Participaient à la séance : M. Philippe de LADOUCETTE, président, MM. Olivier CHALLAN BELVAL, Frédéric GONAND, Jean-Christophe LE DUIGOU et Michel THIOLLIÈRE, commissaires.
En application de l'article 5 du décret n° 2009-1603 du 18 décembre 2009, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a été saisie pour avis, le 10 juillet 2012, par les ministres chargés de l'économie et de l'énergie, d'un projet d'arrêté fixant les tarifs réglementés de vente de gaz naturel en distribution publique (DP) de GDF Suez.
Le projet d'arrêté prévoit que les tarifs augmentent de 2 % par rapport aux tarifs en vigueur depuis le 1er janvier 2012. Cette hausse est appliquée aux parts fixes et variables des tarifs.
L'augmentation de la facture annuelle en résultant est de 24 € TTC en moyenne pour un client au tarif chauffage B1 consommant 17 MWh.
La CRE a auditionné l'administration, les acteurs du marché et des associations de consommateurs.
- Contexte
1.1. Cadre juridique
L'article 3 de la directive 2009/73 du 13 juillet 2009 concernant les règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (ci-après « La directive 2009/73 ») rappelle que les Etats membres veillent à la réalisation d'un marché du gaz naturel concurrentiel, sûr et durable sur le plan environnemental, et s'abstiennent de toute discrimination pour ce qui est des droits et obligations des entreprises. Dans ce cadre, les Etats membres peuvent imposer à des entreprises opérant dans le secteur du gaz, dans l'intérêt économique général, des obligations de service public qui peuvent notamment porter sur l'instauration de tarifs réglementés.
La Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt Federutility du 2 avril 2010, a rappelé que les Etats membres pouvaient instaurer des tarifs réglementés permettant de concilier la protection des consommateurs finaux et l'objectif de réalisation d'un marché concurrentiel, à condition que le régime de ces tarifs soit justifié par l'intérêt économique général, et respecte les principes de proportionnalité, de transparence, de non-discrimination et d'égal accès des fournisseurs aux consommateurs.
Dans ce cadre, l'article L. 445-3 du code de l'énergie prévoit que « les tarifs réglementés de vente du gaz naturel sont définis en fonction des caractéristiques intrinsèques des fournitures et des coûts liés à ces fournitures. Ils couvrent l'ensemble de ces coûts à l'exclusion de toute subvention en faveur des clients qui ont exercé leur droit prévu à l'article L. 441-1 ».
L'article 3 du décret du 18 décembre 2009 précise que les tarifs doivent couvrir les coûts d'approvisionnement en gaz naturel et les coûts hors approvisionnement des fournisseurs.
L'article 5 du décret précité prévoit que pour chaque fournisseur un arrêté des ministres chargés de l'économie et de l'énergie pris après avis de la CRE fixe, au moins une fois par an, les barèmes des tarifs réglementés de vente de gaz.
L'arrêté du 22 décembre 2011 a fixé la formule tarifaire permettant d'estimer les coûts d'approvisionnement de GDF Suez ainsi que les tarifs réglementés de vente en distribution publique de l'opérateur au 1er janvier 2012.
L'arrêt du Conseil d'Etat SA GDF Suez et Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) du 10 juillet 2012 est venu préciser les conditions dans lesquelles les tarifs réglementés de vente de gaz naturel doivent être fixés par les ministres.
Le Conseil d'Etat a ainsi jugé qu'il incombe aux ministres chargés de l'économie et de l'énergie, lorsqu'ils révisent les barèmes des tarifs réglementés de vente du gaz naturel, en application de l'article 5 du décret du 18 décembre 2009, « de s'assurer que le niveau des tarifs qui en résulte permet de couvrir le coût moyen complet de fourniture du gaz naturel, tel qu'il est déterminé par l'application de la formule fixée par arrêté et, le cas échéant, de compenser l'écart, s'il est significatif, qui s'est produit entre tarifs et coût, au moins au cours de l'année écoulée, en vérifiant en outre s'il y a lieu de prendre en compte une estimation de l'évolution de ce coût sur l'année à venir, en fonction des éléments dont ils disposent à la date de leur décision ».
