Participaient à la séance : Philippe de LADOUCETTE, président, Catherine EDWIGE, Yann PADOVA et Jean-Pierre SOTURA, commissaires.
La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a été saisie, le 28 juillet 2015, par la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, d'un projet d'arrêté modifiant l'arrêté du 4 mars 2011 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000.
Le projet d'arrêté vise à revaloriser les conditions tarifaires applicables aux installations photovoltaïques intégrées simplifiées au bâti d'une puissance inférieure à 100 kWc.
- Contexte
1.1. Cadre juridique
L'article L. 314-4 du code de l'énergie prévoit que « les conditions dans lesquelles les ministres chargés de l'économie et de l'énergie arrêtent, après avis de la Commission de régulation de l'énergie, les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations mentionnées à l'article L. 314-1, sont précisées par voie réglementaire ».
En application de l'article 8 du décret n° 2001-410 du 10 mai 2001 relatif aux conditions d'achat de l'électricité produite par des producteurs bénéficiant de l'obligation d'achat, « des arrêtés des ministres chargés de l'économie et de l'énergie, pris après avis du Conseil supérieur de l'énergie et après avis de la Commission de régulation de l'énergie, fixent les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations bénéficiant de l'obligation d'achat prévue par l'article 10 de la loi du 10 février 2000 susvisée. Ces conditions d'achat précisent notamment :
1° En tant que de besoin, les conditions relatives à la fourniture de l'électricité par le producteur ;
2° Les tarifs d'achat de l'électricité ;
3° La durée du contrat ;
4° Les exigences techniques et financières à satisfaire pour pouvoir bénéficier de l'obligation d'achat. Ces exigences peuvent notamment inclure la fourniture de documents attestant de la faisabilité économique du projet, la fourniture d'éléments attestant de l'impact environnemental du projet ainsi que le respect de critères techniques ou architecturaux de réalisation du projet.
A compter de la date à laquelle la Commission de régulation de l'énergie a été saisie d'un projet d'arrêté par les ministres, elle dispose d'un délai d'un mois pour rendre son avis, délai que les ministres peuvent porter à deux mois à la demande de la commission. Passé ce délai, l'avis est réputé donné. L'avis de la Commission de régulation de l'énergie est publié au Journal officiel de la République française en même temps que l'arrêté ».
1.2. Modalités de soutien à la filière photovoltaïque
Le soutien à la filière photovoltaïque repose, pour les installations de petite puissance, sur des tarifs d'obligation d'achat ajustables de manière automatique chaque trimestre en fonction des demandes complètes de raccordement enregistrées et pour les installations de grande taille sur des appels d'offres :
- un appel d'offres portant sur la réalisation et l'exploitation d'installations de production d'électricité à partir de l'énergie solaire d'une puissance supérieure à 250 kWc et situées en France métropolitaine a été lancé fin novembre 2014 pour une puissance cible de 400 MW ;
- un appel d'offres portant sur la réalisation et l'exploitation d'installations photovoltaïques sur bâtiments et ombrières de parking de puissance crête comprise entre 100 et 250 kWc et situées en France métropolitaine a été lancé en mars 2015 pour une puissance cible de 120 MW ;
- un appel d'offres portant sur la réalisation et l'exploitation d'installations de production d'électricité à partir de techniques de conversion du rayonnement solaire d'une puissance supérieure à 100 kWc et situées dans les zones non interconnectées (1) a été lancé en mai 2015 pour une puissance cible de 50 MW.
1.3. Modifications récentes
Les dispositions de l'arrêté du 4 mars 2011, s'agissant notamment du niveau des tarifs, ont déjà fait l'objet de plusieurs modifications :
- l'arrêté du 7 janvier 2013 (2) a modifié les tarifs en niveau et en structure ainsi que les règles de révision automatique des tarifs ;
- l'arrêté du 7 janvier 2013 (3) a majoré de 5 à 10 % les tarifs pour les installations conçues à partir de modules en provenance de l'espace économique européen ;
- l'arrêté du 25 avril 2014 (4) a abrogé la majoration tarifaire susmentionnée et a modifié les délais laissés pour l'achèvement des travaux des installations raccordées au réseau public de transport en cas de retard dans les travaux de raccordement ;
- l'arrêté du 26 juin 2015 (5) a revalorisé le tarif T4 de 5 %, modifié les règles de révision automatique des tarifs et précisé les règles relatives à la construction d'une nouvelle installation sur une parcelle ou un bâtiment accueillant déjà au moins une unité de production.
