La Commission,
Vu la lettre en date du 13 juin 2017 par laquelle le ministre chargé de l'économie a saisi la Commission, en application de l'article 26 de l'ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014, en vue d'autoriser le transfert au secteur privé par EDF de sa filiale la société de droit polonais EDF Polska SA ;
Vu l'ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique et le décret n° 2014-949 du 20 août 2014 portant application de ladite ordonnance ;
Vu l'avis de la Commission n° 2017-A-7 du 6 mars 2017 relatif à l'augmentation de capital de la société EDF SA ;
Vu les communiqués de presse d'EDF des 26 octobre 2016, 14 décembre 2016, 11 mai 2017 et 19 mai 2017 ;
Vu le dossier transmis le 8 juin 2017 à la Commission par l'Agence des participations de l'Etat et comprenant 1/ une note de présentation de l'opération établie par EDF, 2/ un rapport d'évaluation établi par Rothschild et Société générale, 3/ le contrat de cession sous condition suspensive « Conditional Share Sale Agreement relating to shares in EDF Polska SA » signé à Varsovie le 19 mai 2017 entre EDF International SAS et EDF Investment II BV d'une part et PGE Polska Grupa Energetyczna SA d'autre part ;
Vu la note de l'Agence des participations de l'Etat transmise à la Commission le 12 juin 2017 ;
Vu le projet d'arrêté transmis par l'Agence des participations de l'Etat le 16 juin 2017 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Après avoir entendu :
- le 14 juin 2017 conjointement :
- le ministre chargé de l'économie représenté par M. Vincent LE BIEZ, directeur de participations adjoint Energie à l'Agence des participations de l'Etat ;
- la société EDF représentée par MM. Aymeric DUCROCQ, directeur fusions-acquisitions, Paul-François LORENZONI, Xavier ROULAND, Mme Delphine GUERIN-BONJEAN, MM. Reda BELHAJ et Nicolas DUCHANGE ;
- la société EDF Polska SA représentée par M. Thierry DOUCERAIN, directeur ;
- Rothschild, banque conseil d'EDF, représenté par MM. Guillaume VIGNERAS, banquier conseil, Philippe KAROUNI et Raphaël FEUILLET ;
- la Société générale, banque conseil d'EDF, représenté par M. Christophe BORDES, directeur associé ;
Emet l'avis suivant :
I. - Par lettre en date du 13 juin 2017, le ministre chargé de l'économie a saisi la Commission en vue d'autoriser le transfert au secteur privé de la participation majoritaire détenue par EDF, via EDF International et EDF Investment II BV, dans la société de droit polonais EDF Polska SA (ci-après dénommée EDF Polska).
EDF Polska a réalisé en 2016 un chiffre d'affaires consolidé de l'ordre de 1,1 milliard d'euros. La cession projetée entre donc dans le champ d'application de l'article 22 IV de l'ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 susvisée et doit faire l'objet d'une autorisation préalable par arrêté du ministre chargé de l'économie sur avis conforme de la Commission.
La cession étant réalisée en dehors des procédures des marchés financiers, le ministre a saisi la Commission sur la base de l'article 26 II de l'ordonnance. Conformément à l'article 27 I et II de l'ordonnance, la Commission :
- détermine la valeur de la société ;
- émet un avis sur les modalités de la procédure, qui doit respecter les intérêts du secteur public ;
- émet un avis sur le choix du ou des acquéreurs et les conditions de la cession.
La cession doit par ailleurs recueillir l'autorisation des autorités compétentes en Pologne, en particulier de l'autorité de la concurrence.
II. - Les actifs cédés par EDF comprennent :
- une centrale électrique à charbon (à Rybnik en Silésie avec une capacité de 1 775 MW) propriété d'EDF Polska ;
- un portefeuille de huit centrales de cogénération associées à des réseaux de chaleur :
- quatre de ces centrales appartiennent directement à EDF Polska (à Cracovie, Gdansk, Gdynia et Torun) ;
- quatre autres (à Wroclaw, Zielona Gora, Siechnice et Zawidawie) appartiennent à la société cotée Kogeneracja SA dans laquelle le groupe EDF détient une participation de 50 % qui est cédée dans le cadre de la vente d'EDF Polska.
