JORF n°0078 du 2 avril 2015

DÉLIBÉRATION du 9 septembre 2014

Participaient à la séance : Philippe de LADOUCETTE, président, Olivier CHALLAN-BELVAL, Catherine EDWIGE, Hélène GASSIN, Jean-Pierre SOTURA et Michel THIOLLIÈRE, commissaires.
La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a été saisie, le 21 juillet 2014, par la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie d'un projet d'arrêté relatif au taux de rémunération du capital immobilisé pour les installations de stockage d'électricité et pour les actions de maîtrise de la demande d'électricité dans les zones non interconnectées (ZNI).

  1. Contexte

Le projet d'arrêté est proposé en application du 2° de l'article L. 121-7 du code de l'énergie et du décret n° 2014-864 du 1er août 2014 qui vient modifier le décret n° 2004-90 du 28 janvier 2004 relatif à la compensation des charges de service public de l'électricité (CSPE) et précise les modalités d'application de l'article L. 121-7 du code de l'énergie.
L'article L. 121-7 du code de l'énergie dispose que, dans les ZNI, les charges imputables aux missions de service public comprennent :
a) Les surcoûts de production qui, en raison des particularités du parc de production inhérentes à la nature de ces zones, ne sont pas couverts par la part relative à la production dans les tarifs réglementés de vente d'électricité ;
b) Les coûts des ouvrages de stockage d'électricité gérés par le gestionnaire du système électrique ;
c) Les surcoûts d'achats d'électricité, hors ceux mentionnés au a, qui, en raison des particularités des sources d'approvisionnement considérées, ne sont pas couverts par la part relative à la production dans les tarifs réglementés de vente d'électricité ;
d) Les coûts supportés par les fournisseurs d'électricité en raison de la mise en œuvre d'actions de maîtrise de la demande portant sur les consommations d'électricité (MDE).
Les points b à d reprennent les dispositions de l'article 60 de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012. Les coûts de ces projets sont pris en charge dans la limite des surcoûts de production qu'ils contribuent à éviter.
Le décret n° 2004-90 modifié vient préciser au V bis, V ter, V quater et V quinquies de l'article 4 les modalités de calcul des coûts pris en compte dans le calcul des charges de service public. Il indique notamment que les coûts du projet pris en compte, nets des éventuelles recettes et subventions, ne peuvent excéder 80 % des surcoûts de production évités du fait de l'installation sur l'ensemble de sa durée de vie.
Le projet d'arrêté soumis à la CRE pour avis en application du décret n° 2004-90 du 28 janvier 2004 :

- précise le taux de rémunération du capital immobilisé dans les projets de stockage et de maîtrise de la demande d'électricité ;
- définit les taux d'actualisation à appliquer pour les projets de stockage, les actions de MDE et pour les achats d'électricité produite hors du territoire français.

  1. Description du projet d'arrêté
    2.1. Article 1er

Le taux de rémunération nominal avant impôts du capital immobilisé pour les installations de stockage d'électricité ou pour les actions de maîtrise de la demande d'électricité est, par défaut, fixé au même niveau que le taux de rémunération du capital immobilisé dans des installations de production d'électricité, défini en application de l'arrêté du 23 mars 2006 (1). La CRE peut modifier cette valeur, dans une fourchette de plus ou moins 500 points de base, après analyse de l'étude de risques, fournie par le porteur de projet, qui justifie et quantifie les événements susceptibles d'aggraver ou de limiter les risques qui affectent le projet.

2.2. Article 2

Le taux d'actualisation de référence mentionné au V quinquies de l'article 4 du décret n° 2004-90 du 28 janvier 2004 pour les projets de stockage, les actions de MDE et pour les achats d'électricité produite hors du territoire français est fixé à :
8 % lorsque la durée de vie de l'action est inférieure ou égale à cinq années ;
4 % lorsque la durée de vie de l'action est supérieure ou égale à quinze années.
Les valeurs intermédiaires sont obtenues par interpolation linéaire.
Dans les cas où la CRE estime que les incertitudes sur les surcoûts de production évités futurs sont particulièrement importantes, le taux d'actualisation est égal au taux d'actualisation de référence défini ci-dessus, majoré d'un point.

