La Commission des opérations de bourse,
Vu le code monétaire et financier ;
Vu le décret n° 90-263 du 23 mars 1990 modifié relatif à la procédure d'injonctions et de sanctions administratives prononcées par la Commission des opérations de bourse et aux recours contre les décisions de cette commission qui relèvent de la compétence du juge judiciaire ;
Vu le règlement n° 90-08 de la Commission des opérations de bourse relatif à l'utilisation d'une information privilégiée ;
Vu le règlement intérieur de la Commission des opérations de bourse ;
Vu la décision du président de la commission du 25 juin 2001 désignant, à la demande du directeur général, M. Jean-Paul Redouin, membre de la commission, en qualité de rapporteur chargé, après examen du dossier, de notifier, s'il y a lieu, les griefs à la personne mise en cause ;
Vu la notification des griefs du 25 octobre 2001 ;
Vu les observations écrites présentées le 13 novembre par Me Jean Veil pour le compte de M. Gilles Breguet ;
Vu la lettre de convocation du 14 mars 2002 à laquelle a été annexé le rapport du rapporteur ;
Vu les observations déposées par Me Jean Veil le 12 avril 2002 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Après avoir entendu, au cours de la séance du 16 avril 2002 :
M. Jean-Paul Redouin en son rapport ;
Me Jean Veil en ses observations, Me Jean Veil ayant indiqué que Mme Martinet et Mme Faure, conseils de M. Breguet, ne présenteraient pas d'observations orales ;
M. Gilles Breguet, celui-ci ayant pris la parole en dernier.
I. - Faits et procédure
La société SELF TRADE est une entreprise d'investissement via internet (« broker on line »), qui a été constituée le 24 novembre 1997. Cette société a été admise aux négociations du nouveau marché de la Bourse de Paris le 16 mars 2000, le volume de titres disponible dans le public (flottant) étant d'environ 33 %. A cette époque, le reste du capital est détenu par la banque Enskilda (18,44 % des droits de vote), le président du directoire, M. Charles Beigbeder (5,05 % des droits de vote) et son épouse (4,17 % des droits de vote), M. Antoine de Rochefort, membre du directoire (5,29 % des droits de vote), la société Gala Center International Inc., immatriculée au Panama, dont le bénéficiaire économique est M. Gilles Breguet, président du conseil de surveillance jusqu'au 26 février 2001 (2,52 % des droits de vote) et divers investisseurs.
A la suite de négociations menées au mois d'août 2000 avec trois acheteurs potentiels, la société SELF TRADE a opté le 7 septembre 2000 pour la proposition de la société DIREKT ANLAGE BANK AG (DAB), qui a déposé une offre publique d'échange sur la société SELF TRADE le 13 septembre 2000.
Or, le service de l'inspection a observé un mouvement acheteur important sur le marché du titre SELF TRADE à partir du 22 août 2000, le cours progressant de 9,78 euros le 22 août 2000 à 12,7 euros le 12 septembre 2000, soit une hausse de 30 %, alors qu'aucune information n'avait été communiquée au public avant la date du dépôt par la société DAB de l'offre publique d'échange le 13 septembre 2000.
Ces faits ont conduit le directeur général de la Commission des opérations de bourse à décider le 23 octobre 2000 l'ouverture d'une enquête sur le marché du titre SELF TRADE à compter du 1er août 2000.
Au vu des vérifications effectuées, il semble que M. Gilles Breguet, président du Conseil de surveillance de SELF TRADE du 13 octobre 1998 au 26 février 2001, aurait personnellement passé le 31 août 2000 un ordre d'achat de 60 000 titres SELF TRADE, par téléphone, depuis le Venezuela, au gestionnaire du compte de la société Gala Center International Inc. ouvert au Crédit commercial de France (CCF) du Luxembourg. La société Gala Center a pour seule fonction de détenir les actifs financiers de M. Breguet, « environ cent vingt millions de francs », et M. Breguet est le signataire du mandat de gestion confié par la société Gala Center International Inc. au CCF du Luxembourg. Cet ordre aurait été exécuté dans sa totalité le 4 septembre 2000.
