JORF n°0108 du 10 mai 2014

Délibération du 10 avril 2014

Participaient à la séance : Philippe de LADOUCETTE, président, Olivier CHALLAN BELVAL, Catherine EDWIGE et Jean-Pierre SOTURA, commissaires.

  1. Objet

La présente délibération est prise en application des dispositions du règlement (UE) n° 347/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2013 concernant des orientations pour les infrastructures énergétiques transeuropéennes. En application de l'article 12 de ce règlement, elle a pour objet d'établir une décision de répartition transfrontalière des coûts du projet d'intérêt commun Val de Saône entre la France et l'Espagne à la demande du gestionnaire de réseau de transport GRTgaz, promoteur du projet. Cette décision se fonde sur les conclusions auxquelles sont parvenues la CRE et l'autorité de régulation espagnole, la Comisión Nacional de los Mercados y la Competencia (CNMC), en ce qui concerne l'évaluation des gains que ce projet apporte à la France et à l'Espagne, à partir de l'analyse des coûts et avantages du projet proposée par GRTgaz.

  1. Dispositions générales du règlement UE n° 347/2013

Le règlement (UE) n° 347/2013 a mis en place un ensemble de dispositions visant à promouvoir l'interconnexion des réseaux européens. Ce règlement est un moyen essentiel pour atteindre les objectifs de la politique énergétique de l'Union européenne, à savoir permettre au marché d'être compétitif et de fonctionner correctement, atteindre une utilisation optimale des infrastructures énergétiques, améliorer l'efficacité énergétique et intégrer les énergies renouvelables. Il doit contribuer à réduire la fragmentation du marché européen et l'isolement des régions moins favorisées.
Ce règlement instaure la notion de projet d'intérêt commun (PIC) qui, dans le domaine du gaz, peut concerner des infrastructures de transport, de stockage ou de regazéification de gaz naturel liquéfié (GNL). Ces projets sont nécessaires à la mise en œuvre des corridors prioritaires. La France appartient à deux corridors prioritaires sur quatre dans le secteur du gaz :
― les interconnexions Nord-Sud en Europe de l'Ouest qui visent à diversifier les voies d'approvisionnement et améliorer la capacité de livraison à court terme. Les autres Etats inclus dans ce groupe sont l'Allemagne, la Belgique, le Danemark, l'Espagne, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, le Portugal et le Royaume-Uni ;
― le corridor sud-européen qui vise à la création d'infrastructures permettant d'acheminer du gaz depuis le mer Caspienne, l'Asie centrale, le Moyen-Orient et l'est du bassin méditerranéen. Les autres Etats concernés sont l'Allemagne, l'Autriche, la Bulgarie, Chypre, la Croatie, la Grèce, la Hongrie, l'Italie, la Pologne, le République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie.
Les Etats appartenant à un corridor prioritaire constituent un groupe régional chargé de la sélection des projets d'intérêt commun, auquel participent des représentants des Etats membres, des autorités nationales de régulation et des opérateurs de réseau, ainsi que la Commission européenne, l'Agence d'opération des régulateurs de l'énergie (ACER) et le réseau européen des gestionnaires de réseau de transport de gaz (ENTSOG). Les listes régionales de projets d'intérêt commun sont établies sur la base d'une demande de sélection soumise par les porteurs de projets.
Parmi les mesures destinées à favoriser la réalisation des PIC, le règlement UE n° 347/2013 prévoit de mettre en place des mécanismes de financement visant à pallier les problèmes de viabilité commerciale des projets lorsque ceux-ci font obstacle à la prise de décision d'investissement. L'article 12 de ce règlement dispose que, à la demande des promoteurs de projet et sur la base d'une analyse des coûts et avantages d'un PIC pour les pays bénéficiaires, les autorités de régulation nationales correspondantes décident d'une répartition coordonnée des coûts d'investissement. Cette décision ouvre la possibilité de solliciter une aide financière de l'Union européenne au titre de l'article 14 du règlement.

