Le Conseil supérieur de l'audiovisuel,
Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication, notamment ses articles 15, 28, 30-8 et 42 ;
Vu la décision n° 2005-473 du 19 juillet 2005 modifiée et prorogée autorisant la Société d'exploitation d'un service d'information (SESI) à utiliser une ressource radioélectrique pour l'exploitation d'un service de télévision à caractère national diffusé en clair par voie hertzienne terrestre en mode numérique initialement dénommé « i Télé » puis, à compter de la décision n° 2016-680 du 27 juillet 2016, « CNEWS » ;
Vu la convention conclue entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel et la Société d'exploitation d'un service d'information le 19 juillet 2005, en ce qui concerne le service « CNEWS », et notamment ses articles 2-2-1, 2-3-3 et 4-2-1 ;
Vu la délibération du 23 octobre 2019 du comité d'éthique du groupe Canal Plus ;
Vu le compte-rendu de visionnage de l'émission « Face à l'info » diffusée sur le service « CNEWS » les 15, 21 et le 23 octobre 2019 ;
Après avoir auditionné les représentants de la Société d'exploitation d'un service d'information et recueilli les observations de l'entreprise ;
Après en avoir délibéré ;
Considérant ce qui suit :
Sur le cadre juridique :
1. En vertu des dispositions de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986, le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut mettre en demeure les éditeurs de services de communication audiovisuelle tels que la Société d'exploitation d'un service d'information de respecter les obligations qui lui sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et, en vertu des stipulations de l'article 4-2-1 de la convention du 19 juillet 2005, il peut mettre en demeure cette société de respecter les obligations qui lui sont imposées par cette convention ;
2. Le dernier alinéa de l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986 dispose : « Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (…) veille (…) à ce que les programmes mis à disposition du public par un service de communication audiovisuelle ne contiennent aucune incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de race, de sexe, de mœurs, de religion ou de nationalité. » L'article 2-3-3 de la convention du 19 juillet 2015 impose à l'éditeur de veiller « (…) dans son programme : / (…) - à ne pas encourager des comportements discriminatoires en raison de la race, du sexe, de la religion, ou de la nationalité ; / à promouvoir les valeurs d'intégration et de solidarité qui sont celles de la République (…) ». Aux termes de l'article 2-2-1 de la même convention, « L'éditeur est responsable du contenu des émissions qu'il diffuse. Il conserve en toutes circonstances la maîtrise de son antenne. » ;
Sur le contexte :
3. Depuis le 14 octobre 2019, la Société d'exploitation d'un service d'information diffuse chaque jour, du lundi au jeudi, sur la chaîne « CNEWS », à 19 heures, un programme d'information et de débat d'une heure animé par une journaliste, intitulé « Face à l'info ». Durant la première partie de cette émission, plusieurs chroniqueurs évoquent divers sujets d'actualité ; au cours de la seconde, intitulée « Le Face à face », une personnalité est invitée à débattre d'un sujet donné avec un chroniqueur permanent de l'émission ;
4. D'une part, le Conseil supérieur de l'audiovisuel relève que le comité d'éthique du groupe Canal Plus, par un avis du 23 octobre 2019, a observé que « tant la position centrale donnée [à ce chroniqueur permanent], que le fait qu'il soit notamment appelé à intervenir sur les sujets mêmes qui sont à l'origine des événements judiciaires concomitants à son recrutement, sont de nature à créer un risque spécifique » sur lequel cette instance a attiré l'attention de l'entreprise. Ce comité a ajouté que « le fait que [ce chroniqueur] ne soit jamais seul en plateau et qu'à tous moments l'animatrice de l'émission (…) et, suivant les séquences, soit d'autres chroniqueurs soit un autre débatteur (…) puissent lui apporter la contradiction, s'il est une garantie importante, n'apparait néanmoins pas suffisant pour assurer les conditions d'une parfaite maîtrise éditoriale, comme ce serait par exemple le cas si l'émission était diffusée en différé (…) », dispositif qui n'a été mis en œuvre par l'entreprise qu'à compter du 29 octobre ;
