JORF n°0154 du 5 juillet 2022

  1. Selon la décomposition présentée par le Gouvernement, cet écart s'explique pour une faible part (0,1 point) par les mesures ponctuelles et temporaires, et pour une part importante (2,3 points) par sa composante conjoncturelle : malgré le rebond important de l'activité en 2021, le PIB reste en moyenne inférieur (de 3,3 %) au PIB potentiel inscrit dans la LPFP, alors que la LPFP prévoyait un PIB supérieur de 0,1 point au PIB potentiel en 2021. Le Haut Conseil doit en effet, selon les termes de la loi organique de décembre 2012, s'appuyer sur l'estimation du PIB potentiel contenue dans la LPFP, bien que cette dernière ait été rendue obsolète par la crise sanitaire.

Graphique 4. - Trajectoire du PIB potentiel (base 100 en 2019) inscrit dans la LPFP et du PIB observé (en moyenne annuelle et en volume)
Source : Insee, LPFP de janvier 2018, RESF de septembre 2021
Vous pouvez consulter l'image dans le fac-similé du

JOnº 0154 du 05/07/2022, texte nº 10218. La plus grande part de l'écart (3,1 points) est imputable au solde structurel, estimé à - 4,4 points de PIB, contre une prévision de - 1,2 point en LPFP. Celui-ci provient intégralement de la hausse des dépenses structurelles (4,1 points d'écart à la LPFP), quelque peu compensée par la hausse des recettes structurelles (0,9 point d'écart à la LPFP).

Tableau 3. - Décomposition de l'écart du solde structurel à la LPFP en recettes et dépenses structurelles (en points de PIB potentiel)

Source : Gouvernement.

| | 2019 |2020| 2021 | |----------------------------------------------------------|------|----|------| | Écart du solde structurel à la LPFP (% du PIB potentiel) |- 0,6|0,5 |- 3,1| |dont écart des recettes structurelles (% du PIB potentiel)| 0,3 |0,2 | 0,9 | |dont écart des dépenses structurelles (% du PIB potentiel)|- 0,9|0,3 |- 4,1|

  1. Appréciations relatives à l'écart entre le solde structurel et celui de la loi de programmation des finances publiques

  2. En application de la loi organique du 17 décembre 2012, le Haut Conseil se prononce sur la cohérence de la trajectoire de solde structurel observé avec celle de la loi de programmation en vigueur, celle du 22 janvier 2018 pour les années 2018 à 2022. L'article 23 de la loi organique indique que, dans son avis sur la loi de règlement, le Haut Conseil doit tenir compte, le cas échéant, des circonstances exceptionnelles mentionnées à l'article 3 du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG).

  3. Saisi par le Gouvernement à l'occasion de l'avis sur le premier projet de loi de finances rectificative pour 2020, le Haut Conseil avait estimé que la crise sanitaire et ses répercussions économiques et financières relevaient bien de telles circonstances exceptionnelles.

  4. Le Haut Conseil constate que l'écart (- 3,1 points) entre le solde structurel estimé pour 2021 et celui prévu dans la loi de programmation est nettement supérieur en valeur absolue au seuil de 0,5 point de PIB et qu'il doit donc être considéré comme important au sens de la loi organique.

  5. Il note toutefois qu'en 2021 la crise sanitaire a continué d'entraver substantiellement l'activité économique en France et que la situation des finances publiques a ainsi continué d'être affectée par ces circonstances exceptionnelles. Il relève que la clause dérogatoire générale, qui permet aux Etats membres de l'Union européenne de déroger aux obligations qui s'appliqueraient normalement au titre du cadre budgétaire européen, est restée en vigueur en 2021. En conséquence, le Haut Conseil considère qu'il n'y a pas lieu de déclencher le mécanisme de correction, ce que l'écart important entre le solde structurel estimé pour 2021 et celui prévu dans la loi de programmation aurait dû, en temps normal, le conduire à faire.

