JORF n°0280 du 4 décembre 2018

Avis n° 2018-1163 du 25 septembre 2018

L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, (ci-après « l'Arcep »),

Vu la directive 2014/53/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative à l'harmonisation des législations des Etats membres concernant la mise à disposition sur le marché d'équipements radioélectriques ;

Vu la directive 2002/20/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l'autorisation de réseaux et de services de communications électroniques (ci-après directive « autorisation ») ;

Vu la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre règlementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques ;

Vu le code des postes et des communications électroniques (ci-après « CPCE »), notamment ses articles L. 32-1, L. 33 à L. 33-2, L. 36-5, L. 36-7, L. 39, L. 42, L. 130, D. 98 à D. 98-2 ;

Vu le code général des impôts (ci-après « CGI »), notamment son article 302 bis KH ;

Vu la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, notamment son article 42 ;

Vu la saisine pour avis du directeur général des entreprises en date du 13 septembre 2018, reçue le 13 septembre 2018,

Après en avoir délibéré le 25 septembre 2018,

  1. Contexte de la saisine

L'article L. 36-5 du CPCE prévoit que l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes est consultée sur les projets de loi, de décret ou de règlement relatifs au secteur des communications électroniques, et participe à leur mise en œuvre.
Par un courrier en date du 13 septembre 2018, le Directeur général des entreprises a sollicité l'avis de l'Arcep sur les dispositions des articles 13 et 14 du projet de loi portant suppression des surtranspositions des directives européennes en droit français, et qui modifieraient le code des postes et des communications électroniques, le code général des impôts, ainsi que certaines dispositions de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.
L'Arcep note que l'objectif principal du projet de dispositions qui lui est soumis pour avis est de retirer deux obligations imposées aux acteurs français, dans le secteur des communications électroniques, par le droit national, qui excèdent les objectifs fixés par certaines directives du cadre réglementaire de l'Union européenne relatif aux communications électroniques.
Les premières dispositions soumises pour avis - l'article 13 du présent projet - suppriment l'obligation, inscrite à l'article L. 33-1 du CPCE, pour les opérateurs de communications électroniques de transmettre à l'Autorité une déclaration préalable à l'établissement et l'exploitation des réseaux ouverts au public et à la fourniture au public de services de communications électroniques. Elles suppriment également les références à cette déclaration inscrites aux articles L. 32-1, L. 33-1, L. 33-2, L. 36-7, L. 39, L. 42 et L. 130 du CPCE ainsi que celle inscrite à l'article 302 bis KH du code général des impôts.
Les secondes dispositions soumises pour avis - l'article 14 du présent projet - suppriment l'obligation issue de l'article 42 de la loi pour une République numérique imposant que « tout nouvel équipement terminal, au sens de l'article L. 32 du code des postes et des communications électroniques, destiné à la vente ou à la location sur le territoire français [soit] compatible avec la norme IPV6 ».

