JORF n°0098 du 22 avril 2020

Synthèse

Le Gouvernement a saisi le Haut Conseil conjointement sur le programme de stabilité et sur un deuxième projet de loi de finances rectificative (2e PLFR) le 9 avril 2020, puis a procédé à deux saisines rectificatives les 10 et 14 avril afin de tenir compte de nouvelles informations survenues dans l'intervalle.

L'incertitude exceptionnellement élevée résultant de la crise sanitaire entraînée par l'épidémie de covid-19 affecte toutes les prévisions macroéconomiques et oblige à les réviser fréquemment.
Le Haut Conseil note que l'hypothèse de l'impact sur le PIB des mesures de restriction des déplacements et de l'activité retenue par le Gouvernement (-3 points de PIB par mois) est cohérente avec les estimations récentes portant sur le premier mois de confinement et que le scénario présenté est construit sur une durée de confinement de huit semaines.
Le Haut Conseil constate que ce scénario économique repose sur l'hypothèse forte d'un retour assez rapide à la normale de l'activité, au-delà du 11 mai. Il suppose en particulier que les mesures de politique économique prises pour faire face à la crise permettront de préserver l'appareil productif et que la demande, tant intérieure qu'étrangère, ne portera pas de séquelles durables de la crise.
Au total, le Haut Conseil relève que, si cette hypothèse forte ne se réalisait pas, la chute d'activité pourrait se révéler supérieure encore à celle de -8 % en 2020 prévue par le Gouvernement.

Le Haut Conseil souligne que les fortes incertitudes qui portent sur les prévisions macroéconomiques affectent le scénario de finances publiques présenté dans le 2e PLFR, notamment s'agissant des recettes fiscales et sociales. Des risques significatifs pèsent également sur le montant des dépenses, résultant en particulier des dispositifs nouveaux mis en place ou de ceux qui pourraient être prochainement décidés pour faire face à la crise. Dès lors, le déficit public pourrait être plus dégradé que prévu par le 2e PLFR (-9 points de PIB).
Le Haut Conseil note que le déficit structurel pour 2020, tel qu'estimé par le Gouvernement, serait identique à celui de 2019. La signification qui s'attache à cette évaluation dans le contexte actuel est néanmoins très limitée. L'évaluation du déficit structurel pourrait être remise en cause par la suite si certaines des dépenses liées à la crise sanitaire étaient pérennisées et si l'évaluation du PIB potentiel devait être revue à la baisse.
Le Haut Conseil relève qu'après une hausse quasi ininterrompue entre 2008 et 2019, le ratio de dette, qui atteignait 98 points de PIB en 2019, augmenterait fortement en 2020 pour atteindre 115 points de PIB.

Observations liminaires

  1. Le Haut Conseil a adopté, après en avoir délibéré lors de sa séance du 14 avril 2020, le présent avis.

  2. Sur le périmètre du présent avis

  3. Le Haut Conseil des finances publiques a été saisi par le Gouvernement le 9 avril 2020, en application de l'article 15 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, de l'article liminaire du deuxième projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2020, et, en application de l'article 17, du projet de programme de stabilité.

  4. Le Gouvernement a adressé au Haut Conseil une première saisine rectificative le 10 avril 2020, pour tenir compte de l'ajout au PLFR de plusieurs mesures nouvelles et de leurs conséquences sur les trajectoires de dépenses, de déficit et de dette publics.

  5. Suite aux décisions annoncées par le Président de la République dans la soirée du 13 avril, le Gouvernement a adressé au Haut Conseil une seconde saisine rectificative le 14 avril pour tenir notamment compte du prolongement du confinement jusqu'au 11 mai et de son impact sur la prévision macroéconomique et de finances publiques.

