JORF n°0087 du 12 avril 2014

(Assemblée plénière - 27 mars 2014)

  1. La CNCDH a rendu le 13 février 2014 un avis sur la révision des condamnations pénales en cas d'erreur judicaire (1) dans lequel elle recommande de ne pas ouvrir cette voie de droit aux victimes ou parties civiles, et l'on précisera ici qu'il en est de même à l'égard de l'ouverture au ministre de la justice et au ministère public de la révision en défaveur d'une personne définitivement relaxée ou acquittée (2). Cet avis a été voté quelques jours avant la première lecture devant l'Assemblée nationale d'une proposition de loi relative aux procédures de révision et de réexamen d'une condamnation pénale définitive (3). A cette occasion, plusieurs parlementaires ont déposé un amendement aux fins d'élargir la révision aux relaxes et acquittements définitifs (4). Partant, il apparaît utile à la CNCDH d'expliciter sa position qui repose sur une série d'arguments.
  2. En premier lieu, le droit français a consacré depuis très longtemps le principe selon lequel il est interdit de remettre en cause le sort d'une personne avant fait l'objet d'un acquittement ou d'une relaxe définitifs. Déjà l'ordonnance de 1670, qui n'est pas connue pour sa particulière indulgence, avait instauré le droit à la révision au bénéfice du seul condamné. Plus près de nous, le code d'instruction criminelle de 1808 (art. 443 et suivants) puis le code de procédure pénale de 1958 (art. 622 et suivants) ont, à leur tour, consacré un droit à la révision au profit des seuls condamnés. Cette permanence dans l'approche de la révision pour erreur judiciaire, notamment dans les deux derniers codes, est l'expression d'une conception humaniste de la procédure pénale qui plonge ses racines dans le siècle des Lumières. Blackstone, député et jurisconsulte anglais du xviiie siècle, affirmait ainsi : " Mieux vaut dix coupables en liberté qu'un innocent en prison. "
    Son fondement peut être trouvé dans l'article 9 de la Déclaration de 1789 qui consacre la présomption d'innocence en tant que " droit de l'homme et du citoyen ". En effet, si la présomption d'innocence impose de faire prévaloir la thèse de linnocence sur la thèse de la culpabilité avant que n'intervienne une décision définitive de condamnation, elle impose à plus forte raison une protection particulière et renforcée de linnocence une fois celle-ci définitivement reconnue. En conséquence, les décisions définitives d'acquittement et de relaxe sont et doivent demeurer intangibles. C'est d'ailleurs ce que prescrit expressément l'article 368 du code de procédure pénale (CPP) lorsqu'il énonce : " Aucune personne acquittée légalement ne peut plus être reprise ou accusée à raison des mêmes faits, même sous une qualification différente. " Ce texte est traditionnellement considéré comme l'expression, au moins en matière criminelle, de la règle d'application plus générale dite non bis (ou, ne bis) in idem.
    A cet égard, il est utile de rappeler que le code ne sécurise aussi fortement que les décisions définitives mettant la personne poursuivie définitivement hors de cause, dont le régime juridique est radicalement différent de celui des relaxes et acquittements rendus en premier ressort ainsi que de celui des non-lieux. Ces dernières décisions, qui ne sont pas définitives, peuvent en effet être infirmées par l'exercice d'une voie de recours ordinaire (c'est le cas des décisions rendues en premier ressort) ou la découverte de nouvelles charges (en cas de non-lieu). Evoquer leur régime juridique pour soutenir l'élargissement de la procédure de révision aux acquittements et relaxes définitifs revient à opérer une confusion entre deux catégories bien différentes de décisions (non définitives/définitives) et les voies de recours qui s'y rattachent (ordinaires/extraordinaires). De même, serait-elle dotée de l'autorité de la chose jugée, une décision de non-lieu est assurément beaucoup plus fragile de ce point de vue qu'une décision définitive de relaxe ou d'acquittement, ce qui est logique dès lors que, réciproquement, les " charges " pesant sur une personne lors de son renvoi devant la juridiction de jugement ne sont en rien comparables à une " déclaration de culpabilité " prononcée par cette même juridiction.
  3. En deuxième lieu, loin de n'être qu'une spécificité nationale, la régie non bis in idem est affirmée, d'abord au plan international, par le pacte onusien relatif aux droits civils et politiques ratifié par la France (art. 14, paragraphe 7), et ensuite au plan européen, par le protocole n° 7 additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, dont l'article 4.1 dispose : " Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure de cet Etat. " Enfin, l'article 54 de la convention d'application de l'accord de Schengen ainsi que plus récemment l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne consacrent eux aussi ce même droit. En conséquence, une fois le procès pénal achevé, la décision de relaxe ou d'acquittement définitivement rendue, la personne poursuivie est quitte, des raisons d'humanité évidentes expliquant qu'en aucun cas elle ne doit vivre sous la menace permanente d'un second procès à raison des mêmes faits (5).
    On rappellera à ce propos que la Cour européenne des droits de l'homme s'est ralliée à la jurisprudence communautaire dans son interprétation de l'article 54 de la convention d'application de l'accord de Schengen (6) en précisant que l'article 4.1 du Protocole n° 7 :
