en faveur d'un mécanisme contraignant de régulation carcérale [3], et le caractère infondé des arguments formulés par ceux qui s'y opposent [4]. L'avis conclura sur les bénéfices politiques et sociétaux d'une régulation carcérale effective [7].

  12. L'inefficacité de politiques pénales et pénitentiaires souvent contradictoires

  13. Aucune des politiques pénales conduites ces dernières années pour tenter de remédier à la surpopulation carcérale n'a porté ses fruits. Certaines ont au contraire démontré leur inefficacité voire leur contre productivité comme les programmes de construction de nouvelles places de prisons. Solution inlassablement proposée par les responsables politiques, l'augmentation du nombre de places de prisons a en effet systématiquement été accompagnée d'une augmentation de la population carcérale (24). Le programme actuel de 15 000 nouvelles places, destiné à porter le parc carcéral à un total de 75 000 places en 2027, ne fait pas exception : cette jauge est déjà largement dépassée avec plus de 77 000 personnes détenues au 1er avril 2024.

  14. Ces programmes immobiliers sont par ailleurs si coûteux que la dette restant à payer au titre de l'ensemble des plans de construction menés jusqu'à aujourd'hui s'élève à 5 milliards d'euros (25). En 2024, le budget qui y est consacré est plus de dix fois supérieur à celui dédié aux peines alternatives et aux aménagements de peine.

  15. Les initiatives législatives visant à favoriser le développement de mesures non carcérales en substitution à l'enfermement restent quant à elles vaines, dès lors que peines alternatives et aménagements de peine continuent d'être pensés comme des « faveurs » faites aux personnes condamnées. Ce fut notamment le cas de la loi de programmation pour la justice de 2019 (26) : si elle a supprimé la possibilité de prononcer des peines d'emprisonnement ferme d'une durée inférieure ou égale à un mois, elle a maintenu l'emprisonnement comme peine « étalon » pour envisager le prononcé d'aménagements ab initio par le juge correctionnel pour les peines entre un mois et un an, et interdit de tels aménagements pour les peines de plus d'un an (27). En l'absence d'un véritable changement de culture pénale qui permettrait d'appréhender la peine en la déconnectant de l'emprisonnement, le recours exceptionnel à ce dernier, pourtant prévu par les textes, demeure purement incantatoire (28).

  16. Dans les faits, le nombre de personnes placées sous main de justice connaît une croissance parallèle à celle du nombre de personnes incarcérées. Comme l'indique un récent rapport parlementaire de deux députées issues de groupes politiques différents, « aujourd'hui, les alternatives mordent sur la liberté et non sur l'emprisonnement » (29), contribuant ainsi à un phénomène d'extension du filet pénal (30), sans aucun effet tangible sur la surpopulation carcérale.

  17. De façon contradictoire également, la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire (31) qui adoptait la libération sous contrainte de plein droit (32) (LSC-D) conçue pour favoriser les sorties anticipées, supprimait le système des crédits de réduction de peine, ce qui, selon l'étude d'impact, risquait d'augmenter de 10 000 le nombre de personnes détenues. La hausse sans précédent de la population carcérale des derniers mois semble confirmer cette prédiction.

  18. Outre les injonctions paradoxales que ces lois formulent, le manque de moyens humains et financiers des acteurs des mondes judiciaire et pénitentiaire, cumulé à la pression politico-médiatique en faveur d'une sévérité accrue, conduisent à ce que les dispositions incitatives qui permettraient de réduire la surpopulation carcérale ne sont pas pleinement mises en œuvre. Par exemple, comme l'a récemment observé la Cour des comptes, « l'obligation d'aménager les peines inférieures ou égales à six mois […] a produit, par “effet de bord”, une augmentation du quantum des peines prononcées » (33). En effet, si la loi de 2019 a posé le principe d'un aménagement ab initio pour les peines d'emprisonnement inférieures ou égales à six mois, la baisse de 23 % de ces dernières entre 2019 et 2022 s'est accompagnée d'une augmentation de 24 % des peines d'emprisonnement entre six mois et un an.

  19. Quant à la libération sous contrainte de plein droit, qui ne devrait être refusée qu'en cas « d'impossibilité matérielle résultant de l'absence d'hébergement », elle n'est octroyée, depuis son entrée en vigueur, qu'une fois sur deux en moyenne (34).

  20. D'autres évolutions législatives auraient pu conduire les acteurs de la chaîne pénale à favoriser la sortie de personnes détenues dans des établissements surpeuplés, ou à décourager les juges d'incarcérer davantage de personnes dans des conditions indignes. En pratique, le recours dit « 803-8 » - du code de procédure pénale - contre les conditions de détention indignes, créé par la loi du 8 avril 2021 (35), est peu utilisé par les personnes détenues, de crainte notamment qu'un transfert susceptible de provoquer un éloignement familial soit privilégié à une libération. En outre, il est souvent complexe pour elles de démontrer la réalité des conditions indignes et le préjudice individuel qui en découle (36).

  21. Enfin, les politiques mises en œuvre par l'administration pénitentiaire ne sont pas davantage probantes. Les « opérations d'optimisation » du parc carcéral ont conduit à multiplier les transferts des personnes condamnées détenues dans des maisons d'arrêt surpeuplées vers des places vacantes dans les établissements pour peine, augmentant le taux d'occupation moyen de ces derniers de 90 % à 97 % en trois ans (37). Désormais, il n'y a quasiment plus de marge de manœuvre ; pour autant le problème de surpopulation carcérale reste entier. De plus, la gestion de flux par transfèrement affecte le droit à la vie privée et familiale des personnes détenues, en particulier en outre-mer où la surpopulation concerne une large majorité des établissements. Elle porte également le risque de ruptures dans un quotidien carcéral où les interactions sociales sont souvent construites avec difficulté. Enfin, elle met en péril la construction d'un projet d'exécution de la peine en interrompant, par exemple, une formation professionnelle ou un travail.

  22. L'échec de l'ensemble de ces politiques s'illustre aujourd'hui par des taux d'occupation dépassant 200 % dans près de 17 prisons ou quartiers pénitentiaires. Une situation qui a conduit la direction de la maison d'arrêt de Bordeaux Gradignan à prononcer, à 230 % d'occupation en mai 2023, un « stop-écrou », refusant d'accueillir de nouvelles personnes détenues pendant un mois (38).

  23. Plus généralement, aucune évaluation rigoureuse des dispositifs visant à réduire la surpopulation carcérale n'a été effectuée. Les politiques pénales semblent dès lors évoluer sans boussole. Ce déficit d'évaluation des politiques publiques, régulièrement dénoncé par la CNCDH (39), résulte de l'absence de volonté politique. Finalement, la seule donnée fiable nécessitant une réponse politique urgente est le pourcentage de surpopulation carcérale.

  24. L'échec d'initiatives nationales incitatives et d'expérimentations locales de régulation carcérale

  25. Dans ce contexte, la CNCDH salue les initiatives nationales et locales de régulation carcérale. Cependant, force est de constater qu'elles ne sont pas davantage parvenues à atteindre leur objectif de réduire la surpopulation carcérale.

  26. Au niveau national, la direction de l'administration pénitentiaire essaye tant bien que mal de faire face à la situation de surpopulation. Mais en dépit d'initiatives, telles que la sensibilisation des premiers présidents de cour d'appel et des procureurs généraux sur la surpopulation des établissements de leur ressort ou l'instauration d'un dialogue piloté à l'échelon de chaque cour d'appel avec les directions interrégionales de l'administration pénitentiaire, la surpopulation carcérale ne cesse de s'aggraver.

  27. Au niveau local, des mécanismes expérimentaux ont été mis en place, en particulier à Grenoble (40) et à Marseille (41). A Grenoble, l'initiative est venue du parquet à la suite d'une baisse de la densité carcérale à un taux d'occupation de 130 % dans un contexte post crise sanitaire (42). A Marseille, c'est le service de l'application des peines qui a profité de ce même contexte pour renforcer une dynamique de concertation des acteurs initiée plusieurs années auparavant. Fondées sur le travail en commun de l'ensemble des acteurs - magistrats du parquet et du siège, greffe pénitentiaire, services d'insertion et de probation -, ces expérimentations favorisent le prononcé de libérations anticipées sans débat contradictoire (aménagements de peine, libérations sous contrainte, réduction supplémentaire de peine ou conversion du reliquat de la peine). Ainsi, passé un certain seuil de suroccupation fixé collectivement - 130 % à Grenoble et 175 % à Marseille, le greffe des établissements pénitentiaires concernés identifie les personnes condamnées remplissant certains critères, le service d'insertion et de probation soumet aux magistrats les dossiers et, avec accord du parquet, le service de l'application des peines octroie la mesure sans audience contradictoire. En parallèle, des dispositifs destinés à favoriser les alternatives à la détention provisoire ont été mis en place.

  28. Malgré l'implication des acteurs locaux et l'espoir de révisions annuelles du seuil allant vers un objectif de 100 %, les taux d'occupation des quartiers hommes des deux maisons d'arrêt restent dramatiques : plus de 170 % à Grenoble-Varces et plus 200 % aux Baumettes à Marseille au 1er janvier 2024 (43). Parmi les raisons identifiées figurent les carences en moyens humains pour porter ces dispositifs dans un contexte de sous-effectifs chroniques aggravés par la surpopulation elle-même (44). C'est aussi dû à l'effet de vases communicants avec les prisons alentour : lorsque le mécanisme de régulation parvient à baisser le taux d'occupation de la prison, cette dernière se voit contrainte d'accueillir davantage de personnes détenues « arrivant » du tribunal du ressort ou par transfert « de désencombrement » des établissements pénitentiaires voisins davantage surpeuplés.

  29. Cet échec et le caractère structurel de la surpopulation démontrent les limites d'initiatives nationales fondées sur l'incitation ou la gestion de flux d'une part, et d'initiatives locales isolées fondées sur la bonne volonté des acteurs d'autre part ; et achèvent de plaider en faveur d'un mécanisme contraignant.

  30. Un mécanisme contraignant de régulation de plus en plus attendu par les experts de la question carcérale

  31. Dès lors que l'augmentation de la population carcérale est principalement imputable à des décisions politiques prises à l'échelle nationale, c'est également au niveau national que les pouvoirs publics doivent organiser la résorption de ce phénomène, en évitant de recourir aux transferts « de désencombrement » qui s'avèrent décourageants, tant pour les personnes détenues que pour tous les acteurs de la prison et de la réinsertion.

  32. Le portage d'un mécanisme national de régulation par les autorités politiques permettrait en outre de ne pas faire peser une responsabilité démesurée sur les juges de l'application des peines. A chaque fait divers imputable à un individu récidiviste ayant fait l'objet - comme la loi le prévoit pourtant - d'un aménagement de fin de peine, ces derniers font l'objet d'une forte pression sociale susceptible de remettre en cause leur pouvoir d'appréciation. Une pression qui s'avère souvent instrumentalisée dans les décisions gouvernementales et les initiatives législatives.

  33. Face à l'incapacité du système actuel à endiguer la surpopulation carcérale, un consensus a émergé au sein des experts du monde pénitentiaire. De nombreuses voix aux légitimités multiples, parmi les acteurs du monde judiciaire mais aussi du monde institutionnel et politique, se sont élevées en faveur de la création d'un mécanisme contraignant de régulation. Au vu de l'importance des études et recommandations formulées, la CNCDH a décidé d'accompagner cet avis d'une annexe recensant la majorité de ces travaux et donnant à voir, à travers de courts extraits ou quelques lignes de synthèse, l'émergence d'une position de plus en plus consensuelle (45).

  34. Ces opinions s'appuient sur des arguments documentés tant par les travaux académiques que les rapports d'enquêtes parlementaires ou encore les retours d'expérience des professionnels et bénévoles intervenant en milieu carcéral, ainsi que l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale. Nations Unies, Conseil de l'Europe, contrôle général des lieux de privation de liberté (CGLPL), Conseil économique, social et environnement (CESE), organisations professionnelles et associatives de la société civile : autant de sources partageant les mêmes constats, que le législateur ou le responsable politique peut difficilement ignorer en 2024. Ce corpus varié converge vers une même conclusion.

  35. A l'Assemblée nationale, après cinq mois de travaux et une cinquantaine d'auditions, la mission d'information menée en 2023, initialement centrée sur les alternatives à la détention, a fermement conclu à la nécessité d'un mécanisme de régulation carcérale conduisant au dépôt d'amendements en ce sens dans le cadre du projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice débattu la même année (46). L'année précédente, c'est au Sénat qu'une proposition de loi similaire était déposée (47), plus de dix ans après la première proposition de loi sur le sujet (48).

  36. En pratique, l'optimisme est permis. L'Etat a prouvé qu'il était en mesure de désengorger les prisons en portant au niveau national des mesures exceptionnelles dans le cadre d'une situation d'urgence, comme ce fut le cas à l'occasion de la pandémie de covid-19 (49).

  37. Les arguments infondés des opposants à un mécanisme contraignant de régulation

  38. Face à l'urgence de la situation, la CNCDH ne peut se satisfaire du refus répété du gouvernement de prendre en compte les recommandations des instances internationales et nationales (50) favorables à un mécanisme contraignant de régulation. Le gouvernement a notamment explicité son refus dans sa réponse à un avis du contrôle général des lieux de privation de liberté (51) et dans le cadre d'un document adressé au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies (52). Plus récemment encore, la position du gouvernement a été réaffirmée au cours de débats parlementaires (53). Pour celui-ci, un tel mécanisme, susceptible d'être qualifié de laxiste, aggraverait le risque de récidive, porterait atteinte à l'indépendance des juges ou encore entraînerait une rupture du principe d'égalité entre les personnes détenues.

  39. Pour la CNCDH, ces arguments ne sont ni fondés juridiquement ni justifiés par la réalité de terrain ; ils relèvent avant tout d'un choix politique, celui de s'inscrire dans le contexte actuel d'une surenchère sécuritaire. Retrouver un taux d'occupation carcérale conforme aux standards internationaux et respectueux des droits fondamentaux, n'est ni synonyme d'indulgence ni une échappatoire à la peine.

