Sur la compatibilité des II et III de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002, en tant qu'ils concernent les pensions civiles et militaires de retraite, avec l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux a jugé, par une décision en date du 30 novembre 2001, que les dispositions de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 portant loi de finances pour 1960 créaient une différence de traitement entre les retraités en fonction de leur seule nationalité et étaient, par suite, incompatibles avec les stipulations de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, aux termes duquel : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation », combinées avec celles de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention qui prévoient que « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international (...) ».
Toutefois, ainsi que l'a jugé le Conseil d'Etat statuant au contentieux, par décision n° 274664 rendue ce jour sur la requête du Groupe d'information et de soutien des immigrés, si les stipulations ci-dessus reproduites ont pour objet d'assurer un juste équilibre entre l'intérêt général et, d'une part, la prohibition de toute discrimination fondée notamment sur l'origine nationale et, d'autre part, les impératifs de sauvegarde du droit de propriété, elles laissent cependant au législateur national une marge d'appréciation, tant pour choisir les modalités de mise en oeuvre du dispositif de révision des prestations versées aux ressortissants des pays placés antérieurement sous la souveraineté française résidant hors de France que pour juger si un tel dispositif trouve des justifications appropriées dans des considérations d'intérêt général en rapport avec l'objet de la loi.
Il résulte des dispositions des II et III de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002, éclairées par leurs travaux préparatoires, qu'elles ont notamment pour objet d'assurer aux titulaires de l'indemnité instituée par l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959, en remplacement de la pension civile de retraite qu'ils percevaient antérieurement, des conditions de vie dans l'Etat où ils résident en rapport avec la dignité de leurs fonctions passées. Ces dispositions instaurent, à cette fin, un critère de résidence, apprécié à la date de liquidation de la prestation, permettant de fixer le montant de celle-ci à un niveau, différent dans chaque Etat, tel qu'il garantisse aux intéressés résidant à l'étranger un pouvoir d'achat équivalent à celui dont ils bénéficieraient s'ils avaient leur résidence en France, sans pouvoir lui être supérieur. Les dispositions du III de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 prévoyant que « le montant des prestations qui résulterait de l'application des coefficients (de calcul desdites prestations) ne peut être inférieur à celui que le titulaire d'une prestation a perçu en vertu des dispositions mentionnées au I, majoré de 20 % », visent à assurer aux bénéficiaires résidant dans des Etats dont le revenu national brut par habitant est particulièrement faible des conditions de vie en rapport avec la dignité de leurs fonctions passées, ce que ne permettrait pas la stricte application des coefficients définis par l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002. Les dispositions susrappelées des II et III de cette loi poursuivent un objectif d'utilité publique en étant fondées sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de la loi. S'il est vrai que le critère de résidence susmentionné n'est pas applicable aux ressortissants français qui résidaient à l'étranger à la date de liquidation de leur pension, cette différence de traitement, de portée limitée, relève de la marge d'appréciation que les stipulations précitées de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales réservent au législateur national, eu égard notamment aux inconvénients que présenterait l'ajustement à la baisse des pensions déjà liquidées de ces ressortissants français qui ont vocation à résider en France. Par suite, les dispositions des II et III de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur la compatibilité du IV de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 avec le paragraphe 1 de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
Le droit à indemnité ouvert par les dispositions de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 constitue un droit à caractère civil au sens du paragraphe 1 de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales aux termes duquel : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi et qui décidera (...) des contestations sur des droits et obligations de caractère civil (...) ».
Pour être compatible avec ces stipulations, l'intervention rétroactive du législateur en vue de modifier au profit de l'Etat les règles applicables à des procès en cours doit reposer sur d'impérieux motifs d'intérêt général.
Le IV de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 prévoit que les II et III dudit article sont applicables à compter du 1er janvier 1999, « sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée et des contentieux contestant le caractère discriminatoire des textes visés au I, présentés devant les tribunaux avant le 1er novembre 2002 ». Le décret du 3 novembre 2003 et l'arrêté du 3 novembre 2003 susvisés définissant les modalités d'application des II et III de ce même article sont entrés en vigueur le 5 novembre 2003.
Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie n'a avancé aucun motif impérieux d'intérêt général susceptible de justifier que l'application des II et III de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 puisse, de manière rétroactive, interdire aux requérants d'invoquer l'incompatibilité des dispositions de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 avec les stipulations de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lorsqu'ils ont engagé, avant le 5 novembre 2003, une action contentieuse en vue de contester, à raison de cette incompatibilité, la légalité de la décision refusant de réévaluer le montant de leur indemnité.
En conséquence, dans la mesure où ces dispositions rétroactives ont pour objet d'influer sur l'issue des procédures juridictionnelles en cours, elles méconnaissent les stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il découle toutefois de l'objet même de ces stipulations et de ce qui vient d'être dit que cette incompatibilité ne peut être utilement invoquée que par les requérants qui ont engagé une action contentieuse avant le 5 novembre 2003.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Paris, à Mme Ka, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.
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