  6. Le Haut Conseil souligne que la clause de circonstances exceptionnelles résultant de la crise sanitaire de 2020 et 2021 ne saurait cependant s'appliquer sans limite de temps, au risque de priver de sens la programmation des finances publiques et de limiter la portée et l'efficacité des dispositions de la loi organique, et notamment du mécanisme de correction prévu par son chapitre IV. Il invite en conséquence le Gouvernement à préciser, à l'occasion de ses prochains textes financiers, les critères de levée ou de maintien de la clause de circonstances exceptionnelles. Il importe que celles-ci se réfèrent à des événements très significatifs affectant le contexte macroéconomique et la situation des finances publiques, et non à des choix de politique budgétaire indépendants de ceux-ci.

  7. L'évaluation du déficit structurel (4,4 points de PIB potentiel) présentée par le Gouvernement pour 2021 est supérieure de 3,1 points à la prévision retenue dans la loi de programmation des finances publiques (LPFP) du 22 janvier 2018 (1,2 point). Cet écart est très nettement supérieur à 0,5 point de PIB. Il doit donc être considéré comme important au sens de l'article 23 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012.

  8. Le Haut Conseil constate que la situation des finances publiques a continué d'être nettement affectée en 2021 par la crise sanitaire et considère donc que les circonstances exceptionnelles mentionnées à l'article 3 du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) sont, comme en 2020, réunies en 2021. En conséquence, il estime que, bien que l'écart du solde structurel à celui de la LPFP soit important, il n'y a pas lieu de déclencher le mécanisme de correction au titre de l'exercice 2021.

  9. Le Haut Conseil estime que le pilotage des finances publiques nécessite que la clause de circonstances exceptionnelles ne s'applique pas de manière permanente. Il invite en conséquence le Gouvernement à préciser rapidement les critères de levée ou de maintien de cette clause.

III. - Observations sur l'évaluation du solde structurel

  1. Ainsi qu'il l'a déjà noté lors de ses précédents avis, l'évaluation du solde structurel présentée par le Gouvernement est brouillée en 2020 et 2021 du fait des évolutions exceptionnelles entraînées par la crise sanitaire, mais aussi des choix du Gouvernement concernant la définition des mesures ponctuelles et temporaires (cf. encadré pour une analyse de l'impact de ces évolutions et de ces choix).
  2. Les difficultés rencontrées en 2020 et 2021 pour mesurer le solde structurel sont certes pour partie imputables à la crise sanitaire, mais reflètent aussi des difficultés récurrentes d'application de la notion de solde structurel pour piloter les finances publiques. Notamment parce qu'elle repose sur des données inobservables, la mesure du solde structurel est toujours fragile. Son calcul dépend en effet de l'estimation de l'écart au PIB potentiel (output gap), donnée inobservable et, de plus, sujette à révisions. Par ailleurs l'estimation du solde conjoncturel (qui doit être retiré du solde effectif pour conduire au solde structurel) repose sur une estimation moyenne sur longue période des élasticités à la conjoncture des prélèvements obligatoires et des dépenses, qui peut s'éloigner sensiblement de celles observées une année donnée.
  3. Cette situation confirme l'intérêt des réflexions en cours au niveau européen sur les règles budgétaires européennes. En effet, consciente des limites de la notion de solde structurel, de la difficulté à évaluer correctement la position dans le cycle économique, et des autres critiques adressées aux règles européennes, perçues comme trop complexes et ne prenant pas suffisamment en compte la situation particulière de chacun des pays auxquels elles s'appliquent, notamment à l'issue de la crise sanitaire, la Commission a rouvert en octobre dernier le débat sur la gouvernance économique de l'Union européenne. Elle devrait faire des propositions de réforme prochainement, sur la base des premiers éléments de consensus apparus entre les Etats membres au sein de l'Eurogroupe et du conseil ECOFIN et qui ont été présentés par plusieurs intervenants à la conférence que le Haut Conseil a organisée le 10 mai 2022 conjointement avec le réseau des institutions budgétaires indépendantes de l'Union européenne (4). Les règles budgétaires européennes s'attacheraient à être mieux adaptées à la situation des Etats membres et donneraient plus de poids à une règle portant sur la croissance des dépenses nette des mesures affectant les prélèvements obligatoires.