  40. En matière de politique pénitentiaire la France possède un des dispositifs d'exécution des peines les plus complets d'Europe, avec une variété d'outils pour limiter les entrées et favoriser les sorties. En pratique, la France est en 2024 le deuxième pays européen à avoir le plus grand nombre de personnes placées sous main de justice (54). La suspicion d'un système pénal laxiste apparaît donc infondée.

  41. La CNCDH tient à rappeler que la mise à exécution d'une peine d'emprisonnement sous d'autres modalités demeure une peine exécutée conformément à la loi et dans le respect de la décision du juge. Un mécanisme contraignant qui imposerait le prononcé d'aménagements de fin de peine ne ferait que contraindre à l'application des textes législatifs actuels, selon lesquels l'incarcération doit rester l'exception. En particulier, l'article 707 III du code de procédure pénale dispose que « Toute personne condamnée incarcérée en exécution d'une peine privative de liberté bénéficie, chaque fois que cela est possible, d'un retour progressif à la liberté en tenant compte des conditions matérielles de détention et du taux d'occupation de l'établissement pénitentiaire (…) ». Loin d'être une « faveur », l'aménagement est au contraire un moyen de lutter contre les sorties sèches et d'organiser la transition entre la prison et la liberté, un processus bénéfique en matière de réinsertion. Etant rappelé que tout manquement à ses obligations expose la personne effectuant sa fin de peine hors détention à une réincarcération (55).

  42. Comme le formulait déjà le rapport parlementaire de 2010 (56), un tel mécanisme « ne consiste nullement à ne pas exécuter les peines d'emprisonnement prononcées lorsque la capacité maximale des établissements est atteinte, mais, lorsque cette situation se présente et qu'il apparaît indispensable d'incarcérer une personne en surnombre, à rechercher quelle peine d'emprisonnement jusque-là exécutée en milieu fermé peut se poursuivre et s'achever dans le cadre d'un aménagement de peine. » Lors de son audition dans le cadre de ce rapport, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté d'alors soulignait déjà qu'« un mécanisme de ce type pourrait contribuer à encourager une politique plus dynamique d'aménagements de peine, indispensable pour réguler à long terme le problème de la surpopulation pénitentiaire ».

  43. Un emprisonnement subi dans des conditions indignes est gage d'insécurité et facteur de récidive (57). Les établissements pénitentiaires sont invariablement qualifiés « d'écoles de la délinquance » (58), ce que redit en substance le rapport de la mission d'information parlementaire de 2023 : « la surpopulation d'aujourd'hui est très probablement la récidive de demain, installant un cercle vicieux dont il convient de sortir » (59). C'est ce que des chercheurs observaient en 2018 dans certains pays « qui ont cherché à dépeupler les prisons en privilégiant la réhabilitation sur la punition, comme la Finlande ou la Suède, [et qui] ont vu leur taux de criminalité diminuer » (60).

  44. Il est reconnu qu'une peine exécutée avec un accompagnement véritable est le meilleur outil de réinsertion (61). En mettant définitivement fin à la surpopulation carcérale, un mécanisme contraignant de régulation produirait un effet vertueux : la mise en place d'un accompagnement pendant l'exécution de la peine permettrait de satisfaire les attentes citoyennes en limitant le risque pour la sécurité publique.

  45. Concernant la crainte d'atteinte à l'indépendance des magistrats, la CNCDH rappelle qu'un mécanisme de régulation carcérale, contraignant et inscrit dans la loi, agirait sur les sorties de détention et non sur les entrées en prison. Il n'empêcherait le juge ni de prononcer une peine d'emprisonnement ni de mettre à exécution une décision d'incarcération, mais imposerait, pour ce faire, la libération d'une place de prison par la libération anticipée d'une personne détenue proche de la fin de sa peine, répondant à des critères fixés par la loi, et résultant de la décision d'un juge. Le non-respect des obligations et contraintes fixées par le juge pourra conduire à une réincarcération pour la durée restante de la peine.

  46. Enfin, le principe d'égalité ne saurait valablement être invoqué pour rejeter l'instauration d'un mécanisme contraignant de régulation carcérale. Tout d'abord, force est de constater qu'il est fallacieux de prétendre que l'ensemble des personnes détenues dans les prisons françaises sont traitées dans des conditions égales. Par exemple, le taux d'occupation moyen en établissements pour peine est inférieur à 100 %, tandis qu'il avoisine 150 % dans les maisons d'arrêt. On peut aussi citer des pratiques très variables d'octroi de réductions ou d'aménagements de peine selon les services d'application des peines. De son côté, le Conseil constitutionnel a précisé que ce principe d'égalité « ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit » (62). Or, la lutte contre la surpopulation carcérale relève d'autant plus d'un « intérêt général », au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, que ce dernier a récemment insisté sur la nécessité de garantir le respect de la dignité des personnes détenues au nom du principe de valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine (63). En outre, la marge d'appréciation laissée au législateur pour définir les exigences de l'intérêt général d'une part, et les moyens d'y répondre d'autre part, est très large, et le juge procède essentiellement à la pesée de l'équilibre à assurer entre les deux. Le présent avis démontre que l'instauration d'un mécanisme de régulation carcérale est parfaitement cohérente, si ce n'est le moyen le plus pertinent, avec l'objectif de garantir aux personnes détenues des conditions de détention respectueuses de leur dignité.

  47. Un mécanisme de régulation reposant sur des dispositifs déjà existants, à élargir si nécessaire

  48. Il ne s'agit pas, face à ces constats, de créer de nouveaux dispositifs. Les remèdes à la surpopulation carcérale existent déjà. La difficulté réside principalement dans un recours très variable à ces dispositifs selon les juridictions (64) et à des limitations juridiques ou des moyens plus ou moins importants selon la situation des établissements pénitentiaires (65).

  49. La CNCDH recommande donc que soit mis en place un mécanisme qui, à partir du déclenchement d'un seuil d'alerte (66) signifiant que le taux d'occupation de l'établissement va être dépassé, contraigne les acteurs judiciaires et pénitentiaires à recourir aux dispositifs existants, et à étendre, si nécessaire, les possibilités d'y recourir, de manière combinée ou alternative.

  50. De manière pragmatique, il s'agit d'une part, d'ajouter, au sein du code de procédure pénale, une disposition contraignant à utiliser tous les leviers à disposition face à l'imminence de violations des droits fondamentaux générées par la surpopulation. La nouveauté résiderait dans la prescription d'une obligation de résultat, celle de limiter la densité carcérale à un certain seuil (67). Et d'autre part, il s'agit d'étendre le champ d'application des dispositifs existants.

  51. S'il importe de mettre en place des outils de suivi et d'évaluation des dispositifs, le déficit actuel de données chiffrées ne peut ni ne doit, au regard du constat d'urgence unanimement partagé, être un frein à la mise en place d'un mécanisme contraignant de régulation carcérale. Ce mécanisme, nécessairement fondé sur la concertation entre les acteurs, pourra néanmoins s'affiner au fil des pratiques.

  52. D'abord, la CNCDH rappelle que trois dispositifs utilisés pour désengorger les établissements pénitentiaires ont récemment disparu. Les grâces collectives, qui dispensaient des personnes condamnées d'effectuer le reliquat de leur peine, ont été supprimées par la réforme constitutionnelle de 2008. Si elle demeure quant à elle possible, l'amnistie, qui efface par voie législative la condamnation sans pour autant agir sur la partie de la peine déjà effectuée, n'a plus été utilisée depuis 2002. Enfin, les crédits de réduction de peine, dont le rétablissement est appelé de leurs vœux par de nombreux acteurs, ont été supprimés par la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.

  53. Ensuite, la conversion de peine permet au juge de l'application des peines, lorsque cela lui « paraît de nature à assurer la réinsertion du condamné et à prévenir sa récidive », de remplacer une peine d'emprisonnement de six mois maximum - prononcée sans mandat de dépôt - par une autre peine : détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE), travail d'intérêt général (TIG), jours-amende ou sursis probatoire renforcé (68). Etendu par la loi de programmation pour la justice de 2019, ce dispositif peut désormais être utilisé en cours d'exécution de la peine. La conversion concerne le reliquat de la peine d'emprisonnement, au même titre qu'un aménagement de peine. Lors de la crise sanitaire, l'ordonnance portant adaptation de règles de procédure pénale pour faire face à l'épidémie de covid-19 (69) avait prévu que la conversion de peine soit applicable de manière beaucoup plus large aux personnes condamnées dont le reliquat de peine était inférieur ou égal à six mois.

  54. En troisième lieu, il existe une importante marge de manœuvre en termes de prononcé d'aménagements de fin de peine, étant observé que seule une personne détenue sur quatre sort de détention dans le cadre d'un tel dispositif, pourtant censé être la norme. L'expérimentation marseillaise évoquée plus haut a établi la possibilité, lorsqu'un certain seuil d'occupation est atteint, d'octroyer des aménagements de peine « sans audience contradictoire, sur des critères assouplis et avec un regard bienveillant » (70).

  55. Le rapport parlementaire de juillet 2023 a, quant à lui, suggéré d'accroitre en cas de surpopulation carcérale, les possibilités de recourir au dispositif de libération sous contrainte « de plein droit » (LSC-D) (71), en l'élargissant, en cas de dépassement du seuil d'occupation, aux personnes condamnées à une peine inférieure ou égale à cinq ans d'emprisonnement (aujourd'hui inférieure ou égale à deux ans). Ces personnes peuvent déjà prétendre, à une libération sous contrainte facultative. De manière similaire, le dispositif de plein droit pourrait s'appliquer aux personnes ayant jusqu'à six mois de peine encore à effectuer (au lieu de trois mois aujourd'hui). Par ailleurs, il conviendrait de réfléchir aux moyens de favoriser l'hébergement des personnes qui en sont dépourvues, dès lors que l'obstacle à l'octroi de plein droit de la LSC-D, réside dans l'« impossibilité matérielle résultant de l'absence d'hébergement » (72). En effet, conçue initialement comme mineure, cette limite joue actuellement, selon les acteurs de terrain, un rôle trop important.

  56. De la même manière que le législateur a créé une libération sous contrainte de plein droit, un procédé similaire pourrait être imaginé concernant la libération conditionnelle (LC), aujourd'hui facultative à la moitié de la peine (73). Un rapport parlementaire prônait déjà, il y a plus de dix ans, une libération conditionnelle « de plein droit » aux deux-tiers de la peine (74). Cette mesure serait d'autant plus pertinente que, comme l'a documenté le rapport de la mission d'information de 2023, « [l]e taux de récidive des bénéficiaires d'une libération conditionnelle (23 %) est nettement inférieur à celui des “sorties sèches” (33 %) ».

  57. En quatrième lieu, des réductions de peine exceptionnelle (RPE) pourraient être octroyées pour cause de surpopulation carcérale. Dans plusieurs propositions de loi déposées au Parlement, ce dispositif est conçu comme une procédure intervenant en seconde intention, dans le cas où le recours aux autres dispositifs n'a pas suffi à éviter que le taux d'occupation de l'établissement ne soit dépassé (75). Certains acteurs de terrain estiment néanmoins que le recours aux réductions de peine devrait primer.

  58. La CNCDH tient à préciser que ce bref exposé des différents dispositifs n'est pas exhaustif et n'obéit pas davantage à un quelconque ordre de priorité. Il s'agit de mettre en exergue les dispositifs mobilisés par les acteurs porteurs de propositions en faveur d'un mécanisme contraignant de régulation carcérale et, ainsi, de montrer qu'un tel mécanisme est tout à fait réaliste.

  59. La CNCDH préconise de penser ces dispositifs sous le prisme de l'accompagnement des personnes détenues. En ce sens, elle recommande d'inclure les populations aujourd'hui exclues en relevant certains seuils relatifs tant au quantum de la peine prononcée qu'au reliquat de la peine restant à exécuter. Elle propose également de réfléchir à la limitation du champ des exemptions.

  60. Enfin, la CNCDH souligne que la libération de personnes en détention provisoire pourrait également constituer un levier important pour mettre fin à la surpopulation carcérale. En effet, alors que son caractère exceptionnel est inscrit dans la loi (76), plus d'une personne détenue sur quatre l'est dans l'attente de son jugement, et les personnes prévenues représentent en moyenne 40 % de la population incarcérée en maison d'arrêt (77), jusqu'à 60 % dans certains quartiers hommes (78). En parallèle du mécanisme contraignant proposé pour les personnes condamnées, une proposition de loi déposée en juillet 2023 à l'Assemblée nationale prévoyait également de contraindre le procureur de la République et le juge d'instruction de recourir à une alternative à la détention provisoire (contrôle judiciaire et assignation à résidence avec surveillance électronique) (79).

  61. Plus largement, comme précisé en début d'avis, la CNCDH rappelle qu'agir sur les entrées en prison reste une condition impérative si la République française décide de mettre fin, une fois pour toutes, à la surpopulation carcérale.

  62. Le seuil de mise en œuvre du mécanisme de régulation carcérale

  63. Pour la CNCDH, le seul seuil d'occupation pertinent pour déclencher ce mécanisme contraignant de régulation carcérale, et ainsi assurer le respect et l'effectivité des droits fondamentaux des personnes détenues, est de 100 %. Comme c'est déjà le cas en pratique dans les établissements pour peine, l'objectif est que les maisons d'arrêt ne puissent plus détenir davantage de personnes qu'elles n'ont de places.

  64. La CNCDH rappelle, comme en 2022, que ce seuil ne doit pas être considéré de manière globale au niveau national, mais bien s'appliquer au niveau de chaque établissement pénitentiaire et, plus précisément, de chaque quartier de détention (80). Cela permet de considérer les données chiffrées de densité carcérale au plus près de la réalité humaine. La notion de « quartier pénitentiaire » doit ici être entendue au sens le plus restrictif possible. En effet, les données publiées de manière mensuelle par l'administration pénitentiaire concernent des moyennes par type de quartier (maison d'arrêt ou centre de détention notamment), sans distinction, en termes de nombre de places, entre celles dédiées aux hommes, aux femmes, aux mineurs et, dans certains cas, à la semi-liberté. Alors que l'administration pénitentiaire annonçait 12 quartiers ayant un taux d'occupation égal ou supérieur à 200 % au 1er janvier 2024, un calcul plus objectif, c'est-à-dire à l'échelle des quartiers maison d'arrêt pour hommes, donne à voir 21 quartiers dans un état aussi grave de surpopulation (81).