  1. Observations de l'Arcep
    2.1. Sur le projet d'article 13

L'article 13 du présent projet vise à supprimer l'obligation, prévue à l'article L. 33-1 du CPCE, pour les opérateurs de communications électroniques de transmettre à l'Autorité une déclaration préalable à l'établissement et l'exploitation des réseaux ouverts au public et à la fourniture au public de services de communications électroniques.
S'agissant du cadre européen, l'article 3 de la directive 2002/20/CE (1) modifiée, dite directive « autorisation », prévoit que : « 2. La fourniture de réseaux de communications électroniques ou la fourniture de services de communications électroniques ne peut faire l'objet […] que d'une autorisation générale. L'entreprise peut être invitée à soumettre une notification, mais ne peut être tenue d'obtenir une décision expresse ou tout autre acte administratif de l'autorité réglementaire nationale avant d'exercer les droits découlant de l'autorisation. […] 3. La notification visée au paragraphe 2 se limite à une déclaration établie par une personne physique ou morale à l'attention de l'autorité réglementaire nationale, l'informant de son intention de commencer à fournir des réseaux ou des services de communications électroniques […] » (soulignement ajouté). Par ailleurs, il apparait que le projet de directive établissant le futur code européen des communications électroniques prévoit uniquement le recours à un mécanisme de notification si l'Etat membre juge qu'il est justifié. L'Autorité souligne au regard de ces éléments, que l'exigence d'une déclaration préalable des opérateurs de communications électroniques est une possibilité laissée à chaque Etat Membre et non une obligation.
L'Autorité note que l'obligation législative de déclaration préalable est assortie d'obligations réglementaires, parmi lesquelles l'obligation pour les opérateurs de déclarer certaines informations à l'Autorité (article D. 98 du CPCE) et l'obligation pour le président de l'Autorité de délivrer, dans un délai de trois semaines à compter de la réception de la déclaration, un récépissé comportant un numéro d'enregistrement (articles D. 98-1 et D. 98-2 du CPCE). La suppression de l'obligation de déclaration préalable devrait entrainer en conséquence la suppression d'un certain nombre de dispositions du CPCE, nécessitant l'adoption d'un décret simple.
Avec l'adoption de ce projet de loi, la France rejoindrait le Danemark et le Royaume-Uni dont les législations nationales, à ce jour, n'imposent pas aux opérateurs de communications électroniques de transmettre une déclaration à l'autorité nationale de régulation des communications électroniques. L'Autorité n'a pas connaissance de difficulté particulière, dans ces pays, en lien avec l'absence de déclaration.
S'agissant des opérateurs lui ayant transmis une déclaration en France, l'Autorité constate que leur nombre vient de dépasser 2 700 en septembre 2018 et qu'il augmente à un rythme annuel compris entre 350 et 400 depuis 2016.

Evolution du nombre d'opérateurs déclarés auprès de l'Arcep

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(*) Les données 2018 ont été établies au 12 septembre 2018.

Ainsi, à ce jour, le mécanisme de déclaration des opérateurs ne constitue plus une source d'information pour l'Autorité utile à l'exercice de sa mission de régulation.
L'Arcep note en outre que les dispositions du projet de loi visant à supprimer les sanctions pénales afférentes au non-respect de l'obligation de déclaration préalable sont cohérentes avec la suppression de l'obligation de déclaration préalable.
Dans ces conditions, l'Autorité est favorable à cette mesure de simplification administrative visant à supprimer l'obligation pour les opérateurs de lui transmettre une déclaration.
Toutefois, il conviendrait également d'apporter certaines modifications supplémentaires en cohérence avec la suppression de l'obligation de déclaration. Tout d'abord, au 17° bis de l'article L. 32 du CPCE, il conviendrait de supprimer le mot : « déclaré ». Ensuite, au premier alinéa du II de l'article L. 33-1 du CPCE, il conviendrait de remplacer les mots « l'activité déclarée » par : « leur activité ». Puis, au dernier alinéa du III de l'article L. 33-1 du CPCE, il conviendrait de supprimer les mots : « déclarés en application du présent article ». Au septième alinéa de l'article L. 130 du CPCE, il conviendrait de supprimer les mots : « du quatrième alinéa de l'article L. 33-1 du CPCE ». Enfin, au septième alinéa de l'article L. 135 du CPCE, il conviendrait de remplacer la référence aux « opérateurs ayant effectué la déclaration prévue à l'article L. 33-1 » par les termes d'« opérateurs de communications électroniques ».