| Encadré : éléments d'analyse de l'évaluation du solde structurel en 2020 et 2021 | |:----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------:| |Comme l'a relevé le Haut Conseil dans ses avis précédents, l'évaluation du solde structurel est rendue particulièrement fragile par le contexte de crise sanitaire ainsi que par les changements de mode de comptabilisation du plan de soutien d'urgence entre 2020 et 2021.
L'amélioration du solde structurel en 2020 résulte du fait que l'impact de la crise sanitaire sur les dépenses ne se limite pas aux mesures du plan de soutien d'urgence, comptabilisées par le Gouvernement dans les mesures exceptionnelles et temporaires.
En effet, les restrictions sanitaires ont réduit en 2020 certaines dépenses publiques de fonctionnement et d'investissement qui ont été empêchées par le confinement. Les dépenses d'investissement des administrations publiques locales ont notamment été pénalisées par l'indisponibilité des entreprises du BTP pour mener à bien certains chantiers. Les dépenses d'activité partielle, enregistrées en mesures ponctuelles et temporaires, donc n'affectant pas le solde structurel, se sont par ailleurs substituées aux dépenses d'indemnisation du chômage, améliorant ainsi temporairement le solde structurel.
Ces moindres dépenses, de nature exceptionnelle et temporaire mais qui ne relèvent pas de choix publics et ne sont par conséquent pas incluses dans les mesures qualifiées de ponctuelles et temporaires par le Gouvernement, ont contribué à améliorer le solde structurel d'un montant qu'on peut estimer à 0,9 point de PIB (cf. annexe 3 pour des précisions sur les chiffrages présentés dans cet encadré).
De même, la baisse du volume d'activité des administrations publiques au moment des confinements a conduit à creuser d'autant l'écart de production et donc le solde conjoncturel, alors que le montant des dépenses publiques correspondantes en valeur, des prélèvements associés et donc du solde effectif est resté inchangé : la dégradation du solde conjoncturel, à solde effectif inchangé, améliore mécaniquement le solde structurel (+0,5 point de PIB). À l'inverse, la baisse des recettes hors prélèvements obligatoires dégrade tout aussi temporairement le solde structurel (- 0,4 point de PIB), cette baisse étant totalement effacée par leur net rebond en 2021.
L'ensemble de ces facteurs, de nature temporaire, a conduit au total à améliorer le déficit structurel d'un peu plus d'un point de PIB potentiel en 2020, sans que cet effet traduise une amélioration durable. Par ailleurs, la croissance spontanée des prélèvements obligatoires, plus forte que celle du PIB, l'améliore, plus durablement, d'un demi-point environ.
En 2021, à l'inverse, les facteurs temporaires ayant globalement amélioré le solde en 2020 disparaissent presque intégralement et cessent donc de réduire le niveau du déficit, qui s'en trouve ainsi dégradé de près d'un point de PIB en variation par rapport à 2020 (cf. annexe 3). De plus, le Gouvernement ne considère plus, en 2021, les dépenses de soutien d'urgence aux salariés et aux entreprises comme des mesures ponctuelles et temporaires. Ce changement de comptabilisation contribue à dégrader le solde structurel de 2,4 points de PIB potentiel par rapport à 2020. Au-delà de ces effets de contrecoup par rapport à 2020, le plan de relance, net de son financement par l'Union européenne (5), et les baisses de prélèvements obligatoires déjà engagées dégradent le solde structurel de près d'un point de PIB potentiel, tandis que la croissance spontanée des prélèvements obligatoires, de nouveau plus forte que celle du PIB, l'améliore de 0,6 point environ.
Au total, les effets de contrecoup par rapport à 2020, le changement de comptabilisation des mesures de soutien d'urgence et les mesures nouvelles prises en 2021 se conjuguent pour conduire à un fort creusement (3,2 points de PIB potentiel) du déficit structurel affiché en 2021, qui atteint 4,4 points de PIB.|