  65. A terme, conformément aux recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) (82) et de la Cour européenne des droits de l'homme dans l'arrêt précité J.M.B. et autres de 2020, la CNCDH souligne l'importance de mener une réflexion sur les modalités de calcul du nombre de places opérationnelles des établissements. Aujourd'hui, ce calcul est fondé sur la surface des cellules, en termes de nombre de mètres carrés, sans tenir compte du nombre de lits disponibles, des propositions d'activités ou encore des effectifs de personnels - qu'ils appartiennent au corps des soignants, des surveillants pénitentiaires ou encore des services d'insertion et de probation.

  66. Afin que le seuil d'occupation d'un quartier pénitentiaire ne soit pas dépassé, la CNCDH suggère que soit fixé un seuil d'alerte inférieur à 100 % déclenchant le mécanisme contraignant de régulation carcérale. Une densité carcérale quotidienne à 90-95 % permettrait ainsi que chaque quartier pénitentiaire dispose de quelques places de réserve.

  67. Au vu de l'état de surpopulation de certains quartiers pénitentiaires, les propositions parlementaires instaurant un mécanisme contraignant de régulation carcérale prévoyaient une entrée en vigueur décalée dans le temps. Le texte proposé en 2010 (83) proposait une entrée en vigueur du mécanisme de régulation dix-huit mois après la promulgation de la loi, celles déposées en 2022 et 2023 (84) une entrée en vigueur trois ou six mois après la promulgation de la loi. Le rapport parlementaire de 2023 (85), et les amendements déposés par ses co-rapporteures (86) dans le cadre des débats parlementaires sur le projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice (87), proposaient, quant à eux, un mécanisme progressif avec, chaque année, une diminution par tiers, à l'échelle de chaque établissement, du nombre de personnes détenues dépassant le nombre de places, d'ici le 1er juillet 2027. La CNCDH ne peut qu'insister sur l'urgence de mettre en place ce mécanisme.

  68. Les bénéfices d'une régulation carcérale effective

  69. Enfin, partant d'arguments économiques (88) sur lesquels l'action publique devrait aussi s'appuyer, la CNCDH rappelle que la construction d'une place de prison coûte entre 200 000€ et 500 000€ en fonction des territoires. Par ailleurs, le coût d'une journée en détention revient en moyenne à 125€ par personne détenue, soit plus du double que le placement extérieur (52€) et dix fois plus que le placement sous surveillance électronique (12€) (89). Ainsi, le coût journalier de l'incarcération s'avère prohibitif en comparaison avec le coût des mesures de milieu ouvert, davantage centrées sur l'accompagnement et la réinsertion.

  70. Au-delà du respect des droits fondamentaux tout autant que de l'obligation de la France de faire évoluer la situation pénitentiaire au regard des condamnations qui s'accumulent de la part des instances internationales, la régulation carcérale s'avère une politique publique sans danger pour les finances publiques. Les économies réalisées pourraient être allouées aux systèmes judiciaire et pénitentiaire. Une option politique que d'autres pays, à l'instar des Pays-Bas (90), ont su mettre en place avec efficacité en matière de déflation carcérale. En particulier, il est primordial d'investir dans l'accompagnement humain des personnes placées sous main de justice tout comme des personnes victimes d'infraction. A périmètre financier équivalent, cela permettrait de renforcer la mise en place et le suivi des dispositifs pénaux extérieurs à la prison, dont personne ne peut plus ignorer qu'ils sont plus efficaces pour répondre aux attentes citoyennes en matière de sécurité, et moins dommageables que les peines d'emprisonnement, en particulier lorsque ces dernières sont vécues dans des établissements surpeuplés (91). Par ailleurs, une réaffectation plus pertinente des budgets actuellement consacrés à l'emprisonnement permettrait de renforcer la formation des acteurs judiciaire et pénitentiaire.

  71. La CNCDH n'ignore pas qu'une partie de l'opinion publique met en doute la sévérité des sanctions pénales en dépit d'une dynamique allant dans le sens d'une augmentation de la durée des peines (92). Elle rappelle cependant qu'il relève de la responsabilité de l'Etat de faire en sorte que les citoyens soient mieux informés sur les effets délétères de la surpopulation carcérale. Il est primordial de leur faire prendre conscience qu'il est d'intérêt public d'abandonner les politiques de sur-incarcération au profit de dispositions pénales alternatives à l'emprisonnement dont les bénéfices sont abondamment documentés.

Recommandation n° 1 : La CNCDH recommande d'inscrire dans la loi un mécanisme de régulation carcérale contraignant, qui reposerait sur les dispositifs légaux existants, si nécessaire en élargissant leur champ d'application.
Recommandation n° 2 : La CNCDH recommande d'inscrire dans la loi l'interdiction de dépasser un taux d'occupation de 100 % dans tout quartier pénitentiaire.