    ― entre en jeu lorsque de nouvelles poursuites sont engagées alors qu'une décision antérieure de relaxe ou d'acquittement est devenue définitive ;
    ― énonce une garantie contre de nouvelles poursuites ou le risque de nouvelles poursuites lorsque les faits ― et non les qualifications juridiques ― donnant lieu à deux procès pénaux successifs " sont identiques ou en substance les mêmes " (7).
    Ainsi, la garantie de l'article 4.1 du Protocole n° 7 sécurise les acquittements et relaxes définitifs, en interdisant de nouvelles poursuites pour les mêmes circonstances factuelles. Permettre la révision de telles décisions contrevient nécessairement aux exigences internationales et européennes. Le code de procédure pénale allemand (StPO) autorise certes en son paragraphe 362 la révision en défaveur de la personne relaxée ou acquittée dans des conditions extrêmement strictes (8) et dont la réunion est en pratique difficile et rare. Mais une grande partie de la doctrine ne ménage pas ses critiques à l'égard de ce recours en se référant notamment à l'article 4.1 du Protocole n° 7 également ratifié par l'Allemagne (9).
  4. En troisième lieu, l'ouverture de la révision à l'encontre de décisions de relaxe ou d'acquittement serait génératrice d'une très grande insécurité juridique. D'une part, cette option conduirait, certes indirectement mais inévitablement, à faire échec à un autre mécanisme traditionnel de la procédure pénale française, la prescription de l'action publique (art. 6 et suivants du CPP), dans la mesure où le recours en révision n'est soumis à aucune condition de délai. En conséquence, l'auteur d'un crime ou d'un délit de droit commun, à l'instar de l'auteur d'un crime contre l'humanité, crime exorbitant de ce droit commun, pourrait se voir poursuivi et condamné ad vitam aeternam. Non seulement ce serait là une remise en cause totale du droit à l'oubli consacré par les règles relatives à la prescription, mais encore, et non sans paradoxe, la personne définitivement acquittée verrait sa situation considérablement aggravée par rapport à celle de la personne qui, ayant eu la chance de ne pas être découverte, bénéficierait de la prescription des faits commis...
    D'autre part, il convient de rappeler à nouveau que l'interdiction de revenir sur les relaxes et acquittements définitifs est liée au principe d'autorité de la chose jugée. Les dispositions du code de procédure pénale relatives à la révision (art. 622 et suivant du CPP) révèlent en effet un subtil équilibre entre le respect du principe de l'autorité de la chose jugée et la nécessité de réparer les erreurs judiciaires. L'exercice de ce recours exceptionnel est, sous peine de réduire à néant le principe de l'autorité de la chose jugée, subordonné à des conditions strictement déterminées. La chose jugée, dont l'article 6 du CPP fait l'une des causes d'extinction de l'action publique, est la situation qui se réalise lorsque, toutes les voies de recours ayant été épuisées ou les délais pour les exercer écoulés, une décision juridictionnelle est devenue définitive. Cette décision bénéficie alors de la présomption légale prévue par l'article 1350 (4°) du code civil, dont il résulte qu'elle est couverte du manteau de la vérité judiciaire. L'autorité de la chose jugée est socialement indispensable pour éviter que les procès ne s'éternisent ou ne se répètent. Ouvrir la révision aux décisions d'acquittement et de relaxe conduirait inexorablement les victimes, persuadées de la culpabilité de la personne acquittée ou relaxée, à rechercher sans fin les preuves de cette culpabilité (10). Et l'autorité de la chose jugée, dont les atteintes doivent demeurer exceptionnelles, serait dans ces conditions ruinée.
  5. En quatrième lieu, permettre la révision des relaxes et acquittements définitifs serait de nature à entraver le travail de deuil de la victime ou de ses ayants droit en provoquant une perpétuation morbide de la souffrance entraînant un risque réel de multiplication :
    ― et des recours en révision, si les victimes devaient se voir ouvrir cette voie de droit ; et
    ― des saisines des parquets aux fins de nouvelles investigations, si le ministère public devait se voir reconnaître la possibilité d'initier une telle procédure à l'encontre d'une décision d'acquittement ou de relaxe.
    Dans ces deux hypothèses, la fonction pacificatrice du procès pénal serait indéniablement réduite à néant en raison du risque de contestation permanente des relaxes et acquittements définitifs. Au contraire, et on l'ignore parfois, même en matière criminelle, l'article 372 du CPP contribue fortement à cette œuvre de pacification en permettant à la partie civile de demander, en cas d'acquittement de la personne poursuivie, la réparation du dommage résultant de la faute de l'accusé.
  6. Enfin, en cinquième et dernier lieu, il convient de rappeler que la justice pénale sert l'intérêt général. Ouvrir la révision à l'encontre des relaxes et acquittements définitifs, même à l'initiative du seul parquet, présente le grave inconvénient, pour les raisons exposées plus haut, de placer le procès pénal sous le joug permanent d'intérêts purement privés. A cet égard, la CNCDH a déjà estimé à propos de la place croissante prise par les victimes dans le procès pénal français qu'" une société qui ne parvient plus à maîtriser collectivement, politiquement au sens le plus noble du terme, la détermination des cibles de la répression pénale souffre d'une sorte de privatisation d'un élément essentiel du contrat social (11) ".
    (Résultat du vote en assemblée plénière : adoption à l'unanimité.)