2.2. Sur le projet d'article 14

L'article 14 du présent projet prévoit d'abroger l'article 42 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique. Ce dernier indique qu'« à compter du 1er janvier 2018, tout nouvel équipement terminal, au sens de l'article L.32 du code des postes et des communications électroniques, destiné à la vente ou à la location sur le territoire français doit être compatible avec la norme IPv6 ».
S'agissant du cadre européen, il apparaît que la directive 2014/53/UE susvisée n'impose pas la compatibilité des équipements terminaux avec IPv6. Par ailleurs, la rédaction actuelle de l'article 42 de la loi pour une République numérique pouvait présenter certaines difficultés d'application, notamment concernant le périmètre des équipements terminaux concernés. En effet, il semblerait par exemple que certains de ces équipements, au sens de l'article L. 32 du CPCE (2), ne possèdent pas d'adresses IP et ne pourraient donc pas se conformer à l'obligation prévue par l'actuel article 42 de la loi pour une République numérique pour des raisons techniques.
L'Arcep tient cependant à souligner l'importance d'accélérer significativement la transition vers IPv6 des différents maillons de la chaîne technique, notamment celle des produits et services fournis par les équipementiers, mais aussi par les fournisseurs d'accès à internet et les hébergeurs. En effet, la date de fin de disponibilité d'adresses IPv4 en Europe approche. Estimée à fin 2021, elle entraîne d'ores et déjà une augmentation significative du prix des adresses IPv4, devenues les ressources rares de l'internet du XXIe siècle. Ce prix élevé pourrait être suceptible d'ériger une barrière à l'entrée à l'encontre des nouveaux acteurs du marché et augmente le risque de voir se développer un internet scindé en deux, IPv4 d'un côté et IPv6 de l'autre.

Evaluation et estimation du stock d'adresses IPv4 disponible

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Source : RIPE-NCC et projection Arcep.

Dans la continuité des conclusions du rapport (3) remis au Gouvernement en juin 2016 et comportant plusieurs leviers d'action de nature à accompagner la transition vers IPv6, l'Autorité incite les différents acteurs à accélérer la migration :

- en publiant un observatoire annuel de la transition vers IPv6 en France ;
- en mettant en place un espace d'échanges afin de fédérer la communauté et permettre un partage de bonne pratiques en terme de déploiement d'IPv6.

Néanmoins, il apparaît que certains acteurs n'envisagent toujours pas un déploiement qui permettrait d'avoir terminé la migration à moyen terme. Or cette situation constitue un frein à l'innovation, en pénalisant les petits acteurs ou en ralentissant le développement de nouveaux services.
Extrait de l'observatoire de la transition vers IPv6 en France publié par l'ARCEP en décembre 2017 :

Prévisions des taux de clients du réseau fixe activés en IPv6
(Projections réalisées par les opérateurs en 2017, chiffres susceptibles d'évoluer)

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Au vu de la situation actuelle, il est nécessaire que le gouvernement mette rapidement en place des mesures additionnelles, en concertation avec les acteurs de l'écosystème et ses partenaires européens. Celles-ci pourraient par exemple passer par la mise en place de calendriers de déploiement opposables aux acteurs.

  1. Conclusion

S'agissant de la suppression de l'obligation de déclaration préalable des opérateurs de communications électroniques, l'Autorité est favorable à cette mesure de simplification administrative. Elle tient à rappeler que les opérateurs de communications électroniques restent soumis à l'ensemble des obligations attachées à la qualité d'opérateur.
S'agissant de la suppression de l'obligation de compatiblité IPv6 des terminaux de communications électroniques, l'Arcep prend acte de l'abrogation de cette disposition qui pouvait présenter des difficultés d'application. L'Autorité rappelle néanmoins l'importance d'une accélération significative de la transition vers IPv6 des différents acteurs de la chaîne technique et souligne la nécessité de mettre en place rapidement en concertation avec les parties prenantes des mesures plus incitatives ou coercitives, idéalement au niveau européen.
Le présent avis sera transmis au Directeur général des entreprises.

Fait à Paris, le 25 septembre 2018.

Le président,

S. Soriano

(1) Directive 2002/20/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l'autorisation de réseaux et de services de communications électroniques modifiée par la directive 2009/140/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009.

(2) " On entend par équipement terminal tout équipement destiné à être connecté directement ou indirectement à un point de terminaison d'un réseau en vue de la transmission, du traitement ou de la réception d'informations ".

(3) https://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/rapport-gvt-transition-IPv6-sept2016.pdf.