Cet ensemble représente le deuxième producteur de chaleur en Pologne avec 4 380 MWth. Les centrales de cogénération fonctionnent principalement au charbon mais aussi au gaz et à la biomasse. La chaleur est acheminée soit par les quatre réseaux de distribution de chauffage appartenant au groupe (dont les principaux sont à Torun et Zielona Gora) soit par des réseaux tiers.
L'approvisionnement en combustibles, la gestion des déchets et la vente d'électricité à des destinataires finaux sont gérés par des filiales spécialisées.
L'activité d'EDF Polska s'inscrit dans un cadre légal et réglementaire établi dans le contexte des efforts déployés par le pays pour assurer la sécurité de son approvisionnement énergétique. La régulation est confiée au Bureau de Régulation de l'Energie (Urząd Regulacji Energetyki). Compte tenu de l'évolution des prix, et bien que le chiffre d'affaires d'EDF Polska provienne majoritairement des activités non régulés, une part croissante de son excédent brut d'exploitation résulte des activités régulés. Les bilans et comptes de résultats consolidés des trois dernières années ont été présentés à la Commission.
III. - Le groupe EDF est un énergéticien intégré, présent sur l'ensemble des métiers de l'électricité, régulés (transport via RTE et distribution via ENEDIS) ainsi que non régulés (production, commercialisation, négoce, services énergétiques). Il est l'acteur principal du marché français de l'électricité et il détient des positions fortes en Italie (via Edison) et au Royaume-Uni (via EDF Energy). Le groupe EDF participe à la fourniture d'énergie et de services à environ 37,6 millions de clients dans le monde, dont 27,8 millions en France.
EDF ainsi que ses résultats sont présentés de façon détaillée dans l'avis de la Commission du 6 mars 2017 relatif à l'augmentation de capital de la société EDF SA.
Face aux défis auxquels il est confronté, en particulier la baisse des prix de l'énergie et l'importance des investissements auxquels il doit procéder, et compte tenu du volume déjà élevé de sa dette, le groupe EDF a arrêté le 22 avril 2016 un plan d'action (stratégie « CAP 2030 ») approuvé par l'Etat et qui prévoit :
- une optimisation des investissements nets ;
- une réduction des charges opérationnelles ;
- un plan de cessions d'actifs d'environ 10 milliards d'euros à l'horizon 2020 qui s'est déjà concrétisé en particulier par la cession à la Caisse des Dépôts et CNP Assurances de 49,9 % du capital de RTE et par celle d'EDF DEMASZ Zrt en Hongrie.
IV. - EDF n'a pas identifié EDF Polska comme un actif stratégique et la cession de celui-ci présente de plus l'avantage de diminuer significativement « l'empreinte carbone » du groupe.
EDF a donc entamé un processus de vente de sa participation de 99,52 % dans EDF Polska auquel il a rattaché la totalité de sa participation de 50 % dans Kogeneracja SA
Le projet initial d'EDF consistait à vendre séparément les deux activités exercées, la centrale thermique de Rybnik et la cogénération, ce qui imposait une scission d'EDF Polska. A la suite d'une procédure concurrentielle, près de 70 investisseurs ayant été contactés, des acquéreurs se sont présentés pour ces deux ventes qui ont pu être finalisées par des promesses d'achat au cours de l'année 2016 avec respectivement le groupe tchèque EPH et le fonds australien IFM, comme cela a été rendu public par EDF.
Cependant, EDF Polska ayant été inscrit sur la liste des actifs stratégiques polonais donnant lieu à un contrôle des investissements, le gouvernement polonais indiquait à EDF, le 12 décembre 2017, opposer son veto à l'opération envisagée. EDF en prenait note et déclarait réserver tous ses droits.
