JORF n°0176 du 31 juillet 2013

  1. Pire, ces différents projets concentrent dans les mains d'une seule personne, particulièrement exposée aux pressions de toute part, l'intégralité des pouvoirs actuellement confiés à différents procureurs. En effet, le projet de loi organique relatif au procureur de la République financier et le projet de loi relatif à la fraude fiscale créent un procureur de la République financier, à compétence nationale, placé sous l'autorité hiérarchique du procureur général de Paris. Le procureur de la République financier ne dispose donc d'aucune garantie particulière d'indépendance, alors qu'il sera particulièrement soumis à toutes formes d'influences et pourrait être fréquemment soupçonné de partialité faute d'un mode de nomination incontestable. En cas d'échec de la réforme du CSM, ce dernier n'émettrait ainsi qu'un avis simple concernant la nomination du procureur de la République financier. Même en cas de succès de cette réforme, le procureur financier serait proposé par le garde des sceaux, avec un avis conforme du CSM, et nommé par le Président de la République. Autrement dit, le pouvoir exécutif interviendrait largement dans sa désignation. En outre, il serait soumis au procureur général de Paris, lui-même soumis hiérarchiquement au ministre de la justice, alors qu'il est chargé de lutter contre les atteintes à la probité qui peuvent concerner des élus proches du garde des sceaux ou de son gouvernement.
  2. Pourtant, d'un point de vue purement organisationnel, la création d'un procureur de la République financier répond à plusieurs préoccupations qui sont partagées par la CNCDH. La complexité et le caractère dissimulé des infractions économiques et d'atteintes à la probité nécessitent, sans aucun doute, leur traitement par de vastes équipes d'investigation structurées et flexibles ainsi qu'une certaine spécialisation des autorités chargées de l'action publique et de l'instruction. Il peut être également indispensable de faire des liens entre différents faits parfois connexes qui peuvent avoir été commis en plusieurs lieux du territoire national. Enfin, la création d'un procureur de la République financier identifiable aurait pour effet de soumettre celui-ci a une forme de publicité et donc au regard des médias et de l'opinion publique ce qui pourrait garantir, dans une certaine mesure, l'impartialité et l'efficacité de son action.
  3. A ce stade, il est difficile de présager ce qu'il adviendra de cette autorité de poursuite nationale, qui est relativement inconnue dans notre droit. Il lui appartiendra de trouver progressivement sa place dans une architecture complexe. Si la CNCDH peut admettre la nécessité d'instaurer des institutions et des procédures spécifiques pour traiter de problèmes spécifiques, elle met en garde le législateur contre le risque d'éclatement et de complexification à outrance de la procédure pénale que peut engendrer la multiplication des procédures dérogatoires. Les règles applicables aux justiciables risquent de devenir illisibles et de porter atteinte au principe d'égalité devant la loi pénale. Le procureur de la République financier national, les juges d'instruction de Paris et tribunal correctionnel de Paris exerceraient une compétence concurrente à celle des autorités normalement compétentes ― sauf pour certains délits du code monétaire et financier où ils seraient seuls compétents ― et cela, sans régime de règlement des conflits. Il serait à cet égard important de prévoir, qu'en cas de désaccord entre procureurs, il appartiendrait au procureur financier de saisir la Cour de cassation. Cette saisine serait d'autant plus justifiée que la compétence du procureur entraîne celle des juridictions d'instruction et de jugement. Le procureur de la République financier devra en outre collaborer avec les juridictions interrégionales spécialisées, les autres procureurs de la République ou le ministère du budget. Dans le respect d'une organisation judiciaire unifiée et égale sur tout le territoire, la CNCDH considère qu'il aurait été plus intelligible et moins problématique de renforcer le dispositif existant à partir des pôles économiques et financiers ou des juridictions interrégionales spécialisées qui sont amenées à les remplacer.
    La CNCDH est donc opposée à la création d'un procureur de la République financier qui ne bénéficie pas de suffisamment de garanties d'indépendance. Si le Gouvernement insistait dans cette voie, il serait absolument indispensable de lui accorder davantage de garanties d'indépendance.
  4. Parmi ces différents dispositifs dérogatoires, l'un mérite une attention particulière : l'article 1er du projet de loi relatif à la fraude fiscale reconnaît un droit pour les associations déclarées depuis cinq ans et luttant contre la corruption d'exercer les droits reconnus à la partie civile. Cette faculté des associations de déclencher la procédure pénale constitue une avancée importante, susceptible de palier partiellement le manque d'indépendance du ministère public dans certaines affaires délicates. Le risque de multiplication des procédures abusives est faible car la procédure pénale comprend déjà de multiples règles pour l'éviter (dépôt de plainte préalable auprès du procureur de la République, consignation, amendes civiles et poursuites pénales possibles en cas de plainte abusive). Or, par crainte de constitutions de partie civile abusives, le projet de loi renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de préciser lesquelles des associations seront agréées. Pour la CNCDH, cette condition supplémentaire est inutile, voire elle pourrait limiter, en pratique, l'avancée que constitue l'article 1er de ce projet de loi. Elle manifeste, une nouvelle fois, une méfiance regrettable à l'égard du rôle des victimes, des associations et, d'une certaine manière, des avocats dans le fonctionnement de la justice pénale.
    La CNCDH demande que soit supprimée la condition d'agrément préalable au droit des associations luttant contre la corruption d'exercer les droits reconnus à la partie civile.
    Sur la lutte contre la fraude fiscale :
  5. La CNCDH considère comme essentiel de rétablir le rôle central de la justice pénale en matière de fraude fiscale. L'impossibilité pour le parquet de poursuivre les faits de fraude fiscale sans plainte préalable de l'administration fiscale, après avis conforme de la Commission des infractions fiscales, est la source de phénomènes contraires aux exigences fondamentales de l'Etat de droit. Elle permet des arrangements opaques et en opportunité contraires au principe d'égalité devant l'impôt. Selon ses partisans, le monopole de l'administration fiscale sur le déclenchement des poursuites permettrait de négocier avec les fraudeurs, en utilisant la menace de sanctions pénales, pour obtenir le paiement maximum des sommes dues. Mais pour autant que cette rationalité financière soit exacte, elle ne peut à, à elle seule, résumer l'ensemble des enjeux de la fraude fiscale et fonder l'organisation de sa répression. Rien dans le contenu et la gravité des infractions de fraude fiscale ― aussi bien en ce qui concerne l'agissement fautif que le préjudice causé ― ne justifie que soit mis en place un système excluant l'intervention de ministère public et du juge pénal selon le bon vouloir du ministère du budget. La fraude fiscale, qui constitue pourtant une atteinte dangereuse au pacte social, apparaît ainsi comme une infraction moins grave et moins illégitime dès lors qu'elle peut « se régler à l'amiable » (22). Ce faisant, l'infraction de fraude fiscale est peu dissuasive. Cette procédure dénuée de toute transparence explique le faible nombre de condamnations au pénal pour fraude fiscale (23). Un tel système aboutit même à des solutions discriminatoires, l'administration fiscale ne saisissant le parquet que des cas peu intéressants économiquement (24).

