I. ― Cadre de la saisine de l'Autorité
En application des dispositions de l'article L. 36-5 du code des postes et des communications électroniques (ci-après « CPCE »), l'Autorité est saisie par le ministre chargé de l'industrie d'une demande d'avis sur le projet de décret portant application de l'article L. 49 du CPCE.
- L'article L. 49 du CPCE
Dans un premier temps, l'article L. 49 du CPCE, issu de l'article 27 de la loi n° 2009-1572 du 17 décembre 2009, relative à la lutte contre la fracture numérique, prévoit deux obligations d'information et de publicité préalable pour les opérations de travaux d'installation ou de renforcement d'infrastructures de réseaux d'une longueur significative sur le domaine public :
-
une obligation applicable au maître d'ouvrage de l'opération de travaux d'information de la collectivité ou du groupement désigné par le schéma directeur territorial d'aménagement numérique ou, à défaut, du Préfet de région ;
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une obligation applicable au destinataire de l'information d'assurer la publicité de celle-ci auprès des collectivités territoriales concernées, de leurs groupements et des opérateurs de communications électroniques.
Sont soumis aux obligations d'information et de publicité prévues par l'article L. 49, dès lors qu'ils ont d'une longueur significative :
― les aménagements de surface, lorsque l'opération nécessite un décapage du revêtement et sa réfection ultérieure ;
― les réseaux aériens, lorsque l'opération nécessite la mise en place ou le remplacement d'appuis ;
― les réseaux souterrains, lorsque l'opération nécessite la réalisation de tranchées.
Dans un second temps, l'article L. 49 dispose que, pour ces travaux, sur demande motivée d'une collectivité, d'un groupement de collectivités ou d'un opérateur de communications électroniques, le maître d'ouvrage de l'opération est tenu d'accueillir dans ses tranchées, les infrastructures d'accueil de câbles de communications électroniques réalisées par le demandeur ou pour son compte, ou de dimensionner ses appuis de manière à permettre l'accroche de câbles de communications électroniques pour le demandeur, sous réserve de la compatibilité de l'opération avec les règles de sécurité et le fonctionnement normal du réseau pour lequel les travaux sont initialement prévus.
Sauf en cas d'accord sur un mode de prise en charge différent, la collectivité ou l'opérateur demandeur prend en charge les coûts supplémentaires nécessaires à la réalisation de ses propres infrastructures et supporte, en outre, une part équitable des coûts communs.
Par ailleurs, l'article L. 49 précise que les infrastructures souterraines ainsi réalisées deviennent, à la fin des travaux, la propriété du demandeur. S'agissant des infrastructures aériennes, le demandeur dispose d'un droit d'usage de l'appui aérien afin de lui permettre l'accroche de ses câbles de communications électroniques.
Enfin, l'article L. 49 prévoit la conclusion d'une convention entre le maître d'ouvrage et le demandeur afin de définir les conditions techniques, organisationnelles et financières de réalisations de ces infrastructures. -
Le projet de décret
Le dernier alinéa de l'article L. 49 prévoit qu'un décret détermine les modalités de son application, notamment la longueur significative des opérations de travaux soumises aux obligations de cet article, le délai dans lequel doit intervenir la demande de la collectivité ou de l'opérateur à l'égard du maître d'ouvrage de l'opération de travaux initiale ainsi que la quote-part des coûts communs supportés par le demandeur.
Le projet de décret envisage d'insérer les articles R. 20-54-1 à R. 20-54-4 dans la partie réglementaire du CPCE.
Les observations de l'Autorité portent sur ce projet de décret.
II. ― Observations sur le projet de décret
- Sur l'article 2 du projet de décret relatif
à la définition d'une longueur significative
Les dispositions envisagées par le projet de décret :
L'article 2 du projet de décret précise la longueur minimale d'une opération de travaux donnant lieu à information et à publicité en application de l'article L. 49. Cette précision permet de circonscrire les obligations posées aux seuls travaux d'une certaine ampleur, en excluant notamment les raccordements individuels.