Un consortium de quatre entreprises polonaises a engagé en janvier 2017 des discussions avec EDF en vue du rachat d'EDF Polska. Ces discussions ont abouti en mai 2017 avec Polska Grupa Energetyczna (PGE) qui faisait partie de ce consortium.
PGE, détenu à environ 58 % par l'Etat polonais, est le principal acteur intégré du secteur énergétique polonais. La société, cotée à la bourse de Varsovie, produit, distribue et fournit de l'électricité en opérant près de 40 centrales en Pologne et fournissant plus de 5 millions de consommateurs finaux. Le groupe est aussi engagé dans l'extraction de lignite et prévoit de construire la première centrale nucléaire polonaise. Pour 2016, PGE a réalisé un chiffre d'affaires de 28 milliards de złotys (PLN) et un excédent brut d'exploitation de 7,4 milliards.
V. - L'offre de PGE comprend une valeur des fonds propres de 2,464 milliards de złotys (PLN), un prêt intra-groupe d'un peu plus de 2 milliards étant remboursé à EDF par ailleurs. En vue de simplifier la réalisation de la transaction, et d'éviter une clause d'ajustement de prix, les parties ont convenu de recourir au mécanisme de locked-box (transaction à prix fixe) au 31 décembre 2016. Le prix des titres sera augmenté des intérêts de locked-box entre le 31 décembre 2016 et la date du closing et il sera diminué des éventuels flux financiers entre EDF Polska et EDF considérés comme des réductions de prix
EDF International accorde à l'acquéreur des garanties générales usuelles, assorties d'un seuil de déclenchement et d'un montant global maximal. Des garanties spécifiques sur certains risques juridiques et fiscaux font l'objet d'un sous-plafond dans le montant global maximal.
Le contrat de cession (Conditional Share Sale Agreement) a été signé à Varsovie le 19 mai 2017.
EDF estime que son investissement dans EDF Polska se traduit par un bilan financier globalement neutre.
VI. - La Commission a disposé du rapport d'évaluation d'EDF Polska établi par Rothschild et Société générale, banques conseils mandatées par EDF.
Les banques conseils ont retenu quatre méthodes d'évaluation :
- l'actualisation des flux de trésorerie (DCF) : les banques ont construit un plan d'affaires (incluant Kogeneracja SA) qui court jusqu'à la fin de vie des actifs de la société en 2042 (il n'est donc pas pris en compte de valeur terminale). La première partie du plan (de 2017 à 2030) repose sur les prévisions du management d'EDF Polska et des conseils d'EDF. Les flux sont actualisés au coût moyen pondéré du capital estimé à 8,4 %. Borne haute et borne basse de l'évaluation sont déterminées selon des hypothèses différentes notamment sur l'évolution réglementaire, l'inflation et certains blocs de valeur ;
- l'actualisation des flux de dividendes (DDM) : les flux de dividendes sont déterminés sur les mêmes bases avec un TRI cible de 12,1 %. Le coût de la dette est estimé à 5,6 % ;
- les multiples implicites aux prix des transactions dans le secteur : dix transactions réalisées ces dernières années en Pologne dans les secteurs de l'électricité et de la chaleur sont prises en compte. Le multiple moyen implicite valeur d'entreprise/EBITDA est appliqué à l'EBITDA moyen sur 2014-2016 d'EDF Polska ;
- les multiples de sociétés cotées comparables (valeur d'entreprise/EBITDA) : quatre sociétés polonaises cotées dans le secteur des utilités sont retenues (PGE, Energa, Enea, Tauron). Le multiple moyen implicite valeur d'entreprise/EBITDA est appliqué à l'EBITDA prévisionnel 2017 d'EDF Polska. S'agissant de la cession d'une participation majoritaire, les banques suggèrent d'appliquer une prime de contrôle de 20 %.