  6. En application de l'article 15 de la loi organique précité, l'avis au titre du PLFR porte sur les prévisions macroéconomiques et de finances publiques pour l'année en cours. En application de l'article 17 de cette loi organique, le Haut Conseil doit rendre un avis sur les prévisions macroéconomiques pluriannuelles sur lesquelles repose le projet de programme de stabilité, établi au titre de la coordination des politiques économiques des Etats membres de l'Union européenne (1).

  7. Dans le contexte exceptionnel actuel, le format des programmes de stabilité qui doivent être remis en avril 2020 par les Etats membres a été simplifié. Dans sa dernière communication adressée aux Etats membres et diffusée aux institutions budgétaires indépendantes (2), la Commission européenne a ainsi précisé que les programmes de stabilité doivent seulement présenter les grandes lignes des scénarios macroéconomiques et de finances publiques pour l'année 2020 et, si possible, pour l'année 2021 et indiquer les principales mesures budgétaires prises pour remédier aux conséquences de l'épidémie. Le Gouvernement a fait le choix compréhensible de ne présenter de scénario que pour la seule année 2020.

  8. Les prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité pour l'année 2020 et celles associées au deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2020 étant confondues, le présent avis porte sur ces deux textes.

  9. Les travaux du Haut Conseil ont été affectés par les contraintes inhérentes à la période : brièveté des délais, importance des saisines rectificatives en cours d'examen liées au caractère évolutif des informations disponibles.

  10. Sur la méthode utilisée par le Haut Conseil

  11. Afin d'apprécier le réalisme des prévisions macroéconomiques associées au projet de loi de finances rectificatives et au programme de stabilité, le Haut Conseil s'est fondé sur les dernières statistiques disponibles et sur les informations communiquées par le Gouvernement, dans ses saisines et dans les réponses aux questionnaires que leur a adressés le Haut Conseil.

  12. Le Haut Conseil s'est également appuyé sur les travaux de plusieurs organismes ayant produit récemment des prévisions ou des analyses des effets économiques de la pandémie virale au covid-19 : l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), la Banque de France et des instituts de conjoncture tels que Rexecode et l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

  13. Le Haut Conseil a procédé, comme le permet l'article 18 de la loi organique de 2012, aux auditions des représentants des administrations compétentes (direction générale du Trésor, direction du budget et direction de la sécurité sociale) suite à la saisine initiale.

  14. Comme le Haut Conseil l'avait relevé dans son avis sur le premier PLFR pour 2020 (3), la crise sanitaire actuelle se traduit par des incertitudes d'ampleur inédite qui rendent difficile tout exercice de prévision économique et par des chocs qui appellent des réponses budgétaires d'une portée inhabituelle. Ainsi, le Gouvernement a été conduit, dans le cadre du deuxième projet de loi de finances rectificative soumis à l'avis du Haut Conseil moins d'un mois après le précédent, à réviser substantiellement le scénario macro-économique (avec une baisse du PIB pour 2020 passée de 1 % à 8 %) et à nettement relever sa prévision de déficit public (de 3,9 à 9 points de PIB).

  15. Le Haut Conseil relève par ailleurs que ce 2e PLFR pour 2020 n'a pas entendu procéder à une reprogrammation d'ensemble des recettes et des dépenses des administrations publiques suite à la crise sanitaire. Le deuxième projet de loi de finances rectificative ne marque donc pas la fin du processus d'ajustement progressif des lois financières.

  16. Après une brève analyse du contexte général (I), le Haut Conseil formule son appréciation d'une part sur les prévisions macroéconomiques sur lesquelles repose le projet de loi de finances rectificative et le programme de stabilité du Gouvernement (II) et d'autre part sur les prévisions de finances publiques associées (III).