La CRE rappelle que, dans sa délibération du 10 juin 2015 (6) portant avis sur l'arrêté du 26 juin 2015, son avis favorable était accompagné de réserves reprises dans l'avis (section 4) s'agissant de la revalorisation du tarif T4 de 5 %.
- Revalorisation du tarif T4 applicable aux installations intégrées simplifiées au bâti d'une puissance inférieure à 100 kWc
L'article 1er du projet d'arrêté établit la formule de calcul du tarif T4 applicable aux installations pour lesquelles la demande complète de raccordement est postérieure au 1er juillet 2015. Elle s'écrit :
Vous pouvez consulter l'image dans le fac-similé du
JOnº 0254 du 01/11/2015, texte nº 41
Le coefficient E est égal à :
- 1 si la somme de la puissance de l'installation et des puissances raccordées et en projet (P+Q) est strictement inférieure à 36 kWc ;
- 0,95 si la somme de la puissance de l'installation et des puissances raccordées et en projet (P+Q) est comprise entre 36 et 100 kWc ;
- 0 si la somme de la puissance de l'installation et des puissances raccordées et en projet (P+Q) est strictement supérieure à 100 kWc.
En application de cette formule, T4 = 14,70 c€/kWh si (P+Q) est inférieure à 36 kWc et T4 = 13,96 c€/kWh si (P+Q) est comprise entre 36 et 100 kWc.
Evolution successive du tarif « T4 » en 2015
|TRIMESTRE
de la demande complète
de raccordement|T1 2015|T2 2015 AVANT
1re evalorisation|T2 2015 APRÈS
1re revalorisation|T3 2015 AVANT
2e revalorisation|T3 2015 APRÈS REVALORISATION
proposée
par le projet d'arrêté|
|----------------------------------------------------------------|-------|---------------------------------------|----------------------------------------|---------------------------------------|----------------------------------------------------------------------------|
| Tarif installation ISB P ≤ 36 kWc | 13,46 | 13,20 | 13,95 | 13,95 | 14,70 |
| Tarif installation ISB 36 <
P ≤ 100 kWc | 12,79 | 12,54 | 13,25 | 13,25 | 13,96 |
La revalorisation du tarif T4 fixée par le projet d'arrêté s'élève à 5,4 %. Elle se cumule à une revalorisation de 5,8 % rendue effective par l'arrêté du 26 juin 2015.
Dans sa lettre de saisine, la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie justifie cette revalorisation par le fait que « depuis le second semestre 2014, le nombre de projets demandant à bénéficier des tarifs PV prévus pour les installations dites “ISB” sur grande toiture (100 kWc, soit 1 000 m2) a chuté largement en-deçà des objectifs du dispositif : 110 MW sur l'année 2014 (dont 30 à 50 % ne seront probablement pas réalisés in fine si on se base sur la tendance historique), contre un objectif de réalisation de 200 MW par an ».
La lettre de saisine accompagnant le texte de l'arrêté du 26 juin 2015 susvisé évoquait cette même motivation. Cet arrêté a été publié le 30 juin 2015, soit le dernier jour du trimestre pour lequel le tarif était revalorisé. Dans l'attente de la revalorisation du cadre tarifaire annoncée par le ministère de l'énergie, les acteurs ont déposé un nombre de demandes complètes de raccordement en légère baisse par rapport au premier trimestre 2015 (7).
Bien que les effets de cette première revalorisation n'aient pas pu être mesurés (ils ne pourront l'être qu'à la fin du troisième trimestre 2015), le présent projet d'arrêté prévoit une nouvelle hausse du tarif T4. L'annonce de cette revalorisation par le ministère de l'énergie le 23 juillet 2015 est de nature à provoquer de nouveau l'attente des acteurs de la filière. Les effets de cette double revalorisation ne seront donc vraisemblablement constatés qu'à la fin du quatrième trimestre 2015.
La CRE est réservée sur la revalorisation du tarif T4 proposée au regard des éléments exposés ci-dessus. Elle rappelle que la rémunération totale cumulée perçue par les producteurs photovoltaïques entre 2011 et 2013 s'élève à 4,9 milliards d'euros courants, dont 4,5 milliards d'euros financés par la CSPE. Pour la seule année 2013, les charges liées aux dispositifs de soutien à la filière photovoltaïque s'élèvent à 2,1 milliards d'euros.
- Analyse économique
L'article L. 314-7 du code de l'énergie dispose que les niveaux des tarifs « ne peu[ven]t conduire à ce que la rémunération des capitaux immobilisés dans les installations bénéficiant de ces conditions d'achat excède une rémunération normale des capitaux, compte tenu des risques inhérents à ces activités et de la garantie dont bénéficient ces installations d'écouler l'intégralité de leur production à un tarif déterminé ».