(1) CNCDH 13 février 2014, Avis sur la révision des condamnations pénales en cas d'erreur judiciaire, JORF 1 du 21 février 2014, texte n° 78. (2) Ibid, § 23. (3) Assemblée nationale. Proposition de loi n° 1700 de M. Tourret relative à la réforme des procédures de révision et de réexamen d'une condamnation pénale définitive. Cette proposition de loi a été déposée dans le prolongement d'une mission d'information sur la révision des condamnations pénales, dont le rapport a été finalisé en décembre 2013 (cf. A. Tourret et G. Fenech, Rapport d'information n° 1598. Corriger les erreurs judiciaires : la révision des condamnations pénales. Assemblée nationale, décembre 2013). (4) Amendement n° CL6 présenté par M. Fenech et autres, Assemblée nationale 14 février 2014 : http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/1700/CION_LOIS/CL6.asp. (5) F. Desportes et, Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, Economica, Paris 2013, n° 434, p. 310. (6) Voir notamment CJCE 9 novembre 2006, Van Esbroeck, C. 436/04 ; CJCE 18 juillet 2007, Kraaijenbrink, C 367/05. (7) Cour EDH grande chambre 10 février 2009, Zolotoukhine c. Russie, req. 14939/03. (8) Le paragraphe 362 du StPO prévoit la possibilité d'une réouverture de la procédure au détriment de la personne condamnée seulement et uniquement dans les hypothèses suivantes : ― lorsqu'une pièce produite en défense lors des débats est fausse ou a été falsifiée ; ― lorsqu'un témoin à décharge a fait un faux témoignage ou un expert a déposé à décharge dans des conditions contraires à son serment ; ― lorsqu'a siégé dans la formation de jugement un juge ou un juré qui s'est rendu coupable, en rapport avec l'affaire, d'une violation pénalement sanctionnée de ses obligations ; ― lorsque la personne acquittée a avoué, de manière crédible, devant un tribunal ou en dehors. (9) Voir R. Hannich (dir.) Karlsruher Kommentar zur Strafprozessordnung, 6e édition, C.H. Beck, Munich 2008, paragraphe 362, n° 1, 3 ; L. Meyer-Gossner et B. Schmitt, Strafprozessordnung mit GVG und Nebengesetzen, 56e édition, C.H. Beck, Munich 2013, paragraphe 362, n° 1. (10) Dans ce sens M. Lebranchu, in : A. Tourret et G. Fenech, Rapport d'information n° 1598, op. cit, p. 75. (11) CNCDH 24 janvier 2002, Réflexions sur le sens de la peine. Cf. G. Giudicelli-Delage et C. Lazerges (dir.), La victime sur la scène pénale en Europe, PUF, coll. " Les voies du droit ", Paris 2008.