I. - Une crise sanitaire débouchant sur une crise économique mondiale

  1. L'épidémie de covid-19 s'est déclenchée en Chine fin 2019 avant de se répandre très rapidement dans le monde entier. Ses premiers effets économiques ont donc d'abord été perceptibles en Chine puis, à partir du mois de mars, dans le reste du monde et en particulier en Europe.
  2. La crise sanitaire et la mise en place de mesures strictes de confinement, qui restreignent tant les déplacements que l'activité de certains secteurs économiques, ont créé un choc de production et de consommation d'une ampleur exceptionnelle. Hormis quelques secteurs soumis à un surcroît d'activité, la consommation des ménages et l'investissement des entreprises sont fortement contraints. L'appareil productif a été partiellement mis à l'arrêt tant en raison de l'indisponibilité de la main-d'œuvre nécessaire à son fonctionnement que du fait de la baisse de la demande et de la rupture des chaines d'approvisionnement.
  3. Ces évolutions entraînent une baisse de valeur des actifs et des tensions sur l'ensemble des marchés financiers. Les effets de la crise se diffusent à l'échelle internationale en raison de l'interdépendance des chaînes de valeurs et de l'interconnexion des marchés financiers. De nombreux indicateurs, portant tant sur l'offre que sur la demande, témoignent de l'ampleur du choc (enquêtes de conjoncture, indicateurs de confiance, marchés financiers, demandes d'indemnisation de chômage aux Etats-Unis, etc.).
  4. Les prévisions les plus récentes tablent donc désormais sur de très fortes baisses d'activité dans l'ensemble de la planète. Dans sa dernière prévision, publiée le 8 avril 2020, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) prévoit ainsi une baisse du PIB mondial comprise entre 2,5 % et 9 %, accompagnée d'un repli du commerce mondial de marchandises compris entre 13 % et 32 %.

Vous pouvez consulter l'intégralité du texte avec ses images à partir de l'extrait du Journal officiel électronique authentifié accessible en bas de page

  1. Face à la chute de l'activité et au risque de crise financière, les banques centrales ont assoupli leurs politiques monétaires par le biais notamment de baisses de taux d'intérêt et de nouveaux programmes d'achat d'actifs.
  2. Les Etats ont également décidé de mener des politiques économiques plus expansionnistes (4), allant au-delà de l'effet des seuls stabilisateurs automatiques, pour des montants supérieurs à 10 points de PIB aux Etats-Unis comme en moyenne dans la zone euro. Outre les mesures de soutien à leurs systèmes de santé, la plupart des Etats ont pris des mesures de sauvegarde de leur appareil productif et de soutien aux ménages (5), d'un coût important pour les finances publiques. Ils ont aussi apporté des garanties à des prêts bancaires et accordé des reports de créances (6). Par ailleurs, l'Union européenne a annoncé un plan de soutien aux économies de ses Etats membres, d'un montant de 540 Md€, principalement sous la forme d'une capacité de prêts et de garanties (7).
  3. Au-delà des incertitudes liées à la crise sanitaire, de nombreux autres aléas, bien que de moindre importance, entrent en jeu et pourraient s'en trouver renforcés. Les vulnérabilités financières liées à la hausse de l'endettement mondial au cours de la dernière décennie et la fragilité de la situation économique de plusieurs pays émergents - renforcée pour certains par la faiblesse des prix du pétrole - présentent ainsi un risque accru pour la croissance mondiale. De même, la montée en puissance des effets des mesures protectionnistes pourrait se poursuivre. En sens inverse, plusieurs facteurs pourraient favoriser la reprise rapide de l'activité, comme les mesures de soutien économique rapidement décidées en Europe. Le niveau d'épargne déjà élevé dans plusieurs pays européens, dont l'Allemagne et la France, est par ailleurs favorable au pouvoir d'achat des consommateurs européens et pourrait favoriser le rebond de l'activité en zone euro.

II. - Observations sur les prévisions macroéconomiques pour 2020

  1. Les prévisions du Gouvernement

  2. Selon la saisine du Gouvernement, le « scénario économique se situe dans un contexte d'incertitude inédit. […] Ce scénario ne couvre que l'année 2020 et ne présente que certaines composantes […] Le PIB serait en recul de −8 % en 2020. Il est fait l'hypothèse dans ce scénario que les mesures de restriction sanitaires en vigueur en France depuis mi-mars seraient maintenues en l'état pour une durée totale de 8 semaines […] Le redémarrage vers les niveaux tendanciels ne serait que progressif suite à la sortie de la période de restrictions sanitaires strictes.