5. D'autre part, le Conseil relève que, concernant les émissions diffusées entre le 14 et le 23 octobre, son attention a été appelée à de très nombreuses reprises sur les propos qui y ont été tenus par ce chroniqueur. Ainsi, ses interventions lors d'un débat portant sur l'ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples de femmes, le 15 octobre 2019, ont pu être perçues comme stigmatisant les personnes homosexuelles, de même que celles du 21 octobre 2019 ont pu être perçues comme minimisant le rôle joué par l'Etat français dans la déportation des Juifs français pendant la Seconde Guerre mondiale ;
Sur la séquence diffusée le 23 octobre 2019 :
6. Il ressort du compte-rendu de visionnage de l'émission du 23 octobre 2019 que, lors d'une séquence du « Face à face » consacrée au « risque de l'Islam radical » dans les « banlieues » diffusée lors de l'émission du 23 octobre 2019, le chroniqueur s'est exprimé à plusieurs reprises sur la religion musulmane, en assimilant islam et islamisme - « l'islam est par essence une religion politique, ça a toujours été comme ça, on peut appeler ça islamisme politique, radical (…) », « l'immigration, l'islam et islamisme, tout ça c'est le même sujet » - tout en évoquant incidemment la nécessité « de prendre des mesures radicales ». Ce chroniqueur a, ensuite, conclu son propos en rappelant un évènement historique particulièrement violent ayant conduit au massacre de nombreuses personnes, en particulier de confession musulmane, et a déclaré : « Est-ce qu'on voit l'Histoire en fonction des intérêts de la France ou est-ce qu'on voit la France en fonction des intérêts de sa communauté d'origine ? Moi j'estime que quand on vient en France et que l'on est français, on doit changer son point de vue et on doit voir l'Histoire en fonction d'intérêts de la France. Je veux dire par là, que si vous voulez, quand le général Bugeaud arrive en Algérie eh bien il commence à massacrer des musulmans et même certains juifs. Eh bien moi, je suis aujourd'hui du côté du général Bugeaud, c'est ça être français ». La journaliste présente en plateau s'est alors bornée à remercier les intervenants en identifiant un « désaccord » entre eux, et il résulte de l'instruction menée par le Conseil que la portée de ces propos du chroniqueur n'a été précisée que le lendemain au soir, au cours de la même émission ;
7. Ces propos, émanant d'une personne bénéficiant d'une large exposition médiatique, ont été tenus à un horaire de diffusion susceptible d'attirer des audiences significatives. Ils ont pu, à tout le moins jusqu'aux précisions apportées le lendemain, être perçus, en raison tant du contexte - et notamment de l'absence de distanciation - que du lexique utilisé, non seulement comme une légitimation de violences commises par le passé à l'encontre de personnes de confession musulmane mais aussi comme une incitation à la haine ou à la violence à l'égard de cette même catégorie de la population, dans la mesure où le chroniqueur s'est déclaré « aujourd'hui » du côté de l'auteur de massacres commis à l'égard de personnes de cette même confession. Par ailleurs, cette séquence traduit, du fait également de l'amalgame entre « immigration, islam et islamisme », associé au souhait de « mesures radicales », l'expression d'un rejet insistant des personnes de confession musulmane dans leur ensemble, tendant à encourager des comportements discriminatoires en raison de la religion. Cette séquence caractérise ainsi une méconnaissance par l'éditeur des dispositions du dernier alinéa de l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986 ainsi que des stipulations du quatrième alinéa de l'article 2-3-3 de sa convention ;
8. Il ressort également du même compte-rendu que ces mêmes propos n'ont suscité aucune réaction ni même modération de la part de la journaliste présente en plateau, ce qui caractérise un défaut de maîtrise de l'antenne constitutif d'un manquement aux stipulations de l'article 2-2-1 de la convention ;
9. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu, du fait de la diffusion de cette séquence du 23 octobre 2019, de mettre en demeure la Société d'exploitation d'un service d'information de se conformer à l'avenir, d'une part, au dernier alinéa de l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986 ainsi qu'au quatrième alinéa de l'article 2-3-3 de la convention et, d'autre part, à l'article 2-2-1 de la convention,
Décide :