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Version 1

(Assemblée plénière - 27 mars 2014)

1. La CNCDH a rendu le 13 février 2014 un avis sur la révision des condamnations pénales en cas d'erreur judicaire (1) dans lequel elle recommande de ne pas ouvrir cette voie de droit aux victimes ou parties civiles, et l'on précisera ici qu'il en est de même à l'égard de l'ouverture au ministre de la justice et au ministère public de la révision en défaveur d'une personne définitivement relaxée ou acquittée (2). Cet avis a été voté quelques jours avant la première lecture devant l'Assemblée nationale d'une proposition de loi relative aux procédures de révision et de réexamen d'une condamnation pénale définitive (3). A cette occasion, plusieurs parlementaires ont déposé un amendement aux fins d'élargir la révision aux relaxes et acquittements définitifs (4). Partant, il apparaît utile à la CNCDH d'expliciter sa position qui repose sur une série d'arguments.

2. En premier lieu, le droit français a consacré depuis très longtemps le principe selon lequel il est interdit de remettre en cause le sort d'une personne avant fait l'objet d'un acquittement ou d'une relaxe définitifs. Déjà l'ordonnance de 1670, qui n'est pas connue pour sa particulière indulgence, avait instauré le droit à la révision au bénéfice du seul condamné. Plus près de nous, le code d'instruction criminelle de 1808 (art. 443 et suivants) puis le code de procédure pénale de 1958 (art. 622 et suivants) ont, à leur tour, consacré un droit à la révision au profit des seuls condamnés. Cette permanence dans l'approche de la révision pour erreur judiciaire, notamment dans les deux derniers codes, est l'expression d'une conception humaniste de la procédure pénale qui plonge ses racines dans le siècle des Lumières. Blackstone, député et jurisconsulte anglais du xviiie siècle, affirmait ainsi : " Mieux vaut dix coupables en liberté qu'un innocent en prison. "

Son fondement peut être trouvé dans l'article 9 de la Déclaration de 1789 qui consacre la présomption d'innocence en tant que " droit de l'homme et du citoyen ". En effet, si la présomption d'innocence impose de faire prévaloir la thèse de l`innocence sur la thèse de la culpabilité avant que n'intervienne une décision définitive de condamnation, elle impose à plus forte raison une protection particulière et renforcée de l`innocence une fois celle-ci définitivement reconnue. En conséquence, les décisions définitives d'acquittement et de relaxe sont et doivent demeurer intangibles. C'est d'ailleurs ce que prescrit expressément l'article 368 du code de procédure pénale (CPP) lorsqu'il énonce : " Aucune personne acquittée légalement ne peut plus être reprise ou accusée à raison des mêmes faits, même sous une qualification différente. " Ce texte est traditionnellement considéré comme l'expression, au moins en matière criminelle, de la règle d'application plus générale dite non bis (ou, ne bis) in idem.

A cet égard, il est utile de rappeler que le code ne sécurise aussi fortement que les décisions définitives mettant la personne poursuivie définitivement hors de cause, dont le régime juridique est radicalement différent de celui des relaxes et acquittements rendus en premier ressort ainsi que de celui des non-lieux. Ces dernières décisions, qui ne sont pas définitives, peuvent en effet être infirmées par l'exercice d'une voie de recours ordinaire (c'est le cas des décisions rendues en premier ressort) ou la découverte de nouvelles charges (en cas de non-lieu). Evoquer leur régime juridique pour soutenir l'élargissement de la procédure de révision aux acquittements et relaxes définitifs revient à opérer une confusion entre deux catégories bien différentes de décisions (non définitives/définitives) et les voies de recours qui s'y rattachent (ordinaires/extraordinaires). De même, serait-elle dotée de l'autorité de la chose jugée, une décision de non-lieu est assurément beaucoup plus fragile de ce point de vue qu'une décision définitive de relaxe ou d'acquittement, ce qui est logique dès lors que, réciproquement, les " charges " pesant sur une personne lors de son renvoi devant la juridiction de jugement ne sont en rien comparables à une " déclaration de culpabilité " prononcée par cette même juridiction.