Le résultat de ces investigations a conduit le directeur général de la Commission des opérations de bourse, en application de l'article 5 du décret n° 90-263 du 23 mars 1990 relatif à la procédure de sanctions administratives prononcées par la Commission des opérations de bourse, modifié par le décret n° 2000-721 du 1er août 2000, à demander au président, par lettre du 25 juin 2001, de désigner parmi les membres de la commission un rapporteur chargé, après examen du dossier, de notifier d'éventuels griefs à la ou aux personnes mises en cause. Le 25 juin 2001, le président de la commission a nommé M. Jean-Paul Redouin en qualité de rapporteur.
Le rapporteur a notifié le 25 octobre 2001 à M. Gilles Breguet les griefs liés à l'utilisation d'une information privilégiée par une personne la détenant à raison de sa qualité de membre d'un organe de direction d'un émetteur, sur le fondement de l'article 2 du règlement n° 90-08 de la Commission des opérations de bourse relatif à l'utilisation d'une information privilégiée.
En réponse à la notification de griefs, M. Gilles Breguet, représenté par Me Jean Veil, a présenté des observations écrites, le 13 novembre 2001.
En premier lieu, sur la procédure, Me Veil invoque la violation du principe de la présomption d'innocence par le service de l'inspection de la commission au motif que son rapport contient les formules suivantes :
- « Un complément d'information demandé par la commission aux autorités luxembourgeoises a révélé que M. Breguet avait en fait personnellement transmis l'ordre d'achat des titres SELF TRADE le 1er septembre 2000, le client (M. Gilles Breguet) a fait état.. » ;
- « Cet ordre, reçu le 1er septembre à 9 h 50, a été exécuté le lundi 4 septembre 2000 » ;
- « Ces éléments sont susceptibles de qualifier le comportement de M. Gilles Breguet au regard de l'article 10-1, alinéa 1, de l'ordonnance du 28 septembre 1967... ».
En second lieu, sur le fond, M. Breguet soutient qu'il n'aurait pas passé d'ordre d'achat sur des actions SELF TRADE depuis le Venezuela, mais que ce serait son correspondant téléphonique et gérant de portefeuille, M. Souillard, que lui-même a appelé depuis le Venezuela au Luxembourg, qui, de sa propre initiative, aurait décidé d'acheter pour le compte de la société Gala Center Internation Inc. des actions SELF TRADE.
Un courrier adressé depuis Genève le 30 octobre 2001 par ce gérant de portefeuille du CCF du Luxembourg, M. Souillard, à son client, M. Breguet, lui-même résident suisse, est déposé en procédure ; M. Souillard y expose - à la demande de M. Breguet - que l'appel téléphonique que lui a adressé le 31 août 2000 M. Breguet depuis le Venezuela concernait « l'évolution favorable du cours de SELF TRADE » et que c'est lui-même, M. Souillard, qui a décidé de ce fait d'acheter 60 000 titres SELF TRADE pour le compte de la société Gala Center International Inc.
En réponse au rapport du rapporteur communiqué à M. Breguet en date du 14 mars 2002, Me Jean Veil a déposé des observations, le 12 avril 2002, portées à la connaissance du rapporteur le 15 avril 2002.
M. Breguet conteste à la fois l'existence et l'exploitation de l'information privilégiée.
M. Breguet soutient que :
- les négociations entre SELF TRADE et DAB étaient publiques au moment de l'achat des 60 000 titres auquel il a procédé ;
- l'information était imprécise du fait que la proposition initiale chiffrée de DAB du 30 août 2000 n'avait pas été formalisée, « seule éventuellement l'offre de DAB du 5 septembre 2000 pourrait constituer l'information précise ». Une attestation de M. Jan Bruneheim, directeur financier de SELF TRADE (du 1er octobre 1999 au 12 janvier 2001), en date du 28 mars 2002, est nouvellement déposée en procédure. Celui-ci déclare que c'est cette proposition de DAB du 5 septembre 2000 qui a été finalement étudiée par le conseil de surveillance de SELF TRADE ;
- malgré de forts volumes d'échanges entre les 22 août et 12 septembre 2000, les « 60 000 actions acquises par Gala Center International Inc. [qui] semblent être les seules à faire l'objet de poursuites » ;
- M. Breguet n'a pas transmis d'information privilégiée à M. Souillard ; M. Breguet dépose en procédure un nouveau témoignage écrit, manuscrit daté du 20 mars 2002 et accompagné d'une photocopie du passeport de M. Souillard ;
- les 60 000 titres achetés par M. Breguet ont été apportés à l'offre publique d'échange.