  3. En particulier, la consommation des ménages ne reviendrait vers son niveau usuel qu'en septembre. Dans ce scénario, nos principaux partenaires adopteraient des mesures de durée et d'ampleur comparables, aux effets économiques similaires. […] L'investissement en construction serait pénalisé par une fermeture quasi-générale des chantiers durant les mesures de restriction. L'investissement productif pâtirait de la forte incertitude et du recul de l'activité. Les flux touristiques seraient très réduits puis reviendraient très graduellement à leur niveau antérieur, à horizon fin 2020. […] les exportations reculeraient en lien avec le recul de l'activité chez nos partenaires […] Elles reculeraient toutefois un peu moins que les importations. […] L'inflation, au sens de l'IPC, diminuerait à +0,5 % en 2020 après +1,1 % en 2019 sous l'effet des prix de l'énergie ».

  4. Appréciation du Haut Conseil

  5. Le Haut Conseil note que le scénario présenté par le Gouvernement, moins détaillé qu'à l'accoutumée, ne comprend notamment pas de prévisions d'emploi, de masse salariale et de revenu des ménages.

  6. Trois grands paramètres déterminent actuellement les prévisions macroéconomiques : la durée du confinement, son impact sur l'activité et l'ampleur de la reprise en sortie de confinement.
    a) Sur la durée du confinement et des restrictions strictes d'activités

  7. Le scénario présenté par le Gouvernement dans ce PLFR est construit sur l'hypothèse d'un confinement et de restrictions d'activités allant jusqu'au 11 mai, soit une durée de 8 semaines, réparties sur le 1er trimestre (2 semaines) et le 2e trimestre de l'année (6 semaines).

  8. Ce scénario est naturellement subordonné à la réalisation des hypothèses relatives à l'évolution de la situation sanitaire qui le sous-tendent.
    b) Sur la perte d'activité due au confinement et aux restrictions d'activités

  9. Le 2e PLFR pour 2020 reprend l'estimation de l'Insee de l'impact négatif d'un mois de confinement sur l'activité économique, soit 3 points de PIB annuel conduisant à une baisse totale de 6 points pour la durée du confinement. Au cours de cette période, les mesures de restriction des déplacements et des activités entraîneraient en effet une forte baisse de l'activité sous l'effet de la combinaison de chocs d'offre (les travailleurs ne pouvant se rendre sur leur lieu de travail) et de demande (certaines activités ne sont plus autorisées et les consommateurs sont contraints de réduire leur consommation de biens et services non essentiels). La perte d'activité liée à ces mesures affecte de très nombreux secteurs dans des proportions variées (très faible pour la production de denrées alimentaires, presque intégrale pour l'hébergement et la restauration).

  10. L'hypothèse de l'impact des mesures de confinement sur l'activité retenue par le 2e PLFR pour 2020 est cohérente avec les différentes évaluations disponibles mais celles-ci restent fragiles.

Tableau : Comparaisons des pertes estimées d'activité (PIB) pour un mois de confinement complet par organisme

| Organisme | Date de publication |Impact sur l'activité|Impact sur la croissance du PIB annuel| |----------------|--------------------------|---------------------|--------------------------------------| | (en %) |(en points de pourcentage)| | | | Insee | 09-avr-20 | -36 | -3 | |Banque de France| 08-avr-20 | -32 | -2,7 | | Rexecode | 31-mars-20 | | -3 | | OFCE | 30-mars-20 | -32 | -2,6 | | OCDE | 27-mars-20 | -25 (env.) | | | Insee | 26-mars-20 | -35 | -3 |

Sources : Haut Conseil des finances publiques à partir des publications de l'Insee, l'OCDE, l'OFCE et Rexecode


Historique des versions

Version 1

Synthèse

Le Gouvernement a saisi le Haut Conseil conjointement sur le programme de stabilité et sur un deuxième projet de loi de finances rectificative (2e PLFR) le 9 avril 2020, puis a procédé à deux saisines rectificatives les 10 et 14 avril afin de tenir compte de nouvelles informations survenues dans l'intervalle.

