JORF n°0302 du 28 décembre 2012

Délibération du

Participaient à la séance : Philippe de LADOUCETTE, président, Olivier CHALLAN BELVAL, Frédéric GONAND, Jean-Christophe LE DUIGOU et Michel THIOLLIÈRE, commissaires.
En application des articles 4 et 5 du décret n° 2009-1603 du 18 décembre 2009, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a été saisie pour avis le 10 décembre 2012, par les ministres chargés de l'économie et de l'énergie d'un projet d'arrêté relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz de GDF Suez en distribution publique.
Le projet d'arrêté fixe une nouvelle formule permettant de traduire l'évolution des coûts d'approvisionnement de GDF Suez à partir de laquelle sont déterminés les tarifs réglementés de vente en distribution publique de GDF Suez.
Il fixe également les tarifs au 1er janvier 2013. Ces tarifs sont en augmentation de 2,1 % en moyenne par rapport aux tarifs qui avaient été fixés par l'arrêté du 26 septembre 2012. Ils augmentent en moyenne de 1,3 % pour les clients professionnels et de 2,4 % pour les clients résidentiels.
La CRE a auditionné les 18 et 19 décembre 2012 la direction générale de l'énergie et du climat, GDF Suez, des représentants des fournisseurs alternatifs et des associations de consommateurs.

  1. Contexte
    1.1. Cadre juridique

L'article L. 445-3 du code de l'énergie dispose que :
« Les tarifs réglementés de vente du gaz naturel sont définis en fonction des caractéristiques intrinsèques des fournitures et des coûts liés à ces fournitures. Ils couvrent l'ensemble de ces coûts à l'exclusion de toute subvention en faveur des clients qui ont exercé leur droit prévu à l'article L. 441-1. »
L'article 5 du décret du 18 décembre 2009 prévoit que pour chaque fournisseur un arrêté des ministres pris après avis de la CRE, au moins une fois par an, fixe les barèmes des tarifs réglementés de vente de gaz.
L'article 3 précise que les tarifs doivent couvrir les coûts d'approvisionnement et hors approvisionnement des fournisseurs.
L'article 4 prévoit qu'une formule tarifaire définie par un arrêté des ministres chargés de l'économie et de l'énergie après avis de la CRE traduit les coûts d'approvisionnement ainsi que les coûts hors approvisionnement du fournisseur.
L'arrêt du Conseil d'Etat SA GDF Suez et Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) du 10 juillet 2012 a précisé les conditions dans lesquelles les tarifs réglementés de vente de gaz naturel doivent être fixés par les ministres.

1.2. Rapport sur les coûts d'approvisionnement de GDF Suez

Depuis 2006, la CRE a régulièrement audité les contrats d'approvisionnement de GDF Suez et vérifié l'adéquation de ses coûts d'approvisionnement à la formule tarifaire. Des vérifications récurrentes s'imposent car GDF Suez peut modifier la structure de son portefeuille d'approvisionnement dans le temps dans un contexte de prix du gaz en constante évolution.
Dans sa délibération du 30 mars 2011, la CRE a proposé que la formule tarifaire ne se limite plus aux coûts du gaz importé en France dans le cadre de contrats de long terme, mais prenne en compte un périmètre représentatif du portefeuille d'approvisionnement européen de GDF Suez. Elle a par ailleurs estimé que la part indexée sur le prix de marché pourrait être augmentée au-delà du niveau figurant dans les contrats de long terme, jusqu'à 30 %.
A la suite de cette délibération, les ministres en charge de l'économie et de l'énergie, par une lettre du 8 juin 2011, ont sollicité la CRE afin qu'elle expertise le mode de fixation des tarifs réglementés de vente du gaz et formule des propositions d'évolution avant la fin de l'année 2011. La CRE a accepté cette mission. Elle a remis son rapport aux ministres le 28 septembre 2011 et l'a rendu public le 24 octobre 2011.
A cette époque, la CRE avait constaté que GDF Suez s'approvisionnait, au niveau européen, principalement au travers d'un portefeuille diversifié de contrats de long terme (80 %), en intervenant également sur les marchés de court terme afin d'ajuster ses approvisionnements et ses achats. Le potentiel d'optimisation s'était accru au cours de l'année 2011 dans un contexte de déconnexion entre les prix du gaz indexés sur le pétrole et les prix de marché. Dans ce contexte, GDF Suez s'était également engagé dans de nouvelles renégociations de ses contrats de long terme afin de les adapter aux conditions de marché.
Afin de prendre en compte l'ensemble de ces évolutions, la CRE a recommandé d'adopter un nouveau schéma tarifaire comportant :
― l'élargissement du périmètre d'approvisionnement pris en compte pour calculer les coûts couverts par les tarifs réglementés, en y incluant notamment des sources de gaz naturel liquéfié dont un débouché naturel est le marché français ou européen ;
― l'accroissement de la part des approvisionnements indexée sur le marché. Une augmentation de la pondération du prix de marché du gaz dans la formule tarifaire à 30 % permettait de parvenir à une formule plus représentative du portefeuille d'approvisionnement de GDF Suez ;
― le partage entre l'opérateur et les consommateurs des écarts significatifs constatés a posteriori, sous réserve de respecter le principe de couverture des coûts.

