JORF n°0180 du 30 juillet 2024

Ce texte est une simplification générée par une IA.
Il n'a pas de valeur légale et peut contenir des erreurs.

Avis sur les nouveaux contrats d'objets et de moyens (COM) des entreprises du service public audiovisuel

Résumé L'ARCOM a étudié les nouveaux plans des entreprises de service public audiovisuel pour 2024-2028. Ces plans visent à améliorer la mission de service public face à la défiance envers les médias et aux changements numériques. L'ARCOM note des points forts et des améliorations nécessaires dans les plans, notamment en termes de clarté des objectifs et de stratégie globale. Elle recommande de renforcer certaines missions de service public.

Par un courrier du 24 juin 2024, la ministre de la culture a saisi pour avis l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ci-après : « ARCOM » ou « l'Autorité »), conformément à l'article 53 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, des projets de contrats d'objectifs et de moyens (ci-après : « COM ») susceptibles d'être conclus entre l'Etat et, respectivement, la société France Télévisions, la société Radio France et la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France (France Médias Monde).
Après avoir entendu, en séance plénière, les présidentes de chacune des trois sociétés nationales de programme (1), l'ARCOM donne un avis favorable aux projets de contrats d'objectifs et de moyens de France Télévisions, Radio France et France Médias Monde pour la période 2024-2028, sous réserve des observations qui suivent.
L'ARCOM entend tout d'abord, dans les circonstances actuelles, rappeler le rôle essentiel et singulier joué dans notre paysage audiovisuel par l'audiovisuel public, qui doit être adossé à des ressources garantissant son indépendance tout en poursuivant la stratégie de convergence entre ses différentes composantes (1). L'Autorité formule, ensuite, des observations sur les enjeux communs aux trois contrats d'objectifs et de moyens (2).
Des considérations spécifiques aux objectifs et indicateurs des COM de chacune des sociétés sont exposées en annexe (annexes 1, 2, et 3).

  1. Considérations liminaires

Le contexte dans lequel intervient la saisine ministérielle est marqué par l'incertitude entourant les modalités futures de financement des sociétés de l'audiovisuel public et l'interruption du processus de la réforme visant à unifier sa gouvernance.
D'une part, la problématique induite par la suppression de la contribution à l'audiovisuel public en 2022 n'est toujours pas résolue, dès lors que l'affectation actuelle d'une part de la TVA au financement de l'audiovisuel public ne peut être reconduite au-delà du 31 décembre 2024. Or les initiatives parlementaires tendant à modifier la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) afin de sécuriser l'allocation des ressources publiques indispensables à l'accomplissement des missions d'intérêt général confiées aux entreprises publiques de l'audiovisuel n'ont, à ce jour, pas abouti (2).
D'autre part, la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin dernier a mis un coup d'arrêt à la proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté culturelle dont le but était d'unifier les forces des sociétés nationales de programme en les dotant d'une structure commune de gouvernance (holding) œuvrant à définir les orientations stratégiques de France Télévisions, de Radio France, de France Médias Monde et de l'INA, tout en veillant à la cohérence et à la complémentarité de leurs offres de programmes.
Dans ce contexte particulier, et alors que le secteur de l'audiovisuel est traversé par des transformations structurelles d'ampleur, l'ARCOM entend rappeler, en premier lieu, le rôle essentiel joué par l'audiovisuel public dans l'élaboration d'une offre d'information de référence, dans la promotion de la diversité culturelle et le maintien d'un haut niveau de financement de la création cinématographique et audiovisuelle et dans l'accès à la culture, au savoir et à la connaissance. L'audiovisuel public a ainsi pour mission de fédérer et rassembler tous les Français, de toutes les générations, d'où qu'ils viennent et où qu'ils soient, autour de programmes diversifiés et de qualité. Outre sa contribution décisive à la cohésion nationale, il constitue un élément structurant de l'équilibre du paysage audiovisuel.
En deuxième lieu, l'Autorité ne peut que réaffirmer l'importance d'un financement dédié, prévisible et pérenne de France Télévisions, Radio France et de France Médias Monde. La garantie des ressources du secteur de l'audiovisuel public constitue en effet un élément déterminant de son indépendance, laquelle concourt à la mise en œuvre de la liberté de communication, ainsi que l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2022-842 du 12 août 2022. Pour France Médias Monde, cette question revêt une sensibilité particulière eu égard au risque pour ses chaines et antennes d'être perçues comme des « médias d'Etat », voire dans certains pays qualifiées comme telles, risque pouvant conduire à mettre en question les modalités de leur distribution.
En outre, le règlement européen sur la liberté des médias (EMFA - European Media Freedom Act), impose désormais aux Etats membres de veiller à ce que les fournisseurs de médias de service public disposent de ressources financières suffisantes et stables pour l'accomplissement de leur mission de service public, ces ressources devant être de nature à garantir leur indépendance éditoriale.
L'ARCOM considère, en dernier lieu, que la stratégie de convergence entre les sociétés de l'audiovisuel public demeure d'actualité, ces sociétés ayant vocation à poursuivre les transformations engagées pour rassembler leurs forces et optimiser leur efficience. Les projets visant à renforcer les synergies et les coopérations entre France Télévisions, Radio France et de France Médias Monde se doivent d'être poursuivis et amplifiés, à l'image, notamment, du projet commun de France Télévisions et Radio France de création d'un média global de proximité sous la marque ICI.