(1) Ministère de la justice, Mesure de l'incarcération - Indicateurs clefs au 1er avril 2024. https://www.justice.gouv.fr/sites/default/files/2024-04/mesure_mensuelle_01042024.pdf.
(2) Entre 1982 et 2023, ce nombre est passé de 57 à 106. Source : ministère de la justice, direction de l'administration pénitentiaire, bureau de la donnée, Statistiques des personnes placées sous main de justice, 1980-2022, Taux de personnes détenues au 1er janvier de chaque année pour 100 000 habitants en France (stock), tableau 66. Données prolongées avec les données INSEE et le nombre de personnes détenues.
(3) Council of Europe, Statistiques Pénales Annuelles du Conseil de l'Europe (SPACE), Prisons and Prisoners in Europe 2020 : Key Findings of the SPACE I report, Marcelo F., Aebi and Mélanie M. Tiago, 8 April 2021, Figure 15.
(4) CEDH, J.M.B. et autres c. France, 30 janvier 2020, Req. n° 9671/15 et 31 autres.
(5) Ibid., §16.
(6) CNCDH, Avis « L'effectivité des droits fondamentaux en prison : du constat aux remèdes pour réduire la surpopulation carcérale et le recours à l'enfermement » (A-2022-5), Assemblée plénière du 24 mars 2022, JORF n°0079 du 3 avril 2022, texte n° 73.
(7) Le Monde, Tribune de Sueur JP. et Lecerf JR., « Prisons : « Comment comprendre que le garde des sceaux s'oppose à toute programmation afin de réduire la surpopulation carcérale ? », juillet 2023, https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/24/prisons-comment-comprendre-que-le-garde-des-sceaux-s-oppose-a-toute-programmation-afin-de-reduire-la-surpopulation-carcerale_6183195_3232.html.
(8) CEDH, B.M. et autres contre France, 6 juillet 2023, Req. n° 84187/17.
(9) Conseil de l'Europe, Comité des ministres, Surveillance de l'exécution des arrêts de la Cour européenne, H46-13 J.M.B et autres contre France (requête n° 9671/15), 12-14 mars 2024, 1492e réunion, CM/Notes/1492/H46-13.
(10) Cour des comptes, Une surpopulation carcérale persistante, une politique d'exécution des peines en question, octobre 2023, https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/20231005-surpopulation-carcerale-persistante.pdf.
(11) Le Monde, Jacquin J-B., Un quinquennat de nouvelles infractions pénales, au risque de compliquer le travail de la justice, 16 mars 2022, https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/03/16/un-quinquennat-de-nouvelles-infractions-penales-au-risque-de-la-confusion_6117683_3224.html.
(12) La durée moyenne des peines est passée de 8,3 mois en 2004 à 10,7 mois en 2019, selon Jean-Baptiste Bladier, ancien président de la Conférence nationale des procureurs de la République, cité par : Assemblée nationale, Commission des lois, commission permanente, Mission d'information sur les alternatives à la détention et l'éventuelle création d'un mécanisme de régulation carcérale, présentée par Mmes les députées Caroline Abadie et Elsa Faucillon, enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 juillet 2023, n° 1539.
(13) Conçue initialement comme une voie procédurale exceptionnelle réservée à des infractions moyennement graves, la comparution immédiate a vu son champ d'application s'étendre au gré des réformes législatives à des délits de plus en plus graves. Elle s'est donc considérablement banalisée, au point que, non sans paradoxe, le tribunal judiciaire de Paris a créé une 4e section de sa 23e chambre consacrée au jugement des comparutions immédiates « complexes »., V. Brochot J., AJ Pénal Dalloz 2023, p. 521. De plus, l'affaire étant rarement en état d'être jugée « immédiatement », le délai de renvoi, qui dans certains cas peut atteindre aujourd'hui 4 mois (article 397-1, al.2 du code de procédure pénale), conduit à pouvoir prolonger d'autant la détention provisoire.
(14) Gautron V., La décision judiciaire : jugements pénaux ou jugements sociaux ? in Mouvements 2016/4 (n° 88), pp. 11 à 18, « A infraction et casier identique, une comparution immédiate multiplie en effet par plus de huit la probabilité d'un emprisonnement ferme par rapport à une audience classique de jugement. ».
(15) La durée moyenne de détention était de 7 mois en 1990 contre 11,4 mois en 2023, ministère de la justice.
(16) Au 1er avril 2024, 20 438 sont prévenus sur le territoire français, soit 26,4 % de la population carcérale, ministère de la justice, direction de l'administration pénitentiaire, bureau de la donnée, de la recherche et de l'évaluation (DAP/SDEX/EX3), Statistiques des établissements et des personnes écrouées en France, 1er avril 2024.
(17) De 5,8 mois en 1982 à 8,6 en 2006 puis 11,8 mois en 2020. Sources : Conseil de l'Europe, Prison Information Bulletin, 2 décembre 1983 ; ministère de la justice, Séries statistiques des personnes placées sous-main de justice, 1980-2020 et 1980-2021.
(18) Code pénal, article 132-19 alinéa 2.
(19) A cet égard, on peut regretter que les conclusions de la « Conférence de consensus sur la prévention de la récidive » n'aient pas été suivies d'effets durables dans les politiques publiques.
(20) Emmaüs-Secours Catholique Caritas France, Au dernier barreau de l'échelle sociale : la prison, 25 recommandations pour sortir du cercle vicieux prison - pauvretés, 11 octobre 2021.
(21) Voir infra §63.
(22) Gautron V., La décision judiciaire : jugements pénaux ou jugements sociaux ? Op.cit., « les caractéristiques personnelles des prévenu.e.s ne sont nullement innocentes de ces choix de procédure. Toutes choses égales par ailleurs, les chômeurs voient en effet multiplier par 1,7 la probabilité d'une comparution immédiate, les personnes nées à l'étranger et les SDF par près de trois. ».
(23) Conseil économique social et environnemental (CESE), Le sens de la peine, A. Dru et D. Jourdain Menninger, 13 septembre 2023, recommandations.
(24) Entre 1990 et 2024, le nombre de places de prisons et le nombre de personnes détenues ont respectivement augmenté de 69 % et 67 % ; sur la même période, la population INSEE augmentait quant à elle de 18 % (données au 1er janvier).
(25) Observatoire international des prisons - section française, Budget pénitentiaire pour 2024 : 5 milliards de dettes pour une fuite en avant, 24 octobre 2023, https://oip.org/analyse/budget-penitentiaire-pour-2024-5-milliards-de-dettes-pour-une-fuite-en-avant/.
(26) Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
(27) CNCDH, Avis sur le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice tel que présenté en conseil des ministres le 20 avril 2018 - analyse des dispositions relatives à la procédure pénale et au droit des peines, Assemblée plénière du 20 novembre 2018, JORF n° 0273 du 25 novembre 2018, texte n° 67.
(28) Voir la proposition de peine de probation autonome : Assemblée nationale, Mission d'information sur les alternatives à la détention et l'éventuelle création d'un mécanisme de régulation carcérale, et Conseil économique social et environnemental Le sens de la peine, Op.cit.
(29) Assemblée nationale, Mission d'information sur les alternatives à la détention et l'éventuelle création d'un mécanisme de régulation carcérale, Op.cit.
(30) Assemblée nationale, Mission d'information sur les alternatives à la détention et l'éventuelle création d'un mécanisme de régulation carcérale, Op.cit., Cour des comptes, Une surpopulation carcérale persistante, une politique d'exécution des peines en question, Op.cit.
(31) Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.
(32) En 2021, la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire a systématisé la libération sous contrainte (LSC) pour les personnes condamnées exécutant une ou plusieurs peines privatives de liberté d'une durée de deux ans au plus et auxquelles il reste un reliquat de peine inférieur ou égal à trois mois (article 720 al.9 du code de procédure pénale). La libération sous contrainte est accordée de plein droit, sauf en cas d'impossibilité matérielle résultant de l'absence d'hébergement. Certaines infractions, telles que les violences conjugales ou les poursuites pour des faits de terrorisme sont exclues du dispositif, de même que les détenus ayant fait l'objet de sanctions disciplinaires pour certains faits, notamment de violences commises en détention.
(33) Cour des comptes, Une surpopulation carcérale persistante, une politique d'exécution des peines en question, Op.cit., p. 25.
(34) Les derniers chiffres de la DAP se réfèrent à un octroi de la libération sous contrainte de plein droit de 63 % en février 2024.
(35) Loi n° 2021-403 du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention.
(36) En ce sens, v. Crim. 14 février 2024, n° 23-84.093, Dr. pén. 2024, comm. 83, note Peltier V.
(37) Statistique des établissements et des personnes écrouées en France, direction de l'Administration Pénitentiaire, Bureau de la donnée, de la recherche, et de l'évaluation (DAP/SDEX/EX3), données au 1er janvier 2024.
(38) France Bleu, Surpopulation carcérale : la prison de Gradignan ne peut plus accueillir de détenus supplémentaires, S. Hiscock, 16 mai 2023, https://www.francebleu.fr/infos/societe/surpopulation-carcerale-la-prison-de-gradignan-ne-peut-plus-accueillir-de-detenus-supplementaires-8232750.
(39) CNCDH, Avis sur l'accès aux droits et les non-recours (A-2022-4), Assemblée plénière du 24 mars 2022, JORF n°0079 du 3 avril 2022, texte n° 72.
(40) Bastard J., La réduction de la population carcérale comme enjeu de politique criminelle l'expérience grenobloise de « régulation carcérale », in Archives de politique criminelle 2023/1 (n° 45)2023/1 (n° 45), p. 169 à 180, Ed. Pédone.
(41) Mediapart, A Marseille, des acteurs de la chaîne judiciaire tentent de lutter contre la surpopulation carcérale, Alouti F., 23 avril 2024, https://www.mediapart.fr/journal/france/230424/marseille-des-acteurs-de-la-chaine-judiciaire-tentent-de-lutter-contre-la-surpopulation-carcerale.
(42) Cette initiative est fondée sur l'article D 576 du code de procédure pénale qui organise des procédures consultatives : « Au sein de chaque juridiction, le juge de l'application des peines, le procureur de la République et les autres magistrats mandants déterminent les orientations générales relatives à l'exécution des mesures confiées au service pénitentiaire d'insertion et de probation ainsi que celles relatives à l'exécution des peines privatives de liberté, et évaluent ensuite leur mise en œuvre. »
(43) Calculs réalisés selon la méthode utilisée par l'OIP afin d'établir le taux propre aux quartiers maison d'arrêt hommes. Voir notamment Surpopulation carcérale : le ministère de la justice affiche des taux d'occupation largement sous-estimés, 1er mars 2023, https://oip.org/communique/surpopulation-carcerale-le-ministere-de-la-justice-affiche-des-chiffres-largement-sous-estimes/.
(44) Observatoire international des prisons - section française, Mécanismes expérimentaux de régulation carcérale : un bilan qui peine à convaincre, https://oip.org/analyse/mecanismes-experimentaux-de-regulation-carcerale-un-bilan-qui-peine-a-convaincre.
(45) Voir Annexe disponible sur le site ww.cncdh.fr.
(46) Assemblée nationale, Amendements identiques CL578 de Mme Caroline abadie et CL397 de Mme Elsa Faucillon, première lecture du projet de projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (n° 1346), examen en commission des Lois.
(47) Sénat, Proposition de loi visant à mettre fin à la surpopulation carcérale, n° 873, enregistrée à la Présidence du Sénat le 5 septembre 2022 par Mmes É. Assassi, C. Cukierman et plusieurs de leurs collègues.
(48) Assemblée nationale, Proposition de loi de MM. Dominique Raimbourg et Jean-Marc Ayrault et plusieurs de leurs collègues visant à instaurer un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire, n° 2753 rectifié, déposée le 13 juillet 2010.
(49) V. dispositions relatives à l'application des peines de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.
(50) Voir la communication de la France concernant le groupe d'affaires J.M.B. et autres c. France (requête n° 9671/15) au Comité des ministres, actualisée au 29 décembre 2023.
(51) Ministère de la justice, garde des sceaux, réponse à l'avis du CGLPL du 25 juillet 2023 relatif à la surpopulation et à la régulation carcérales, 11 septembre 2023.
(52) Nations Unies, Examen périodique universel, République française, Réponse aux recommandations reçues le 1er mai 2023, 1er septembre 2023, le Gouvernement écrivait que « la France ne souhaite pas instituer un mécanisme législatif contraignant de régulation carcérale, lié à un seuil de criticité, qui pourrait attenter au principe de l'individualisation des peines et fragiliser la sécurité publique », https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/hrbodies/upr/sessions/session43/fr/A_HRC_54_5_Add.1_France_Annex_F.docx.
(53) Réponse de Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles, à la question orale n° 1211 posée par la sénatrice Marion Canalès, « Mesures de régulation carcérale », Séance publique du 9 avril 2024. Le Gouvernement répondait qu'« Aller plus loin en créant un mécanisme généralisé de régulation carcérale qui impliquerait de fait un numerus clausus nous semble contraire aux enjeux en matière de traitement de la délinquance et d'efficacité de la réponse pénale, sans compter les questions juridiques, voire constitutionnelles qui peuvent se poser, notamment au titre du principe d'égalité devant la loi. »
(54) DAP, Séries statistiques des personnes placées sous-main de justice 1980-2023, Op.cit. Selon l'administration pénitentiaire, entre 180 et 185 000 personnes sont placées sous-main de justice, la France est le 2e pays après la Grande-Bretagne ; 4 personnes sur 1 000 sont suivies par la justice pénale.
(55) Code de procédure pénale, articles 723-15 et suivants.
(56) Assemblée Nationale, Rapport de Dominique Raimbourg visant à instaurer un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire, 12 novembre 2010, n° 2941.
(57) Drago, F., Galbiati, R., & Vertova, P., (2011). Prison conditions and recidivism, American law and economics review, 13(1), 103-130.
(58) Le Monde, Mestre A., Saintourens T., Drogue en prison : un détenu sur quatre fume quotidiennement du cannabis, 6 mai 2024, Editorial p.31 ; https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/05/06/drogue-en-prison-un-detenu-sur-quatre-fume-quotidiennement-du-cannabis_6231845_3224.html. Voir aussi Le Monde, éditorial relevant que la prison est également le lieu d'organisation des trafics, 2 mai 2024, Editorial p.31. https://www.lemonde.fr/societe/visuel/2024/04/30/trafic-de-drogue-un-dereglement-de-nos-societes-une-menace-pour-nos-democraties_6230764_3224.html.
(59) Assemblée nationale, Mission d'information sur les alternatives à la détention et l'éventuelle création d'un mécanisme de régulation carcérale, Op.cit.
(60) Brux J., et Mével A., « Combien ça coûte de punir ? », 18 août 2018, revue projet, https://www.revue-projet.com/articles/2018-08-de-brux-mevel-combien-ca-coute-de-punir/8399.
(61) Rapport de Dominique Raimbourg n° 2941, Op.cit. : « loin d'avoir pour objet ou même pour effet d'aboutir à l'inexécution des peines, le mécanisme proposé utiliserait le levier des aménagements de peine - que le législateur a fait le choix délibéré et résolu de développer largement depuis plusieurs années - comme un moyen d'améliorer l'exécution des peines en milieu fermé ».
(62) CC, décision du 9 avril 1996, n° 1996-375 DC.
(63) Décision n° 2020-858/859 QPC du 2 octobre 2020, M. Geoffrey F. et autre [Conditions d'incarcération des détenus, cons. 12]. Le principe de sauvegarde de la dignité humaine a été consacré par CC, décision du 27 juillet 1994, n° 1994-343/344 DC.
(64) V. par ex statistiques mensuelles de la population détenue et écrouée, « Tableau 40 : Nombre de condamnés écroués selon le type de libération sous contrainte, par Direction Interrégionale », Effectifs actualisés au 1er décembre 2023.
(65) Mediapart, A Marseille, des acteurs de la chaîne judiciaire tentent de lutter contre la surpopulation carcérale, Op.cit., A la prison des Baumettes, à Marseille, un détenu sur deux (52 %) est en attente de son procès.
(66) Voir Infra, partie n° 6.
(67) Voir § 60.
(68) Code de procédure pénale article 747-1.
(69) Ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.
(70) OIP, Mécanismes expérimentaux de régulation carcérale : un bilan qui peine à convaincre, 18 octobre 2022, https://oip.org/analyse/mecanismes-experimentaux-de-regulation-carcerale-un-bilan-qui-peine-a-convaincre/.
(71) Code de procédure pénale, article 720-2 II.
(72) Idem.
(73) Code de procédure pénale, article 729.
(74) Assemblée nationale, Rapport de Dominique Raimbourg, n° 2941, Op.cit.
(75) Voir not., Assemblée nationale, Proposition de loi visant à instaurer un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire, n° 2753, Op.cit.
(76) Code de procédure pénale, article 137, alinéas 3.
(77) 39 % au 1er avril 2024. Calcul réalisé à partir du nombre de personnes prévenues (20 438), rapporté au nombre de personnes détenues en maison d'arrêt (52 141). Source : ministère de la justice, Mesure de l'incarcération, Op. Cit.
(78) C'était par exemple le cas au quartier maison d'arrêt pour hommes des Baumettes à Marseille en juillet 2022.
(79) Assemblée nationale, Proposition de loi visant à l'instauration d'un mécanisme de régulation carcérale et de prévention de la surpopulation pénitentiaire, n° 1460, présentée par les députés Ugo Bernalicis et autres, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 juillet 2023, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b1460_proposition-loi#.
(80) CNCDH, Avis n° A-2022-5, Op.cit.
(81) Calculs réalisés selon la méthode utilisée par l'OIP afin d'établir le taux propre aux quartiers maison d'arrêt hommes. Voir notamment OIP, Surpopulation carcérale : le ministère de la justice affiche des taux d'occupation largement sous-estimés, 1er mars 2023, Op.cit.
(82) Voir Annexe disponible sur le site ww.cncdh.fr.
(83) Assemblée nationale, Proposition de loi visant à instaurer un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire, n° 2753, Op.cit.
(84) Sénat, Proposition de loi visant à mettre fin à la surpopulation carcérale, 2022, texte n° 873, Op.cit., Assemblée nationale, Proposition de loi visant à l'instauration d'un mécanisme de régulation carcérale et de prévention de la surpopulation pénitentiaire, 2023, n° 1460, Op.cit.
(85) Assemblée nationale, Mission d'information sur les alternatives à la détention et l'éventuelle création d'un mécanisme de régulation carcérale, 19 juillet 2023, n° 1539, Op.cit.
(86) Assemblée nationale, Projet de loi adopté par le Sénat d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, n° 1346, amendement n° 594 déposé le 29 juin 2023 par la députée Elsa Faucillon aux fins de mise en place d'un mécanisme de régulation carcéral, rejeté., Assemblée nationale, Amendements identiques CL578 de Mme Caroline Abadie et CL397 de Mme Elsa Faucillon, Op.cit.
(87) Assemblée nationale, Loi d'Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/DLR5L16N47779.
(88) Cour des comptes, Une surpopulation carcérale persistante, une politique d'exécution des peines en question, Op.cit.
(89) Chiffres de la direction de l'administration pénitentiaire de 2022.
(90) Assemblée nationale, Mission d'information sur les alternatives à la détention et l'éventuelle création d'un mécanisme de régulation carcérale, Op.cit.
(91) Voir « Combien ça coûte de punir ? » Op.cit.
(92) V. SID Cassiopée, traitement PEPP, Durées moyennes des peines d'emprisonnement fermes prononcées (en mois), et Infostats justice, déc. 2017, n° 156 : la durée moyenne des peines d'emprisonnement ferme prononcée est passée de 7,5 mois en 2004 à 9,9 mois en 2022.


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Version 1

Assemblée plénière du 23 mai 2024 (Adoption à l'unanimité)

1. Jamais autant de personnes n'ont été détenues dans les prisons françaises. Au 1er avril, 77 450 personnes étaient incarcérées pour 61 570 places opérationnelles (1). La majorité d'entre elles sont enfermées dans les maisons d'arrêt, prisons destinées aux personnes en attente de jugement et à celles condamnées à une peine de maximum deux ans. Le taux d'occupation y dépasse 150 % en moyenne, et franchit officiellement 200 % dans 17 prisons ou quartiers pénitentiaires. Ces constats chiffrés reflètent, en 2024, la situation dramatique des prisons de la République française.

2. En quarante ans, le nombre de personnes détenues pour 100 000 habitants en France a quasiment doublé (2), soit une dynamique inverse à celle observée dans les pays du Conseil de l'Europe où ce nombre a en moyenne diminué de plus de 20 points entre 2010 et 2020 (3). La France, septième économie mondiale, évolue donc à contre-courant des autres pays à population et situation économique comparables.

3. La Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France en 2020 dans l'arrêt J.M.B contre France pour les traitements inhumains ou dégradants subis par les requérants en raison d'une surpopulation carcérale structurelle et de l'absence de recours effectif permettant de contester l'indignité des conditions de détention : promiscuité, vétusté, insalubrité ou encore manque d'activités (4). L'un des trente-deux requérants en faisait ainsi état : « Les cellules pour deux abritent quatre personnes. De ce fait, ceux qui dorment à terre cohabitent avec des cafards, des souris, des scolopendres, avec les risques de piqûres mortelles que cela peut entraîner. Les douches sont dans un état lamentable. […] Les rendez-vous chez le médecin sont donnés après trois semaines d'attente, voire des mois. » (5).

4. En 2022, deux ans après cette condamnation, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) constatait une aggravation de la situation dans un avis sur l'ineffectivité de nombreux droits fondamentaux en prison (6). Elle soulignait les conséquences délétères de la surpopulation carcérale en matière de droits humains et d'augmentation du risque de récidive. Dans cet avis, la Commission faisait observer qu'au-delà du droit à la dignité de la personne détenue, c'est l'ensemble de ses droits fondamentaux (7) qui se trouvent malmenés : droit à l'intégrité physique, à l'intimité, à la vie privée et familiale, à la santé, au travail, à l'enseignement, etc. Elle notait également les conséquences de la surpopulation carcérale sur les conditions de travail des personnels de l'administration pénitentiaire, et sur les relations que ceux-ci entretiennent avec les personnes détenues.

5. Dans ce même avis, la CNCDH déplorait le caractère endémique d'une telle surpopulation tout autant que l'inertie des pouvoirs publics face à un problème systémique identifié depuis de nombreuses années par une variété d'acteurs politiques, académiques, professionnels, syndicaux ou encore associatifs. Elle proposait une série de recommandations concrètes et réalistes pour réduire la surpopulation carcérale et le recours à l'enfermement.

