Enfin, l'Autorité considère que l'incapacité pour Bouygues Telecom à gagner une part de marché comparable à celle de ses concurrents, à laquelle cet opérateur prétend être confronté depuis plusieurs années, doit être appréciée au regard de la condamnation pour entente des trois opérateurs mobiles par le Conseil de la concurrence (décision 05-D-65), condamnation définitive sur le grief d'entente suite à la décision de la Cour de cassation (arrêt n° 1020 du 29 juin 2007), toutes les voies de recours contre ce grief ayant été épuisées. Il est donc maintenant établi qu'il y a eu un accord pendant la période 2000-2002 entre les trois opérateurs mobiles métropolitains portant sur la stabilisation de leurs parts de marché autour d'objectifs définis en communs, ce qui signifie que Bouygues Telecom n'a pas fait tout ce qui était en son pouvoir pour conquérir de nouveaux clients, tout du moins pendant cette période. Il ne s'agit pour l'Autorité nullement ici de renchérir sur l'amende imposée par le Conseil de la concurrence, mais juste de tenir compte des faits établis par cette condamnation pour apprécier dans quelle mesure l'entrée tardive de Bouygues Telecom sur le marché demeure pertinente pour la détermination des niveaux de terminaison d'appel.
Au-delà des éléments précédemment développés, l'Autorité tient à souligner que l'appréciation de la prise en compte des surcoûts associés à des économies d'échelle inférieures pour Bouygues Telecom, surtout dans leurs implications quantitatives en termes de différenciation tarifaire, repose sur de nombreux critères ou indices, souvent antagonistes, et qu'au final, cette appréciation reste intrinsèquement très subjective.
L'horizon d'une prise en compte des effets de délai d'entrée sur le marché de détail est fortement lié à la fluidité de ce marché. A partir d'une répartition donnée de parts de marché en stock, la capacité d'un opérateur à faire croître cette part de marché est directement fonction de ses performances à acquérir une partie du flux de nouvelles souscriptions (i.e. de ventes brutes).
Ainsi, le graphe suivant représente la date à laquelle, en partant des parts de marchés actuelles, Bouygues Telecom atteindrait une part de marché de 30 %, dans l'hypothèse où il attirerait un tiers des ventes brutes (i.e. des nouveaux clients ou des clients déjà équipés qui résilient pour souscrire à une nouvelle offre), et ce en fonction du taux de churn du marché connu fin mars 2007.
Date à laquelle Bouygues atteindrait 30 % de part de marché selon le churn,
dans l'hypothèse où il obtient 33 % des acquisitions (i.e. ventes brutes)
Avec un taux de churn à 14 % (celui du postpayé actuellement), Bouygues Telecom atteindrait une part de marché de 30 % en 2013 s'il capte un tiers des clients qui changent d'opérateur. En considérant à titre purement illustratif un taux de churn de 30 % (ce qui suppose que le nombre de résiliations, à parc donné, soit plus important et donc notamment que la capacité des clients à résilier soit accrue), cette part de marché serait atteinte en 2010. Ainsi, plus forte sera la fluidité induite par la portabilité du numéro à simple guichet ou par d'autres mesures qui pourraient être prises pour améliorer la fluidité du marché (par exemple si une mesure de limitation des durées d'engagement était prise par la voie législative), plus grande sera la capacité des clients à résilier, plus élevé sera le nombre effectif de résiliations, à parc donné, et au final, moins longue sera la période de prise en compte des effets de délai d'entrée.
Prise en compte des contributions à la consultation publique
lancée le 24 juillet 2007
Principaux commentaires des acteurs :
Orange France conteste la modélisation de l'Autorité mesurant l'impact de la fluidité sur la part de marché de Bouygues Telecom et concluant à la prise en compte jusqu'en 2013 des surcoûts de Bouygues Telecom liés à des économies d'échelle inférieures. Orange France estime qu'il n'y a aucune raison de faire ce raisonnement à partir de 2007 seulement et de ne pas le faire de manière rétroactive. En se plaçant en 2002, date à laquelle Bouygues Telecom disposait de fréquences et d'une couverture comparable à celle d'Orange France et SFR, et en considérant un niveau de churn équivalent à celui retenu par l'Autorité (14 %), alors que ce taux était supérieur à 20 % en 2002, Orange France montre qu'un opérateur efficace aurait atteint 30 % de part de marché avant 2008. Orange France estime donc qu'une telle analyse aurait dû conduire l'Autorité à conclure à la convergence des terminaisons d'appel dès 2008.
SFR considère que le différentiel d'économie d'échelle ne doit pas être pris en compte. En effet, SFR estime que la faible part de marché actuelle de Bouygues Telecom n'est pas due à un faible taux de churn en France, un taux par ailleurs dans la moyenne des pays européens, mais résulte, d'une part, des erreurs stratégiques initiales de Bouygues Telecom et, d'autre part, d'une stratégie volontaire visant les clients « haut de gamme », qui sont moins nombreux, et délaissant les offres prépayées. SFR estime, au regard des comparaisons européennes, que la part de marché de Bouygues Telecom serait autrement supérieure à [SDA].