  1. Observations communes aux trois projets de COM

- Des COM inscrits dans la continuité des précédents

Les COM 2024-28 portent sur une période dont la première année, qui sert de pivot à la trajectoire des objectifs, est déjà largement engagée (3). L'ARCOM avait déjà regretté cette pratique lors des précédents COM (4) mais reconnait que le contexte fortement évolutif de négociation de ces contrats explique que sa transmission prévue en 2023 ait pu être retardée.
Les projets de COM s'appuient sur les COM précédents, dont ils prolongent les thèmes et reprennent certains objectifs stratégiques ou indicateurs, comme l'attestent le recours à de nombreuses thématiques et indicateurs des COM 2020-23 et les nombreuses références à la poursuite ou au renforcement de la stratégie mise en place par ces COM.
Il convient de saluer la volonté du Gouvernement d'adopter des documents plus concis et de réduire le volume d'objectifs et d'indicateurs des précédents COM, dont l'ARCOM avait regretté, dans ses précédents avis, le caractère parfois foisonnant et peu hiérarchisé. Cette volonté de se recentrer sur les priorités de l'audiovisuel public semble répondre à un souhait largement exprimé, tant par le public que par les élus ou les autres acteurs de l'écosystème des médias.

- Des indicateurs plus lisibles mais encore insuffisamment précis

L'ARCOM avait recommandé (5) de renforcer la transparence des COM et de leurs indicateurs. Elle avait suggéré, notamment, de rendre publics les COM (ce qui a été fait par la Direction générale des médias et des industries culturelles en août 2023), de mieux préciser les objectifs assignés à chaque antenne du service public, de documenter davantage leurs indicateurs d'audience et d'harmoniser les présentations comptables. Ces recommandations ont été en partie suivies.
Cependant, les objectifs et les indicateurs assignés à ces objectifs, certes moins nombreux que ceux des COM précédents, manquent encore parfois de précision. Ainsi, beaucoup d'objectifs ne sont pas quantifiés et se limitent à envisager une progression, notamment pour certains services bénéficiant d'une large audience, comme France 2.
L'ARCOM invite également à renforcer, lorsque cela est possible, l'harmonisation de ces indicateurs entre les trois sociétés, comme elle l'avait recommandé lors de la préparation du précédent COM. Par exemple, les trois sociétés recourent à trois indicateurs d'audience différents. A tout le moins, si France Télévisions confirmait son choix de privilégier des indicateurs de couverture plutôt que de part d'audience, il est recommandé d'opter pour des indicateurs hebdomadaires plutôt que mensuels de façon à mieux mesurer l'existence d'un lien réel et continu avec le public, surtout en matière d'information.