6. En vain, alors que la France était de nouveau condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme sur les mêmes fondements en juillet 2023 (8), la situation ne cessait d'empirer. En dépit d'exemples européens de déflation carcérale réussis, la situation française continue d'être pointée du doigt par les instances internationales et européennes. La dernière alerte a été donnée par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe, dans le cadre du suivi de l'exécution de l'arrêt J.M.B. c. France (9). Dans sa décision du 14 mars 2024, il a « exprimé sa profonde préoccupation face aux derniers chiffres attestant […] d'une aggravation de la situation, […] d'une croissance constante de la population carcérale ; et invitait instamment les autorités à reconsidérer leur stratégie de lutte contre la surpopulation, en s'attaquant à ses causes profondes ». Puis il a invité les autorités à « examiner sérieusement et rapidement l'idée d'introduire un mécanisme national contraignant de régulation carcérale ».

7. Les « causes profondes » de la surpopulation carcérale résident avant tout dans des politiques pénales toujours plus répressives (10), souvent décidées en réaction à des faits-divers ou inspirées par ce qui peut être qualifié de « démagogie électoraliste ». On remarque ainsi, au gré de l'actualité, un nombre croissant de comportements punissables d'une peine d'emprisonnement (11), de nouvelles circonstances aggravantes, un quantum des peines encourues sans cesse allongé (12), et un recours accru à la procédure de comparution immédiate (13), génératrice de nombreux placements en détention, avant comme après jugement (14). Ces politiques se traduisent en conséquence par un allongement de la durée des peines prononcées (15) et une augmentation du nombre de personnes incarcérées en attente de leur jugement (16). Elles ont contribué à multiplier par deux, dans les quarante dernières années, la durée moyenne de détention effectuée (17), sans bénéfice démontré en matière de sécurité ou de protection des personnes et des biens.

8. En contradiction avec le code pénal, selon lequel « toute peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine indispensable et si toute autre sanction est manifestement inadéquate » (18), la peine d'emprisonnement demeure la référence. De fait, c'est aussi une peine dont on interroge peu l'efficacité (19) et le sens, tant pour la société que pour l'individu, en particulier les populations vulnérables incarcérées (20). Elle est en outre la plus coûteuse d'un point de vue économique (21).

9. La CNCDH ne peut que réaffirmer la nécessité de mettre un terme à cette dynamique du « tout-carcéral ». Une réflexion globale et un plan national d'action relatifs aux politiques pénales doivent être mis en place urgemment afin d'agir sur les entrées en détention et sur la longueur des peines. La CNCDH renvoie en ce sens à ses recommandations formulées en 2022, notamment à la nécessité de limiter le recours à la procédure de comparution immédiate (22) et à la détention provisoire, de supprimer le recours à l'enfermement pour certains délits ou encore d'envisager la dépénalisation de certains comportements (23).

10. Pour autant, l'objet du présent avis est axé sur les sorties de prison. Au vu de l'urgence de la situation, la CNCDH souhaite en effet développer et nourrir la recommandation finale de son avis adopté en 2022, à savoir « inscrire dans la loi un mécanisme de régulation carcérale qui interdise à tout établissement pénitentiaire, et tout quartier le composant, de dépasser un taux d'occupation de 100 % ». Il apparaît pour la grande majorité des acteurs de la chaine pénale que seul un mécanisme contraignant est à même de mettre un terme à la surpopulation carcérale.

11. Avant d'énoncer une pluralité de leviers législatifs déjà existants et offerts aux acteurs de l'exécution de la peine [5] puis de fixer le seuil d'intervention du mécanisme de régulation carcérale [6], l'avis soulignera l'inefficacité de politiques pénales souvent contradictoires [1], l'échec des initiatives nationales incitatives et des expérimentations locales de régulation carcérale pourtant prometteuses [2], l'existence d'un consensus de plus en plus net en faveur d'un mécanisme contraignant de régulation carcérale [3], et le caractère infondé des arguments formulés par ceux qui s'y opposent [4]. L'avis conclura sur les bénéfices politiques et sociétaux d'une régulation carcérale effective [7].

1. L'inefficacité de politiques pénales et pénitentiaires souvent contradictoires

12. Aucune des politiques pénales conduites ces dernières années pour tenter de remédier à la surpopulation carcérale n'a porté ses fruits. Certaines ont au contraire démontré leur inefficacité voire leur contre productivité comme les programmes de construction de nouvelles places de prisons. Solution inlassablement proposée par les responsables politiques, l'augmentation du nombre de places de prisons a en effet systématiquement été accompagnée d'une augmentation de la population carcérale (24). Le programme actuel de 15 000 nouvelles places, destiné à porter le parc carcéral à un total de 75 000 places en 2027, ne fait pas exception : cette jauge est déjà largement dépassée avec plus de 77 000 personnes détenues au 1er avril 2024.

13. Ces programmes immobiliers sont par ailleurs si coûteux que la dette restant à payer au titre de l'ensemble des plans de construction menés jusqu'à aujourd'hui s'élève à 5 milliards d'euros (25). En 2024, le budget qui y est consacré est plus de dix fois supérieur à celui dédié aux peines alternatives et aux aménagements de peine.

14. Les initiatives législatives visant à favoriser le développement de mesures non carcérales en substitution à l'enfermement restent quant à elles vaines, dès lors que peines alternatives et aménagements de peine continuent d'être pensés comme des « faveurs » faites aux personnes condamnées. Ce fut notamment le cas de la loi de programmation pour la justice de 2019 (26) : si elle a supprimé la possibilité de prononcer des peines d'emprisonnement ferme d'une durée inférieure ou égale à un mois, elle a maintenu l'emprisonnement comme peine « étalon » pour envisager le prononcé d'aménagements ab initio par le juge correctionnel pour les peines entre un mois et un an, et interdit de tels aménagements pour les peines de plus d'un an (27). En l'absence d'un véritable changement de culture pénale qui permettrait d'appréhender la peine en la déconnectant de l'emprisonnement, le recours exceptionnel à ce dernier, pourtant prévu par les textes, demeure purement incantatoire (28).

15. Dans les faits, le nombre de personnes placées sous main de justice connaît une croissance parallèle à celle du nombre de personnes incarcérées. Comme l'indique un récent rapport parlementaire de deux députées issues de groupes politiques différents, « aujourd'hui, les alternatives mordent sur la liberté et non sur l'emprisonnement » (29), contribuant ainsi à un phénomène d'extension du filet pénal (30), sans aucun effet tangible sur la surpopulation carcérale.

16. De façon contradictoire également, la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire (31) qui adoptait la libération sous contrainte de plein droit (32) (LSC-D) conçue pour favoriser les sorties anticipées, supprimait le système des crédits de réduction de peine, ce qui, selon l'étude d'impact, risquait d'augmenter de 10 000 le nombre de personnes détenues. La hausse sans précédent de la population carcérale des derniers mois semble confirmer cette prédiction.

17. Outre les injonctions paradoxales que ces lois formulent, le manque de moyens humains et financiers des acteurs des mondes judiciaire et pénitentiaire, cumulé à la pression politico-médiatique en faveur d'une sévérité accrue, conduisent à ce que les dispositions incitatives qui permettraient de réduire la surpopulation carcérale ne sont pas pleinement mises en œuvre. Par exemple, comme l'a récemment observé la Cour des comptes, « l'obligation d'aménager les peines inférieures ou égales à six mois […] a produit, par “effet de bord”, une augmentation du quantum des peines prononcées » (33). En effet, si la loi de 2019 a posé le principe d'un aménagement ab initio pour les peines d'emprisonnement inférieures ou égales à six mois, la baisse de 23 % de ces dernières entre 2019 et 2022 s'est accompagnée d'une augmentation de 24 % des peines d'emprisonnement entre six mois et un an.

18. Quant à la libération sous contrainte de plein droit, qui ne devrait être refusée qu'en cas « d'impossibilité matérielle résultant de l'absence d'hébergement », elle n'est octroyée, depuis son entrée en vigueur, qu'une fois sur deux en moyenne (34).

19. D'autres évolutions législatives auraient pu conduire les acteurs de la chaîne pénale à favoriser la sortie de personnes détenues dans des établissements surpeuplés, ou à décourager les juges d'incarcérer davantage de personnes dans des conditions indignes. En pratique, le recours dit « 803-8 » - du code de procédure pénale - contre les conditions de détention indignes, créé par la loi du 8 avril 2021 (35), est peu utilisé par les personnes détenues, de crainte notamment qu'un transfert susceptible de provoquer un éloignement familial soit privilégié à une libération. En outre, il est souvent complexe pour elles de démontrer la réalité des conditions indignes et le préjudice individuel qui en découle (36).

20. Enfin, les politiques mises en œuvre par l'administration pénitentiaire ne sont pas davantage probantes. Les « opérations d'optimisation » du parc carcéral ont conduit à multiplier les transferts des personnes condamnées détenues dans des maisons d'arrêt surpeuplées vers des places vacantes dans les établissements pour peine, augmentant le taux d'occupation moyen de ces derniers de 90 % à 97 % en trois ans (37). Désormais, il n'y a quasiment plus de marge de manœuvre ; pour autant le problème de surpopulation carcérale reste entier. De plus, la gestion de flux par transfèrement affecte le droit à la vie privée et familiale des personnes détenues, en particulier en outre-mer où la surpopulation concerne une large majorité des établissements. Elle porte également le risque de ruptures dans un quotidien carcéral où les interactions sociales sont souvent construites avec difficulté. Enfin, elle met en péril la construction d'un projet d'exécution de la peine en interrompant, par exemple, une formation professionnelle ou un travail.

21. L'échec de l'ensemble de ces politiques s'illustre aujourd'hui par des taux d'occupation dépassant 200 % dans près de 17 prisons ou quartiers pénitentiaires. Une situation qui a conduit la direction de la maison d'arrêt de Bordeaux Gradignan à prononcer, à 230 % d'occupation en mai 2023, un « stop-écrou », refusant d'accueillir de nouvelles personnes détenues pendant un mois (38).

22. Plus généralement, aucune évaluation rigoureuse des dispositifs visant à réduire la surpopulation carcérale n'a été effectuée. Les politiques pénales semblent dès lors évoluer sans boussole. Ce déficit d'évaluation des politiques publiques, régulièrement dénoncé par la CNCDH (39), résulte de l'absence de volonté politique. Finalement, la seule donnée fiable nécessitant une réponse politique urgente est le pourcentage de surpopulation carcérale.

2. L'échec d'initiatives nationales incitatives et d'expérimentations locales de régulation carcérale

23. Dans ce contexte, la CNCDH salue les initiatives nationales et locales de régulation carcérale. Cependant, force est de constater qu'elles ne sont pas davantage parvenues à atteindre leur objectif de réduire la surpopulation carcérale.

24. Au niveau national, la direction de l'administration pénitentiaire essaye tant bien que mal de faire face à la situation de surpopulation. Mais en dépit d'initiatives, telles que la sensibilisation des premiers présidents de cour d'appel et des procureurs généraux sur la surpopulation des établissements de leur ressort ou l'instauration d'un dialogue piloté à l'échelon de chaque cour d'appel avec les directions interrégionales de l'administration pénitentiaire, la surpopulation carcérale ne cesse de s'aggraver.

25. Au niveau local, des mécanismes expérimentaux ont été mis en place, en particulier à Grenoble (40) et à Marseille (41). A Grenoble, l'initiative est venue du parquet à la suite d'une baisse de la densité carcérale à un taux d'occupation de 130 % dans un contexte post crise sanitaire (42). A Marseille, c'est le service de l'application des peines qui a profité de ce même contexte pour renforcer une dynamique de concertation des acteurs initiée plusieurs années auparavant. Fondées sur le travail en commun de l'ensemble des acteurs - magistrats du parquet et du siège, greffe pénitentiaire, services d'insertion et de probation -, ces expérimentations favorisent le prononcé de libérations anticipées sans débat contradictoire (aménagements de peine, libérations sous contrainte, réduction supplémentaire de peine ou conversion du reliquat de la peine). Ainsi, passé un certain seuil de suroccupation fixé collectivement - 130 % à Grenoble et 175 % à Marseille, le greffe des établissements pénitentiaires concernés identifie les personnes condamnées remplissant certains critères, le service d'insertion et de probation soumet aux magistrats les dossiers et, avec accord du parquet, le service de l'application des peines octroie la mesure sans audience contradictoire. En parallèle, des dispositifs destinés à favoriser les alternatives à la détention provisoire ont été mis en place.

26. Malgré l'implication des acteurs locaux et l'espoir de révisions annuelles du seuil allant vers un objectif de 100 %, les taux d'occupation des quartiers hommes des deux maisons d'arrêt restent dramatiques : plus de 170 % à Grenoble-Varces et plus 200 % aux Baumettes à Marseille au 1er janvier 2024 (43). Parmi les raisons identifiées figurent les carences en moyens humains pour porter ces dispositifs dans un contexte de sous-effectifs chroniques aggravés par la surpopulation elle-même (44). C'est aussi dû à l'effet de vases communicants avec les prisons alentour : lorsque le mécanisme de régulation parvient à baisser le taux d'occupation de la prison, cette dernière se voit contrainte d'accueillir davantage de personnes détenues « arrivant » du tribunal du ressort ou par transfert « de désencombrement » des établissements pénitentiaires voisins davantage surpeuplés.

27. Cet échec et le caractère structurel de la surpopulation démontrent les limites d'initiatives nationales fondées sur l'incitation ou la gestion de flux d'une part, et d'initiatives locales isolées fondées sur la bonne volonté des acteurs d'autre part ; et achèvent de plaider en faveur d'un mécanisme contraignant.

3. Un mécanisme contraignant de régulation de plus en plus attendu par les experts de la question carcérale

28. Dès lors que l'augmentation de la population carcérale est principalement imputable à des décisions politiques prises à l'échelle nationale, c'est également au niveau national que les pouvoirs publics doivent organiser la résorption de ce phénomène, en évitant de recourir aux transferts « de désencombrement » qui s'avèrent décourageants, tant pour les personnes détenues que pour tous les acteurs de la prison et de la réinsertion.

29. Le portage d'un mécanisme national de régulation par les autorités politiques permettrait en outre de ne pas faire peser une responsabilité démesurée sur les juges de l'application des peines. A chaque fait divers imputable à un individu récidiviste ayant fait l'objet - comme la loi le prévoit pourtant - d'un aménagement de fin de peine, ces derniers font l'objet d'une forte pression sociale susceptible de remettre en cause leur pouvoir d'appréciation. Une pression qui s'avère souvent instrumentalisée dans les décisions gouvernementales et les initiatives législatives.