Le Conseil d'Etat a précisé que, « dès lors que la formule tarifaire ne traduit plus correctement les coûts du fournisseur, et notamment ses coûts d'approvisionnement en gaz naturel, il appartient aux ministres chargés de l'économie et de l'énergie, après avis de la CRE, de la modifier. Cette modification doit toutefois, pour être prise en compte dans la révision des barèmes, être préalable à celle-ci ».
Il a en conséquence annulé un gel des tarifs, dès lors que la différence entre l'évolution des tarifs et celle des coûts n'était justifiée ni par une surévaluation initiale des tarifs ni par la baisse prévisible des coûts, et que les ministres n'avaient pas estimé nécessaire de modifier la formule.
1.2. Travaux antérieurs de la CRE
Audits des coûts d'approvisionnement de GDF Suez
Depuis 2006, la CRE a régulièrement audité les contrats d'approvisionnement de GDF Suez et vérifié l'adéquation de ses coûts d'approvisionnement à la formule tarifaire. Des vérifications récurrentes s'imposent car GDF Suez peut modifier la structure de son portefeuille d'approvisionnement dans le temps dans un contexte de prix du gaz en constante évolution.
Dans sa communication du 28 février 2006, la CRE avait conclu que la formule tarifaire en vigueur donnait une approximation correcte des coûts d'approvisionnement dans le cadre du périmètre du contrat de service public, c'est-à-dire pour le gaz importé en France dans le cadre de contrats de long terme. La CRE a réitéré ce constat en conclusion des audits suivants, en décembre 2008 et en août 2010.
Dans sa délibération du 31 août 2010, la CRE avait relevé que des renégociations étaient en cours entre GDF Suez et ses principaux fournisseurs. Elle avait également souligné que les contrats de long terme prenaient en compte une part croissante d'indexation sur les prix des marchés de gros du gaz. La CRE recommandait que la formule soit révisée afin de mieux refléter le coût des contrats de long terme de gaz importé de GDF Suez à l'issue de ces renégociations. Conformément à cette recommandation, les ministres avaient, par un arrêté du 9 décembre 2010, fixé une nouvelle formule qui introduisait le prix de marché (indice TTF - Pays-Bas) parmi les indices pris en compte pour l'indexation, avec une pondération de 9,5 %.
Dans sa délibération du 30 mars 2011, la CRE a rappelé que le portefeuille diversifié d'approvisionnement de GDF Suez lui procurait un potentiel d'optimisation et d'arbitrage important : entre contrats de long terme, achats de court terme ou sur le marché, ou au sein du portefeuille de contrats de long terme. Elle a proposé que la formule tarifaire ne se limite plus aux coûts du gaz importé en France dans le cadre de contrats de long terme, mais prenne en compte un périmètre représentatif du portefeuille d'approvisionnement européen de GDF Suez. Elle a par ailleurs estimé que la part indexée sur le prix de marché pourrait être augmentée au-delà du niveau figurant dans les contrats de long terme, jusqu'à 30 %.
Rapport sur les coûts d'approvisionnement de GDF Suez
A la suite de cette délibération, les ministres en charge de l'économie et de l'énergie, par une lettre du 8 juin 2011, ont sollicité la CRE afin qu'elle expertise le mode de fixation des tarifs réglementés de vente du gaz et formule des propositions d'évolution avant la fin de l'année 2011. La CRE a remis son rapport aux ministres le 28 septembre 2011 et l'a rendu public le 24 octobre 2011.
La CRE a constaté que GDF Suez s'approvisionnait, au niveau européen, principalement au travers d'un portefeuille diversifié de contrats de long terme, en intervenant également sur les marchés de court terme afin d'ajuster ses approvisionnements et ses achats. Le potentiel d'optimisation s'est accru au cours de l'année 2011 dans un contexte de déconnexion entre les prix du gaz indexés sur le pétrole et les prix de marché. Dans ce contexte, GDF Suez s'est également engagé dans de nouvelles renégociations de ses contrats de long terme afin de les adapter aux conditions de marché.
Afin de prendre en compte l'ensemble de ces évolutions, la CRE a recommandé d'adopter un nouveau schéma tarifaire comportant :
― l'élargissement du périmètre d'approvisionnement pris en compte pour calculer les coûts couverts par les tarifs réglementés, en y incluant notamment des sources de gaz naturel liquéfié dont un débouché naturel est le marché français ou européen ;
― l'accroissement de la part des approvisionnements indexée sur le marché. Une augmentation de la pondération du prix de marché du gaz dans la formule tarifaire à 30 % permettait de parvenir à une formule plus représentative du portefeuille d'approvisionnement de GDF Suez ;
― le partage entre l'opérateur et les consommateurs des écarts significatifs constatés a posteriori, sous réserve de respecter le principe de couverture des coûts.