Réponse de l'Autorité :
L'Autorité ne considère pas que les éléments apportés en réponse à sa consultation publique soient de nature à modifier son analyse. Elle souligne d'abord que le calcul de l'horizon temporel de prise en compte des surcoûts liés aux moindres effets d'échelle de Bouygues Telecom tient compte du fait que c'est seulement en mai 2006 que le processus de portabilité du numéro à « simple guichet » a été mis en place, et que dès lors cette date marque a priori la mise en place d'une dynamique nouvelle dans l'évolution de la fluidité du marché de détail. Par ailleurs, elle rappelle qu'elle ne souhaite pas se prononcer sur la pertinence de la stratégie commerciale de Bouygues Télécom et que compte tenu du délai et de la date d'entrée de cet acteur sur le marché, elle s'est déjà prononcée pour une prise en compte très partielle des surcoûts associés à des économies d'échelle plus faibles.
En conclusion, au regard de l'ensemble des éléments présentés précédemment, l'Autorité considère que l'effet des surcoûts associés à des économies d'échelle inférieures pour Bouygues Telecom ne peut être pris en compte que très partiellement. Concernant l'horizon temporel de prise en compte de ces surcoûts, il dépend de la fluidité du marché : il pourrait ne pas excéder la fin de la période couverte par la présente analyse, à savoir 2010, si la fluidité du marché s'améliorait significativement sur cette période et, en tout état de cause, il ne pourra excéder 2013, si la fluidité du marché reste comparable à celle observée aujourd'hui.
Le problème concurrentiel résultant de la combinaison de l'existence de déséquilibres de trafic et du caractère progressif d'orientation des tarifs vers le niveau de coût pertinent :
L'analyse de l'Autorité a montré au chapitre 4 que l'avènement des offres d'abondance on net présente un risque de déséquilibres économiques importants au profit d'opérateurs disposant des plus grands parcs de clients et que ces déséquilibres sont d'autant plus importants que le niveau de terminaison d'appel fixé est éloigné des coûts de l'opérateur.
Dans un marché présentant une forte dissymétrie en termes de parts de marché comme le marché français, le potentiel d'attractivité des offres d'abondance on net est particulièrement contrasté et contribue ainsi à une dynamique commerciale favorable aux opérateurs ayant les parts de marché les plus élevées. En effet, toute chose égale par ailleurs, le consommateur préfèrera souscrire à une telle offre auprès de l'acteur ayant la part de marché la plus forte pour maximiser la probabilité d'avoir des correspondants principaux relevant du réseau en cause. Pour répliquer de telles offres de façon pertinente, un opérateur qui dispose de parts de marché plus réduites devra donc proposer des offres d'abondance en on net et off net. Par ce choix, il attire des clients qui émettent plus d'appels sortants off net (qui sont inclus dans son offre d'abondance) que d'appels entrants en provenance d'autres réseaux (qui ne sont pas inclus dans les offres d'abondance de ses concurrents). Il subit donc, au final, un déséquilibre de trafic défavorable vers chacun de ses concurrents.
Ce déséquilibre de trafic entrant/sortant n'introduirait nullement de biais concurrentiel si la prestation de gros de terminaison d'appel vocal mobile était tarifée au niveau des coûts tels qu'internalisés par les opérateurs lorsqu'ils composent leurs offres tarifaires de détail, en particulier des offres on net, car, dans ce cadre, il n'y aura pas de différence entre les équations économiques sous-tendant l'équilibre financier d'une offre on net ou d'une offre off net.
En effet, le coût internalisé par un opérateur qui construit une offre on net est l'accroissement anticipé de ses investissements pour augmenter la capacité de son réseau afin d'acheminer le trafic additionnel généré par cette offre. Ces coûts correspondent par exemple aux coûts de densification en stations de base qu'il sera nécessaire de mettre en service pour assurer la capacité nécessaire à l'acheminement de ce nouveau trafic.
Un opérateur tiers qui veut proposer la même offre que cet opérateur, c'est-à-dire en visant comme appelés les clients de cet opérateur, doit proposer, lui, une offre off net et supportera alors les coûts de terminaison d'appel fixé par cet opérateur, qui se traduit par un paiement impactant directement sa trésorerie. L'équation économique intervenant dans la construction de l'offre off net de l'opérateur tiers est directement reliée au niveau de la terminaison d'appel.
Ainsi, pour qu'il n'y ait pas de différence significative entre les équations économiques sous-tendant l'équilibre financier d'une offre on net d'un opérateur A ou d'une offre off net d'un opérateur B ayant pour cible d'appelés la clientèle de l'opérateur A (41), il est donc nécessaire que le tarif de terminaison d'appel payé par l'opérateur B corresponde aux coûts tels qu'ils sont internalisés par l'opérateur A lorsqu'il construit son offre de détail.