M. Breguet produit une autre attestation de M. Jan Bruneheim du 21 mars 2002, par laquelle celui-ci déclare « en décembre 2000, lors des apports des actions SELF TRADE à l'échange avec DAB : "c'est moi qui ai constaté que la société Gala Center a apporté 60 000 titres de plus que ce prévu au contrat d'apport ».
II. - La décision
Sur la procédure :
Considérant que la phase d'enquête menée par le service de l'inspection n'est pas accusatoire et ne donne pas lieu à la formulation de griefs ; que ce n'est que dans une seconde phase, après examen du rapport d'enquête par le rapporteur de la commission, que celui-ci notifie éventuellement des griefs dans le respect de la présomption d'innocence ; qu'en l'espèce la notification des griefs adressée à M. Gilles Breguet répond parfaitement aux exigences posées par la CEDH ; qu'aucune nullité ne peut ainsi être encourue au motif de la violation de la présomption d'innocence par le service de l'inspection de la commission ;
Considérant que M. Breguet soulève l'argument selon lequel, malgré de forts volumes d'échanges entre les 22 août et 12 septembre 2000, les « 60 000 actions acquises par Gala Center International Inc. [qui] semblent être les seules à faire l'objet de poursuites » ;
Considérant qu'il convient toutefois de relever que d'autres poursuites pourraient intervenir dans le cas où des preuves viendraient conforter les suspicions pouvant exister par ailleurs ;
Considérant que M. Breguet soulève l'absence de transmission d'information privilégiée ;
Considérant que la procédure de sanction à l'encontre de M. Breguet a pour fondement l'utilisation par celui-ci d'une information privilégiée et non la communication d'information privilégiée par M. Breguet à M. Souillard ;
Considérant que ces moyens ne peuvent ainsi être accueillis ;
Sur le fond des griefs allégués :
Considérant que, selon les articles L. 621-14 et L. 621-15 du code monétaire et financier, la Commission des opérations de bourse peut sanctionner les pratiques contraires à ses règlements lorsque celles-ci ont notamment pour effet de porter atteinte à l'égalité d'information et de traitement des investisseurs ou à leurs intérêts et de procurer un avantage qui n'aurait pas été obtenu dans le cadre normal du marché ;
Considérant que l'article 2, premier alinéa, du règlement n° 90-08 énonce que « les personnes disposant d'une information privilégiée à raison de leur qualité de membres des organes d'administration, de direction, de surveillance d'un émetteur, ou à raison des fonctions qu'elles exercent au sein d'un tel émetteur doivent s'abstenir d'exploiter, pour compte propre ou pour compte d'autrui, une telle information sur le marché, soit directement, soit par personne interposée, en achetant ou en vendant des titres de cet émetteur, ou des produits financiers liés à ce titre » ; que l'article 1er du règlement précité qualifie d'information privilégiée « une information non publique, précise, concernant un ou plusieurs émetteurs, une ou plusieurs valeurs mobilières, un ou plusieurs contrats à terme négociables, un ou plusieurs produits financiers cotés qui, si elle était rendue publique, pourrait avoir une incidence sur le cours de la valeur, du contrat ou du produit financier concerné » ;
Considérant que le comportement de M. Gilles Breguet doit être examiné au regard des textes qui viennent d'être rappelés ;
Sur l'existence et la détention d'une information privilégiée :
Considérant, en l'espèce, que l'information privilégiée était relative aux négociations en cours entre la société allemande DAB et la société SELF TRADE, connues de M. Breguet en sa qualité de président du conseil de surveillance de SELF TRADE, ainsi qu'il l'a lui-même indiqué lors de son audition par le service de l'inspection de la commission le 15 mars 2001 ;
Considérant que l'information conserve un caractère « non public » tant qu'elle n'est pas diffusée dans le public ; qu'il est démontré que l'intéressé, qui l'a reconnu en audition, détenait, en connaissance de cause, en sa qualité de président du conseil de surveillance de la société SELF TRADE, cette information, ainsi que l'exige l'article 5 du règlement n° 90-08 précité ;