L'article 2 du projet de décret fixe ainsi « la longueur minimale » des opérations de travaux mentionnée à l'article L. 49 du CPCE à :
― 150 mètres pour les réseaux situés en totalité ou partiellement dans les zones de population agglomérée des communes ;
― 1 000 mètres pour les réseaux situés en dehors de ces zones.
Sur la pertinence d'un découpage en fonction de zones :
L'Autorité est favorable au principe d'une appréciation distincte de la « longueur minimale » au regard d'un critère de densité de la population. En effet, l'Autorité estime pertinent d'opérer un découpage entre les zones dites « urbanisées » et les zones dites « rurales » pour déclencher le dispositif prévu à l'article L. 49 du CPCE.
Dans ces deux types de zones, l'opportunité pour une collectivité ou un opérateur de communications électroniques de profiter de travaux réalisés sur le domaine public pour déployer un réseau de communications électroniques s'apprécie différemment : en zones à forte densité, il s'agira, pour l'essentiel, d'installer des infrastructures pour assurer la desserte de réseaux très haut débit vers l'utilisateur final. En revanche, dans les autres zones, il s'agira, le plus souvent, de déploiements de réseaux de collecte, impliquant des opérations de travaux sur des longueurs de réseaux nécessairement plus grandes.
L'Autorité attire néanmoins l'attention sur le choix des critères de découpage opéré par le projet de décret, selon que les travaux se situent en « zone de population agglomérée » ou « en dehors de ces zones ». L'exposé des motifs précise que la notion de « zone de population agglomérée » doit être comprise au sens de la définition des unités urbaines de l'INSEE. Or, la définition de l'INSEE ne fait plus expressément référence à la notion de « zone de population agglomérée » mais se fonde sur celle de continuité du tissu bâti. Ainsi, l'INSEE précise que « la notion d'unité urbaine repose sur la continuité de l'habitat : est considérée comme telle un ensemble d'une ou plusieurs communes présentant une continuité du tissu bâti (pas de coupure de plus de 200 mètres entre deux constructions) et comptant au moins 2 000 habitants » (site internet de l'INSEE).
L'Autorité estime donc préférable que le découpage des zones se fonde sur le critère de la continuité du tissu bâti, critère pris en compte dans la définition actuelle de l'unité urbaine de l'INSEE.
Sur les seuils proposés par le projet de décret :
La détermination du seuil de la « longueur significative » permet d'exonérer les déploiements d'ampleur limitée du respect des obligations d'information et de mutualisation des opérations de travaux envisagées par l'article L. 49.
Il convient donc de définir des seuils raisonnables pour, d'une part, assurer la pleine effectivité des dispositions de l'article L. 49, et, d'autre part, ne pas entraver le déploiement des réseaux en raison de contraintes procédurales inadaptées.
S'agissant spécifiquement des « zones de population agglomérée des communes », il s'agit de ne pas compliquer ou retarder inutilement les petites opérations de voirie, pour lesquelles la mutualisation des travaux n'apporterait qu'un avantage marginal au demandeur. En effet, le nombre d'interventions sur des petites distances est particulièrement significatif (de l'ordre de 50 000 opérations par an de dévoiement et d'extension de réseau effectuées par France Télécom).
Un seuil trop faible pourrait ainsi conduire à engorger le dispositif et à ralentir de façon importante la réalisation des travaux des opérateurs. Or, le choix d'une longueur significative minimale de 150 mètres tend à inclure des travaux de petite envergure qui ont souvent besoin d'être conduits rapidement pour assurer la continuité du service.
Le choix d'une longueur minimale de 250 mètres permettrait d'exclure plus de 90 % de ces petites opérations et apparaît donc plus pertinent. Au surplus, l'Autorité note qu'avec le seuil de 250 mètres, les opérations mineures situées en adduction, qui ne sont pas souvent compatibles avec les délais mentionnés, échappent à l'application de l'article L. 49 du CPCE.
En revanche, s'agissant du seuil envisagé par le projet de décret concernant les zones non urbanisées, l'Autorité estime que le seuil de 1 000 mètres est pertinent.