(22) Article L. 228 du livre des procédures fiscales : « Sous peine d'irrecevabilité, les plaintes tendant à l'application de sanctions pénales en matière d'impôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d'affaires, de droits d'enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre sont déposées par l'administration sur avis conforme de la commission des infractions fiscales. La commission examine les affaires qui lui sont soumises par le ministre chargé du budget. » (23) Données statistiques relatives aux sanctions pénales pour fraude à l'impôt : 838 condamnations toutes juridictions confondues en 2011. Durée moyenne de la procédure : 69,7 mois : beaucoup plus long que la durée moyenne (12,4 mois), 582 condamnations à une peine d'emprisonnement, dont 87 fermes. Ministère de la justice : les condamnations année 2011. (24) Ainsi, à l'occasion de son rapport annuel 2010, la Cour de comptes a « publié les résultats d'une enquête menée dans les services locaux de la direction générale des finances publiques (DGFiP), qui recouvrent 88 % des recettes fiscales de l'Etat et des collectivités locales ». Elle a constaté une inégalité de traitement importante. Elle a ainsi souligné que « Les plaintes pour fraude fiscale déposées par l'administration auprès des juridictions pénales sont passées de 860 en 2000 à 992 en 2008. Cependant, cette progression résulte entièrement de l'augmentation des plaintes visant des entrepreneurs du bâtiment (319 en 2008, contre 112 en 2000), qui représentent près du tiers des plaintes en 2008. Une part très élevée de ces plaintes concerne des maçons originaires d'un même pays méditerranéen dont la surreprésentation peut avoir deux causes : ils mettent en œuvre des schémas de fraude simples et, de fait, ils se défendent peu. »