Considérant que le public attendait d'éventuels rapprochements dans ce secteur, qui n'avaient pas encore eu lieu, mais ne connaissait évidemment pas l'information portant précisément sur la perspective d'un rapprochement entre DAB et SELF TRADE ;
Considérant que le rapporteur a ainsi indiqué dans son rapport oral qu'il était évident, dans le contexte de la démonstration qu'il avait articulée, que figurait en page 10, 4e ligne, de son rapport une faute de frappe puisqu'il faut y lire « le rapprochement de deux courtiers en ligne était très attendu du public » et non « le rapprochement des deux courtiers en ligne était très attendu du public », ainsi qu'il a malencontreusement été indiqué à la suite d'une erreur de dactylographie ;
Considérant que la consultation de la revue de presse figurant au dossier montre bien qu'aucun élément relatif au rapprochement entre DAB et SELF TRADE n'était porté à la connaissance du public à la date du 31 août 2000 ;
Considérant que l'ordre d'achat a été passé le 31 août 2000 et exécuté le 4 septembre 2000 alors que l'offre publique d'échange sur les titres SELF TRADE a été déposée par la société DAB le 13 septembre 2000, celle-ci ayant communiqué à la société SELF TRADE dès le 30 août 2000 une offre de rapprochement ;
Considérant que l'article 1er du règlement n° 90-08 précité vise la détention d'une information « précise » ; que le caractère précis s'entend « d'un projet suffisamment défini entre les parties pour avoir des chances raisonnables d'aboutir, peu important l'existence d'aléas, inhérents à toutes opérations de cette nature, quant à la réalisation effective de ce projet » (CA Paris, 26 mai 1993, Picciotto ; CA Paris, 2 avril 1997, Lesage) ;
Considérant, en l'espèce, que M. Breguet était informé de l'évolution du processus de négociations en vue de la reprise de SELF TRADE par l'établissement financier DAB ; que, lors de son audition par le service de l'inspection le 12 mars 2001, le président de SELF TRADE au moment des faits, M. Charles Beigbeder, déclarait : « Concernant plus précisément les négociations de l'été 2000, je vous confirme que M. Breguet était parfaitement au courant de leur existence et était informé par mes soins très régulièrement de leur avancée, des difficultés rencontrées, et des offres qui ont été faites. Ainsi et pour exemple, je l'ai informé de l'offre de la société DAB en date du 30 août 2000 puis de l'offre de FIMATEX en date du 1er septembre 2000 » ; que M. Breguet a admis, lors de son audition par le service de l'inspection de la commission le 15 mars 2001, que « concernant les négociations [...] il est bien clair que [j'étais] parfaitement informé de leur principe, de leur déroulement, et des différents événements et, notamment, les offres des sociétés DAB et FIMATEX » ;
Considérant que l'article 1er du règlement n° 90-08 précité vise la détention d'une information qui, « si elle était rendue publique, pourrait avoir une incidence sur le cours de la valeur » ; que le 4 septembre 2000, date à laquelle il a acquis sur le marché la totalité des 60 000 titres SELF TRADE demandés, M. Breguet, informé de la volonté de DAB de lancer une offre publique d'échange sur les titres de la société SELF TRADE, était, à raison de sa qualité de membre d'un organe de direction d'un émetteur, en possession d'une information privilégiée au sens de la réglementation applicable, c'est-à-dire d'une information non publique, précise et de nature à avoir une incidence sur le cours de l'action SELF TRADE si elle était rendue publique ;
Considérant que l'information selon laquelle la société DAB adressait à la société SELF TRADE une offre publique d'échange de ses titres était, le 30 août 2000, précise, confidentielle et de nature à avoir une incidence sur le cours du titre SELF TRADE si elle était révélée au public ; que toute offre est en effet de nature, au moment où elle est annoncée au public, à avoir une incidence sur le cours ; qu'elle constituait, en conséquence, une information privilégiée que M. Breguet, à raison des fonctions qu'il exerçait, ne devait pas exploiter en intervenant sur le marché du titre SELF TRADE ;