1.3. Formule tarifaire

Un arrêté du 22 décembre 2011 a fixé la formule tarifaire en vigueur permettant de traduire l'évolution des coûts d'approvisionnement de GDF Suez.
Dans son avis sur cet arrêté, la CRE avait notamment relevé que la formule :
― élargissait le périmètre d'approvisionnement retenu à des sources de gaz naturel liquéfié ;
― prenait en compte des contrats d'approvisionnement européens, auparavant exclus du périmètre de calcul de la formule, indexés à 100 % sur le marché et dont le marché français peut être un débouché ;
― portait le niveau d'indexation sur le marché à 26 % (contre 9,5 % précédemment) ;
― entraînait une plus forte volatilité des tarifs réglementés de vente de gaz, ainsi qu'elle l'avait mentionné dans son rapport du 28 septembre 2011 sur les coûts d'approvisionnement de GDF Suez.
La CRE avait considéré que ce périmètre ― sans intégrer la totalité des sources d'approvisionnement, puisqu'il restait basé exclusivement sur des contrats de long terme ― était plus représentatif des approvisionnements européens de GDF Suez. Elle avait également relevé que l'accroissement de la part indexée sur le marché prenait en compte dans une large mesure ses recommandations. Elle avait conclu que cette formule refléterait mieux les coûts d'approvisionnement européens de GDF Suez que la précédente.
La CRE avait également indiqué qu'elle vérifierait l'adéquation de la formule proposée aux coûts constatés du portefeuille d'approvisionnement européen de GDF Suez et, en particulier, la confirmation des effets des renégociations anticipés dans la formule. La CRE a procédé à ces vérifications au cours du premier semestre 2012 et en a présenté les résultats dans sa délibération du 17 juillet 2012 dans laquelle elle relevait notamment que la part marché dans le portefeuille d'approvisionnement de contrats de long terme de GDF Suez ― au début du mois juin 2012 ― s'établissait à 25,8 %.

1.4. Niveau des tarifs

L'évolution des coûts d'approvisionnement et hors approvisionnement de GDF Suez n'a été que partiellement répercutée dans les tarifs fixés par les arrêtés du 18 juillet et du 26 septembre 2012, qui ont l'un et l'autre fixé la hausse à 2 %.
Dans son avis du 17 juillet 2012, la CRE avait relevé que la hausse nécessaire pour que les tarifs couvrent les coûts s'élevait alors à 7,3 %, dont 4,1 % au titre des coûts d'approvisionnement et 3,2 % au titre des coûts hors approvisionnement.
Dans son avis du 25 septembre 2012, la CRE avait relevé que l'impact sur les tarifs en vigueur de l'évolution des coûts matière estimée par la formule tarifaire entre le 1er juillet et le 1er octobre 2012 était de + 0,9 % et que les coûts hors matière n'avaient pas significativement évolué depuis le 1er juillet 2012. Par conséquent, la hausse à appliquer aux tarifs en vigueur pour que les coûts supportés par GDF Suez soient couverts était de 6,1 %, et la hausse de 2 % prévue par le projet d'arrêté était insuffisante au regard du critère de couverture des coûts.
Par ordonnance du 29 novembre 2012, rendue sur la demande de l'ANODE, le juge des référés du Conseil d'Etat a ordonné la suspension de l'exécution de l'arrêté du 26 septembre 2012 au motif, notamment, qu'en l'état de l'instruction la hausse de 2 % fixée par ce même arrêté, alors même que la CRE avait estimé à 6 % la hausse résultant de l'application de la formule tarifaire, pourrait créer un doute sérieux sur la légalité de celui-ci.
Le juge des référés du Conseil d'Etat a, en conséquence, enjoint au ministre de l'économie et des finances et à la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie de se prononcer à nouveau sur la fixation des tarifs réglementés de vente de gaz distribution publique de GDF Suez dans un délai d'un mois à compter de la notification de cette ordonnance.