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Version 1

29. Pire, ces différents projets concentrent dans les mains d'une seule personne, particulièrement exposée aux pressions de toute part, l'intégralité des pouvoirs actuellement confiés à différents procureurs. En effet, le projet de loi organique relatif au procureur de la République financier et le projet de loi relatif à la fraude fiscale créent un procureur de la République financier, à compétence nationale, placé sous l'autorité hiérarchique du procureur général de Paris. Le procureur de la République financier ne dispose donc d'aucune garantie particulière d'indépendance, alors qu'il sera particulièrement soumis à toutes formes d'influences et pourrait être fréquemment soupçonné de partialité faute d'un mode de nomination incontestable. En cas d'échec de la réforme du CSM, ce dernier n'émettrait ainsi qu'un avis simple concernant la nomination du procureur de la République financier. Même en cas de succès de cette réforme, le procureur financier serait proposé par le garde des sceaux, avec un avis conforme du CSM, et nommé par le Président de la République. Autrement dit, le pouvoir exécutif interviendrait largement dans sa désignation. En outre, il serait soumis au procureur général de Paris, lui-même soumis hiérarchiquement au ministre de la justice, alors qu'il est chargé de lutter contre les atteintes à la probité qui peuvent concerner des élus proches du garde des sceaux ou de son gouvernement.

30. Pourtant, d'un point de vue purement organisationnel, la création d'un procureur de la République financier répond à plusieurs préoccupations qui sont partagées par la CNCDH. La complexité et le caractère dissimulé des infractions économiques et d'atteintes à la probité nécessitent, sans aucun doute, leur traitement par de vastes équipes d'investigation structurées et flexibles ainsi qu'une certaine spécialisation des autorités chargées de l'action publique et de l'instruction. Il peut être également indispensable de faire des liens entre différents faits parfois connexes qui peuvent avoir été commis en plusieurs lieux du territoire national. Enfin, la création d'un procureur de la République financier identifiable aurait pour effet de soumettre celui-ci a une forme de publicité et donc au regard des médias et de l'opinion publique ce qui pourrait garantir, dans une certaine mesure, l'impartialité et l'efficacité de son action.

31. A ce stade, il est difficile de présager ce qu'il adviendra de cette autorité de poursuite nationale, qui est relativement inconnue dans notre droit. Il lui appartiendra de trouver progressivement sa place dans une architecture complexe. Si la CNCDH peut admettre la nécessité d'instaurer des institutions et des procédures spécifiques pour traiter de problèmes spécifiques, elle met en garde le législateur contre le risque d'éclatement et de complexification à outrance de la procédure pénale que peut engendrer la multiplication des procédures dérogatoires. Les règles applicables aux justiciables risquent de devenir illisibles et de porter atteinte au principe d'égalité devant la loi pénale. Le procureur de la République financier national, les juges d'instruction de Paris et tribunal correctionnel de Paris exerceraient une compétence concurrente à celle des autorités normalement compétentes ― sauf pour certains délits du code monétaire et financier où ils seraient seuls compétents ― et cela, sans régime de règlement des conflits. Il serait à cet égard important de prévoir, qu'en cas de désaccord entre procureurs, il appartiendrait au procureur financier de saisir la Cour de cassation. Cette saisine serait d'autant plus justifiée que la compétence du procureur entraîne celle des juridictions d'instruction et de jugement. Le procureur de la République financier devra en outre collaborer avec les juridictions interrégionales spécialisées, les autres procureurs de la République ou le ministère du budget. Dans le respect d'une organisation judiciaire unifiée et égale sur tout le territoire, la CNCDH considère qu'il aurait été plus intelligible et moins problématique de renforcer le dispositif existant à partir des pôles économiques et financiers ou des juridictions interrégionales spécialisées qui sont amenées à les remplacer.

La CNCDH est donc opposée à la création d'un procureur de la République financier qui ne bénéficie pas de suffisamment de garanties d'indépendance. Si le Gouvernement insistait dans cette voie, il serait absolument indispensable de lui accorder davantage de garanties d'indépendance.