Considérant qu'il importe peu que l'offre présentée oralement et de manière informelle par DAB aux dirigeants de SELF TRADE le 30 août 2000 ne corresponde pas point par point au détail de l'ordre effectivement réalisée par la suite ; que ce qui compte c'est que M. Breguet ait été, à titre privilégié, informé de la mise en oeuvre prochaine d'une telle offre, cette circonstance suffisant à créer une perspective positive d'évolution du cours du titre dès que la nouvelle, quelles qu'en soient les modalités d'exécution finales, serait connue du public ; qu'à cet égard, l'attestation déposée par M. Jan Bruneheim datée du 28 mars 2002 est inopérante ;
Sur l'exploitation de l'information privilégiée :
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 2 du règlement n° 90-08 précité que « les personnes disposant d'une information privilégiée (...) à raison des fonctions qu'elles exercent au sein d'un tel émetteur doivent s'abstenir d'exploiter, pour compte propre ou pour compte d'autrui, une telle information sur le marché, soit directement, soit par personne interposée, en achetant ou en vendant des titres de cet émetteur (...) » ;
Considérant que l'article 2 du règlement précité définit l'exploitation d'une information privilégiée comme étant l'acte qu'exécute une personne « en achetant ou en vendant » des titres d'un émetteur ;
Considérant que, lors de son audition par le service de l'inspection, M. Breguet a affirmé que « l'ordre d'achat des titres SELF TRADE a été passé par le gérant du compte de la société Gala Center International au Crédit commercial de France du Luxembourg, M. Jean Souillard. En aucun cas je n'ai moi-même passé cet ordre, ni lui ai indiqué, à quelque moment, qu'il convenait qu'il achète des titres SELF TRADE. Néanmoins, je dois mentionner que le 30 ou le 31 août, alors que j'étais au Venezuela, le directeur financier de SELF TRADE m'a mentionné au cours d'une communication téléphonique que notre cours, qui souffrait jusque-là, se comportait un peu mieux, puisqu'il était remonté aux alentours de douze euros. Dans la foulée, j'ai appelé M. Jean Souillard et j'ai laissé un message sur son répondeur, lui demandant comment se comportait mon portefeuille et s'il faisait aussi bien que SELF TRADE » ;
Considérant que, dans ses observations écrites formulées par Me Veil, M. Breguet ne conteste pas l'existence de l'ordre d'achat exécuté le 4 septembre, mais prétend qu'il n'a pas donné lui-même cet ordre car le gestionnaire du compte, M. Jean Souillard, aurait agi de sa propre initiative ;
Considérant que M. Souillard a rédigé le 1er septembre 2000 une note de compte rendu d'un message téléphonique laissé par M. Breguet sur son répondeur ; que le texte figurant sur cette note, transmise par la Commission de surveillance du secteur financier luxembourgeoise à la COB, par courrier du 23 mai 2001, est le suivant :
« Point de situation sur les premières opérations de gestion initiées sur le nouveau compte géré + crédit. Tenter de concentrer les opérations sur des montants plus importants (éviter la dispersion) ;
Fait état de l'évolution favorable de SELF TRADE conformément aux engagements précédents, se montre favorable au renforcement de la participation ;
Acheter 60 000 titres au mieux soignant en fonction du marché » ;
Considérant qu'il apparaît dans ce document, d'une part, que M. Breguet a « fait état de l'évolution favorable de SELF TRADE » et « se montre favorable au renforcement de la participation » et, d'autre part, et en conséquence (ce lien étant matérialisé par le signe ) qu'il faut « acheter 60 000 titres au mieux soignant en fonction du marché » ;
Considérant que, pour contester la signification du compte rendu du message téléphonique transmis par la Commission luxembourgeoise de surveillance du secteur financier à la COB, M. Breguet dépose tout d'abord en procédure une première lettre entièrement dactylographiée, revêtue de la signature de M. Souillard, datée du 30 octobre 2001 et précisant à l'intention de M. Breguet :
« ..., vous souhaitiez faire le point sur la situation économique en général, et plus particulièrement sur les investissements dont nous avions discuté préalablement avant l'été, insistant sur le fait que vous ne souhaitiez pas trop vous disperser dans la répartition des postes.