3. En deuxième lieu, loin de n'être qu'une spécificité nationale, la régie non bis in idem est affirmée, d'abord au plan international, par le pacte onusien relatif aux droits civils et politiques ratifié par la France (art. 14, paragraphe 7), et ensuite au plan européen, par le protocole n° 7 additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, dont l'article 4.1 dispose : " Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure de cet Etat. " Enfin, l'article 54 de la convention d'application de l'accord de Schengen ainsi que plus récemment l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne consacrent eux aussi ce même droit. En conséquence, une fois le procès pénal achevé, la décision de relaxe ou d'acquittement définitivement rendue, la personne poursuivie est quitte, des raisons d'humanité évidentes expliquant qu'en aucun cas elle ne doit vivre sous la menace permanente d'un second procès à raison des mêmes faits (5).

On rappellera à ce propos que la Cour européenne des droits de l'homme s'est ralliée à la jurisprudence communautaire dans son interprétation de l'article 54 de la convention d'application de l'accord de Schengen (6) en précisant que l'article 4.1 du Protocole n° 7 :

― entre en jeu lorsque de nouvelles poursuites sont engagées alors qu'une décision antérieure de relaxe ou d'acquittement est devenue définitive ;

― énonce une garantie contre de nouvelles poursuites ou le risque de nouvelles poursuites lorsque les faits ― et non les qualifications juridiques ― donnant lieu à deux procès pénaux successifs " sont identiques ou en substance les mêmes " (7).

Ainsi, la garantie de l'article 4.1 du Protocole n° 7 sécurise les acquittements et relaxes définitifs, en interdisant de nouvelles poursuites pour les mêmes circonstances factuelles. Permettre la révision de telles décisions contrevient nécessairement aux exigences internationales et européennes. Le code de procédure pénale allemand (StPO) autorise certes en son paragraphe 362 la révision en défaveur de la personne relaxée ou acquittée dans des conditions extrêmement strictes (8) et dont la réunion est en pratique difficile et rare. Mais une grande partie de la doctrine ne ménage pas ses critiques à l'égard de ce recours en se référant notamment à l'article 4.1 du Protocole n° 7 également ratifié par l'Allemagne (9).

4. En troisième lieu, l'ouverture de la révision à l'encontre de décisions de relaxe ou d'acquittement serait génératrice d'une très grande insécurité juridique. D'une part, cette option conduirait, certes indirectement mais inévitablement, à faire échec à un autre mécanisme traditionnel de la procédure pénale française, la prescription de l'action publique (art. 6 et suivants du CPP), dans la mesure où le recours en révision n'est soumis à aucune condition de délai. En conséquence, l'auteur d'un crime ou d'un délit de droit commun, à l'instar de l'auteur d'un crime contre l'humanité, crime exorbitant de ce droit commun, pourrait se voir poursuivi et condamné ad vitam aeternam. Non seulement ce serait là une remise en cause totale du droit à l'oubli consacré par les règles relatives à la prescription, mais encore, et non sans paradoxe, la personne définitivement acquittée verrait sa situation considérablement aggravée par rapport à celle de la personne qui, ayant eu la chance de ne pas être découverte, bénéficierait de la prescription des faits commis...

D'autre part, il convient de rappeler à nouveau que l'interdiction de revenir sur les relaxes et acquittements définitifs est liée au principe d'autorité de la chose jugée. Les dispositions du code de procédure pénale relatives à la révision (art. 622 et suivant du CPP) révèlent en effet un subtil équilibre entre le respect du principe de l'autorité de la chose jugée et la nécessité de réparer les erreurs judiciaires. L'exercice de ce recours exceptionnel est, sous peine de réduire à néant le principe de l'autorité de la chose jugée, subordonné à des conditions strictement déterminées. La chose jugée, dont l'article 6 du CPP fait l'une des causes d'extinction de l'action publique, est la situation qui se réalise lorsque, toutes les voies de recours ayant été épuisées ou les délais pour les exercer écoulés, une décision juridictionnelle est devenue définitive. Cette décision bénéficie alors de la présomption légale prévue par l'article 1350 (4°) du code civil, dont il résulte qu'elle est couverte du manteau de la vérité judiciaire. L'autorité de la chose jugée est socialement indispensable pour éviter que les procès ne s'éternisent ou ne se répètent. Ouvrir la révision aux décisions d'acquittement et de relaxe conduirait inexorablement les victimes, persuadées de la culpabilité de la personne acquittée ou relaxée, à rechercher sans fin les preuves de cette culpabilité (10). Et l'autorité de la chose jugée, dont les atteintes doivent demeurer exceptionnelles, serait dans ces conditions ruinée.