  1. Analyse de la CRE

S'agissant de la modulation du taux de rémunération :
La CRE est favorable à la modulation du taux de rémunération du capital immobilisé pour les installations de stockage et les actions de maîtrise de la demande en électricité en fonction des niveaux de risque propres à chaque activité. La fixation par la CRE du taux de rémunération se fera après une évaluation conjointe du plan d'affaire et des analyses de sensibilités aux risques identifiés soumis par le porteur de projet.
S'agissant du taux d'actualisation de référence :
En application du décret n° 2004-90 du 28 janvier 2004, la CRE a pour mission d'évaluer le coût « normal et complet » d'un projet d'installation de stockage ou d'action de maîtrise de la demande en électricité, net des éventuelles recettes et subventions. Cette évaluation s'effectue sur la base des estimations et des éléments justificatifs fournis par le porteur du projet et permet d'établir la chronique des coûts sur la durée de vie considérée pour le projet. Les coûts ainsi calculés sont comparés aux surcoûts annuels de production que le projet permet d'éviter. Lorsque le projet porte sur l'achat d'électricité produite hors du territoire français, la CRE compare les surcoûts d'achat de l'électricité importée aux surcoûts de production évités dans la zone considérée sur la durée de vie du contrat d'achat.
Afin de pouvoir effectuer ces comparaisons, les coûts et les surcoûts doivent être ramenés à la même date économique par application d'un taux d'actualisation. Si la somme des coûts (respectivement des surcoûts d'achat) actualisés du projet est inférieure à 80 % de la somme des surcoûts de production évités actualisés, les coûts du projet de stockage ou de MDE (respectivement les surcoûts d'achat d'électricité importée) sont éligibles à la compensation. Dans le cas contraire, cette compensation est plafonnée à 80 % de la somme des surcoûts de production évités actualisés.
Le taux d'actualisation de 8 %, applicable aux actions de court terme (de durée de vie inférieure à cinq ans), affecte un poids plus important aux surcoûts de production évités les premières années du projet.
Le taux de 4 %, applicable aux actions de long terme (de durée de vie supérieure à quinze ans), permet d'éviter de pénaliser les projets capitalistiques à durée de vie importante, en affectant un poids plus significatif aux éventuels surcoûts de production évités (notamment d'investissement dans de nouveaux moyens de production) qui se matérialiseraient à des échéances plus lointaines.
Pour un projet de durée de vie de vingt ans permettant d'éviter des surcoûts de production constants en euros constants sur toute sa durée de vie, les dix dernières années représentent 40 % de la somme des surcoûts de production évités actualisés avec un taux d'actualisation de 4 %, contre 32 % avec un taux de 8 %.
Effet du couple [durée du projet /taux d'actualisation] sur le niveau de la compensation :
Le seuil d'efficacité d'un projet de MDE ou de stockage est déterminé comme le surcoût de production évité annuel à partir duquel la compensation du projet n'est plus plafonnée. Les hypothèses choisies pour ce calcul sont les suivantes :

- le capital investi dans le projet, rémunéré à 11 %, s'amortit linéairement sur la durée de vie ;
- les charges d'exploitation coïncident avec les recettes du projet ;
- le surcoût de production annuel évité est constant et actualisé sans majoration de taux.

Dans le cadre de ce calcul, le surcoût de production est exprimé comme un pourcentage de l'investissement initial. Il est calculé pour différents couples de durée de vie et de taux d'actualisation.

Vous pouvez consulter l'image dans le fac-similé du
JOnº 0078 du 02/04/2015, texte nº 86

La simulation montre que plus la durée de vie du projet est courte, plus l'action doit être efficace pour pouvoir bénéficier d'une compensation intégrale.
Toutefois, la décroissance exponentielle du seuil d'efficacité, mise en évidence par le graphique ci-dessus, traduit l'existence d'un effet d'aubaine, particulièrement marqué pour les projets de durée de vie comprise entre un et dix ans : une surestimation, même légère, de la durée de vie de ces projets permettrait de réduire significativement le seuil d'efficacité leur permettant d'obtenir une compensation intégrale de leurs coûts. En effet, en allongeant la durée de vie d'une année, les surcoûts de production évités de cette année supplémentaire se voient affecter un poids important, à cause du taux d'actualisation décroissant avec la durée de vie.
Pour atténuer cet effet d'aubaine, sans toutefois parvenir à le supprimer, la CRE demande que soit introduite dans l'arrêté la possibilité d'appliquer une majoration plus importante du taux d'actualisation des surcoûts de production évités, en permettant sa modulation dans la fourchette 1 - 3 %.
S'agissant du taux de majoration :
Le projet d'arrêté propose de majorer d'un point le taux d'actualisation à appliquer aux surcoûts de production évités, dès lors qu'ils sont difficiles à apprécier avec certitude. Les coûts des projets et les surcoûts d'achat seraient alors appréciés au regard des inégalités ci-dessous.