32. Parmi ces différents dispositifs dérogatoires, l'un mérite une attention particulière : l'article 1er du projet de loi relatif à la fraude fiscale reconnaît un droit pour les associations déclarées depuis cinq ans et luttant contre la corruption d'exercer les droits reconnus à la partie civile. Cette faculté des associations de déclencher la procédure pénale constitue une avancée importante, susceptible de palier partiellement le manque d'indépendance du ministère public dans certaines affaires délicates. Le risque de multiplication des procédures abusives est faible car la procédure pénale comprend déjà de multiples règles pour l'éviter (dépôt de plainte préalable auprès du procureur de la République, consignation, amendes civiles et poursuites pénales possibles en cas de plainte abusive). Or, par crainte de constitutions de partie civile abusives, le projet de loi renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de préciser lesquelles des associations seront agréées. Pour la CNCDH, cette condition supplémentaire est inutile, voire elle pourrait limiter, en pratique, l'avancée que constitue l'article 1er de ce projet de loi. Elle manifeste, une nouvelle fois, une méfiance regrettable à l'égard du rôle des victimes, des associations et, d'une certaine manière, des avocats dans le fonctionnement de la justice pénale.

La CNCDH demande que soit supprimée la condition d'agrément préalable au droit des associations luttant contre la corruption d'exercer les droits reconnus à la partie civile.

Sur la lutte contre la fraude fiscale :

33. La CNCDH considère comme essentiel de rétablir le rôle central de la justice pénale en matière de fraude fiscale. L'impossibilité pour le parquet de poursuivre les faits de fraude fiscale sans plainte préalable de l'administration fiscale, après avis conforme de la Commission des infractions fiscales, est la source de phénomènes contraires aux exigences fondamentales de l'Etat de droit. Elle permet des arrangements opaques et en opportunité contraires au principe d'égalité devant l'impôt. Selon ses partisans, le monopole de l'administration fiscale sur le déclenchement des poursuites permettrait de négocier avec les fraudeurs, en utilisant la menace de sanctions pénales, pour obtenir le paiement maximum des sommes dues. Mais pour autant que cette rationalité financière soit exacte, elle ne peut à, à elle seule, résumer l'ensemble des enjeux de la fraude fiscale et fonder l'organisation de sa répression. Rien dans le contenu et la gravité des infractions de fraude fiscale ― aussi bien en ce qui concerne l'agissement fautif que le préjudice causé ― ne justifie que soit mis en place un système excluant l'intervention de ministère public et du juge pénal selon le bon vouloir du ministère du budget. La fraude fiscale, qui constitue pourtant une atteinte dangereuse au pacte social, apparaît ainsi comme une infraction moins grave et moins illégitime dès lors qu'elle peut « se régler à l'amiable » (22). Ce faisant, l'infraction de fraude fiscale est peu dissuasive. Cette procédure dénuée de toute transparence explique le faible nombre de condamnations au pénal pour fraude fiscale (23). Un tel système aboutit même à des solutions discriminatoires, l'administration fiscale ne saisissant le parquet que des cas peu intéressants économiquement (24).

(22) Article L. 228 du livre des procédures fiscales : « Sous peine d'irrecevabilité, les plaintes tendant à l'application de sanctions pénales en matière d'impôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d'affaires, de droits d'enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre sont déposées par l'administration sur avis conforme de la commission des infractions fiscales. La commission examine les affaires qui lui sont soumises par le ministre chargé du budget. » (23) Données statistiques relatives aux sanctions pénales pour fraude à l'impôt : 838 condamnations toutes juridictions confondues en 2011. Durée moyenne de la procédure : 69,7 mois : beaucoup plus long que la durée moyenne (12,4 mois), 582 condamnations à une peine d'emprisonnement, dont 87 fermes. Ministère de la justice : les condamnations année 2011. (24) Ainsi, à l'occasion de son rapport annuel 2010, la Cour de comptes a « publié les résultats d'une enquête menée dans les services locaux de la direction générale des finances publiques (DGFiP), qui recouvrent 88 % des recettes fiscales de l'Etat et des collectivités locales ». Elle a constaté une inégalité de traitement importante. Elle a ainsi souligné que « Les plaintes pour fraude fiscale déposées par l'administration auprès des juridictions pénales sont passées de 860 en 2000 à 992 en 2008. Cependant, cette progression résulte entièrement de l'augmentation des plaintes visant des entrepreneurs du bâtiment (319 en 2008, contre 112 en 2000), qui représentent près du tiers des plaintes en 2008. Une part très élevée de ces plaintes concerne des maçons originaires d'un même pays méditerranéen dont la surreprésentation peut avoir deux causes : ils mettent en œuvre des schémas de fraude simples et, de fait, ils se défendent peu. »