La CRE a évalué le taux de rentabilité interne du capital investi après impôts (TRI projet après impôts) induit par le tarif envisagé sur la base de plans d'affaires d'installations types. Cette rentabilité est comparée à un coût moyen pondéré du capital (CMPC) nominal après impôts de référence, estimé à environ 5 % sur la base d'un échantillon d'entreprises du secteur des énergies renouvelables. La CRE a également évalué le taux de rentabilité interne des capitaux propres engagés dans les projets, sur la base des flux de trésorerie disponibles pour les actionnaires après paiement du service de la dette.
3.1. Hypothèses
En avril 2014, la CRE a publié un rapport sur les coûts et la rentabilité des énergies renouvelables en France métropolitaine. Pour les installations photovoltaïques avec « intégration simplifiée au bâti » de puissance inférieure à 100 kWc, les données analysées dans cette étude portaient sur des installations mises en service avant 2013. En raison de la baisse continue des coûts d'investissement de la filière photovoltaïque, la CRE estime que ces données ne présentent plus un niveau de pertinence suffisant pour être utilisées dans la présente analyse. Par ailleurs, le délai contraint octroyé à la CRE pour rendre son avis sur le projet d'arrêté ne lui a pas permis de mettre à jour sa base de données de référence relative aux coûts.
Dès lors, les coûts retenus dans le cadre de la présente analyse sont issus d'un état des lieux de la filière photovoltaïque réalisé par l'ADEME, actuellement en cours de finalisation. Cette étude présente des valeurs moyennes de coûts d'investissement de l'année 2014 pour les différents segments d'installation, en distinguant notamment, pour les installations sur bâtiment, le coût d'équipement d'un bâtiment neuf de celui d'un bâtiment existant (8).
L'hypothèse centrale de productible correspond à la moyenne des productibles déclarés lors de la dernière période de l'appel d'offres lancé en mars 2013 portant sur les installations solaires de puissance comprise entre 100 et 250 kWc.
A partir des données mises à sa disposition pour établir son rapport d'analyse des coûts et de la rentabilité des énergies renouvelables d'avril 2014, la CRE a retenu l'hypothèse d'un financement de projet reposant sur un ratio d'endettement de 80 % et a pris en compte un taux d'emprunt de 3,5 % sur 18 ans.
Les premiers retours d'expérience disponibles indiquent que la durée de vie technique des centrales photovoltaïques peut atteindre 30 ans, excédant de 10 ans la durée du contrat d'obligation d'achat. Les revenus complémentaires tirés de la vente de l'électricité produite aux prix de marché sur la durée de vie résiduelle sont dès lors pris en compte, avec l'hypothèse d'une augmentation annuelle des prix de marché de gros de 2 % à partir de la valeur de 2014 (9).
L'imposition des revenus tirés de la production électrique est assimilable au seul impôt sur les sociétés, pour lequel le taux est de 15 % en deçà du palier d'imposition de 38 k€, et de 33 % au-delà. En effet, les autres taxes et contributions sont négligeables (contribution économique territoriale, contribution sur la valeur ajoutée des entreprises) ou non applicables en l'espèce (taxe sur le foncier bâti, cotisation foncière des entreprises, imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux). Les impôts sur les revenus des installations sont calculés à partir d'une hypothèse d'amortissement linéaire sur la durée du contrat d'achat.
Il n'est pas tenu compte des aides à l'investissement versées par les différentes collectivités territoriales (10), en raison de leur nature et de leur montant très variables.
3.2. Résultats
Le tableau suivant présente les rentabilités économiques associées aux tarifs envisagés pour des installations ISB d'une puissance inférieure à 36 kWc et des installations d'une puissance comprise entre 36 et 100 kWc. Les valeurs centrales correspondent aux hypothèses décrites supra. Les valeurs minimales et maximales de rentabilité indiquées entre crochets traduisent les valeurs obtenues respectivement pour des projets situés dans une zone peu ensoleillée avec un coût d'investissement par kilowatt installé élevé (11) et pour des projets situés dans des zones ensoleillées avec un coût d'investissement par kilowatt installé faible (12).