Viennent en déduction de la valeur d'entreprise globale : la dette nette, les intérêts minoritaires dans Kogeneracja SA ainsi que certains ajustements comme le coût de déconstruction des centrales en fin de période.
Sur ces bases, les banques conseils présentent des fourchettes d'évaluation.
VII. - Conformément à l'article 27 I, deuxième alinéa, de l'ordonnance du 20 août 2014 susvisée, la Commission est appelée à fixer la valeur de la société cédée. Le troisième alinéa dudit article précise que les « évaluations sont conduites selon les méthodes objectives couramment pratiquées en matière de cession totale ou partielle d'actifs de sociétés, en tenant compte des conditions de marché à la date de l'opération et, selon une pondération appropriée à chaque cas, de la valeur des actifs, des bénéfices réalisés, de l'existence des filiales et des perspectives d'avenir et, le cas échéant, de la valeur boursière des titres et des éléments optionnels qui y sont attachés ».
La Commission observe que les évaluations par les méthodes d'actualisation des flux et des dividendes sont les références les plus appropriées dans le cas d'une cession de participation majoritaire. Le prix obtenu par EDF s'inscrit dans les fourchettes d'évaluation fournies par ces deux méthodes. Les principales hypothèses portent en l'espèce sur l'évolution tant des prix de l'énergie que des réglementations applicables au secteur. Au cours des deux dernières années, la hausse régulière et importante du résultat brut d'exploitation (EBITDA), grâce en particulier à la baisse du coût des approvisionnements en combustibles, a été plus que compensée par l'importance des dépréciations d'actifs qui ont conduit à un résultat d'exploitation et un résultat net négatifs. Les méthodes analogiques fournissent, comme cela est usuel, des évaluations plus basses et qui dépendent beaucoup du choix des agrégats de référence.
Sur ces bases, la Commission estime que la valeur de EDF Polska (valeur des fonds propres pour 100 % du capital et y incluse la participation de 50 % dans Kogeneracja SA) ne saurait être inférieure à 2 milliards de złotys (PLN) soit environ 480 millions d'euros (au cours actuel de 1 złoty = 0,24 €).
La Commission constate que la procédure de cession, initialement lancée selon un processus concurrentiel, a dû évoluer du fait de l'intervention des autorités polonaises dans le cadre de la législation nationale visant à la sécurisation de l'approvisionnement énergétique du pays. Dans ce contexte, la procédure finalement suivie, en particulier quant au choix de l'acquéreur, a été suffisamment objective dans le cas d'espèce et, en tout état de cause, a respecté les intérêts du groupe EDF. La Commission note en particulier que le prix convenu avec PGE pour la vente d'EDF Polska dans son ensemble n'est pas inférieur à la somme des prix qui avaient été actés avec les deux acquéreurs pressentis dans le cadre du projet de vente séparée des deux activités exercées.
VIII. - Pour ces motifs, et au vu de l'ensemble des éléments qui lui ont été transmis, la Commission est d'avis que :
- la valeur d'EDF Polska ne saurait être inférieure à 2 milliards de złotys (PLN) (y incluse la participation de 50 % dans Kogeneracja SA) ;
- les modalités de la procédure respectent les intérêts du secteur public ;
- le choix de l'acquéreur a été opéré sur une base objective, compte tenu des particularités de la cession ;
- les conditions de la cession, et en particulier son prix, qui est supérieur à la valeur ci-dessus fixée, respectent les intérêts du groupe EDF.
La Commission émet en conséquence un avis favorable au projet d'arrêté dont le texte est annexé au présent avis et visant à autoriser le transfert au secteur privé de la société EDF Polska.
Adopté dans la séance du 14 juin 2017 où siégeaient M. Bertrand SCHNEITER, président, Mme Dominique DEMANGEL, M. Marc-André FEFFER, M. Philippe MARTIN, et M. Yvon RAAK, membres de la Commission.
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