Ces recommandations ont été dans l'ensemble suivies par les ministres qui, après que le juge des référés du Conseil d'Etat a suspendu l'arrêté sur le gel des tarifs de vente pour les particuliers du 29 septembre 2011, ont pris le 22 décembre 2011 un arrêté fixant une nouvelle formule tarifaire :
― élargissant le périmètre d'approvisionnement retenu à des sources de gaz naturel liquéfié ;
― prenant en compte des contrats d'approvisionnement européens, auparavant exclus du périmètre de calcul de la formule, indexés à 100 % sur le marché et dont le marché français peut être un débouché ;
― portant le niveau d'indexation sur le marché à 26 % (contre 9,5 % précédemment).
- Analyse des tarifs envisagés par le projet d'arrêté
Couverture des coûts d'approvisionnement
Les coûts d'approvisionnement de GDF Suez doivent être estimés par application de la formule fixée par l'arrêté du 22 décembre 2011.
Dans son avis du 20 décembre 2011 sur la formule tarifaire, la CRE avait estimé que la formule proposée reflétait mieux les coûts d'approvisionnement européens de GDF Suez que celle jusqu'alors en vigueur. La CRE avait également indiqué qu'elle vérifierait l'adéquation de la formule proposée aux coûts constatés du portefeuille d'approvisionnement européen de GDF Suez, et en particulier la confirmation des effets des renégociations anticipés dans la formule au 1er janvier 2012.
Au cours du premier semestre 2012, la CRE a pu consulter les formules d'indexation des principaux contrats constitutifs du portefeuille d'approvisionnement de GDF Suez, dans le périmètre de la formule tarifaire. Il en ressort que la part de marché dans le portefeuille d'approvisionnement de contrats de long terme de GDF Suez ― au début du mois de juin 2012 ― s'établit à 25,8 %. Ce niveau est donc conforme au résultat anticipé au 1er janvier 2012 dans la formule tarifaire, pour autant que l'on considère que celle-ci ne doit continuer à refléter que les approvisionnements à long terme de l'opérateur.
Par ailleurs, et afin de s'assurer de l'adéquation de la formule tarifaire au regard des coûts réels d'approvisionnement supportés par GDF Suez, la CRE demande à l'opérateur de lui transmettre, à intervalle régulier, des éléments relatifs aux coûts comptables de ses contrats d'approvisionnement. L'analyse des données transmises par GDF Suez n'appelle pas de commentaires particuliers.
Les tarifs proposés devant entrer en vigueur le lendemain de la publication de l'arrêté au Journal officiel, il est pertinent de considérer les coûts d'approvisionnement estimés par la formule au 1er août 2012.
L'augmentation des coûts d'approvisionnement de GDF Suez évaluée par la formule entre le 1er janvier 2012, date du dernier mouvement tarifaire, et le 1er août 2012 s'élève à 2,17 €/MWh, correspondant à une hausse moyenne des tarifs de + 4,1%.
Celle-ci résulte pour + 1,7 % de l'augmentation de la moyenne des produits pétroliers (fioul lourd, fioul domestique et Brent), pour ― 0,4 % de la baisse du prix du gaz TTF et pour + 2,8 % de l'augmentation du dollar par rapport à l'euro sur la même période.
Couverture des coûts hors approvisionnement
Les coûts hors approvisionnement à considérer sont :
― les coûts de transport résultant de l'application des tarifs de GRTgaz et TIGF en vigueur depuis le 1er avril 2012, qui induisent une hausse des tarifs réglementés de 0,8 % ;
― les coûts de distribution résultant de l'application du tarif ATRD de GrDF entré en vigueur le 1er juillet 2012, qui induisent une hausse des tarifs réglementés de 1,4 % ;
― les coûts de stockage résultant des tarifs de stockage en vigueur, qui induisent une hausse des tarifs réglementés de 0,3 % ;
― les coûts de commercialisation, y compris une marge commerciale raisonnable, ainsi que le prévoit le décret du 18 décembre 2009. Les coûts de commercialisation hors marge considérés ont été établis à partir des coûts constatés en 2011, augmentés de l'inflation, corrigés d'un facteur de productivité, de l'effet de la baisse des volumes de vente prévue en 2012 et augmentés de l'accroissement des coûts liés aux certificats d'économie d'énergie anticipé en 2012. L'impact résultant sur les tarifs réglementés est de 0,7 %.