Par ailleurs, l'Autorité s'interroge sur l'application du critère du nombre de mètres linéaires permettant de définir la « longueur significative » s'agissant de travaux réalisés sur des infrastructures aériennes. Si l'unité du mètre linéaire semble être la plus adaptée pour les travaux d'infrastructures souterraines, elle mérite d'être précisée pour les travaux portant sur des appuis aériens.
En effet, le remplacement ou le renforcement d'appuis aériens peut s'opérer de manière discontinue sur un même tronçon de réseau. Ainsi, un opérateur peut ne remplacer qu'une fraction de ses appuis aériens sur une longue liaison. Il conviendrait de préciser si le fait que les travaux ne concernent que certains appuis a une incidence sur l'application des obligations envisagées par l'article L. 49.
- Sur l'article 3 du projet de décret
relatif au délai de la demande
Le projet de décret prévoit que le demandeur dispose d'un délai de six semaines pour formuler sa demande auprès du maître d'ouvrage de l'opération à compter de la publicité réalisée par la collectivité concernée ou le représentant de l'Etat.
L'Autorité estime qu'il serait préjudiciable que les obligations posées par l'article L. 49 conduisent à ralentir de manière sensible l'exécution de travaux de déploiement de nouveaux réseaux. A cet égard, l'Autorité estime que le délai de six semaines prévu par le décret est pertinent.
- Sur l'article 4 du projet de décret
relatif à la répartition des coûts
Les dispositions envisagées par le projet de décret :
Le quatrième article du projet de décret dispose que, sauf convention dérogatoire, « les coûts communs, notamment les coûts de terrassement pour les réseaux enterrés et les coûts de fourniture et de pose pour les réseaux aériens ainsi que les coûts d'études, sont partagés par le maître d'ouvrage et le demandeur à proportion de l'utilisation de l'ouvrage par leurs installations respectives, à savoir :
― pour les réseaux enterrés, au prorata de la somme des surfaces des sections des conduites ou des câbles en pleine terre de chaque propriétaire ;
― pour les réseaux aériens :
― 50 % au prorata du poids linéaire des câbles de chaque propriétaire ;
― 50 % au prorata du nombre de câbles de chaque propriétaire. »
Si la rédaction envisagée ne soulève pas de remarque particulière concernant le partage des coûts communs des infrastructures de surface ou souterraines, l'Autorité entend formuler des observations concernant l'application des principes pour les réseaux aériens.
Sur l'éligibilité des travaux de renforcement d'appuis aériens :
A titre liminaire, l'Autorité s'interroge sur la portée de l'article L. 49 et de son décret d'application concernant les travaux de renforcement des appuis aériens. En effet, le premier alinéa de l'article L. 49 dispose qu'est soumis à différentes obligations, « le maître d'ouvrage d'une opération de travaux d'installation ou de renforcement d'infrastructures de réseaux [...] ». Si cette rédaction indique que les travaux de renforcement des appuis aériens sont inclus dans le champ d'application de l'article, la description précise des travaux concernés pour les réseaux aériens semble écarter cette hypothèse, dans la mesure où elle dispose : « lorsque l'opération nécessite la mise en place ou le remplacement d'appuis ».
Concernant les réseaux aériens, cette précision est pourtant très importante. En effet, une partie significative des travaux sur les réseaux aériens nécessaires au déploiement de nouveaux réseaux se limite au renforcement des appuis existants par la mise en place de « béquilles » ou de « contreforts ». Ainsi, l'Autorité suggère de préciser que ces travaux de renforcement sont effectivement éligibles au dispositif prévu par l'article L. 49.
Sur le périmètre des coûts communs pour les réseaux aériens :
L'hypothèse de l'inclusion des travaux de renforcement des appuis aériens dans le champ d'application de l'article L. 49 appelle à des précisions complémentaires concernant le périmètre des coûts communs.
Il convient en effet de préciser les travaux qui font l'objet d'un cofinancement entre le maître d'ouvrage et le demandeur. A ce titre, l'Autorité propose que, dans ces coûts communs, il soit également indiqué les cas de renforcement d'appuis (pose de contreforts par exemple), dès lors que le 6e alinéa de l'article L. 49 fait référence au « dimensionnement des appuis », qui semble inclure le renforcement. Dans cette hypothèse, l'ensemble de l'appui aérien (le poteau existant et le contrefort) est susceptible de faire partie des coûts communs.