30. Face à l'incapacité du système actuel à endiguer la surpopulation carcérale, un consensus a émergé au sein des experts du monde pénitentiaire. De nombreuses voix aux légitimités multiples, parmi les acteurs du monde judiciaire mais aussi du monde institutionnel et politique, se sont élevées en faveur de la création d'un mécanisme contraignant de régulation. Au vu de l'importance des études et recommandations formulées, la CNCDH a décidé d'accompagner cet avis d'une annexe recensant la majorité de ces travaux et donnant à voir, à travers de courts extraits ou quelques lignes de synthèse, l'émergence d'une position de plus en plus consensuelle (45).

31. Ces opinions s'appuient sur des arguments documentés tant par les travaux académiques que les rapports d'enquêtes parlementaires ou encore les retours d'expérience des professionnels et bénévoles intervenant en milieu carcéral, ainsi que l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale. Nations Unies, Conseil de l'Europe, contrôle général des lieux de privation de liberté (CGLPL), Conseil économique, social et environnement (CESE), organisations professionnelles et associatives de la société civile : autant de sources partageant les mêmes constats, que le législateur ou le responsable politique peut difficilement ignorer en 2024. Ce corpus varié converge vers une même conclusion.

32. A l'Assemblée nationale, après cinq mois de travaux et une cinquantaine d'auditions, la mission d'information menée en 2023, initialement centrée sur les alternatives à la détention, a fermement conclu à la nécessité d'un mécanisme de régulation carcérale conduisant au dépôt d'amendements en ce sens dans le cadre du projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice débattu la même année (46). L'année précédente, c'est au Sénat qu'une proposition de loi similaire était déposée (47), plus de dix ans après la première proposition de loi sur le sujet (48).

33. En pratique, l'optimisme est permis. L'Etat a prouvé qu'il était en mesure de désengorger les prisons en portant au niveau national des mesures exceptionnelles dans le cadre d'une situation d'urgence, comme ce fut le cas à l'occasion de la pandémie de covid-19 (49).

4. Les arguments infondés des opposants à un mécanisme contraignant de régulation

34. Face à l'urgence de la situation, la CNCDH ne peut se satisfaire du refus répété du gouvernement de prendre en compte les recommandations des instances internationales et nationales (50) favorables à un mécanisme contraignant de régulation. Le gouvernement a notamment explicité son refus dans sa réponse à un avis du contrôle général des lieux de privation de liberté (51) et dans le cadre d'un document adressé au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies (52). Plus récemment encore, la position du gouvernement a été réaffirmée au cours de débats parlementaires (53). Pour celui-ci, un tel mécanisme, susceptible d'être qualifié de laxiste, aggraverait le risque de récidive, porterait atteinte à l'indépendance des juges ou encore entraînerait une rupture du principe d'égalité entre les personnes détenues.

35. Pour la CNCDH, ces arguments ne sont ni fondés juridiquement ni justifiés par la réalité de terrain ; ils relèvent avant tout d'un choix politique, celui de s'inscrire dans le contexte actuel d'une surenchère sécuritaire. Retrouver un taux d'occupation carcérale conforme aux standards internationaux et respectueux des droits fondamentaux, n'est ni synonyme d'indulgence ni une échappatoire à la peine.

36. En matière de politique pénitentiaire la France possède un des dispositifs d'exécution des peines les plus complets d'Europe, avec une variété d'outils pour limiter les entrées et favoriser les sorties. En pratique, la France est en 2024 le deuxième pays européen à avoir le plus grand nombre de personnes placées sous main de justice (54). La suspicion d'un système pénal laxiste apparaît donc infondée.

37. La CNCDH tient à rappeler que la mise à exécution d'une peine d'emprisonnement sous d'autres modalités demeure une peine exécutée conformément à la loi et dans le respect de la décision du juge. Un mécanisme contraignant qui imposerait le prononcé d'aménagements de fin de peine ne ferait que contraindre à l'application des textes législatifs actuels, selon lesquels l'incarcération doit rester l'exception. En particulier, l'article 707 III du code de procédure pénale dispose que « Toute personne condamnée incarcérée en exécution d'une peine privative de liberté bénéficie, chaque fois que cela est possible, d'un retour progressif à la liberté en tenant compte des conditions matérielles de détention et du taux d'occupation de l'établissement pénitentiaire (…) ». Loin d'être une « faveur », l'aménagement est au contraire un moyen de lutter contre les sorties sèches et d'organiser la transition entre la prison et la liberté, un processus bénéfique en matière de réinsertion. Etant rappelé que tout manquement à ses obligations expose la personne effectuant sa fin de peine hors détention à une réincarcération (55).

38. Comme le formulait déjà le rapport parlementaire de 2010 (56), un tel mécanisme « ne consiste nullement à ne pas exécuter les peines d'emprisonnement prononcées lorsque la capacité maximale des établissements est atteinte, mais, lorsque cette situation se présente et qu'il apparaît indispensable d'incarcérer une personne en surnombre, à rechercher quelle peine d'emprisonnement jusque-là exécutée en milieu fermé peut se poursuivre et s'achever dans le cadre d'un aménagement de peine. » Lors de son audition dans le cadre de ce rapport, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté d'alors soulignait déjà qu'« un mécanisme de ce type pourrait contribuer à encourager une politique plus dynamique d'aménagements de peine, indispensable pour réguler à long terme le problème de la surpopulation pénitentiaire ».

39. Un emprisonnement subi dans des conditions indignes est gage d'insécurité et facteur de récidive (57). Les établissements pénitentiaires sont invariablement qualifiés « d'écoles de la délinquance » (58), ce que redit en substance le rapport de la mission d'information parlementaire de 2023 : « la surpopulation d'aujourd'hui est très probablement la récidive de demain, installant un cercle vicieux dont il convient de sortir » (59). C'est ce que des chercheurs observaient en 2018 dans certains pays « qui ont cherché à dépeupler les prisons en privilégiant la réhabilitation sur la punition, comme la Finlande ou la Suède, [et qui] ont vu leur taux de criminalité diminuer » (60).

40. Il est reconnu qu'une peine exécutée avec un accompagnement véritable est le meilleur outil de réinsertion (61). En mettant définitivement fin à la surpopulation carcérale, un mécanisme contraignant de régulation produirait un effet vertueux : la mise en place d'un accompagnement pendant l'exécution de la peine permettrait de satisfaire les attentes citoyennes en limitant le risque pour la sécurité publique.

41. Concernant la crainte d'atteinte à l'indépendance des magistrats, la CNCDH rappelle qu'un mécanisme de régulation carcérale, contraignant et inscrit dans la loi, agirait sur les sorties de détention et non sur les entrées en prison. Il n'empêcherait le juge ni de prononcer une peine d'emprisonnement ni de mettre à exécution une décision d'incarcération, mais imposerait, pour ce faire, la libération d'une place de prison par la libération anticipée d'une personne détenue proche de la fin de sa peine, répondant à des critères fixés par la loi, et résultant de la décision d'un juge. Le non-respect des obligations et contraintes fixées par le juge pourra conduire à une réincarcération pour la durée restante de la peine.

42. Enfin, le principe d'égalité ne saurait valablement être invoqué pour rejeter l'instauration d'un mécanisme contraignant de régulation carcérale. Tout d'abord, force est de constater qu'il est fallacieux de prétendre que l'ensemble des personnes détenues dans les prisons françaises sont traitées dans des conditions égales. Par exemple, le taux d'occupation moyen en établissements pour peine est inférieur à 100 %, tandis qu'il avoisine 150 % dans les maisons d'arrêt. On peut aussi citer des pratiques très variables d'octroi de réductions ou d'aménagements de peine selon les services d'application des peines. De son côté, le Conseil constitutionnel a précisé que ce principe d'égalité « ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit » (62). Or, la lutte contre la surpopulation carcérale relève d'autant plus d'un « intérêt général », au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, que ce dernier a récemment insisté sur la nécessité de garantir le respect de la dignité des personnes détenues au nom du principe de valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine (63). En outre, la marge d'appréciation laissée au législateur pour définir les exigences de l'intérêt général d'une part, et les moyens d'y répondre d'autre part, est très large, et le juge procède essentiellement à la pesée de l'équilibre à assurer entre les deux. Le présent avis démontre que l'instauration d'un mécanisme de régulation carcérale est parfaitement cohérente, si ce n'est le moyen le plus pertinent, avec l'objectif de garantir aux personnes détenues des conditions de détention respectueuses de leur dignité.

5. Un mécanisme de régulation reposant sur des dispositifs déjà existants, à élargir si nécessaire

43. Il ne s'agit pas, face à ces constats, de créer de nouveaux dispositifs. Les remèdes à la surpopulation carcérale existent déjà. La difficulté réside principalement dans un recours très variable à ces dispositifs selon les juridictions (64) et à des limitations juridiques ou des moyens plus ou moins importants selon la situation des établissements pénitentiaires (65).

44. La CNCDH recommande donc que soit mis en place un mécanisme qui, à partir du déclenchement d'un seuil d'alerte (66) signifiant que le taux d'occupation de l'établissement va être dépassé, contraigne les acteurs judiciaires et pénitentiaires à recourir aux dispositifs existants, et à étendre, si nécessaire, les possibilités d'y recourir, de manière combinée ou alternative.

45. De manière pragmatique, il s'agit d'une part, d'ajouter, au sein du code de procédure pénale, une disposition contraignant à utiliser tous les leviers à disposition face à l'imminence de violations des droits fondamentaux générées par la surpopulation. La nouveauté résiderait dans la prescription d'une obligation de résultat, celle de limiter la densité carcérale à un certain seuil (67). Et d'autre part, il s'agit d'étendre le champ d'application des dispositifs existants.

46. S'il importe de mettre en place des outils de suivi et d'évaluation des dispositifs, le déficit actuel de données chiffrées ne peut ni ne doit, au regard du constat d'urgence unanimement partagé, être un frein à la mise en place d'un mécanisme contraignant de régulation carcérale. Ce mécanisme, nécessairement fondé sur la concertation entre les acteurs, pourra néanmoins s'affiner au fil des pratiques.

47. D'abord, la CNCDH rappelle que trois dispositifs utilisés pour désengorger les établissements pénitentiaires ont récemment disparu. Les grâces collectives, qui dispensaient des personnes condamnées d'effectuer le reliquat de leur peine, ont été supprimées par la réforme constitutionnelle de 2008. Si elle demeure quant à elle possible, l'amnistie, qui efface par voie législative la condamnation sans pour autant agir sur la partie de la peine déjà effectuée, n'a plus été utilisée depuis 2002. Enfin, les crédits de réduction de peine, dont le rétablissement est appelé de leurs vœux par de nombreux acteurs, ont été supprimés par la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.

48. Ensuite, la conversion de peine permet au juge de l'application des peines, lorsque cela lui « paraît de nature à assurer la réinsertion du condamné et à prévenir sa récidive », de remplacer une peine d'emprisonnement de six mois maximum - prononcée sans mandat de dépôt - par une autre peine : détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE), travail d'intérêt général (TIG), jours-amende ou sursis probatoire renforcé (68). Etendu par la loi de programmation pour la justice de 2019, ce dispositif peut désormais être utilisé en cours d'exécution de la peine. La conversion concerne le reliquat de la peine d'emprisonnement, au même titre qu'un aménagement de peine. Lors de la crise sanitaire, l'ordonnance portant adaptation de règles de procédure pénale pour faire face à l'épidémie de covid-19 (69) avait prévu que la conversion de peine soit applicable de manière beaucoup plus large aux personnes condamnées dont le reliquat de peine était inférieur ou égal à six mois.

49. En troisième lieu, il existe une importante marge de manœuvre en termes de prononcé d'aménagements de fin de peine, étant observé que seule une personne détenue sur quatre sort de détention dans le cadre d'un tel dispositif, pourtant censé être la norme. L'expérimentation marseillaise évoquée plus haut a établi la possibilité, lorsqu'un certain seuil d'occupation est atteint, d'octroyer des aménagements de peine « sans audience contradictoire, sur des critères assouplis et avec un regard bienveillant  » (70).

50. Le rapport parlementaire de juillet 2023 a, quant à lui, suggéré d'accroitre en cas de surpopulation carcérale, les possibilités de recourir au dispositif de libération sous contrainte « de plein droit » (LSC-D) (71), en l'élargissant, en cas de dépassement du seuil d'occupation, aux personnes condamnées à une peine inférieure ou égale à cinq ans d'emprisonnement (aujourd'hui inférieure ou égale à deux ans). Ces personnes peuvent déjà prétendre, à une libération sous contrainte facultative. De manière similaire, le dispositif de plein droit pourrait s'appliquer aux personnes ayant jusqu'à six mois de peine encore à effectuer (au lieu de trois mois aujourd'hui). Par ailleurs, il conviendrait de réfléchir aux moyens de favoriser l'hébergement des personnes qui en sont dépourvues, dès lors que l'obstacle à l'octroi de plein droit de la LSC-D, réside dans l'« impossibilité matérielle résultant de l'absence d'hébergement » (72). En effet, conçue initialement comme mineure, cette limite joue actuellement, selon les acteurs de terrain, un rôle trop important.

51. De la même manière que le législateur a créé une libération sous contrainte de plein droit, un procédé similaire pourrait être imaginé concernant la libération conditionnelle (LC), aujourd'hui facultative à la moitié de la peine (73). Un rapport parlementaire prônait déjà, il y a plus de dix ans, une libération conditionnelle « de plein droit » aux deux-tiers de la peine (74). Cette mesure serait d'autant plus pertinente que, comme l'a documenté le rapport de la mission d'information de 2023, « [l]e taux de récidive des bénéficiaires d'une libération conditionnelle (23 %) est nettement inférieur à celui des “sorties sèches” (33 %) ».