L'incertitude exceptionnellement élevée résultant de la crise sanitaire entraînée par l'épidémie de covid-19 affecte toutes les prévisions macroéconomiques et oblige à les réviser fréquemment.

Le Haut Conseil note que l'hypothèse de l'impact sur le PIB des mesures de restriction des déplacements et de l'activité retenue par le Gouvernement (-3 points de PIB par mois) est cohérente avec les estimations récentes portant sur le premier mois de confinement et que le scénario présenté est construit sur une durée de confinement de huit semaines.

Le Haut Conseil constate que ce scénario économique repose sur l'hypothèse forte d'un retour assez rapide à la normale de l'activité, au-delà du 11 mai. Il suppose en particulier que les mesures de politique économique prises pour faire face à la crise permettront de préserver l'appareil productif et que la demande, tant intérieure qu'étrangère, ne portera pas de séquelles durables de la crise.

Au total, le Haut Conseil relève que, si cette hypothèse forte ne se réalisait pas, la chute d'activité pourrait se révéler supérieure encore à celle de -8 % en 2020 prévue par le Gouvernement.

Le Haut Conseil souligne que les fortes incertitudes qui portent sur les prévisions macroéconomiques affectent le scénario de finances publiques présenté dans le 2e PLFR, notamment s'agissant des recettes fiscales et sociales. Des risques significatifs pèsent également sur le montant des dépenses, résultant en particulier des dispositifs nouveaux mis en place ou de ceux qui pourraient être prochainement décidés pour faire face à la crise. Dès lors, le déficit public pourrait être plus dégradé que prévu par le 2e PLFR (-9 points de PIB).

Le Haut Conseil note que le déficit structurel pour 2020, tel qu'estimé par le Gouvernement, serait identique à celui de 2019. La signification qui s'attache à cette évaluation dans le contexte actuel est néanmoins très limitée. L'évaluation du déficit structurel pourrait être remise en cause par la suite si certaines des dépenses liées à la crise sanitaire étaient pérennisées et si l'évaluation du PIB potentiel devait être revue à la baisse.

Le Haut Conseil relève qu'après une hausse quasi ininterrompue entre 2008 et 2019, le ratio de dette, qui atteignait 98 points de PIB en 2019, augmenterait fortement en 2020 pour atteindre 115 points de PIB.

Observations liminaires

1. Le Haut Conseil a adopté, après en avoir délibéré lors de sa séance du 14 avril 2020, le présent avis.

1. Sur le périmètre du présent avis

2. Le Haut Conseil des finances publiques a été saisi par le Gouvernement le 9 avril 2020, en application de l'article 15 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, de l'article liminaire du deuxième projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2020, et, en application de l'article 17, du projet de programme de stabilité.

3. Le Gouvernement a adressé au Haut Conseil une première saisine rectificative le 10 avril 2020, pour tenir compte de l'ajout au PLFR de plusieurs mesures nouvelles et de leurs conséquences sur les trajectoires de dépenses, de déficit et de dette publics.

4. Suite aux décisions annoncées par le Président de la République dans la soirée du 13 avril, le Gouvernement a adressé au Haut Conseil une seconde saisine rectificative le 14 avril pour tenir notamment compte du prolongement du confinement jusqu'au 11 mai et de son impact sur la prévision macroéconomique et de finances publiques.