  1. Le Haut Conseil rappelle, comme dans ses précédents avis, que l'évaluation du solde structurel sur laquelle il est appelé à donner un avis est aujourd'hui fortement brouillée et que celui-ci ne rend pas compte de la situation réelle des finances publiques.
  2. Tout d'abord, l'impact en 2020 de plusieurs facteurs temporaires liés à la crise sanitaire, conjugué au choix fait par le Gouvernement d'exclure l'intégralité des mesures de soutien d'urgence de l'estimation du solde structurel sur la seule année 2020, conduisent à une amélioration en trompe-l'œil du solde structurel en 2020 (de - 2,5 points de PIB potentiel à - 1,1 point) et, à l'inverse, à une dégradation accentuée en 2021 (de - 1,1 point de PIB potentiel à - 4,4 points), notamment parce que les mesures de soutien d'urgence directement liées à la poursuite de la crise pandémique ont été considérées, cette fois, comme affectant ce dernier. La signification du solde structurel sur ces deux années en est altérée.
  3. Ensuite, la crise sanitaire a rendu obsolète l'estimation du PIB potentiel contenue dans la LPFP du 22 janvier 2018, datant donc d'avant la crise sanitaire, alors qu'elle reste la référence sur laquelle le Haut Conseil doit, selon les termes de la loi organique de décembre 2012, s'appuyer pour rendre le présent avis. À cet égard, le Haut Conseil relève que la prise en compte de l'évaluation actualisée du PIB potentiel présentée dans le Rapport économique social et financier pour 2022 conduirait à dégrader le solde structurel d'un point de PIB supplémentaire en 2021 (- 5,4 points de PIB au lieu de - 4,4 points de PIB). Cette situation confirme l'intérêt des réflexions en cours au niveau européen sur les règles budgétaires européennes.
    La soutenabilité de la dette publique suppose une nette réduction du déficit structurel dans les années à venir et notamment une action sur la dépense publique, dont le niveau rapporté au PIB est resté, en 2021, nettement supérieur à son niveau d'avant-crise.

Le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française et transmis au Parlement.


Historique des versions

Version 1

17. Selon la décomposition présentée par le Gouvernement, cet écart s'explique pour une faible part (0,1 point) par les mesures ponctuelles et temporaires, et pour une part importante (2,3 points) par sa composante conjoncturelle : malgré le rebond important de l'activité en 2021, le PIB reste en moyenne inférieur (de 3,3 %) au PIB potentiel inscrit dans la LPFP, alors que la LPFP prévoyait un PIB supérieur de 0,1 point au PIB potentiel en 2021. Le Haut Conseil doit en effet, selon les termes de la loi organique de décembre 2012, s'appuyer sur l'estimation du PIB potentiel contenue dans la LPFP, bien que cette dernière ait été rendue obsolète par la crise sanitaire.

Graphique 4. - Trajectoire du PIB potentiel (base 100 en 2019) inscrit dans la LPFP et du PIB observé (en moyenne annuelle et en volume)

Source : Insee, LPFP de janvier 2018, RESF de septembre 2021

Vous pouvez consulter l'image dans le fac-similé du

JOnº 0154 du 05/07/2022, texte nº 10218. La plus grande part de l'écart (3,1 points) est imputable au solde structurel, estimé à - 4,4 points de PIB, contre une prévision de - 1,2 point en LPFP. Celui-ci provient intégralement de la hausse des dépenses structurelles (4,1 points d'écart à la LPFP), quelque peu compensée par la hausse des recettes structurelles (0,9 point d'écart à la LPFP).

Tableau 3. - Décomposition de l'écart du solde structurel à la LPFP en recettes et dépenses structurelles (en points de PIB potentiel)

Source : Gouvernement.