Par ailleurs, le projet de décret inclut dans les coûts communs des réseaux aériens « les coûts de fourniture et de pose », sans préciser s'il s'agit de la fourniture et de la pose des poteaux ou de leurs contreforts, des traverses ou des câbles.
L'Autorité estime qu'il conviendrait de clarifier les éléments de réseaux qui ont vocation à être utilisés conjointement par le maître d'ouvrage et le demandeur et qui s'inscrivent dès lors dans le périmètre des coûts communs. Aussi, l'Autorité propose que le projet de décret liste de manière exhaustive l'ensemble des coûts communs qu'il s'agisse d'infrastructures souterraines ou aériennes.
Sur le partage des coûts au regard de la régulation asymétrique de l'ARCEP :
A la lecture du projet de décret, l'Autorité constate que le partage des coûts communs tel que prévu dans le texte ne s'applique pas dès lors qu'une convention conclue entre le maître d'ouvrage et le demandeur en décide autrement. Cette précision semble tout à fait pertinente pour permettre aux acteurs concernés de trouver librement des accords répondant à leurs contraintes respectives.
L'Autorité attire néanmoins l'attention sur le fait que, dans le cadre des pouvoirs dont elle dispose, notamment au titre des articles L. 37-1 et suivants du CPCE, elle pourrait éventuellement imposer à un opérateur disposant d'une influence significative une obligation de partage de l'usage des ses appuis aériens. Les modalités techniques, juridiques et tarifaires d'une telle obligation relèveraient de l'appréciation de l'Autorité au regard du but poursuivi et de l'analyse des risques concurrentiels identifiés. Dès lors, afin de préserver l'effectivité de la régulation que l'Autorité est susceptible de mettre en place, le décret pourrait expressément prévoir que la dérogation contractuelle à la règle de partage des coûts communs peut notamment résulter de la régulation sectorielle.
Ainsi, dans le cadre de la révision anticipée du marché de gros des offres d'accès aux infrastructures physiques constitutives de la boucle locale filaire (dit « marché 4 »), l'Autorité examinera la situation concurrentielle des infrastructures de génie civil aériennes susceptibles d'être mobilisées pour le déploiement de nouveaux réseaux en fibre optique. C'est pourquoi il serait préférable que les règles de calcul relatives au partage des coûts ne préjugent pas des modalités d'une éventuelle régulation sectorielle des infrastructures concernées.
A cet effet, l'Autorité propose de modifier le début de l'article 4 du projet de décret comme suit : « Sauf lorsque la convention entre le maître d'ouvrage et le demandeur prévue à l'article L. 49 en décide autrement et sous réserve des décisions prises par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, en application du code des postes et des communications électroniques, les coûts communs... ».
Par ailleurs, il convient de rappeler que l'article 12 de la directive cadre n° 2002/21/CE modifiée par la directive n° 2009/140/CE adoptée le 17 septembre 2009 et actuellement en cours de transposition, prévoit que les autorités réglementaires nationales peuvent imposer le partage des éléments de réseaux et des ressources associées, notamment le génie civil aérien (poteaux et pylônes), ainsi que le partage des coûts de certains éléments de réseaux, entre les immeubles et le point de mutualisation. L'article 12 prévoit également que les Etats membres peuvent prendre des mesures visant à faciliter la coordination de travaux publics. Ainsi, l'Autorité se félicite que le dispositif prévu par le projet de décret portant application de l'article L. 49 du CPCE réponde aux objectifs et aux conditions fixés par l'article 12 de la directive.
III. ― Conclusion
Sous réserve des observations formulées ci-dessus, l'Autorité émet un avis favorable sur le projet de décret portant application de l'article L. 49 du CPCE.
Le présent avis sera transmis au ministre auprès de la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, chargé de l'industrie, et publié au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris, le 15 juin 2010.
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