5. En application de l'article 15 de la loi organique précité, l'avis au titre du PLFR porte sur les prévisions macroéconomiques et de finances publiques pour l'année en cours. En application de l'article 17 de cette loi organique, le Haut Conseil doit rendre un avis sur les prévisions macroéconomiques pluriannuelles sur lesquelles repose le projet de programme de stabilité, établi au titre de la coordination des politiques économiques des Etats membres de l'Union européenne (1).

6. Dans le contexte exceptionnel actuel, le format des programmes de stabilité qui doivent être remis en avril 2020 par les Etats membres a été simplifié. Dans sa dernière communication adressée aux Etats membres et diffusée aux institutions budgétaires indépendantes (2), la Commission européenne a ainsi précisé que les programmes de stabilité doivent seulement présenter les grandes lignes des scénarios macroéconomiques et de finances publiques pour l'année 2020 et, si possible, pour l'année 2021 et indiquer les principales mesures budgétaires prises pour remédier aux conséquences de l'épidémie. Le Gouvernement a fait le choix compréhensible de ne présenter de scénario que pour la seule année 2020.

7. Les prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité pour l'année 2020 et celles associées au deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2020 étant confondues, le présent avis porte sur ces deux textes.

8. Les travaux du Haut Conseil ont été affectés par les contraintes inhérentes à la période : brièveté des délais, importance des saisines rectificatives en cours d'examen liées au caractère évolutif des informations disponibles.

2. Sur la méthode utilisée par le Haut Conseil

9. Afin d'apprécier le réalisme des prévisions macroéconomiques associées au projet de loi de finances rectificatives et au programme de stabilité, le Haut Conseil s'est fondé sur les dernières statistiques disponibles et sur les informations communiquées par le Gouvernement, dans ses saisines et dans les réponses aux questionnaires que leur a adressés le Haut Conseil.

10. Le Haut Conseil s'est également appuyé sur les travaux de plusieurs organismes ayant produit récemment des prévisions ou des analyses des effets économiques de la pandémie virale au covid-19 : l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), la Banque de France et des instituts de conjoncture tels que Rexecode et l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

11. Le Haut Conseil a procédé, comme le permet l'article 18 de la loi organique de 2012, aux auditions des représentants des administrations compétentes (direction générale du Trésor, direction du budget et direction de la sécurité sociale) suite à la saisine initiale.

12. Comme le Haut Conseil l'avait relevé dans son avis sur le premier PLFR pour 2020 (3), la crise sanitaire actuelle se traduit par des incertitudes d'ampleur inédite qui rendent difficile tout exercice de prévision économique et par des chocs qui appellent des réponses budgétaires d'une portée inhabituelle. Ainsi, le Gouvernement a été conduit, dans le cadre du deuxième projet de loi de finances rectificative soumis à l'avis du Haut Conseil moins d'un mois après le précédent, à réviser substantiellement le scénario macro-économique (avec une baisse du PIB pour 2020 passée de 1 % à 8 %) et à nettement relever sa prévision de déficit public (de 3,9 à 9 points de PIB).

13. Le Haut Conseil relève par ailleurs que ce 2e PLFR pour 2020 n'a pas entendu procéder à une reprogrammation d'ensemble des recettes et des dépenses des administrations publiques suite à la crise sanitaire. Le deuxième projet de loi de finances rectificative ne marque donc pas la fin du processus d'ajustement progressif des lois financières.

14. Après une brève analyse du contexte général (I), le Haut Conseil formule son appréciation d'une part sur les prévisions macroéconomiques sur lesquelles repose le projet de loi de finances rectificative et le programme de stabilité du Gouvernement (II) et d'autre part sur les prévisions de finances publiques associées (III).

I. - Une crise sanitaire débouchant sur une crise économique mondiale

15. L'épidémie de covid-19 s'est déclenchée en Chine fin 2019 avant de se répandre très rapidement dans le monde entier. Ses premiers effets économiques ont donc d'abord été perceptibles en Chine puis, à partir du mois de mars, dans le reste du monde et en particulier en Europe.