2019

2020

2021

Écart du solde structurel à la LPFP (% du PIB potentiel)

- 0,6

0,5

- 3,1

dont écart des recettes structurelles (% du PIB potentiel)

0,3

0,2

0,9

dont écart des dépenses structurelles (% du PIB potentiel)

- 0,9

0,3

- 4,1

3. Appréciations relatives à l'écart entre le solde structurel et celui de la loi de programmation des finances publiques

19. En application de la loi organique du 17 décembre 2012, le Haut Conseil se prononce sur la cohérence de la trajectoire de solde structurel observé avec celle de la loi de programmation en vigueur, celle du 22 janvier 2018 pour les années 2018 à 2022. L'article 23 de la loi organique indique que, dans son avis sur la loi de règlement, le Haut Conseil doit tenir compte, le cas échéant, des circonstances exceptionnelles mentionnées à l'article 3 du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG).

20. Saisi par le Gouvernement à l'occasion de l'avis sur le premier projet de loi de finances rectificative pour 2020, le Haut Conseil avait estimé que la crise sanitaire et ses répercussions économiques et financières relevaient bien de telles circonstances exceptionnelles.

21. Le Haut Conseil constate que l'écart (- 3,1 points) entre le solde structurel estimé pour 2021 et celui prévu dans la loi de programmation est nettement supérieur en valeur absolue au seuil de 0,5 point de PIB et qu'il doit donc être considéré comme important au sens de la loi organique.

22. Il note toutefois qu'en 2021 la crise sanitaire a continué d'entraver substantiellement l'activité économique en France et que la situation des finances publiques a ainsi continué d'être affectée par ces circonstances exceptionnelles. Il relève que la clause dérogatoire générale, qui permet aux Etats membres de l'Union européenne de déroger aux obligations qui s'appliqueraient normalement au titre du cadre budgétaire européen, est restée en vigueur en 2021. En conséquence, le Haut Conseil considère qu'il n'y a pas lieu de déclencher le mécanisme de correction, ce que l'écart important entre le solde structurel estimé pour 2021 et celui prévu dans la loi de programmation aurait dû, en temps normal, le conduire à faire.

23. Le Haut Conseil souligne que la clause de circonstances exceptionnelles résultant de la crise sanitaire de 2020 et 2021 ne saurait cependant s'appliquer sans limite de temps, au risque de priver de sens la programmation des finances publiques et de limiter la portée et l'efficacité des dispositions de la loi organique, et notamment du mécanisme de correction prévu par son chapitre IV. Il invite en conséquence le Gouvernement à préciser, à l'occasion de ses prochains textes financiers, les critères de levée ou de maintien de la clause de circonstances exceptionnelles. Il importe que celles-ci se réfèrent à des événements très significatifs affectant le contexte macroéconomique et la situation des finances publiques, et non à des choix de politique budgétaire indépendants de ceux-ci.

24. L'évaluation du déficit structurel (4,4 points de PIB potentiel) présentée par le Gouvernement pour 2021 est supérieure de 3,1 points à la prévision retenue dans la loi de programmation des finances publiques (LPFP) du 22 janvier 2018 (1,2 point). Cet écart est très nettement supérieur à 0,5 point de PIB. Il doit donc être considéré comme important au sens de l'article 23 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012.

25. Le Haut Conseil constate que la situation des finances publiques a continué d'être nettement affectée en 2021 par la crise sanitaire et considère donc que les circonstances exceptionnelles mentionnées à l'article 3 du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) sont, comme en 2020, réunies en 2021. En conséquence, il estime que, bien que l'écart du solde structurel à celui de la LPFP soit important, il n'y a pas lieu de déclencher le mécanisme de correction au titre de l'exercice 2021.

26. Le Haut Conseil estime que le pilotage des finances publiques nécessite que la clause de circonstances exceptionnelles ne s'applique pas de manière permanente. Il invite en conséquence le Gouvernement à préciser rapidement les critères de levée ou de maintien de cette clause.

III. - Observations sur l'évaluation du solde structurel

27. Ainsi qu'il l'a déjà noté lors de ses précédents avis, l'évaluation du solde structurel présentée par le Gouvernement est brouillée en 2020 et 2021 du fait des évolutions exceptionnelles entraînées par la crise sanitaire, mais aussi des choix du Gouvernement concernant la définition des mesures ponctuelles et temporaires (cf. encadré pour une analyse de l'impact de ces évolutions et de ces choix).