  1. Observations
    2.1. Analyse de la formule tarifaire proposée

Le projet d'arrêté fixe la formule permettant d'estimer l'évolution des coûts d'approvisionnement de GDF Suez entre deux évolutions tarifaires. En revanche, il ne fixe pas la formule permettant d'estimer les coûts hors approvisionnement de GDF Suez. Il méconnaît à ce titre l'article 4 du décret du 18 décembre 2009.
Par rapport à la formule en vigueur, fixée par l'arrêté du 22 décembre 2011, la formule envisagée :
― est fondée sur le même périmètre d'approvisionnement, tout en actualisant notamment les volumes nominaux de certains contrats ;
― allonge la période de lissage, en la portant à huit mois pour les indices pétroliers contre six actuellement ;
― porte le niveau d'indexation sur le marché à 35,6 % (contre 25,9 % actuellement) et introduit un indice reflétant la cotation des contrats futurs mensuels, en complément de l'indice trimestriel présent dans la formule en vigueur. GDF Suez indique que cette révision intègre les effets estimés au 1er janvier 2013 des renégociations de contrats d'approvisionnement avec différents fournisseurs de gaz.

Périmètre de la formule proposée

Comme le périmètre retenu par GDF Suez reste exclusivement basé sur des contrats de long terme, il n'intègre pas la totalité des sources d'approvisionnement. Ce périmètre est aussi représentatif que le précédent des approvisionnements européens de GDF Suez.

Accroissement de la part indexée sur le marché et prise en compte des effets des renégociations de contrats

GDF Suez indique que la progression de la part indexée marché de 25,9 % à 35,6 % permet de tenir compte de l'effet de renégociations récentes ou en cours sur les coefficients d'indexation des contrats concernés.
GDF Suez a fourni à la CRE des indications sur les effets attendus des modifications des clauses d'indexation des contrats concernés. Toutefois, la CRE n'a pas pu examiner ces contrats ou projets de contrat dans les délais très brefs dont elle a disposé. Elle procédera à cette vérification sur la base des contrats conclus dans un audit au cours du premier trimestre 2013. A ce stade, seul GDF Suez dispose d'une vision parfaitement informée de la teneur des négociations en cours, du calendrier probable de leur conclusion et de leur impact potentiel in fine sur les coûts d'approvisionnement.
La formule proposée ne tient pas compte de l'ensemble des renégociations prévues sur le début de l'année 2013, qui pourraient modifier l'indexation de certains contrats sur le marché. L'opérateur indique que les effets de ces renégociations devraient rester limités.
La CRE relève que les évolutions récentes constatées suggèrent qu'un mouvement de fond est désormais engagé dans une logique d'indexation marché des contrats long terme.

Volatilité de la formule proposée

Comme la CRE l'a rappelé à plusieurs reprises, l'accroissement de la part d'indexation sur le marché du gaz entraîne, par rapport à la formule en vigueur, du fait de la volatilité des prix de marché de gros du gaz, des fluctuations plus importantes à la hausse ou à la baisse des tarifs réglementés de vente.

Adéquation de la formule proposée aux coûts

Dans les délais très courts dont elle a disposé pour l'analyse de la formule envisagée par le projet d'arrêté, la CRE n'a pas relevé d'éléments permettant de conclure que cette formule ne fournirait pas une approximation correcte des coûts d'approvisionnement de GDF Suez.
Dans ces conditions, la CRE procédera à un examen approfondi de la formule au cours du premier trimestre 2013, afin de vérifier son adéquation aux coûts constatés et prévisionnels du portefeuille d'approvisionnement européen de GDF Suez.