16. La crise sanitaire et la mise en place de mesures strictes de confinement, qui restreignent tant les déplacements que l'activité de certains secteurs économiques, ont créé un choc de production et de consommation d'une ampleur exceptionnelle. Hormis quelques secteurs soumis à un surcroît d'activité, la consommation des ménages et l'investissement des entreprises sont fortement contraints. L'appareil productif a été partiellement mis à l'arrêt tant en raison de l'indisponibilité de la main-d'œuvre nécessaire à son fonctionnement que du fait de la baisse de la demande et de la rupture des chaines d'approvisionnement.

17. Ces évolutions entraînent une baisse de valeur des actifs et des tensions sur l'ensemble des marchés financiers. Les effets de la crise se diffusent à l'échelle internationale en raison de l'interdépendance des chaînes de valeurs et de l'interconnexion des marchés financiers. De nombreux indicateurs, portant tant sur l'offre que sur la demande, témoignent de l'ampleur du choc (enquêtes de conjoncture, indicateurs de confiance, marchés financiers, demandes d'indemnisation de chômage aux Etats-Unis, etc.).

18. Les prévisions les plus récentes tablent donc désormais sur de très fortes baisses d'activité dans l'ensemble de la planète. Dans sa dernière prévision, publiée le 8 avril 2020, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) prévoit ainsi une baisse du PIB mondial comprise entre 2,5 % et 9 %, accompagnée d'un repli du commerce mondial de marchandises compris entre 13 % et 32 %.

Vous pouvez consulter l'intégralité du texte avec ses images à partir de l'extrait du Journal officiel électronique authentifié accessible en bas de page

19. Face à la chute de l'activité et au risque de crise financière, les banques centrales ont assoupli leurs politiques monétaires par le biais notamment de baisses de taux d'intérêt et de nouveaux programmes d'achat d'actifs.

20. Les Etats ont également décidé de mener des politiques économiques plus expansionnistes (4), allant au-delà de l'effet des seuls stabilisateurs automatiques, pour des montants supérieurs à 10 points de PIB aux Etats-Unis comme en moyenne dans la zone euro. Outre les mesures de soutien à leurs systèmes de santé, la plupart des Etats ont pris des mesures de sauvegarde de leur appareil productif et de soutien aux ménages (5), d'un coût important pour les finances publiques. Ils ont aussi apporté des garanties à des prêts bancaires et accordé des reports de créances (6). Par ailleurs, l'Union européenne a annoncé un plan de soutien aux économies de ses Etats membres, d'un montant de 540 Md€, principalement sous la forme d'une capacité de prêts et de garanties (7).

21. Au-delà des incertitudes liées à la crise sanitaire, de nombreux autres aléas, bien que de moindre importance, entrent en jeu et pourraient s'en trouver renforcés. Les vulnérabilités financières liées à la hausse de l'endettement mondial au cours de la dernière décennie et la fragilité de la situation économique de plusieurs pays émergents - renforcée pour certains par la faiblesse des prix du pétrole - présentent ainsi un risque accru pour la croissance mondiale. De même, la montée en puissance des effets des mesures protectionnistes pourrait se poursuivre. En sens inverse, plusieurs facteurs pourraient favoriser la reprise rapide de l'activité, comme les mesures de soutien économique rapidement décidées en Europe. Le niveau d'épargne déjà élevé dans plusieurs pays européens, dont l'Allemagne et la France, est par ailleurs favorable au pouvoir d'achat des consommateurs européens et pourrait favoriser le rebond de l'activité en zone euro.