5. En quatrième lieu, permettre la révision des relaxes et acquittements définitifs serait de nature à entraver le travail de deuil de la victime ou de ses ayants droit en provoquant une perpétuation morbide de la souffrance entraînant un risque réel de multiplication :

― et des recours en révision, si les victimes devaient se voir ouvrir cette voie de droit ; et

― des saisines des parquets aux fins de nouvelles investigations, si le ministère public devait se voir reconnaître la possibilité d'initier une telle procédure à l'encontre d'une décision d'acquittement ou de relaxe.

Dans ces deux hypothèses, la fonction pacificatrice du procès pénal serait indéniablement réduite à néant en raison du risque de contestation permanente des relaxes et acquittements définitifs. Au contraire, et on l'ignore parfois, même en matière criminelle, l'article 372 du CPP contribue fortement à cette œuvre de pacification en permettant à la partie civile de demander, en cas d'acquittement de la personne poursuivie, la réparation du dommage résultant de la faute de l'accusé.

6. Enfin, en cinquième et dernier lieu, il convient de rappeler que la justice pénale sert l'intérêt général. Ouvrir la révision à l'encontre des relaxes et acquittements définitifs, même à l'initiative du seul parquet, présente le grave inconvénient, pour les raisons exposées plus haut, de placer le procès pénal sous le joug permanent d'intérêts purement privés. A cet égard, la CNCDH a déjà estimé à propos de la place croissante prise par les victimes dans le procès pénal français qu'" une société qui ne parvient plus à maîtriser collectivement, politiquement au sens le plus noble du terme, la détermination des cibles de la répression pénale souffre d'une sorte de privatisation d'un élément essentiel du contrat social (11) ".

(Résultat du vote en assemblée plénière : adoption à l'unanimité.)

(1) CNCDH 13 février 2014, Avis sur la révision des condamnations pénales en cas d'erreur judiciaire, JORF 1 du 21 février 2014, texte n° 78. (2) Ibid, § 23. (3) Assemblée nationale. Proposition de loi n° 1700 de M. Tourret relative à la réforme des procédures de révision et de réexamen d'une condamnation pénale définitive. Cette proposition de loi a été déposée dans le prolongement d'une mission d'information sur la révision des condamnations pénales, dont le rapport a été finalisé en décembre 2013 (cf. A. Tourret et G. Fenech, Rapport d'information n° 1598. Corriger les erreurs judiciaires : la révision des condamnations pénales. Assemblée nationale, décembre 2013). (4) Amendement n° CL6 présenté par M. Fenech et autres, Assemblée nationale 14 février 2014 : http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/1700/CION_LOIS/CL6.asp. (5) F. Desportes et, Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, Economica, Paris 2013, n° 434, p. 310. (6) Voir notamment CJCE 9 novembre 2006, Van Esbroeck, C. 436/04 ; CJCE 18 juillet 2007, Kraaijenbrink, C 367/05. (7) Cour EDH grande chambre 10 février 2009, Zolotoukhine c. Russie, req. 14939/03. (8) Le paragraphe 362 du StPO prévoit la possibilité d'une réouverture de la procédure au détriment de la personne condamnée seulement et uniquement dans les hypothèses suivantes : ― lorsqu'une pièce produite en défense lors des débats est fausse ou a été falsifiée ; ― lorsqu'un témoin à décharge a fait un faux témoignage ou un expert a déposé à décharge dans des conditions contraires à son serment ; ― lorsqu'a siégé dans la formation de jugement un juge ou un juré qui s'est rendu coupable, en rapport avec l'affaire, d'une violation pénalement sanctionnée de ses obligations ; ― lorsque la personne acquittée a avoué, de manière crédible, devant un tribunal ou en dehors. (9) Voir R. Hannich (dir.) Karlsruher Kommentar zur Strafprozessordnung, 6e édition, C.H. Beck, Munich 2008, paragraphe 362, n° 1, 3 ; L. Meyer-Gossner et B. Schmitt, Strafprozessordnung mit GVG und Nebengesetzen, 56e édition, C.H. Beck, Munich 2013, paragraphe 362, n° 1. (10) Dans ce sens M. Lebranchu, in : A. Tourret et G. Fenech, Rapport d'information n° 1598, op. cit, p. 75. (11) CNCDH 24 janvier 2002, Réflexions sur le sens de la peine. Cf. G. Giudicelli-Delage et C. Lazerges (dir.), La victime sur la scène pénale en Europe, PUF, coll. " Les voies du droit ", Paris 2008.