2.2. Analyse des tarifs envisagés au 1er janvier 2013

Conformément aux dispositions de l'article L. 445-3 du code de l'énergie et du décret du 18 décembre 2009, les tarifs doivent couvrir les coûts supportés par GDF Suez, coûts d'approvisionnement et coûts hors approvisionnement, tels qu'ils peuvent être évalués au 1er janvier 2013.
Les coûts d'approvisionnement sont évalués par application de la formule envisagée.
La CRE a relevé dans son avis du 25 septembre 2012 que les tarifs auraient dû augmenter en moyenne de 6,1 % en octobre pour couvrir les coûts de GDF Suez.
Etant donné :
― la hausse des tarifs de 2 % appliquée au 1er octobre 2012 ;
― la baisse des coûts d'approvisionnement entre le 1er octobre 2012 et le 1er janvier 2013, induisant une baisse des tarifs de 2 %, qui s'explique pour 1,4 % par le changement de la formule en lien avec les renégociations de GDF Suez et pour 0,6 % par l'évolution des sous-jacents (Brent, TTF, fioul lourd, fioul domestique, taux de change euro/dollar) entre les périodes de référence de la formule en vigueur pris en compte lors des calculs au 1er octobre 2012 et de la formule proposée au 1er janvier 2013 ;
― l'absence d'évolution des coûts hors approvisionnement depuis le 17 juillet 2012, date de leur dernière évaluation par la CRE (1), à l'exception de la hausse des coûts liée à l'augmentation de la contribution au tarif spécial de solidarité gaz au 1er janvier 2013, induisant une hausse des tarifs de 0,1 %.
La hausse résultante à appliquer aux tarifs réglementés de vente en vigueur pour qu'ils couvrent les coûts de GDF Suez au 1er janvier 2013 est de 2,1 % en moyenne.
Concernant les coûts d'approvisionnement de GDF Suez, la CRE constate que leur niveau estimé par l'application de la formule proposée au 1er janvier 2013 est :
― supérieur au niveau des derniers prix moyen d'importation connus des contrats d'approvisionnement long terme et court terme de GDF Suez ;
― inférieur au niveau des derniers prix moyen d'importation connus des contrats d'approvisionnement long terme de GDF Suez. Toutefois cet écart constaté s'explique par la prise en compte des anticipations des effets attendus des renégociations récentes ou en cours des contrats d'approvisionnement de GDF Suez.
Par conséquent, la hausse des tarifs de 2,1 % résultant du projet de barèmes permet de couvrir les coûts d'approvisionnement et les coûts hors approvisionnement de GDF Suez au 1er janvier 2013.
La hausse de la facture annuelle TTC d'un client résidentiel se chauffant au gaz (tarif B1) s'élève à 28 €.
La CRE rappelle que plusieurs fournisseurs de gaz proposent à ce jour des offres plus attractives que les tarifs réglementés et que tout consommateur résidentiel qui choisit une offre de marché conserve le droit de revenir aux tarifs réglementés à tout instant.

Différenciation des tarifs par segment

La CRE a, par ailleurs, vérifié que les tarifs couvraient les coûts respectivement sur le segment des clients résidentiels et sur celui des clients professionnels. Elle note toutefois que le barème envisagé maintient la distinction entre consommateurs résidentiels et non résidentiels pour les tarifs B2I, B2S et TEL.
La CRE rappelle que cette différenciation, introduite le 1er juillet 2011 et maintenue lors des mouvements tarifaires ultérieurs, n'est pas justifiée par une différence des coûts intrinsèques de fourniture. A caractéristiques de consommation identiques, les coûts à couvrir sont en effet les mêmes qu'un local soit à usage d'habitation ou à usage professionnel.

  1. Avis de la CRE
    3.1. Avis sur la formule tarifaire

Au vu des éléments dont elle a disposé dans les délais très courts qui lui étaient impartis, la CRE n'a pas relevé d'éléments permettant de conclure que la formule envisagée ne fournirait pas une approximation correcte des coûts d'approvisionnement de GDF Suez.
La CRE procédera à un examen approfondi de la formule au cours du premier trimestre 2013, afin de vérifier son adéquation aux coûts constatés et prévisionnels du portefeuille d'approvisionnement européen de GDF Suez.
La CRE relève en outre que le projet d'arrêté ne fixe pas la formule permettant d'estimer les coûts hors approvisionnement de GDF Suez, comme l'impose l'article 4 du décret du 18 décembre 2009.
Sous ces deux réserves, la CRE émet un avis favorable à la formule figurant dans le projet d'arrêté.

3.2. Avis sur les barèmes

Les tarifs envisagés font application de la formule envisagée en ce qui concerne les coûts d'approvisionnement.
Ils permettent de couvrir au 1er janvier 2013 les coûts d'approvisionnement et les coûts hors approvisionnement supportés par GDF Suez, respectivement sur le segment des clients résidentiels et sur celui des clients professionnels.
La CRE émet dans ces conditions un avis favorable aux barèmes envisagés.
Fait à Paris, le 20 décembre 2012.

Pour la Commission de régulation de l'énergie :

Le président,

P. de Ladoucette

(1) En l'absence de formule tarifaire prévue par le décret n° 2009-1603 du 18 décembre 2009 permettant de traduire l'évolution des coûts hors approvisionnement de GDF Suez, la CRE s'est livrée à l'occasion de sa délibération du 17 juillet 2012 à l'évaluation de ces coûts compte tenu des données qui lui avaient été transmises par l'opérateur et de l'évolution prévisible de coûts de transport, de distribution et de stockage à cette même date.