II. - Observations sur les prévisions macroéconomiques pour 2020

1. Les prévisions du Gouvernement

22. Selon la saisine du Gouvernement, le « scénario économique se situe dans un contexte d'incertitude inédit. […] Ce scénario ne couvre que l'année 2020 et ne présente que certaines composantes […] Le PIB serait en recul de −8 % en 2020. Il est fait l'hypothèse dans ce scénario que les mesures de restriction sanitaires en vigueur en France depuis mi-mars seraient maintenues en l'état pour une durée totale de 8 semaines […] Le redémarrage vers les niveaux tendanciels ne serait que progressif suite à la sortie de la période de restrictions sanitaires strictes.

23. En particulier, la consommation des ménages ne reviendrait vers son niveau usuel qu'en septembre. Dans ce scénario, nos principaux partenaires adopteraient des mesures de durée et d'ampleur comparables, aux effets économiques similaires. […] L'investissement en construction serait pénalisé par une fermeture quasi-générale des chantiers durant les mesures de restriction. L'investissement productif pâtirait de la forte incertitude et du recul de l'activité. Les flux touristiques seraient très réduits puis reviendraient très graduellement à leur niveau antérieur, à horizon fin 2020. […] les exportations reculeraient en lien avec le recul de l'activité chez nos partenaires […] Elles reculeraient toutefois un peu moins que les importations. […] L'inflation, au sens de l'IPC, diminuerait à +0,5 % en 2020 après +1,1 % en 2019 sous l'effet des prix de l'énergie ».

2. Appréciation du Haut Conseil

24. Le Haut Conseil note que le scénario présenté par le Gouvernement, moins détaillé qu'à l'accoutumée, ne comprend notamment pas de prévisions d'emploi, de masse salariale et de revenu des ménages.

25. Trois grands paramètres déterminent actuellement les prévisions macroéconomiques : la durée du confinement, son impact sur l'activité et l'ampleur de la reprise en sortie de confinement.

a) Sur la durée du confinement et des restrictions strictes d'activités

26. Le scénario présenté par le Gouvernement dans ce PLFR est construit sur l'hypothèse d'un confinement et de restrictions d'activités allant jusqu'au 11 mai, soit une durée de 8 semaines, réparties sur le 1er trimestre (2 semaines) et le 2e trimestre de l'année (6 semaines).

27. Ce scénario est naturellement subordonné à la réalisation des hypothèses relatives à l'évolution de la situation sanitaire qui le sous-tendent.

b) Sur la perte d'activité due au confinement et aux restrictions d'activités

28. Le 2e PLFR pour 2020 reprend l'estimation de l'Insee de l'impact négatif d'un mois de confinement sur l'activité économique, soit 3 points de PIB annuel conduisant à une baisse totale de 6 points pour la durée du confinement. Au cours de cette période, les mesures de restriction des déplacements et des activités entraîneraient en effet une forte baisse de l'activité sous l'effet de la combinaison de chocs d'offre (les travailleurs ne pouvant se rendre sur leur lieu de travail) et de demande (certaines activités ne sont plus autorisées et les consommateurs sont contraints de réduire leur consommation de biens et services non essentiels). La perte d'activité liée à ces mesures affecte de très nombreux secteurs dans des proportions variées (très faible pour la production de denrées alimentaires, presque intégrale pour l'hébergement et la restauration).

29. L'hypothèse de l'impact des mesures de confinement sur l'activité retenue par le 2e PLFR pour 2020 est cohérente avec les différentes évaluations disponibles mais celles-ci restent fragiles.

Tableau : Comparaisons des pertes estimées d'activité (PIB) pour un mois de confinement complet par organisme

Organisme

Date de publication

Impact sur l'activité

Impact sur la croissance du PIB annuel

(en %)

(en points de pourcentage)

Insee

09-avr-20

-36

-3

Banque de France

08-avr-20

-32

-2,7

Rexecode

31-mars-20

-3

OFCE

30-mars-20

-32

-2,6

OCDE

27-mars-20

-25 (env.)

Insee

26-mars-20

-35

-3

Sources : Haut Conseil des finances publiques à partir des publications de l'Insee, l'OCDE, l'OFCE et Rexecode