  1. Demande de GRTgaz de répartition transfrontalière des coûts pour le projet Val de Saône

Le projet Val de Saône figure parmi les projets d'intérêt commun sélectionnés par le groupe régional Nord-Sud pour l'ouest de l'Europe ; il constitue l'un des 248 projets de la liste publiée par la Commission européenne en octobre 2013.
Le projet Val de Saône consiste à poser une canalisation de 200 km de long dans la partie nord-est du territoire français, à construire une station de compression et à rénover trois interconnexions. La réalisation du projet Val de Saône est indispensable à l'élimination des congestions entre le nord et le sud de la France. Elle est nécessaire à la création d'une zone de marché unique en France, en complément de renforcements dans le sud du territoire (Eridan ou Gascogne-Midi). Bien que ne créant pas directement de capacité de transport supplémentaire aux interconnexions avec les pays voisins, ce projet réduit les contraintes sur les mouvements de gaz entre le sud de l'Europe, notamment la péninsule Ibérique, et le nord-ouest de l'Union européenne et permet de réduire l'isolement de la partie sud du marché français.
Le 31 octobre 2013, la demande de partage transfrontalier des coûts du projet Val de Saône entre la France et l'Espagne formulée par GRTgaz est parvenue à la CRE. Une demande équivalente a été adressée à la CNMC qui l'a reçue le 6 novembre 2013. Le paragraphe 4 de l'article 12 du règlement (UE) n° 347/2013 dispose que les autorités de régulation nationales prennent des décisions coordonnées sur la répartition des coûts d'investissement devant être supportés par chaque gestionnaire de réseau dans les six mois à compter de la réception de la dernière demande d'investissement par les autorités de régulation nationales concernées.
L'analyse coûts/avantages qui doit accompagner la demande de partage transfrontalier des coûts a été adressée à la CRE et à la CNMC par GRTgaz le 24 janvier 2014. En l'absence de méthodologie développée par l'ENTSOG (1) qui soit utilisable par les porteurs de projet, GRTgaz a exploité les résultats de l'étude confiée par la CRE au cabinet Pöyry destinée à établir l'impact de la création d'un point d'échange de gaz (PEG) unique en France. En outre, GRTgaz a consulté l'opérateur du réseau de transport de gaz espagnol Enagas.

(1) Article 12.3 (a) du règlement (UE) n° 347/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2013 concernant des orientations pour les infrastructures énergétiques transeuropéennes.

  1. Analyse de la CRE et de la CNMC concernant les avantages du projet

L'analyse coûts/avantages présentée par GRTgaz reprend les résultats de l'étude menée par le cabinet Pöyry, qui a analysé trois scénarios d'évolution du contexte international, en particulier de prix du gaz naturel liquéfié. La méthodologie retenue consiste à évaluer les effets de la création d'une zone de marché unique sur la formation des prix en fonction des arbitrages effectués par les acteurs de marché et selon l'évolution des schémas de flux associés à l'élimination des congestions entre le Nord et le Sud.
Dans le scénario de référence, qui prolonge les conditions de marché actuelles, GRTgaz retient que le projet Val de Saône produit un bénéfice évalué à 1 681 millions d'euros pour la période 2019-2038. La prise en compte des écarts de prix observés entre le PEG Nord et le PEG Sud, 7,4 €/MWh en moyenne de novembre 2013 à janvier 2014 montre que ces bénéfices pourraient être encore plus importants. L'analyse de sensibilité montre toutefois que, si l'Europe devait devenir durablement plus attractive pour le GNL, les bénéfices pourraient décroître de manière significative.
En ce qui concerne les bénéfices transfrontaliers, l'étude du cabinet Pöyry établit que la création d'une zone de marché unique en France apporterait des bénéfices à l'Espagne en la connectant à un marché liquide lui-même bien interconnecté avec les places de marché du nord-ouest de l'Europe. Dans le scénario de référence, sur la période 2019-2038, les gains réalisés par l'Espagne en vertu d'une baisse des prix du gaz sont évaluées à 515 millions d'euros, indépendamment de l'amélioration des possibilités d'arbitrage offertes aux acteurs de marché situés en Espagne. Dans les scénarios alternatifs, où le prix du GNL baisserait, ces bénéfices seraient moins importants et pourraient même être nuls du strict point de vue de la formation des prix.
La CRE et la CNMC ont analysé conjointement ces résultats qu'elles ont nuancés au regard du fonctionnement actuel du marché espagnol en ne prenant pas en considération les gains d'arbitrage pour les acteurs espagnols sur le marché du GNL. En revanche, la CRE et la CNMC soulignent l'intérêt pour la péninsule Ibérique d'être directement raccordée à une place de marché de la taille du PEG France. Considérant les résultats de l'analyse coûts/avantages et à la lumière des facteurs qualitatifs relatifs à l'intérêt du projet Val de Saône dans la perspective de la création d'une zone de marché unique, la France tire un bénéfice net positif du projet à même de justifier sa réalisation. Les bénéfices pour l'Espagne caractérisent l'intérêt transfrontalier de ce projet.