Dans ce même message, vous avez fait état de l'évolution favorable du cours de SELF TRADE, confirmant ainsi la bonne marche de l'entreprise constatée quelques mois plus tôt.
Considérant cet environnement, j'ai donc décidé d'affecter le solde disponible à l'investissement à l'achat d'actions SELF TRADE, en initiant un ordre de 60 000 titres exécutés le 4 septembre, et dont vous avez eu connaissance quelques mois plus tard ; »
Considérant que Me Jean Veil en conclut que « le document étali le 1er septembre 2000 n'est pas une retranscription fidèle du message laissé par M. Gilles Breguet. Pour les deux premiers paragraphes (ceux précédés d'un titre), il en constitue une synthèse et certainement pas une transcription fidèle, mot à mot. En ce qui concerne le troisième paragraphe (séparé des deux premiers par un espace plus important et précédé d'une flèche), il s'agit d'une mention du gestionnaire du compte rappelant sa décision d'achat » ;
Considérant qu'il convient tout d'abord de relever que ce premier courrier est non manuscrit, dépourvu d'en-tête « CCF du Luxembourg » et porte l'indication dactylographiée « Genève, le 30 octobre 2001 », soit une date postérieure de 4 jours seulement à la signature le 26 octobre 2001 de l'accusé de réception de la notification de griefs adressée par le rapporteur à M. Breguet ; que, sur la forme, il doit être observé en outre que ce courrier ne répond à aucune des exigences ordinaires requises d'un document destiné à rapporter valablement une preuve ; qu'un tel document doit en principe être entièrement rédigé de la main de son signataire, revêtu de la mention selon laquelle ce dernier a pleine connaissance de ce que le document qu'il a rédigé est destiné à être produit dans le cadre d'un contentieux et être accompagné de la photocopie d'une pièce justifiant l'identité de son signataire ; que ce courrier n'est d'ailleurs pas revêtu de l'autorisation qui doit être nécessairement donnée par l'auteur de la missive à son destinataire pour l'autoriser à en faire état auprès de tierces personnes ; que toutes ces exigences de forme garantissent la crédibilité des éléments figurant dans le document présenté ; qu'aucune d'entre elles n'est ici respectée ;
Considérant au surcroît que sur le fond il est d'ores et déjà établi dans la procédure que la mention figurant dans ces courriers, sous la signature de M. Souillard, selon laquelle M. Breguet n'aurait eu connaissance de l'achat des 60 000 titres exécuté le 4 septembre que « quelques mois plus tard » est fausse ; que M. Breguet a en effet indiqué aux inspecteurs de la commission lors de son audition du 15 mars 2001 que, « au cours du mois de septembre, après être rentré à Paris, j'ai à nouveau contacté M. Souillard, au cours de la première semaine de septembre, me semble-t-il, et il m'a alors expliqué qu'il avait acheté des titres SELF TRADE sans me préciser combien. J'ai pensé qu'il avait fait une erreur compte tenu du fait que le cours avait déjà monté et eu égard au fait que j'étais informé des négociations en cours » ; que la crédibilité de ce courrier doit être appréciée également à partir de la constatation de ce que le gestionnaire, M. Souillard, a un intérêt majeur à conserver le client ainsi que le mandat de gestion signé par M. Breguet ;
Considérant que, en réponse aux éléments que le rapporteur soulignait dans son rapport en ce sens, M. Breguet a déposé le 12 avril 2002 en procédure une nouvelle attestation de M. Souillard, manuscrite et assortie de la photocopie de son passeport français, qui reprend sur le fond les éléments précédemment développés de manière dactylographiée le 30 octobre 2001 ;