Taux de rentabilité après impôts induits par les tarifs prévus par le projet d'arrêté
| |INSTALLATIONS ENTRE 0 ET 36 KWC|INSTALLATIONS ENTRE 36 ET 100 KWC| | | |---------------------|-------------------------------|---------------------------------|-----------------|-----------------| | | Bâtiment neuf | Bâtiment existant | Bâtiment neuf |Bâtiment existant| | TRI projet (%) | 5,3 [2,9 - 7,7] | 3,6 [1,2 - 5,9] | 6,7 [4,4 - 9,3] | 4,9 [2,5 - 7,2] | |TRI fonds propres (%)| 9,4 [1,7 - 18] | 3,7 [-3,8 - 11,6] |14,3 [6,2 - 23,7]|7,9 [0,4 - 16,1] |
Le type de bâtiment supportant l'installation - neuf ou existant - a un impact sur la rentabilité de l'ordre de 2 %. La CRE recommande donc de prévoir des tarifs différenciés en fonction de l'ancienneté du bâtiment supportant l'installation.
S'agissant des installations de puissance inférieure à 36 kWc
Pour les installations de puissance inférieure à 36 kW dont les conditions d'ensoleillement sont conformes aux hypothèses décrites supra, la rentabilité est :
- normale sur bâtiments neufs ;
- faible pour les bâtiments existants.
Cependant, les installations bénéficiant de meilleures conditions d'ensoleillement dégagent des rentabilités supérieures (plus 2 points). L'abaissement du plafond de 1 500 heures au-delà duquel la rémunération de l'électricité produite est rémunérée à 5 c€/kWh à 1 200 heures permettrait aux sites les mieux ensoleillés de conserver une meilleure rentabilité que les sites moins ensoleillés sans que celle-ci ne soit toutefois excessive.
La CRE recommande que le plafond de 1 500 heures soit abaissé à 1 200 heures.
Sensibilité du TRI projet pour une installation neuve à l'abaissement de plafond à 1 200 h
Vous pouvez consulter l'image dans le fac-similé du
JOnº 0254 du 01/11/2015, texte nº 41
S'agissant des installations de puissance comprise entre 36 et 100 kWc
Le tarif pour les installations d'une puissance comprise entre 36 et 100 kWc se déduit de celui pour les installations de puissance inférieure à 36 kWc par l'application d'un coefficient E, qui doit permettre de refléter l'effet des économies d'échelle observé sur les installations de plus grande taille. Ce coefficient, aujourd'hui fixé à 0,95, traduit partiellement cet effet et conduit à une rentabilité excessive pour ces installations, supérieure à la rentabilité des installations de moins de 36 kWc.
La CRE préconise, en plus de l'abaissement à 1 200 heures du plafond à partir duquel l'énergie produite est rémunérée à 5 c€/kWh, que le coefficient E, actuellement fixé à 0,95, soit réduit à 0,85.
Sensibilité du TRI projet pour des installations neuves à la baisse du coefficient E
Vous pouvez consulter l'image dans le fac-similé du
JOnº 0254 du 01/11/2015, texte nº 41A titre d'exemple, une installation photovoltaïque de 100 kWc dont les coûts d'investissement seraient maîtrisés (1,58 €/Wc), intégrée à un bâtiment neuf dont les coûts de construction seraient faibles (structure légère avec une surface de toiture de l'ordre de 1 000 m2) et située dans les zones les mieux ensoleillées de France, pourrait bénéficier d'une rentabilité de l'ordre de 9 %. La rentabilité des fonds propres associée à ce projet pourrait atteindre 24 %. Un tel projet, financé à 80 % par l'investissement, contracterait un emprunt de l'ordre de 125 000 €.
- Avis de la CRE
A l'occasion de la précédente revalorisation du tarif « T4 » de 5 %, par l'arrêté du 26 juin 2015, la CRE a émis un avis favorable sous réserve de la prise en compte des modifications suivantes :
- une révision du coefficient E à 0,85, applicable aux installations d'une puissance installée comprise entre 36 et 100 kWc ;
- l'introduction d'une différenciation des tarifs en fonction de l'ancienneté du bâtiment (neuf ou existant) supportant l'installation ;
- une diminution à 1 200 heures du plafond, actuellement fixé à 1 500 heures, au-delà duquel la rémunération de l'électricité produite est rémunérée à 5 c€/kWh.
Le présent projet d'arrêté propose une nouvelle revalorisation de 5 % du tarif T4 sans que les effets de la première hausse aient été mesurés et, faute de prise en compte des modifications proposées par la CRE, cette revalorisation uniforme pour l'ensemble des installations conduit à accentuer le caractère excessif de la rémunération des installations pour lesquelles elle l'était déjà.
La CRE émet donc un avis défavorable sur ce projet d'arrêté et réitère ses recommandations.
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