52. En quatrième lieu, des réductions de peine exceptionnelle (RPE) pourraient être octroyées pour cause de surpopulation carcérale. Dans plusieurs propositions de loi déposées au Parlement, ce dispositif est conçu comme une procédure intervenant en seconde intention, dans le cas où le recours aux autres dispositifs n'a pas suffi à éviter que le taux d'occupation de l'établissement ne soit dépassé (75). Certains acteurs de terrain estiment néanmoins que le recours aux réductions de peine devrait primer.

53. La CNCDH tient à préciser que ce bref exposé des différents dispositifs n'est pas exhaustif et n'obéit pas davantage à un quelconque ordre de priorité. Il s'agit de mettre en exergue les dispositifs mobilisés par les acteurs porteurs de propositions en faveur d'un mécanisme contraignant de régulation carcérale et, ainsi, de montrer qu'un tel mécanisme est tout à fait réaliste.

54. La CNCDH préconise de penser ces dispositifs sous le prisme de l'accompagnement des personnes détenues. En ce sens, elle recommande d'inclure les populations aujourd'hui exclues en relevant certains seuils relatifs tant au quantum de la peine prononcée qu'au reliquat de la peine restant à exécuter. Elle propose également de réfléchir à la limitation du champ des exemptions.

55. Enfin, la CNCDH souligne que la libération de personnes en détention provisoire pourrait également constituer un levier important pour mettre fin à la surpopulation carcérale. En effet, alors que son caractère exceptionnel est inscrit dans la loi (76), plus d'une personne détenue sur quatre l'est dans l'attente de son jugement, et les personnes prévenues représentent en moyenne 40 % de la population incarcérée en maison d'arrêt (77), jusqu'à 60 % dans certains quartiers hommes (78). En parallèle du mécanisme contraignant proposé pour les personnes condamnées, une proposition de loi déposée en juillet 2023 à l'Assemblée nationale prévoyait également de contraindre le procureur de la République et le juge d'instruction de recourir à une alternative à la détention provisoire (contrôle judiciaire et assignation à résidence avec surveillance électronique) (79).

56. Plus largement, comme précisé en début d'avis, la CNCDH rappelle qu'agir sur les entrées en prison reste une condition impérative si la République française décide de mettre fin, une fois pour toutes, à la surpopulation carcérale.

6. Le seuil de mise en œuvre du mécanisme de régulation carcérale

57. Pour la CNCDH, le seul seuil d'occupation pertinent pour déclencher ce mécanisme contraignant de régulation carcérale, et ainsi assurer le respect et l'effectivité des droits fondamentaux des personnes détenues, est de 100 %. Comme c'est déjà le cas en pratique dans les établissements pour peine, l'objectif est que les maisons d'arrêt ne puissent plus détenir davantage de personnes qu'elles n'ont de places.

58. La CNCDH rappelle, comme en 2022, que ce seuil ne doit pas être considéré de manière globale au niveau national, mais bien s'appliquer au niveau de chaque établissement pénitentiaire et, plus précisément, de chaque quartier de détention (80). Cela permet de considérer les données chiffrées de densité carcérale au plus près de la réalité humaine. La notion de « quartier pénitentiaire » doit ici être entendue au sens le plus restrictif possible. En effet, les données publiées de manière mensuelle par l'administration pénitentiaire concernent des moyennes par type de quartier (maison d'arrêt ou centre de détention notamment), sans distinction, en termes de nombre de places, entre celles dédiées aux hommes, aux femmes, aux mineurs et, dans certains cas, à la semi-liberté. Alors que l'administration pénitentiaire annonçait 12 quartiers ayant un taux d'occupation égal ou supérieur à 200 % au 1er janvier 2024, un calcul plus objectif, c'est-à-dire à l'échelle des quartiers maison d'arrêt pour hommes, donne à voir 21 quartiers dans un état aussi grave de surpopulation (81).

59. A terme, conformément aux recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) (82) et de la Cour européenne des droits de l'homme dans l'arrêt précité J.M.B. et autres de 2020, la CNCDH souligne l'importance de mener une réflexion sur les modalités de calcul du nombre de places opérationnelles des établissements. Aujourd'hui, ce calcul est fondé sur la surface des cellules, en termes de nombre de mètres carrés, sans tenir compte du nombre de lits disponibles, des propositions d'activités ou encore des effectifs de personnels - qu'ils appartiennent au corps des soignants, des surveillants pénitentiaires ou encore des services d'insertion et de probation.

60. Afin que le seuil d'occupation d'un quartier pénitentiaire ne soit pas dépassé, la CNCDH suggère que soit fixé un seuil d'alerte inférieur à 100 % déclenchant le mécanisme contraignant de régulation carcérale. Une densité carcérale quotidienne à 90-95 % permettrait ainsi que chaque quartier pénitentiaire dispose de quelques places de réserve.

61. Au vu de l'état de surpopulation de certains quartiers pénitentiaires, les propositions parlementaires instaurant un mécanisme contraignant de régulation carcérale prévoyaient une entrée en vigueur décalée dans le temps. Le texte proposé en 2010 (83) proposait une entrée en vigueur du mécanisme de régulation dix-huit mois après la promulgation de la loi, celles déposées en 2022 et 2023 (84) une entrée en vigueur trois ou six mois après la promulgation de la loi. Le rapport parlementaire de 2023 (85), et les amendements déposés par ses co-rapporteures (86) dans le cadre des débats parlementaires sur le projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice (87), proposaient, quant à eux, un mécanisme progressif avec, chaque année, une diminution par tiers, à l'échelle de chaque établissement, du nombre de personnes détenues dépassant le nombre de places, d'ici le 1er juillet 2027. La CNCDH ne peut qu'insister sur l'urgence de mettre en place ce mécanisme.

7. Les bénéfices d'une régulation carcérale effective

62. Enfin, partant d'arguments économiques (88) sur lesquels l'action publique devrait aussi s'appuyer, la CNCDH rappelle que la construction d'une place de prison coûte entre 200 000€ et 500 000€ en fonction des territoires. Par ailleurs, le coût d'une journée en détention revient en moyenne à 125€ par personne détenue, soit plus du double que le placement extérieur (52€) et dix fois plus que le placement sous surveillance électronique (12€) (89). Ainsi, le coût journalier de l'incarcération s'avère prohibitif en comparaison avec le coût des mesures de milieu ouvert, davantage centrées sur l'accompagnement et la réinsertion.

63. Au-delà du respect des droits fondamentaux tout autant que de l'obligation de la France de faire évoluer la situation pénitentiaire au regard des condamnations qui s'accumulent de la part des instances internationales, la régulation carcérale s'avère une politique publique sans danger pour les finances publiques. Les économies réalisées pourraient être allouées aux systèmes judiciaire et pénitentiaire. Une option politique que d'autres pays, à l'instar des Pays-Bas (90), ont su mettre en place avec efficacité en matière de déflation carcérale. En particulier, il est primordial d'investir dans l'accompagnement humain des personnes placées sous main de justice tout comme des personnes victimes d'infraction. A périmètre financier équivalent, cela permettrait de renforcer la mise en place et le suivi des dispositifs pénaux extérieurs à la prison, dont personne ne peut plus ignorer qu'ils sont plus efficaces pour répondre aux attentes citoyennes en matière de sécurité, et moins dommageables que les peines d'emprisonnement, en particulier lorsque ces dernières sont vécues dans des établissements surpeuplés (91). Par ailleurs, une réaffectation plus pertinente des budgets actuellement consacrés à l'emprisonnement permettrait de renforcer la formation des acteurs judiciaire et pénitentiaire.

64. La CNCDH n'ignore pas qu'une partie de l'opinion publique met en doute la sévérité des sanctions pénales en dépit d'une dynamique allant dans le sens d'une augmentation de la durée des peines (92). Elle rappelle cependant qu'il relève de la responsabilité de l'Etat de faire en sorte que les citoyens soient mieux informés sur les effets délétères de la surpopulation carcérale. Il est primordial de leur faire prendre conscience qu'il est d'intérêt public d'abandonner les politiques de sur-incarcération au profit de dispositions pénales alternatives à l'emprisonnement dont les bénéfices sont abondamment documentés.

Recommandation n° 1 : La CNCDH recommande d'inscrire dans la loi un mécanisme de régulation carcérale contraignant, qui reposerait sur les dispositifs légaux existants, si nécessaire en élargissant leur champ d'application.

Recommandation n° 2 : La CNCDH recommande d'inscrire dans la loi l'interdiction de dépasser un taux d'occupation de 100 % dans tout quartier pénitentiaire.

(1) Ministère de la justice, Mesure de l'incarcération - Indicateurs clefs au 1er avril 2024. https://www.justice.gouv.fr/sites/default/files/2024-04/mesure_mensuelle_01042024.pdf.

(2) Entre 1982 et 2023, ce nombre est passé de 57 à 106. Source : ministère de la justice, direction de l'administration pénitentiaire, bureau de la donnée, Statistiques des personnes placées sous main de justice, 1980-2022, Taux de personnes détenues au 1er janvier de chaque année pour 100 000 habitants en France (stock), tableau 66. Données prolongées avec les données INSEE et le nombre de personnes détenues.

(3) Council of Europe, Statistiques Pénales Annuelles du Conseil de l'Europe (SPACE), Prisons and Prisoners in Europe 2020 : Key Findings of the SPACE I report, Marcelo F., Aebi and Mélanie M. Tiago, 8 April 2021, Figure 15.

(4) CEDH, J.M.B. et autres c. France, 30 janvier 2020, Req. n° 9671/15 et 31 autres.

(5) Ibid., §16.

(6) CNCDH, Avis « L'effectivité des droits fondamentaux en prison : du constat aux remèdes pour réduire la surpopulation carcérale et le recours à l'enfermement » (A-2022-5), Assemblée plénière du 24 mars 2022, JORF n°0079 du 3 avril 2022, texte n° 73.

(7) Le Monde, Tribune de Sueur JP. et Lecerf JR., « Prisons : « Comment comprendre que le garde des sceaux s'oppose à toute programmation afin de réduire la surpopulation carcérale ? », juillet 2023, https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/24/prisons-comment-comprendre-que-le-garde-des-sceaux-s-oppose-a-toute-programmation-afin-de-reduire-la-surpopulation-carcerale_6183195_3232.html.

(8) CEDH, B.M. et autres contre France, 6 juillet 2023, Req. n° 84187/17.

(9) Conseil de l'Europe, Comité des ministres, Surveillance de l'exécution des arrêts de la Cour européenne, H46-13 J.M.B et autres contre France (requête n° 9671/15), 12-14 mars 2024, 1492e réunion, CM/Notes/1492/H46-13.

(10) Cour des comptes, Une surpopulation carcérale persistante, une politique d'exécution des peines en question, octobre 2023, https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/20231005-surpopulation-carcerale-persistante.pdf.

(11) Le Monde, Jacquin J-B., Un quinquennat de nouvelles infractions pénales, au risque de compliquer le travail de la justice, 16 mars 2022, https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/03/16/un-quinquennat-de-nouvelles-infractions-penales-au-risque-de-la-confusion_6117683_3224.html.

(12) La durée moyenne des peines est passée de 8,3 mois en 2004 à 10,7 mois en 2019, selon Jean-Baptiste Bladier, ancien président de la Conférence nationale des procureurs de la République, cité par : Assemblée nationale, Commission des lois, commission permanente, Mission d'information sur les alternatives à la détention et l'éventuelle création d'un mécanisme de régulation carcérale, présentée par Mmes les députées Caroline Abadie et Elsa Faucillon, enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 juillet 2023, n° 1539.

(13) Conçue initialement comme une voie procédurale exceptionnelle réservée à des infractions moyennement graves, la comparution immédiate a vu son champ d'application s'étendre au gré des réformes législatives à des délits de plus en plus graves. Elle s'est donc considérablement banalisée, au point que, non sans paradoxe, le tribunal judiciaire de Paris a créé une 4e section de sa 23e chambre consacrée au jugement des comparutions immédiates « complexes »., V. Brochot J., AJ Pénal Dalloz 2023, p. 521. De plus, l'affaire étant rarement en état d'être jugée « immédiatement », le délai de renvoi, qui dans certains cas peut atteindre aujourd'hui 4 mois (article 397-1, al.2 du code de procédure pénale), conduit à pouvoir prolonger d'autant la détention provisoire.

(14) Gautron V., La décision judiciaire : jugements pénaux ou jugements sociaux ? in Mouvements 2016/4 (n° 88), pp. 11 à 18, « A infraction et casier identique, une comparution immédiate multiplie en effet par plus de huit la probabilité d'un emprisonnement ferme par rapport à une audience classique de jugement. ».

(15) La durée moyenne de détention était de 7 mois en 1990 contre 11,4 mois en 2023, ministère de la justice.

(16) Au 1er avril 2024, 20 438 sont prévenus sur le territoire français, soit 26,4 % de la population carcérale, ministère de la justice, direction de l'administration pénitentiaire, bureau de la donnée, de la recherche et de l'évaluation (DAP/SDEX/EX3), Statistiques des établissements et des personnes écrouées en France, 1er avril 2024.

(17) De 5,8 mois en 1982 à 8,6 en 2006 puis 11,8 mois en 2020. Sources : Conseil de l'Europe, Prison Information Bulletin, 2 décembre 1983 ; ministère de la justice, Séries statistiques des personnes placées sous-main de justice, 1980-2020 et 1980-2021.

(18) Code pénal, article 132-19 alinéa 2.

(19) A cet égard, on peut regretter que les conclusions de la « Conférence de consensus sur la prévention de la récidive » n'aient pas été suivies d'effets durables dans les politiques publiques.

(20) Emmaüs-Secours Catholique Caritas France, Au dernier barreau de l'échelle sociale : la prison, 25 recommandations pour sortir du cercle vicieux prison - pauvretés, 11 octobre 2021.

(21) Voir infra §63.

(22) Gautron V., La décision judiciaire : jugements pénaux ou jugements sociaux ? Op.cit., « les caractéristiques personnelles des prévenu.e.s ne sont nullement innocentes de ces choix de procédure. Toutes choses égales par ailleurs, les chômeurs voient en effet multiplier par 1,7 la probabilité d'une comparution immédiate, les personnes nées à l'étranger et les SDF par près de trois. ».