Considérant que l'adaptation, pour répondre à la critique du rapporteur, dans la forme, de l'attestation produite par M. Souillard ne saurait, à elle seule, avoir pour effet de crédibiliser sur le fond le fait que M. Breguet n'aurait pas passé d'ordre à M. Souillard, dans la mesure où un tel témoignage a posteriori ne peut rapporter une preuve contraire au document de compte rendu de message téléphonique transmis par la Commission de surveillance luxembourgeoise à la COB ; que ce compte rendu énonce en effet clairement et notamment que M. Breguet « se montre favorable au renforcement de la participation » ; que ce document établi par M. Souillard en temps réel en dehors de tout contexte de poursuites engagées à l'encontre de son client doit primer sur toute considération ultérieure de circonstance ;
Considérant que les deux premiers tirets du compte rendu téléphonique rédigé par M. Souillard à partir du message qui lui avait laissé M. Breguet depuis le Venezuela, et dont la teneur n'est pas contestée, suffisent à caractériser l'exploitation de l'information privilégiée par M. Breguet, l'indication « se montre favorable au renforcement de la participation » caractérisant en effet cette exploitation ; que M. Breguet a ainsi clairement attiré l'attention de son gestionnaire sur le titre SELF TRADE afin qu'il renforce son portefeuille en actions SELF TRADE ;
Considérant que M. Breguet, en qualité de détenteur d'une information privilégiée, avait l'obligation de s'abstenir de manière absolue de faire état de l'évolution positive de l'action SELF TRADE et que le simple fait d'avoir indiqué à son propre gestionnaire de portefeuille qu'il était « favorable au renforcement de la participation » constitue une exploitation de cette information ; qu'il n'est pas crédible que la mention « Acheter 60 000 titres au mieux soignant en fonction du marché » corresponde à autre chose qu'à un ordre direct passé par M. Breguet ;
Considérant qu'il est donc établi, et ceci n'est pas contesté, que M. Breguet a ainsi invité son gestionnaire à passer l'ordre d'achat exécuté le 4 septembre 2000 ; que l'exploitation de l'information privilégiée par M. Breguet est ainsi d'ores et déjà caractérisée jusque et y compris dans les termes admis par la défense ;
Considérant que sur le fondement d'une lecture qui donne un sens au compte rendu du message téléphonique laissé par M. Breguet à son gestionnaire, il apparaît que l'ordre d'achat des 60 000 titres SELF TRADE émane directement de M. Breguet, d'autant que le mandat de gestion liant Gala Center International Inc. à la banque CCF du Luxembourg prévoit expressément la possibilité pour le client de donner lui-même des instructions à exécuter sur le marché : l'article 4 du contrat de gestion prévoit que : « Au cas où le client donne des instructions spécifiques à la banque, celle-ci est déliée de toute obligation de conseil et de renseignement » ;
Considérant au surcroît que l'exploitation d'une information privilégiée par M. Breguet serait établie même dans le cas où serait retenue la lecture minimale, restrictive et non crédible du compte rendu téléphonique qu'il propose car le gestionnaire n'aurait pas pris de lui-même l'initiative d'acheter ces titres s'il n'avait pas eu conscience du message laissé par son client ; que l'exploitation de l'information privilégiée est donc en tout cas caractérisée à l'encontre de M. Breguet ;
Considérant que l'emploi des titres acquis grâce à une information privilégiée est indifférent à la caractérisation du manquement d'initié ; que, tout au plus, cette circonstance permet d'établir une référence au profit escompté pour fixer le montant de la sanction pécuniaire encourue, dans le cas où le profit en cause serait directement lié à une revente ;