- L'importance d'adopter une stratégie globale plus unifiée et partagée

L'ARCOM a relevé à de multiples reprises, dans ses avis sur l'exécution des COM, que la stratégie de création de synergies entre les sociétés de l'audiovisuel n'était que très partiellement mise en œuvre. En l'absence de la création d'une structure unifiée destinée à piloter les projets communs à l'audiovisuel public, et a fortiori d'une fusion de ses sociétés, il importe désormais de relancer et d'amplifier la stratégie de convergence engagée par les précédents COM, stratégie qui demeure plus que jamais d'actualité.
Or, l'Autorité regrette que les COM ne comportent plus, à la différence des précédents, la partie commune aux trois entreprises de l'audiovisuel public qui illustrait une ambition de convergence. Elle constate, de surcroit, une grande hétérogénéité formelle entre les trois COM, le nombre d'objectifs et leur structuration variant fortement d'une société à l'autre.
Par ailleurs, les COM ne décrivent pas suffisamment les projets de coopération au sein de l'audiovisuel public, en particulier ceux qui seraient éligibles aux crédits de transformation évoqués dans les plans d'affaires. Ainsi, le suivi de ces projets semble difficile, alors qu'il avait été annoncé initialement que des outils de suivi des projets seraient mis en place par les COM.
Enfin, la mise en place de structures de pilotage et de gouvernance communes aux projets de rapprochement, condition indispensable à leur succès, n'est pas évoquée par les COM, bien qu'en pratique elle se prépare (Radio France et France Télévisions ont annoncé le 3 avril 2024 la nomination d'un responsable d'une part, des rapprochements entre France Bleu et France 3 ; d'autre part, de la coopération au sein de franceinfo:).
Ainsi, les stratégies de rapprochement exposées, qui demeurent générales ou reprises du COM précédent, gagneraient à bénéficier d'une nouvelle impulsion.

- Une trajectoire financière ambitieuse mais incertaine

Après la séquence d'économies de 2019 à 2022, qui conduisait à une trajectoire de ressources publiques en retrait sur la période du précédent COM, cette trajectoire est désormais en nette croissance sur la période des prochains COM et il convient de relever cet effort de l'Etat. La trajectoire comporte un volet de 232 M€ destiné à financer des « crédits de transformation » (6). Sa croissance globale est de 11 % entre 2024 et 2028, et demeure de 7 % après neutralisation des effets induits de la suppression de la redevance sur les charges (7) et de crédits de transformation, soit un taux supérieur à la prévision d'inflation cumulée pour les trois prochaines années (+ 5,9 %) (8).
L'ARCOM souligne la nécessité d'introduire dans le cadre des COM un suivi financier des grands projets de transformation, notamment dans les domaines du numérique et des programmes jeunesse, de façon à préciser dans quelle mesure les enveloppes dédiées à ces projets ont été consommées.
De nombreuses options adoptées dans le plan financier de l'audiovisuel public sont à saluer, en particulier le maintien d'un statu quo en matière d'ouverture de la publicité radio et télévisée aux médias publics, tout en préservant l'absence de plafonnement des recettes de publicité numérique, le retour à l'équilibre d'exploitation et la maîtrise raisonnable des charges de personnel.
Mais le cadre de cette trajectoire demeure précaire dès lors que, ainsi qu'il a été rappelé, le dispositif actuel de financement par prélèvement d'une partie de la TVA prend fin en 2024.
D'autres interrogations plus techniques subsistent :

- des plans d'économies très ambitieux sont annoncés mais peu détaillés (un suivi pourrait ainsi être envisagé dans le cadre du COM) ;
- la question du climat social et de la formation au numérique est peu abordée ;
- un certain manque d'ambition concernant les prévisions de croissance des ressources propres (à l'exception de Radio France) peut être observé.

L'actualisation opportune de certaines grandes missions de service public

- Soutenir la création artistique et intellectuelle

Les nouveaux COM renouvellent l'ambition de l'audiovisuel public dans le financement de la création. L'ARCOM souhaite rappeler son attachement à ce soutien, garant de la diversité des œuvres de création tant en production qu'en diffusion.

- Maintenir une offre d'information de référence

Dans un contexte de défiance et de fatigue informationnelle, France Télévisions, Radio France et France Médias Monde doivent demeurer des références et offrir à nos concitoyens une information honnête, vérifiée et pluraliste. Le média global franceinfo: est appelé à jouer un rôle crucial dans cette ambition, y compris dans les environnements numériques et les réseaux sociaux. L'ARCOM salue la mobilisation de l'ensemble de l'audiovisuel public contre les infox avec la création d'une marque unique « Vrai ou faux » pour agréger les contenus de lutte contre la désinformation.
Il convient toutefois que les indicateurs de confiance publiés par le COM gagnent en crédibilité en reposant sur une méthodologie commune aux trois sociétés et transparente (publication des résultats de l'étude). Par ailleurs, un accès plus large aux sources utilisées par les journalistes pour leur journaux télévisés, magazines et reportages (à l'instar de l'initiative NosSources émanant de France Télévisions) et la diffusion d'émissions de décryptage de l'information (y compris celles produites par le service public) seraient également de nature à améliorer la confiance dans l'information du service public. L'ARCOM recommande par ailleurs une position homogène des trois sociétés par rapport à la certification « Journalism Trust Initiative » soutenue par Reporters Sans Frontières, qui a été obtenue en 2022 par France Télévisions et en 2023 par France Médias Monde.