  1. Estimation des coûts et de l'impact tarifaire du projet

Le coût du projet Val de Saône estimé par GRTgaz dans le cadre de l'analyse coûts/avantages est de 650 millions d'euros avec une incertitude évaluée à plus ou moins 20 %. Consistant en un renforcement du cœur de réseau de GRTgaz, et dans la mesure où la création d'une zone de marché unique en France conduirait à la perte des revenus collectés à la liaison Nord-Sud, la réalisation du projet Val de Saône conduirait à une augmentation moyenne des niveaux tarifaires de GRTgaz de 9,5 % en 2018. Dans le même temps, la France s'est engagée dans un programme d'investissements importants complémentaires au projet Val de Saône pour la réalisation de la zone de marché unique ainsi qu'à des développements visant, notamment, à l'intégration du terminal méthanier de Dunkerque et à la création de capacité d'interconnexion physique de la France vers la Belgique.
Par la position de la France dans le marché européen, l'ensemble de ces investissements contribue à l'achèvement du marché intérieur et à la sécurité d'approvisionnement. Une aide financière de l'Union pour le projet Val de Saône constituerait donc un moyen efficace de réduire l'effet de l'accroissement des charges de transport pour les utilisateurs des infrastructures situées en France, en particulier pour les échanges transfrontaliers. Elle permettrait de réduire l'incertitude quant aux bénéfices effectifs du projet du point de vue des prix de marché en cas de forte baisse des prix internationaux du GNL.

  1. Décision de la CRE

La CRE adopte la décision relative au traitement de la demande de GRTgaz de répartition transfrontalière des coûts, qui a été rédigée conjointement par la CRE et la CNMC et est annexée à la présente délibération.
Cette décision conjointe prend en compte les recommandations de l'ACER publiées le 25 septembre 2013 qui préconisent, s'agissant des projets d'intérêt commun figurant sur la première liste établie par la Commission européenne, que les compensations transfrontalières devraient être limitées aux cas où le pays hôte d'un projet subit un bénéfice net négatif. Après avoir étudié l'analyse coûts/avantages proposée par GRTgaz et en avoir conclu que la France tire un bénéfice net positif du projet Val de Saône, la CRE et la CNMC décident que la France en supportera l'ensemble des coûts. Ces coûts, dans la mesure où ils correspondent à ceux d'un opérateur efficace, seront intégrés aux tarifs de GRTgaz, après déduction des éventuelles aides financières de l'Union. L'Espagne ne sera donc pas sollicitée pour une contribution financière aux coûts d'investissement.
La présente délibération sera transmise à la CNMC et à l'ACER.
La présente délibération sera publiée au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris, le 10 avril 2014.

Pour la Commission de régulation de l'énergie :

Le président,

P. de Ladoucette