Cependant, aujourd'hui la prestation de gros de terminaison d'appel vocal mobile est tarifée significativement au-dessus du niveau des coûts tels qu'internalisés par les opérateurs lorsqu'ils composent leurs offres tarifaires de détail. Dès lors, le solde de trafic associé au déséquilibre de flux est facturé à un tarif bien au-dessus du niveau des coûts incrémentaux de long terme supportés par l'opérateur qui effectue la prestation de terminaison d'appel, et un biais concurrentiel apparaît sous la forme d'un flux financier interopérateurs important en provenance des opérateurs qui produisent plus d'appels sortants que d'appels entrants et qui, pour les raisons de différences d'attractivités des offres on net présentées précédemment, sont les opérateurs avec les plus petites parts de marché. Ce biais concurrentiel est d'autant plus problématique que le flux financier relatif à des prestations de gros d'interconnexion est réalisé entre des opérateurs, directement concurrents sur le marché de détail.
Sur le marché français, depuis 2005, les opérateurs mobiles Orange et SFR ont fait apparaître et renforcé sur le marché de détail leurs offres d'abondance à effet de réseau, i.e. des offres de communication permettent d'appeler un certain nombre de clients (3, 4, 5, etc.), voire l'ensemble des clients du seul opérateur qui commercialise l'offre donnée pour un prix forfaitaire indépendant du nombre et de la durée des appels. Ces offres peuvent aussi inclure la possibilité d'appeler les numéros fixes de façon illimitée.
Ainsi, SFR indiquait en mars 2005 généraliser l'illimité dans tous ses forfaits, ce qui est confirmé par son rapport d'activité : « SFR a refondu en 2005 sa politique tarifaire en direction de sa clientèle d'abonnés, en introduisant des innovations majeures qui sont devenues ensuite la référence du marché. SFR a été ainsi le premier opérateur mobile français à introduire systématiquement des offres d'appels illimités (vers 3 numéros SFR, 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 et dès la première seconde) dans l'ensemble de ses forfaits. »
En outre, SFR a lancé en novembre 2005 un forfait illimité de 2 heures + illimité soir, de 18 heures à 8 heures, vers les numéros SFR et les numéros fixes pour 45 euros par mois (sur 24 mois) avec un terminal 3G et 65 euros par mois avec un terminal 2G. En août 2006, SFR a commercialisé une série limitée « moins de 25 ans » à 39 euros par mois, comprenant appels et SMS illimités vers tous les numéros SFR, tous les soirs à partir de 21 h 30 (et jusqu'à 8 heures le lendemain matin) et tout le week-end.
Concomitamment, Orange France a intégré des éléments d'illimité dans l'ensemble de ses offres (hors offres au compteur et prépayé), dont les forfaits « Classique » et « Intense » (appels illimités 24 h/24 et 7j/7 vers 3 numéros mobiles Orange), le forfait « Pro » (appels illimités en journée, de 7 heures à 17 heures, et le week-end vers tous les numéros mobiles Orange). Par ailleurs le forfait « M6 mobile by Orange » proposé dans le cadre de l'accord de marque signé entre M6 et Orange comprend des appels illimités le soir, de 22 heures à minuit, et le week-end vers les tous les numéros mobiles Orange et M6 mobile by Orange.
Bouygues Telecom juge dans sa réponse à la consultation publique de mars que sa part de marché est trop faible pour rendre de telles offres attractives et a répliqué par le lancement en mars 2006 d'une offre d'abondance sans effet de réseau. L'offre « Neo » comporte des communications illimitées vers tous les opérateurs mobiles et les opérateurs fixes entre 20 heures et minuit, tous les jours.
A la fin mars 2007, sur la base d'informations transmises à sa demande par les opérateurs, l'Autorité a constaté l'existence d'un déséquilibre de trafic très significatif entre Bouygues Telecom et ses concurrents. L'Autorité estime que ce déséquilibre a effectivement été induit par la succession des faits relatifs aux stratégies commerciales des opérateurs qu'elle a précédemment évoqués.
En 2006, un solde de trafic négatif a commencé à apparaître entre Bouygues Telecom, d'une part, et Orange et SFR, d'autre part. Bouygues a ainsi généré un trafic sortant de [SDA] de minutes vers les réseaux d'Orange et SFR et a reçu un trafic entrant de [SDA] de minutes. Le solde de trafic sortant - entrant atteint donc [SDA] de minutes.
Ce déséquilibre de trafic, si la terminaison d'appel était tarifée aux coûts avec la référence de coûts actuelle qui correspond à un coût complet et qui est supérieure à un coût incrémental de long terme (ordre de grandeur de [SDA] par minute pour ce coût complet), représenterait un flux financier de [SDA] d'euros de Bouygues Telecom vers ses concurrents. En réalité, le solde financier d'interconnexion versé par Bouygues Telecom aux autres opérateurs mobiles sur cette période était de [SDA] d'euros. Si Bouygues n'avait pas bénéficié d'une différenciation tarifaire, le solde d'interconnexion aurait atteint [SDA] d'euros en 2006.
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