- Eduquer aux médias et à la citoyenneté numérique

Les sociétés audiovisuelles publiques doivent être les acteurs de référence pour l'éducation aux médias, à l'information et à la citoyenneté numérique et pour prémunir les jeunes contre la désinformation et la manipulation de l'information. Il importe qu'elles coordonnent leurs actions en la matière dans le cadre d'une stratégie commune. L'Autorité relève à cet égard la suppression des engagements relatifs à l'offre éducative Lumni commune à l'audiovisuel public (alors même que l'INA inclut dans son COM un indicateur sur le trafic mensuel de Lumni enseignement) et préconise que le ministère de l'éducation nationale encourage encore davantage les enseignants à s'approprier l'outil Lumni.

- Etre un facteur de cohésion sociale

Le rôle moteur que joue le service public pour promouvoir une incarnation et une représentation de la société dans toute sa diversité a déjà été souligné par l'ARCOM. Les nouveaux COM encouragent à juste titre l'audiovisuel public à continuer à jouer ce rôle en renforçant ses engagements.
S'agissant de l'égalité entre les femmes et les hommes, si les objectifs adoptés sont dans l'ensemble ambitieux, il peut être regretté qu'ils ne comportent pas d'engagement commun aux trois sociétés portant sur le temps de parole global des femmes à l'antenne. S'agissant de la représentation du handicap et de la diversité, l'ARCOM est satisfaite des grandes orientations présentées, qui appellent cependant quelques recommandations quant aux indicateurs propres à chaque société (voir annexes).
Enfin, pour ce qui concerne la nécessité pour le service public de tenir compte des défis climatiques, il conviendrait, a minima, d'inviter les entreprises de l'audiovisuel public à mettre en œuvre des « contrats-climat », comme le font de plus en plus de chaînes privées dans le cadre de leur convention conclue avec l'ARCOM.
D'autres missions cardinales sont encore à préciser

- Des stratégies de proximité à faire converger

L'objectif commun à France Télévisions et Radio France de créer un média global de proximité sous la marque ICI est une initiative pertinente. Cette stratégie nécessite cependant une clarification dans le cadre des COM afin, par exemple, de faire émerger un réel pilotage unifié, une ambition éditoriale partagée et de confirmer la priorité dont devra disposer la plateforme numérique ICI pour distribuer les contenus régionaux. Il importerait également que les COM comportent un objectif d'évolution du volume de programmes régionaux d'ICI.

- Mieux toucher les jeunes par une distribution adaptée et des contenus spécifiques

L'Autorité salue la volonté de créer de nouveaux réflexes d'écoute et de visionnage chez les jeunes générations en accentuant l'empreinte numérique des sociétés publiques. Cependant, les groupes doivent proposer davantage de contenus spécifiquement conçus pour le numérique (information) et selon de nouvelles écritures afin de capter un jeune public de plus en plus éloigné des médias traditionnels. Cette stratégie devrait se traduire dans les COM par des indicateurs de suivi plus précis.

- Une stratégie de coopération numérique plus volontariste afin d'unifier l'accès aux contenus audiovisuels publics

Les COM de France Télévisions et de Radio France comportent l'objectif d'une distribution numérique de toutes les offres du service public dans un univers cohérent de navigation. Cependant, le COM de France Médias Monde ne comporte pas un tel objectif et les modalités de mise en œuvre ne sont pas précisées.
Or, l'Autorité estime indispensable de faire émerger un accès en ligne unique à l'ensemble de l'audiovisuel public, comme cela existe dans la plupart des pays de l'Union européenne, a minima par la mise au point de passerelles simplifiées et visibles (la création d'un moteur de recherches en commun est à saluer), et à terme par la création d'une plateforme unique de l'audiovisuel public. Elle permettrait une meilleure visibilité des services et des contenus, notamment d'information et de création, et la construction d'une identité commune à l'ensemble des entreprises. Cette stratégie nécessite une coordination efficace entre les différentes entités pour faire converger les choix techniques et logistiques. Une interface utilisateur conviviale et intuitive est indispensable pour garantir son succès.
Le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française.