28. Les difficultés rencontrées en 2020 et 2021 pour mesurer le solde structurel sont certes pour partie imputables à la crise sanitaire, mais reflètent aussi des difficultés récurrentes d'application de la notion de solde structurel pour piloter les finances publiques. Notamment parce qu'elle repose sur des données inobservables, la mesure du solde structurel est toujours fragile. Son calcul dépend en effet de l'estimation de l'écart au PIB potentiel (output gap), donnée inobservable et, de plus, sujette à révisions. Par ailleurs l'estimation du solde conjoncturel (qui doit être retiré du solde effectif pour conduire au solde structurel) repose sur une estimation moyenne sur longue période des élasticités à la conjoncture des prélèvements obligatoires et des dépenses, qui peut s'éloigner sensiblement de celles observées une année donnée.

29. Cette situation confirme l'intérêt des réflexions en cours au niveau européen sur les règles budgétaires européennes. En effet, consciente des limites de la notion de solde structurel, de la difficulté à évaluer correctement la position dans le cycle économique, et des autres critiques adressées aux règles européennes, perçues comme trop complexes et ne prenant pas suffisamment en compte la situation particulière de chacun des pays auxquels elles s'appliquent, notamment à l'issue de la crise sanitaire, la Commission a rouvert en octobre dernier le débat sur la gouvernance économique de l'Union européenne. Elle devrait faire des propositions de réforme prochainement, sur la base des premiers éléments de consensus apparus entre les Etats membres au sein de l'Eurogroupe et du conseil ECOFIN et qui ont été présentés par plusieurs intervenants à la conférence que le Haut Conseil a organisée le 10 mai 2022 conjointement avec le réseau des institutions budgétaires indépendantes de l'Union européenne (4). Les règles budgétaires européennes s'attacheraient à être mieux adaptées à la situation des Etats membres et donneraient plus de poids à une règle portant sur la croissance des dépenses nette des mesures affectant les prélèvements obligatoires.

Encadré : éléments d'analyse de l'évaluation du solde structurel en 2020 et 2021

Comme l'a relevé le Haut Conseil dans ses avis précédents, l'évaluation du solde structurel est rendue particulièrement fragile par le contexte de crise sanitaire ainsi que par les changements de mode de comptabilisation du plan de soutien d'urgence entre 2020 et 2021.

L'amélioration du solde structurel en 2020 résulte du fait que l'impact de la crise sanitaire sur les dépenses ne se limite pas aux mesures du plan de soutien d'urgence, comptabilisées par le Gouvernement dans les mesures exceptionnelles et temporaires.

En effet, les restrictions sanitaires ont réduit en 2020 certaines dépenses publiques de fonctionnement et d'investissement qui ont été empêchées par le confinement. Les dépenses d'investissement des administrations publiques locales ont notamment été pénalisées par l'indisponibilité des entreprises du BTP pour mener à bien certains chantiers. Les dépenses d'activité partielle, enregistrées en mesures ponctuelles et temporaires, donc n'affectant pas le solde structurel, se sont par ailleurs substituées aux dépenses d'indemnisation du chômage, améliorant ainsi temporairement le solde structurel.

Ces moindres dépenses, de nature exceptionnelle et temporaire mais qui ne relèvent pas de choix publics et ne sont par conséquent pas incluses dans les mesures qualifiées de ponctuelles et temporaires par le Gouvernement, ont contribué à améliorer le solde structurel d'un montant qu'on peut estimer à 0,9 point de PIB (cf. annexe 3 pour des précisions sur les chiffrages présentés dans cet encadré).

De même, la baisse du volume d'activité des administrations publiques au moment des confinements a conduit à creuser d'autant l'écart de production et donc le solde conjoncturel, alors que le montant des dépenses publiques correspondantes en valeur, des prélèvements associés et donc du solde effectif est resté inchangé : la dégradation du solde conjoncturel, à solde effectif inchangé, améliore mécaniquement le solde structurel (+0,5 point de PIB). À l'inverse, la baisse des recettes hors prélèvements obligatoires dégrade tout aussi temporairement le solde structurel (- 0,4 point de PIB), cette baisse étant totalement effacée par leur net rebond en 2021.