Considérant, en l'espèce, que la défense de M. Breguet a consisté, en premier lieu, à avancer qu'il n'a pas tiré profit de ces 60 000 titres puisqu'il ne les a pas apportés à l'offre de la société DAB ; qu'ainsi, dans ses observations déposées le 13 novembre 2001, M. Breguet exposait : « surtout, il est invraisemblable que M. Gilles Breguet ait pu donner un ordre d'achat de titres pour ensuite ne pas les apporter lors du contrat de cession et de l'offre publique. Cette abstention témoigne définitivement de son ignorance de l'achat et est particulièrement significative pour apprécier l'inexistence du manquement reproché » ; qu'en second lieu, M. Breguet a affirmé dans ses observations déposées le 12 avril 2002 que : « Précisément, l'apport à l'offre de ces 60 000 titres avec les autres titres détenus par Gala Center International Inc. démontre justement l'absence de manquement » ;
Considérant que M. Charles Beigbeder, président de SELF TRADE au moment des faits, a indiqué lors de son audition par le service de l'inspection le 12 mars 2001 (cote 1341), d'une part, que « alors qu'à moi-même et à mon épouse il nous manquait 16 492 titres à apporter à DAB [...], GCI Inc. (Gala center In.) me les a cédés, les prenant sur son stock restant de 60 000 titres » et, d'autre part, que : « lorsque nos avocats ont collecté les titres des actionnaires signataires du contrat d'apport avec DAB, ils se sont aperçus que GCI Inc. avait un surplus de 60 000 titres sur le volume qu'il devait livrer, sans que l'on ait d'explications sur l'origine de ce surplus, qui n'a bien sûr pas été apporté » ;
Considérant que l'incertitude qui résulte des déclarations précédentes quant aux démarches effectuées par M. Breguet lors de l'apport à l'offre de la société DAB ne saurait constituer la preuve de sa méconnaissance des opérations litigieuses ; qu'elle traduit sans doute la difficulté d'articuler les engagements contractuels et l'éventuel apport à l'offre publique de titres acquis irrégulièrement ; que si l'apport avait été finalisé, il en serait résulté un profit de 161 400 EUR, pour 60 000 titres SELF TRADE acquis à un cours de 12,81 EUR alors que l'offre de DAB représentait un montant de 15,50 EUR par action SELF TRADE ;
Sur la sanction :
Considérant que, en exploitant une information non connue du marché, M. Breguet a, d'une part, porté atteinte à l'égalité d'information et de traitement des investisseurs et a voulu, d'autre part, se procurer un avantage injustifié qu'il n'aurait pas obtenu dans le cadre normal du marché ;
Considérant que l'opération relevée apparaît contraire à l'article 2 du règlement n° 90-08 relatif à l'utilisation d'une information privilégiée et à l'article L. 621-14 du code monétaire et financier ;
Considérant que, selon l'article L. 621-15 du code monétaire et financier (codifiant l'article 9-2 de l'ordonnance du 28 septembre 1967), le montant de la sanction pécuniaire doit être fonction de la gravité du manquement commis et en relation avec les avantages ou les profits tirés de ce manquement ;
Considérant que M. Breguet n'a pas pu réaliser de profit du fait de la survenance, qu'il n'avait pu prévoir, postérieurement au déclenchement de l'offre, de fluctuations du titre à la baisse liées à la prise de conscience par le marché du contexte de fragilisation générale des valeurs de la nouvelle économie ;
Considérant que, compte tenu de ces circonstances, il sera fait une juste application du principe de proportionnalité en fixant le montant de la sanction pécuniaire à 100 000 EUR ;
Par ces motifs et après en voir délibéré, sous la présidence de M. Michel Prada et en présence de Mme Christine Thin, MM. Jacques Delmas-Marsalet, Jean-François Lepetit, Antoine Bracchi, Pierre Bonafe et Christophe Viellard, membres de la Commission des opérations de bourse,
Décide :
- de prononcer à l'encontre de M. Gilles Breguet une sanction pécuniaire d'un montant de 100 000 EUR ;
- de publier la présente décision au Bulletin mensuel de la commission et au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris, le 16 avril 2002.
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