(23) Conseil économique social et environnemental (CESE), Le sens de la peine, A. Dru et D. Jourdain Menninger, 13 septembre 2023, recommandations.

(24) Entre 1990 et 2024, le nombre de places de prisons et le nombre de personnes détenues ont respectivement augmenté de 69 % et 67 % ; sur la même période, la population INSEE augmentait quant à elle de 18 % (données au 1er janvier).

(25) Observatoire international des prisons - section française, Budget pénitentiaire pour 2024 : 5 milliards de dettes pour une fuite en avant, 24 octobre 2023, https://oip.org/analyse/budget-penitentiaire-pour-2024-5-milliards-de-dettes-pour-une-fuite-en-avant/.

(26) Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

(27) CNCDH, Avis sur le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice tel que présenté en conseil des ministres le 20 avril 2018 - analyse des dispositions relatives à la procédure pénale et au droit des peines, Assemblée plénière du 20 novembre 2018, JORF n° 0273 du 25 novembre 2018, texte n° 67.

(28) Voir la proposition de peine de probation autonome : Assemblée nationale, Mission d'information sur les alternatives à la détention et l'éventuelle création d'un mécanisme de régulation carcérale, et Conseil économique social et environnemental Le sens de la peine, Op.cit.

(29) Assemblée nationale, Mission d'information sur les alternatives à la détention et l'éventuelle création d'un mécanisme de régulation carcérale, Op.cit.

(30) Assemblée nationale, Mission d'information sur les alternatives à la détention et l'éventuelle création d'un mécanisme de régulation carcérale, Op.cit., Cour des comptes, Une surpopulation carcérale persistante, une politique d'exécution des peines en question, Op.cit.

(31) Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.

(32) En 2021, la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire a systématisé la libération sous contrainte (LSC) pour les personnes condamnées exécutant une ou plusieurs peines privatives de liberté d'une durée de deux ans au plus et auxquelles il reste un reliquat de peine inférieur ou égal à trois mois (article 720 al.9 du code de procédure pénale). La libération sous contrainte est accordée de plein droit, sauf en cas d'impossibilité matérielle résultant de l'absence d'hébergement. Certaines infractions, telles que les violences conjugales ou les poursuites pour des faits de terrorisme sont exclues du dispositif, de même que les détenus ayant fait l'objet de sanctions disciplinaires pour certains faits, notamment de violences commises en détention.

(33) Cour des comptes, Une surpopulation carcérale persistante, une politique d'exécution des peines en question, Op.cit., p. 25.

(34) Les derniers chiffres de la DAP se réfèrent à un octroi de la libération sous contrainte de plein droit de 63 % en février 2024.

(35) Loi n° 2021-403 du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention.

(36) En ce sens, v. Crim. 14 février 2024, n° 23-84.093, Dr. pén. 2024, comm. 83, note Peltier V.

(37) Statistique des établissements et des personnes écrouées en France, direction de l'Administration Pénitentiaire, Bureau de la donnée, de la recherche, et de l'évaluation (DAP/SDEX/EX3), données au 1er janvier 2024.

(38) France Bleu, Surpopulation carcérale : la prison de Gradignan ne peut plus accueillir de détenus supplémentaires, S. Hiscock, 16 mai 2023, https://www.francebleu.fr/infos/societe/surpopulation-carcerale-la-prison-de-gradignan-ne-peut-plus-accueillir-de-detenus-supplementaires-8232750.

(39) CNCDH, Avis sur l'accès aux droits et les non-recours (A-2022-4), Assemblée plénière du 24 mars 2022, JORF n°0079 du 3 avril 2022, texte n° 72.

(40) Bastard J., La réduction de la population carcérale comme enjeu de politique criminelle l'expérience grenobloise de « régulation carcérale », in Archives de politique criminelle 2023/1 (n° 45)2023/1 (n° 45), p. 169 à 180, Ed. Pédone.

(41) Mediapart, A Marseille, des acteurs de la chaîne judiciaire tentent de lutter contre la surpopulation carcérale, Alouti F., 23 avril 2024, https://www.mediapart.fr/journal/france/230424/marseille-des-acteurs-de-la-chaine-judiciaire-tentent-de-lutter-contre-la-surpopulation-carcerale.

(42) Cette initiative est fondée sur l'article D 576 du code de procédure pénale qui organise des procédures consultatives : « Au sein de chaque juridiction, le juge de l'application des peines, le procureur de la République et les autres magistrats mandants déterminent les orientations générales relatives à l'exécution des mesures confiées au service pénitentiaire d'insertion et de probation ainsi que celles relatives à l'exécution des peines privatives de liberté, et évaluent ensuite leur mise en œuvre. »

(43) Calculs réalisés selon la méthode utilisée par l'OIP afin d'établir le taux propre aux quartiers maison d'arrêt hommes. Voir notamment Surpopulation carcérale : le ministère de la justice affiche des taux d'occupation largement sous-estimés, 1er mars 2023, https://oip.org/communique/surpopulation-carcerale-le-ministere-de-la-justice-affiche-des-chiffres-largement-sous-estimes/.

(44) Observatoire international des prisons - section française, Mécanismes expérimentaux de régulation carcérale : un bilan qui peine à convaincre, https://oip.org/analyse/mecanismes-experimentaux-de-regulation-carcerale-un-bilan-qui-peine-a-convaincre.

(45) Voir Annexe disponible sur le site ww.cncdh.fr.

(46) Assemblée nationale, Amendements identiques CL578 de Mme Caroline abadie et CL397 de Mme Elsa Faucillon, première lecture du projet de projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (n° 1346), examen en commission des Lois.

(47) Sénat, Proposition de loi visant à mettre fin à la surpopulation carcérale, n° 873, enregistrée à la Présidence du Sénat le 5 septembre 2022 par Mmes É. Assassi, C. Cukierman et plusieurs de leurs collègues.

(48) Assemblée nationale, Proposition de loi de MM. Dominique Raimbourg et Jean-Marc Ayrault et plusieurs de leurs collègues visant à instaurer un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire, n° 2753 rectifié, déposée le 13 juillet 2010.

(49) V. dispositions relatives à l'application des peines de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.

(50) Voir la communication de la France concernant le groupe d'affaires J.M.B. et autres c. France (requête n° 9671/15) au Comité des ministres, actualisée au 29 décembre 2023.

(51) Ministère de la justice, garde des sceaux, réponse à l'avis du CGLPL du 25 juillet 2023 relatif à la surpopulation et à la régulation carcérales, 11 septembre 2023.

(52) Nations Unies, Examen périodique universel, République française, Réponse aux recommandations reçues le 1er mai 2023, 1er septembre 2023, le Gouvernement écrivait que « la France ne souhaite pas instituer un mécanisme législatif contraignant de régulation carcérale, lié à un seuil de criticité, qui pourrait attenter au principe de l'individualisation des peines et fragiliser la sécurité publique », https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/hrbodies/upr/sessions/session43/fr/A_HRC_54_5_Add.1_France_Annex_F.docx.

(53) Réponse de Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles, à la question orale n° 1211 posée par la sénatrice Marion Canalès, « Mesures de régulation carcérale », Séance publique du 9 avril 2024. Le Gouvernement répondait qu'« Aller plus loin en créant un mécanisme généralisé de régulation carcérale qui impliquerait de fait un numerus clausus nous semble contraire aux enjeux en matière de traitement de la délinquance et d'efficacité de la réponse pénale, sans compter les questions juridiques, voire constitutionnelles qui peuvent se poser, notamment au titre du principe d'égalité devant la loi. »

(54) DAP, Séries statistiques des personnes placées sous-main de justice 1980-2023, Op.cit. Selon l'administration pénitentiaire, entre 180 et 185 000 personnes sont placées sous-main de justice, la France est le 2e pays après la Grande-Bretagne ; 4 personnes sur 1 000 sont suivies par la justice pénale.

(55) Code de procédure pénale, articles 723-15 et suivants.

(56) Assemblée Nationale, Rapport de Dominique Raimbourg visant à instaurer un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire, 12 novembre 2010, n° 2941.

(57) Drago, F., Galbiati, R., & Vertova, P., (2011). Prison conditions and recidivism, American law and economics review, 13(1), 103-130.

(58) Le Monde, Mestre A., Saintourens T., Drogue en prison : un détenu sur quatre fume quotidiennement du cannabis, 6 mai 2024, Editorial p.31 ; https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/05/06/drogue-en-prison-un-detenu-sur-quatre-fume-quotidiennement-du-cannabis_6231845_3224.html. Voir aussi Le Monde, éditorial relevant que la prison est également le lieu d'organisation des trafics, 2 mai 2024, Editorial p.31. https://www.lemonde.fr/societe/visuel/2024/04/30/trafic-de-drogue-un-dereglement-de-nos-societes-une-menace-pour-nos-democraties_6230764_3224.html.

(59) Assemblée nationale, Mission d'information sur les alternatives à la détention et l'éventuelle création d'un mécanisme de régulation carcérale, Op.cit.

(60) Brux J., et Mével A., « Combien ça coûte de punir ? », 18 août 2018, revue projet, https://www.revue-projet.com/articles/2018-08-de-brux-mevel-combien-ca-coute-de-punir/8399.

(61) Rapport de Dominique Raimbourg n° 2941, Op.cit. : « loin d'avoir pour objet ou même pour effet d'aboutir à l'inexécution des peines, le mécanisme proposé utiliserait le levier des aménagements de peine - que le législateur a fait le choix délibéré et résolu de développer largement depuis plusieurs années - comme un moyen d'améliorer l'exécution des peines en milieu fermé ».

(62) CC, décision du 9 avril 1996, n° 1996-375 DC.

(63) Décision n° 2020-858/859 QPC du 2 octobre 2020, M. Geoffrey F. et autre [Conditions d'incarcération des détenus, cons. 12]. Le principe de sauvegarde de la dignité humaine a été consacré par CC, décision du 27 juillet 1994, n° 1994-343/344 DC.

(64) V. par ex statistiques mensuelles de la population détenue et écrouée, « Tableau 40 : Nombre de condamnés écroués selon le type de libération sous contrainte, par Direction Interrégionale », Effectifs actualisés au 1er décembre 2023.

(65) Mediapart, A Marseille, des acteurs de la chaîne judiciaire tentent de lutter contre la surpopulation carcérale, Op.cit., A la prison des Baumettes, à Marseille, un détenu sur deux (52 %) est en attente de son procès.

(66) Voir Infra, partie n° 6.

(67) Voir § 60.

(68) Code de procédure pénale article 747-1.

(69) Ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.

(70) OIP, Mécanismes expérimentaux de régulation carcérale : un bilan qui peine à convaincre, 18 octobre 2022, https://oip.org/analyse/mecanismes-experimentaux-de-regulation-carcerale-un-bilan-qui-peine-a-convaincre/.

(71) Code de procédure pénale, article 720-2 II.

(72) Idem.

(73) Code de procédure pénale, article 729.

(74) Assemblée nationale, Rapport de Dominique Raimbourg, n° 2941, Op.cit.

(75) Voir not., Assemblée nationale, Proposition de loi visant à instaurer un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire, n° 2753, Op.cit.

(76) Code de procédure pénale, article 137, alinéas 3.

(77) 39 % au 1er avril 2024. Calcul réalisé à partir du nombre de personnes prévenues (20 438), rapporté au nombre de personnes détenues en maison d'arrêt (52 141). Source : ministère de la justice, Mesure de l'incarcération, Op. Cit.

(78) C'était par exemple le cas au quartier maison d'arrêt pour hommes des Baumettes à Marseille en juillet 2022.

(79) Assemblée nationale, Proposition de loi visant à l'instauration d'un mécanisme de régulation carcérale et de prévention de la surpopulation pénitentiaire, n° 1460, présentée par les députés Ugo Bernalicis et autres, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 juillet 2023, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b1460_proposition-loi#.

(80) CNCDH, Avis n° A-2022-5, Op.cit.

(81) Calculs réalisés selon la méthode utilisée par l'OIP afin d'établir le taux propre aux quartiers maison d'arrêt hommes. Voir notamment OIP, Surpopulation carcérale : le ministère de la justice affiche des taux d'occupation largement sous-estimés, 1er mars 2023, Op.cit.

(82) Voir Annexe disponible sur le site ww.cncdh.fr.

(83) Assemblée nationale, Proposition de loi visant à instaurer un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire, n° 2753, Op.cit.

(84) Sénat, Proposition de loi visant à mettre fin à la surpopulation carcérale, 2022, texte n° 873, Op.cit., Assemblée nationale, Proposition de loi visant à l'instauration d'un mécanisme de régulation carcérale et de prévention de la surpopulation pénitentiaire, 2023, n° 1460, Op.cit.

(85) Assemblée nationale, Mission d'information sur les alternatives à la détention et l'éventuelle création d'un mécanisme de régulation carcérale, 19 juillet 2023, n° 1539, Op.cit.

(86) Assemblée nationale, Projet de loi adopté par le Sénat d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, n° 1346, amendement n° 594 déposé le 29 juin 2023 par la députée Elsa Faucillon aux fins de mise en place d'un mécanisme de régulation carcéral, rejeté., Assemblée nationale, Amendements identiques CL578 de Mme Caroline Abadie et CL397 de Mme Elsa Faucillon, Op.cit.

(87) Assemblée nationale, Loi d'Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/DLR5L16N47779.

(88) Cour des comptes, Une surpopulation carcérale persistante, une politique d'exécution des peines en question, Op.cit.

(89) Chiffres de la direction de l'administration pénitentiaire de 2022.

(90) Assemblée nationale, Mission d'information sur les alternatives à la détention et l'éventuelle création d'un mécanisme de régulation carcérale, Op.cit.

(91) Voir « Combien ça coûte de punir ? » Op.cit.

(92) V. SID Cassiopée, traitement PEPP, Durées moyennes des peines d'emprisonnement fermes prononcées (en mois), et Infostats justice, déc. 2017, n° 156 : la durée moyenne des peines d'emprisonnement ferme prononcée est passée de 7,5 mois en 2004 à 9,9 mois en 2022.