L'ensemble de ces facteurs, de nature temporaire, a conduit au total à améliorer le déficit structurel d'un peu plus d'un point de PIB potentiel en 2020, sans que cet effet traduise une amélioration durable. Par ailleurs, la croissance spontanée des prélèvements obligatoires, plus forte que celle du PIB, l'améliore, plus durablement, d'un demi-point environ.

En 2021, à l'inverse, les facteurs temporaires ayant globalement amélioré le solde en 2020 disparaissent presque intégralement et cessent donc de réduire le niveau du déficit, qui s'en trouve ainsi dégradé de près d'un point de PIB en variation par rapport à 2020 (cf. annexe 3). De plus, le Gouvernement ne considère plus, en 2021, les dépenses de soutien d'urgence aux salariés et aux entreprises comme des mesures ponctuelles et temporaires. Ce changement de comptabilisation contribue à dégrader le solde structurel de 2,4 points de PIB potentiel par rapport à 2020. Au-delà de ces effets de contrecoup par rapport à 2020, le plan de relance, net de son financement par l'Union européenne (5), et les baisses de prélèvements obligatoires déjà engagées dégradent le solde structurel de près d'un point de PIB potentiel, tandis que la croissance spontanée des prélèvements obligatoires, de nouveau plus forte que celle du PIB, l'améliore de 0,6 point environ.

Au total, les effets de contrecoup par rapport à 2020, le changement de comptabilisation des mesures de soutien d'urgence et les mesures nouvelles prises en 2021 se conjuguent pour conduire à un fort creusement (3,2 points de PIB potentiel) du déficit structurel affiché en 2021, qui atteint 4,4 points de PIB.

30. Le Haut Conseil rappelle, comme dans ses précédents avis, que l'évaluation du solde structurel sur laquelle il est appelé à donner un avis est aujourd'hui fortement brouillée et que celui-ci ne rend pas compte de la situation réelle des finances publiques.

31. Tout d'abord, l'impact en 2020 de plusieurs facteurs temporaires liés à la crise sanitaire, conjugué au choix fait par le Gouvernement d'exclure l'intégralité des mesures de soutien d'urgence de l'estimation du solde structurel sur la seule année 2020, conduisent à une amélioration en trompe-l'œil du solde structurel en 2020 (de - 2,5 points de PIB potentiel à - 1,1 point) et, à l'inverse, à une dégradation accentuée en 2021 (de - 1,1 point de PIB potentiel à - 4,4 points), notamment parce que les mesures de soutien d'urgence directement liées à la poursuite de la crise pandémique ont été considérées, cette fois, comme affectant ce dernier. La signification du solde structurel sur ces deux années en est altérée.

32. Ensuite, la crise sanitaire a rendu obsolète l'estimation du PIB potentiel contenue dans la LPFP du 22 janvier 2018, datant donc d'avant la crise sanitaire, alors qu'elle reste la référence sur laquelle le Haut Conseil doit, selon les termes de la loi organique de décembre 2012, s'appuyer pour rendre le présent avis. À cet égard, le Haut Conseil relève que la prise en compte de l'évaluation actualisée du PIB potentiel présentée dans le Rapport économique social et financier pour 2022 conduirait à dégrader le solde structurel d'un point de PIB supplémentaire en 2021 (- 5,4 points de PIB au lieu de - 4,4 points de PIB). Cette situation confirme l'intérêt des réflexions en cours au niveau européen sur les règles budgétaires européennes.

La soutenabilité de la dette publique suppose une nette réduction du déficit structurel dans les années à venir et notamment une action sur la dépense publique, dont le niveau rapporté au PIB est resté, en 2021, nettement supérieur à son niveau d'avant-crise.

Le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française et transmis au Parlement.