- Au regard des pratiques européennes générales, la CNCDH considère que la meilleure garantie d'efficacité des dispositifs déclaratoires est donc la publication. Dans la période actuelle, caractérisée par une défiance des citoyens à l'égard de leurs dirigeants, la déclaration de patrimoine et la déclaration d'intérêts des élus, le cas échéant expurgés par la Haute Autorité des éléments les plus intrusifs pour le droit au respect de la vie privée des proches des élus ou décideurs devraient donc être publiée. Un tel exercice marquerait une rupture importante dans l'histoire des institutions françaises pour la transparence de la vie publique. Suffisamment encadrée, une telle publication générale différerait sensiblement de l'exercice de communication politique de publication volontaire de son patrimoine auquel se sont pliées certaines personnalités politiques. Il est vrai que la publication de ce patrimoine et de ces intérêts peut révéler un certain nombre d'éléments constitutifs de la personnalité et de l'histoire personnelle de ces élus. Toutefois, être investi d'une fonction d'élu, de décideur public ou d'une importante mission publique implique de rechercher et d'avoir la confiance des citoyens dans un esprit désintéressé, ce qui peut passer par la soumission à des mesures exceptionnelles de transparence. Le droit au respect de la vie privée n'est pas absolu : il peut y être porté atteinte pour permettre notamment le respect du droit de la société de demander des comptes à ses élus, ainsi que reconnu par l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. S'agissant spécifiquement de personnes ayant fait le choix d'exercer des responsabilités publiques au service des citoyens, sur le fondement d'un mandat de confiance, une déclaration publique d'activités, d'intérêts et de patrimoine n'apparaît pas comme une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée.
- Le projet de loi relatif à la transparence déposé par le Gouvernement à l'Assemblée nationale prévoyait la publication de la déclaration de patrimoine et de la déclaration d'intérêt. A la suite d'un débat en commission des lois, les députés ont restreint, pour les députés et les titulaires de fonctions exécutives locales, la publicité de la seule déclaration de patrimoine, qui est consultable dans la préfecture du département d'élection de la personne concernée. Concernant la déclaration d'intérêt, la loi renvoie à un décret pour déterminer les modalités exactes selon lesquelles elle sera rendue publique. Le fait de divulguer tout ou partie des déclarations est puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros. S'il est compréhensible que les députés aient souhaité protéger leur droit au respect de la vie privée, la restriction à la seule préfecture du département d'élection de la personne concernée vide de son contenu l'obligation de transparence. Elle semble par ailleurs particulièrement inappropriée concernant les députés, qui sont élus de la nation, et non de leur circonscription. La CNCDH déplore qu'en créant une nouvelle infraction sanctionnant le fait de divulguer tout ou partie des déclarations, punie d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende, le projet de loi porte atteinte à la liberté des médias d'informer le public sur des questions d'intérêt général. Ce projet contrevient ainsi à la jurisprudence de la CEDH et à celle de la Cour de cassation pour qui les informations patrimoniales ne bénéficient pas de la protection de la vie privée.
La CNCDH recommande que les conditions de publication des déclarations de patrimoine des élus soient élargies. Elle recommande que l'ensemble de ces déclarations soient consultables par tous au siège de la Haute Autorité de la transparence et qu'elles puissent être diffusées auprès du public sans encourir de sanctions judiciaires. - La CNCDH estime nécessaire de mettre fin à certaines pratiques qui semblent néfastes, et notamment la réserve parlementaire, dont les conditions d'attribution et l'opacité ont été dénoncées. Elle souligne aussi la nécessité d'assurer un financement transparent et pérenne de la vie politique. A cet égard, elle souhaite la suppression des micropartis qui permettent d'accroître frauduleusement le financement des campagnes électorales.
I-3.3. Transparence de la vie économique
- Les atteintes à la probité publique ont, parfois, pu s'appuyer sur l'opacité de certains nouveaux outils juridiques ayant une dimension transnationale, en ayant recours, par exemple, à des sociétés écrans et aux structures des paradis fiscaux qui permettent, on le sait, de contourner aisément les règles nationales, même celles d'ordre public. Or, les différents projets de loi ne traitent pas de ces questions essentielles. La CNCDH rappelle que l'OCDE a récemment interpelé les gouvernements pour que soit mise en place une réelle transparence concernant les bénéficiaires des comptes bancaires, le droit des sociétés et la coopération judiciaire entre Etats dans les domaines économiques et fiscaux.
II. ― Répression des atteintes à la probité publique
- Les insuffisances de la lutte contre les atteintes à la probité révèlent également les insuffisances actuelles du système judiciaire français. Dans un domaine où les plaintes restent rares, les services d'enquêtes peinent aujourd'hui à déceler les infractions. S'agissant d'une délinquance astucieuse et dissimulée, il convient de doter les autorités de poursuites et d'investigations de moyens humains, matériels, et juridiques à la hauteur des difficultés rencontrées. En outre, le poids de la structure hiérarchique du ministère public est, ici, un handicap certain : entre soupçon injustifié et instrumentalisation avérée par le pouvoir politique, le parquet est en permanence soumis aux critiques des médias et de l'opinion publique. Certains soulignent que la lutte contre les atteintes à la probité publique et la délinquance économique et financière doit être l'occasion de repenser en profondeur les règles traditionnelles de la procédure pénale.
- La volonté d'améliorer la répression des atteintes à la probité doit évidemment être approuvée. Cependant, pour atteindre cet objectif, la CNCDH considère que les différents projets de loi présentent des insuffisances, notamment sur deux points : l'indépendance de la justice et le monopole du ministère du budget concernant le déclenchement des poursuites pénales en matière de fraude fiscale. La CNCDH appelle à la mise en place d'une justice forte et réellement indépendante, qui soit apte à lutter avec efficacité contre ce type de comportement tout en respectant strictement les droits et libertés fondamentaux, notamment les droits de la défense et le principe d'individualisation et de nécessité des peines.
II-1. Indépendance de la justice
- La CNCDH a adopté un avis sur l'indépendance de la justice, notamment sur le projet de loi constitutionnelle sur le Conseil supérieur de la magistrature (20). Elle se contente donc de renvoyer, pour l'essentiel, vers cet avis. Néanmoins, elle souligne, ici, l'importance que revêt la question de l'indépendance de la justice dès lors qu'il s'agit d'atteintes à la probité ainsi que l'a souligné récemment l'OCDE (21) ; or, alors que la réforme du CSM s'annonce difficile, les différents projets de loi relatifs à la moralisation de la vie publique ne garantissent pas une meilleure indépendance du parquet.
(20) Voir l'avis de la CNCDH sur l'indépendance de la justice. (21) Les examinateurs de l'OCDE ont ainsi souligné « le quasi-monopole dont jouit le parquet dans le déclenchement des enquêtes et des poursuites de cas de corruption d'agent public étranger ainsi que le rôle important qui lui est dévolu quant à la définition du champ des enquêtes, y compris dans le cadre des informations judiciaires. Dans ces circonstances et étant donné le nombre important d'allégations de corruption d'agent public étranger qui n'ont donné lieu à l'ouverture d'aucune enquête, même préliminaire, ils s'inquiètent vivement du manque d'indépendance du parquet sur lequel la Cour européenne des droits de l'homme s'est clairement prononcée et sur lequel la Cour de cassation française a également pris position ». Rapport de phase 3 sur la mise en œuvre par la France de la convention de l'OCDE sur la lutte contre la corruption, octobre 2012.
1 version