|Cas d'un projet de cinq ans avec taux majoré|Cas d'un projet de quinze ans avec taux majoré| |:------------------------------------------:|:--------------------------------------------:|

Où SPi désigne le surcoût de production évité l'année i et Ci désigne le coût du projet ou le surcoût d'achat donnant droit à compensation.
Contrairement à la chronique des coûts du projet ou des surcoûts d'achat de l'électricité importée, qui présente un caractère quasi définitif au moment de l'examen du projet par la CRE, la chronique des surcoûts de production évités par les actions de MDE, les installations de stockage ou les achats d'électricité importée est très incertaine, pour deux raisons :

- le calcul est complexe et dépend de nombreux paramètres dont les évolutions sont difficiles à prévoir, comme la croissance et la déformation du profil de la consommation d'électricité, les fluctuations de prix des matières premières, les taux de change, etc ;
- leurs effets sur la demande, et donc sur la production d'électricité, ne sont ni faciles à quantifier ni garantis sur la durée de vie du projet.

Au surplus, ces incertitudes sont d'autant plus importantes que la durée de vie du projet est longue. Une majoration de 1 % n'est pas suffisante pour refléter le niveau d'incertitude de tous les projets.
Afin de mieux refléter le niveau de ces incertitudes et d'atténuer l'effet d'aubaine décrit au paragraphe précédent, la CRE demande que le projet d'arrêté soit modifié pour lui donner la faculté d'appliquer un taux de majoration compris entre 1 et 3 %. Le taux de majoration finalement retenu pour un projet sera fixé dans la fourchette 1 - 3 % en fonction du niveau d'incertitude pesant sur les surcoûts de production qu'il permet d'éviter.
La simulation ci-dessous est réalisée pour des projets de MDE dont la durée de vie est supérieure à quinze ans prenant en compte les hypothèses de simulation citées ci-dessus en appliquant le taux d'actualisation des surcoûts de production évités (i) sans majoration, (ii) avec majoration de 1 % et (iii) avec majoration de 3 %.

Vous pouvez consulter l'image dans le fac-similé du

JOnº 0078 du 02/04/2015, texte nº 864. Avis

4.1. La CRE émet un avis favorable sur la possibilité de moduler le niveau du taux de rémunération des capitaux en fonction des risques réels des projets, telle que prévue à l'article 1er du projet d'arrêté. Elle prend acte de ce que le taux de référence pour les actions de MDE et les dispositifs de stockage est le même que celui applicable pour les installations de production.
4.2. Elle émet également un avis favorable sur les dispositions de l'article 2 du projet d'arrêté qui fixent les taux d'actualisation applicables aux installations de stockage, aux actions de maîtrise de la demande d'électricité et aux projets d'achat de l'électricité produite hors du territoire français.
4.3. La CRE émet un avis défavorable sur les dispositions de l'article 2 du projet d'arrêté qui fixent le niveau et les modalités d'application du taux de majoration. Elle demande la mise en place d'une modulation entre 1 et 3 % de ce taux, pour les motifs suivants :

- les dispositions de fixation du taux d'actualisation prévues par le projet d'arrêté pour les projets dont la durée de vie est inférieure à dix ans donnent lieu à un effet d'aubaine : les porteurs de projet sont en effet incités à surestimer la durée de vie de leur action pour bénéficier de conditions de plafonnement de leur compensation plus favorables ;
- la majoration des taux d'actualisation doit permettre de tenir compte du degré des incertitudes portant sur le calcul des surcoûts de production évités de chaque projet.

Fait à Paris, le 9 septembre 2014.

Pour la Commission de régulation de l'énergie :

Le président,

P. de Ladoucette

(1) Arrêté du 23 mars 2006 relatif au taux de rémunération du capital immobilisé pour les installations de production électrique dans les zones non interconnectées.