Historique des versions

Version 1

Par un courrier du 24 juin 2024, la ministre de la culture a saisi pour avis l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ci-après : « ARCOM » ou « l'Autorité »), conformément à l'article 53 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, des projets de contrats d'objectifs et de moyens (ci-après : « COM ») susceptibles d'être conclus entre l'Etat et, respectivement, la société France Télévisions, la société Radio France et la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France (France Médias Monde).

Après avoir entendu, en séance plénière, les présidentes de chacune des trois sociétés nationales de programme (1), l'ARCOM donne un avis favorable aux projets de contrats d'objectifs et de moyens de France Télévisions, Radio France et France Médias Monde pour la période 2024-2028, sous réserve des observations qui suivent.

L'ARCOM entend tout d'abord, dans les circonstances actuelles, rappeler le rôle essentiel et singulier joué dans notre paysage audiovisuel par l'audiovisuel public, qui doit être adossé à des ressources garantissant son indépendance tout en poursuivant la stratégie de convergence entre ses différentes composantes (1). L'Autorité formule, ensuite, des observations sur les enjeux communs aux trois contrats d'objectifs et de moyens (2).

Des considérations spécifiques aux objectifs et indicateurs des COM de chacune des sociétés sont exposées en annexe (annexes 1, 2, et 3).

1. Considérations liminaires

Le contexte dans lequel intervient la saisine ministérielle est marqué par l'incertitude entourant les modalités futures de financement des sociétés de l'audiovisuel public et l'interruption du processus de la réforme visant à unifier sa gouvernance.

D'une part, la problématique induite par la suppression de la contribution à l'audiovisuel public en 2022 n'est toujours pas résolue, dès lors que l'affectation actuelle d'une part de la TVA au financement de l'audiovisuel public ne peut être reconduite au-delà du 31 décembre 2024. Or les initiatives parlementaires tendant à modifier la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) afin de sécuriser l'allocation des ressources publiques indispensables à l'accomplissement des missions d'intérêt général confiées aux entreprises publiques de l'audiovisuel n'ont, à ce jour, pas abouti (2).

D'autre part, la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin dernier a mis un coup d'arrêt à la proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté culturelle dont le but était d'unifier les forces des sociétés nationales de programme en les dotant d'une structure commune de gouvernance (holding) œuvrant à définir les orientations stratégiques de France Télévisions, de Radio France, de France Médias Monde et de l'INA, tout en veillant à la cohérence et à la complémentarité de leurs offres de programmes.

Dans ce contexte particulier, et alors que le secteur de l'audiovisuel est traversé par des transformations structurelles d'ampleur, l'ARCOM entend rappeler, en premier lieu, le rôle essentiel joué par l'audiovisuel public dans l'élaboration d'une offre d'information de référence, dans la promotion de la diversité culturelle et le maintien d'un haut niveau de financement de la création cinématographique et audiovisuelle et dans l'accès à la culture, au savoir et à la connaissance. L'audiovisuel public a ainsi pour mission de fédérer et rassembler tous les Français, de toutes les générations, d'où qu'ils viennent et où qu'ils soient, autour de programmes diversifiés et de qualité. Outre sa contribution décisive à la cohésion nationale, il constitue un élément structurant de l'équilibre du paysage audiovisuel.

En deuxième lieu, l'Autorité ne peut que réaffirmer l'importance d'un financement dédié, prévisible et pérenne de France Télévisions, Radio France et de France Médias Monde. La garantie des ressources du secteur de l'audiovisuel public constitue en effet un élément déterminant de son indépendance, laquelle concourt à la mise en œuvre de la liberté de communication, ainsi que l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2022-842 du 12 août 2022. Pour France Médias Monde, cette question revêt une sensibilité particulière eu égard au risque pour ses chaines et antennes d'être perçues comme des « médias d'Etat », voire dans certains pays qualifiées comme telles, risque pouvant conduire à mettre en question les modalités de leur distribution.