La prise en compte des coûts hors approvisionnement nécessiterait une augmentation supplémentaire des tarifs réglementés de vente de 3,2 %, dont 2,5 % liés à la hausse du coût des infrastructures et 0,7 % à celle des coûts commerciaux.
Prise en compte d'une éventuelle compensation de l'écart entre tarifs et coûts
S'agissant de l'écart entre les tarifs et les coûts, le Conseil d'Etat a jugé que les ministres, lorsqu'ils révisent les barèmes des tarifs réglementés, doivent compenser un écart, s'il est significatif, qui s'est produit entre tarifs et coûts, au moins au cours de l'année écoulée.
Les données dont dispose la CRE sur les coûts constatés et la comptabilité de l'opérateur la conduisent à considérer que les tarifs n'ont pas été surévalués en 2011.
En outre, en l'absence d'évolution des tarifs réglementés au 1er avril 2012, alors que les coûts d'approvisionnement de GDF Suez étaient en augmentation, les tarifs en vigueur ne peuvent être considérés comme ayant été surévalués au premier semestre 2012.
Estimation de l'évolution des coûts à venir
L'application de la formule au 1er octobre 2012 avec les indices prévisionnels estimés à ce jour montre que les coûts d'approvisionnement de GDF Suez pourraient diminuer à cette échéance, les prix prévisionnels des produits pétroliers étant estimés à la baisse. Toutefois, l'impact de cette baisse anticipée des coûts d'approvisionnement ― au regard de la hausse des coûts d'approvisionnement déterminée par la formule tarifaire et de celle des coûts hors approvisionnement ― ne permet pas une limitation de la hausse des tarifs à 2 % telle que prévue par le projet d'arrêté.
- Impact des tarifs envisagés sur le marché et sur les consommateurs
La CRE souligne que l'insuffisance de la couverture des coûts de GDF Suez par les tarifs réglementés de vente est de nature à perturber le bon fonctionnement des marchés du gaz naturel. Les fournisseurs n'ont pas d'autre choix que de supporter les évolutions des cours internationaux. Des tarifs réglementés fixés trop bas constituent une barrière à l'entrée des fournisseurs alternatifs sur le marché du gaz.
La CRE rappelle que tout consommateur résidentiel qui choisit une offre de marché conserve le droit de revenir aux tarifs réglementés à tout instant. Un client se chauffant au gaz peut aujourd'hui trouver sur le marché des offres lui permettant d'économiser plus de 10 % de sa facture annuelle de gaz par rapport à une facture aux tarifs réglementés. Les fournisseurs alternatifs, à qui ne s'appliquent pas les mêmes contraintes d'approvisionnement que GDF Suez prévues par le contrat de service public, peuvent en effet davantage s'approvisionner sur le marché de gros du gaz.
A long terme, les incertitudes pesant sur les tarifs de vente fragilisent la sécurité d'approvisionnement de la France : le manque de visibilité sur le marché de détail n'incite pas les acteurs à développer leur activité, et notamment leur capacité d'import vers la France.
La hausse des prix du gaz, et de l'énergie en général, qui résulte de l'évolution des coûts, est de plus en plus difficilement soutenable pour les consommateurs en situation de précarité énergétique. Elle peut être limitée pour ces derniers, en particulier par un élargissement de l'assiette du tarif spécial de solidarité et par une augmentation de la réduction de facture qu'il apporte.
- Avis de la CRE
La hausse de 2 % des tarifs réglementés de vente prévue par le projet d'arrêté n'est pas suffisante pour couvrir les coûts d'approvisionnement et hors approvisionnement de GDF Suez, comme l'imposent la loi et les règlements en vigueur.
En conséquence, la Commission de régulation de l'énergie ne peut émettre qu'un avis défavorable au projet d'arrêté qui lui est soumis.
Fait à Paris, le 17 juillet 2012.
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