En outre, le règlement européen sur la liberté des médias (EMFA - European Media Freedom Act), impose désormais aux Etats membres de veiller à ce que les fournisseurs de médias de service public disposent de ressources financières suffisantes et stables pour l'accomplissement de leur mission de service public, ces ressources devant être de nature à garantir leur indépendance éditoriale.

L'ARCOM considère, en dernier lieu, que la stratégie de convergence entre les sociétés de l'audiovisuel public demeure d'actualité, ces sociétés ayant vocation à poursuivre les transformations engagées pour rassembler leurs forces et optimiser leur efficience. Les projets visant à renforcer les synergies et les coopérations entre France Télévisions, Radio France et de France Médias Monde se doivent d'être poursuivis et amplifiés, à l'image, notamment, du projet commun de France Télévisions et Radio France de création d'un média global de proximité sous la marque ICI.

2. Observations communes aux trois projets de COM

- Des COM inscrits dans la continuité des précédents

Les COM 2024-28 portent sur une période dont la première année, qui sert de pivot à la trajectoire des objectifs, est déjà largement engagée (3). L'ARCOM avait déjà regretté cette pratique lors des précédents COM (4) mais reconnait que le contexte fortement évolutif de négociation de ces contrats explique que sa transmission prévue en 2023 ait pu être retardée.

Les projets de COM s'appuient sur les COM précédents, dont ils prolongent les thèmes et reprennent certains objectifs stratégiques ou indicateurs, comme l'attestent le recours à de nombreuses thématiques et indicateurs des COM 2020-23 et les nombreuses références à la poursuite ou au renforcement de la stratégie mise en place par ces COM.

Il convient de saluer la volonté du Gouvernement d'adopter des documents plus concis et de réduire le volume d'objectifs et d'indicateurs des précédents COM, dont l'ARCOM avait regretté, dans ses précédents avis, le caractère parfois foisonnant et peu hiérarchisé. Cette volonté de se recentrer sur les priorités de l'audiovisuel public semble répondre à un souhait largement exprimé, tant par le public que par les élus ou les autres acteurs de l'écosystème des médias.

- Des indicateurs plus lisibles mais encore insuffisamment précis

L'ARCOM avait recommandé (5) de renforcer la transparence des COM et de leurs indicateurs. Elle avait suggéré, notamment, de rendre publics les COM (ce qui a été fait par la Direction générale des médias et des industries culturelles en août 2023), de mieux préciser les objectifs assignés à chaque antenne du service public, de documenter davantage leurs indicateurs d'audience et d'harmoniser les présentations comptables. Ces recommandations ont été en partie suivies.

Cependant, les objectifs et les indicateurs assignés à ces objectifs, certes moins nombreux que ceux des COM précédents, manquent encore parfois de précision. Ainsi, beaucoup d'objectifs ne sont pas quantifiés et se limitent à envisager une progression, notamment pour certains services bénéficiant d'une large audience, comme France 2.

L'ARCOM invite également à renforcer, lorsque cela est possible, l'harmonisation de ces indicateurs entre les trois sociétés, comme elle l'avait recommandé lors de la préparation du précédent COM. Par exemple, les trois sociétés recourent à trois indicateurs d'audience différents. A tout le moins, si France Télévisions confirmait son choix de privilégier des indicateurs de couverture plutôt que de part d'audience, il est recommandé d'opter pour des indicateurs hebdomadaires plutôt que mensuels de façon à mieux mesurer l'existence d'un lien réel et continu avec le public, surtout en matière d'information.

- L'importance d'adopter une stratégie globale plus unifiée et partagée

L'ARCOM a relevé à de multiples reprises, dans ses avis sur l'exécution des COM, que la stratégie de création de synergies entre les sociétés de l'audiovisuel n'était que très partiellement mise en œuvre. En l'absence de la création d'une structure unifiée destinée à piloter les projets communs à l'audiovisuel public, et a fortiori d'une fusion de ses sociétés, il importe désormais de relancer et d'amplifier la stratégie de convergence engagée par les précédents COM, stratégie qui demeure plus que jamais d'actualité.

Or, l'Autorité regrette que les COM ne comportent plus, à la différence des précédents, la partie commune aux trois entreprises de l'audiovisuel public qui illustrait une ambition de convergence. Elle constate, de surcroit, une grande hétérogénéité formelle entre les trois COM, le nombre d'objectifs et leur structuration variant fortement d'une société à l'autre.

Par ailleurs, les COM ne décrivent pas suffisamment les projets de coopération au sein de l'audiovisuel public, en particulier ceux qui seraient éligibles aux crédits de transformation évoqués dans les plans d'affaires. Ainsi, le suivi de ces projets semble difficile, alors qu'il avait été annoncé initialement que des outils de suivi des projets seraient mis en place par les COM.

Enfin, la mise en place de structures de pilotage et de gouvernance communes aux projets de rapprochement, condition indispensable à leur succès, n'est pas évoquée par les COM, bien qu'en pratique elle se prépare (Radio France et France Télévisions ont annoncé le 3 avril 2024 la nomination d'un responsable d'une part, des rapprochements entre France Bleu et France 3 ; d'autre part, de la coopération au sein de franceinfo:).

Ainsi, les stratégies de rapprochement exposées, qui demeurent générales ou reprises du COM précédent, gagneraient à bénéficier d'une nouvelle impulsion.

- Une trajectoire financière ambitieuse mais incertaine

Après la séquence d'économies de 2019 à 2022, qui conduisait à une trajectoire de ressources publiques en retrait sur la période du précédent COM, cette trajectoire est désormais en nette croissance sur la période des prochains COM et il convient de relever cet effort de l'Etat. La trajectoire comporte un volet de 232 M€ destiné à financer des « crédits de transformation » (6). Sa croissance globale est de 11 % entre 2024 et 2028, et demeure de 7 % après neutralisation des effets induits de la suppression de la redevance sur les charges (7) et de crédits de transformation, soit un taux supérieur à la prévision d'inflation cumulée pour les trois prochaines années (+ 5,9 %) (8).

L'ARCOM souligne la nécessité d'introduire dans le cadre des COM un suivi financier des grands projets de transformation, notamment dans les domaines du numérique et des programmes jeunesse, de façon à préciser dans quelle mesure les enveloppes dédiées à ces projets ont été consommées.

De nombreuses options adoptées dans le plan financier de l'audiovisuel public sont à saluer, en particulier le maintien d'un statu quo en matière d'ouverture de la publicité radio et télévisée aux médias publics, tout en préservant l'absence de plafonnement des recettes de publicité numérique, le retour à l'équilibre d'exploitation et la maîtrise raisonnable des charges de personnel.

Mais le cadre de cette trajectoire demeure précaire dès lors que, ainsi qu'il a été rappelé, le dispositif actuel de financement par prélèvement d'une partie de la TVA prend fin en 2024.

D'autres interrogations plus techniques subsistent :

- des plans d'économies très ambitieux sont annoncés mais peu détaillés (un suivi pourrait ainsi être envisagé dans le cadre du COM) ;

- la question du climat social et de la formation au numérique est peu abordée ;

- un certain manque d'ambition concernant les prévisions de croissance des ressources propres (à l'exception de Radio France) peut être observé.

L'actualisation opportune de certaines grandes missions de service public

- Soutenir la création artistique et intellectuelle

Les nouveaux COM renouvellent l'ambition de l'audiovisuel public dans le financement de la création. L'ARCOM souhaite rappeler son attachement à ce soutien, garant de la diversité des œuvres de création tant en production qu'en diffusion.

- Maintenir une offre d'information de référence

Dans un contexte de défiance et de fatigue informationnelle, France Télévisions, Radio France et France Médias Monde doivent demeurer des références et offrir à nos concitoyens une information honnête, vérifiée et pluraliste. Le média global franceinfo: est appelé à jouer un rôle crucial dans cette ambition, y compris dans les environnements numériques et les réseaux sociaux. L'ARCOM salue la mobilisation de l'ensemble de l'audiovisuel public contre les infox avec la création d'une marque unique « Vrai ou faux » pour agréger les contenus de lutte contre la désinformation.

Il convient toutefois que les indicateurs de confiance publiés par le COM gagnent en crédibilité en reposant sur une méthodologie commune aux trois sociétés et transparente (publication des résultats de l'étude). Par ailleurs, un accès plus large aux sources utilisées par les journalistes pour leur journaux télévisés, magazines et reportages (à l'instar de l'initiative NosSources émanant de France Télévisions) et la diffusion d'émissions de décryptage de l'information (y compris celles produites par le service public) seraient également de nature à améliorer la confiance dans l'information du service public. L'ARCOM recommande par ailleurs une position homogène des trois sociétés par rapport à la certification « Journalism Trust Initiative » soutenue par Reporters Sans Frontières, qui a été obtenue en 2022 par France Télévisions et en 2023 par France Médias Monde.

- Eduquer aux médias et à la citoyenneté numérique

Les sociétés audiovisuelles publiques doivent être les acteurs de référence pour l'éducation aux médias, à l'information et à la citoyenneté numérique et pour prémunir les jeunes contre la désinformation et la manipulation de l'information. Il importe qu'elles coordonnent leurs actions en la matière dans le cadre d'une stratégie commune. L'Autorité relève à cet égard la suppression des engagements relatifs à l'offre éducative Lumni commune à l'audiovisuel public (alors même que l'INA inclut dans son COM un indicateur sur le trafic mensuel de Lumni enseignement) et préconise que le ministère de l'éducation nationale encourage encore davantage les enseignants à s'approprier l'outil Lumni.

- Etre un facteur de cohésion sociale

Le rôle moteur que joue le service public pour promouvoir une incarnation et une représentation de la société dans toute sa diversité a déjà été souligné par l'ARCOM. Les nouveaux COM encouragent à juste titre l'audiovisuel public à continuer à jouer ce rôle en renforçant ses engagements.

S'agissant de l'égalité entre les femmes et les hommes, si les objectifs adoptés sont dans l'ensemble ambitieux, il peut être regretté qu'ils ne comportent pas d'engagement commun aux trois sociétés portant sur le temps de parole global des femmes à l'antenne. S'agissant de la représentation du handicap et de la diversité, l'ARCOM est satisfaite des grandes orientations présentées, qui appellent cependant quelques recommandations quant aux indicateurs propres à chaque société (voir annexes).

Enfin, pour ce qui concerne la nécessité pour le service public de tenir compte des défis climatiques, il conviendrait, a minima, d'inviter les entreprises de l'audiovisuel public à mettre en œuvre des « contrats-climat », comme le font de plus en plus de chaînes privées dans le cadre de leur convention conclue avec l'ARCOM.

D'autres missions cardinales sont encore à préciser

- Des stratégies de proximité à faire converger

L'objectif commun à France Télévisions et Radio France de créer un média global de proximité sous la marque ICI est une initiative pertinente. Cette stratégie nécessite cependant une clarification dans le cadre des COM afin, par exemple, de faire émerger un réel pilotage unifié, une ambition éditoriale partagée et de confirmer la priorité dont devra disposer la plateforme numérique ICI pour distribuer les contenus régionaux. Il importerait également que les COM comportent un objectif d'évolution du volume de programmes régionaux d'ICI.

- Mieux toucher les jeunes par une distribution adaptée et des contenus spécifiques

L'Autorité salue la volonté de créer de nouveaux réflexes d'écoute et de visionnage chez les jeunes générations en accentuant l'empreinte numérique des sociétés publiques. Cependant, les groupes doivent proposer davantage de contenus spécifiquement conçus pour le numérique (information) et selon de nouvelles écritures afin de capter un jeune public de plus en plus éloigné des médias traditionnels. Cette stratégie devrait se traduire dans les COM par des indicateurs de suivi plus précis.

- Une stratégie de coopération numérique plus volontariste afin d'unifier l'accès aux contenus audiovisuels publics

Les COM de France Télévisions et de Radio France comportent l'objectif d'une distribution numérique de toutes les offres du service public dans un univers cohérent de navigation. Cependant, le COM de France Médias Monde ne comporte pas un tel objectif et les modalités de mise en œuvre ne sont pas précisées.

Or, l'Autorité estime indispensable de faire émerger un accès en ligne unique à l'ensemble de l'audiovisuel public, comme cela existe dans la plupart des pays de l'Union européenne, a minima par la mise au point de passerelles simplifiées et visibles (la création d'un moteur de recherches en commun est à saluer), et à terme par la création d'une plateforme unique de l'audiovisuel public. Elle permettrait une meilleure visibilité des services et des contenus, notamment d'information et de création, et la construction d'une identité commune à l'ensemble des entreprises. Cette stratégie nécessite une coordination efficace entre les différentes entités pour faire converger les choix techniques et logistiques. Une interface utilisateur conviviale et intuitive est indispensable pour garantir son succès.

Le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française.