JORF n°0222 du 25 septembre 2009

CHAPITRE II : LE CONCEPT DE COUTS PERTINENTS DE REFERENCE

2.1. Les finalités et modalités de définition des obligations de contrôle tarifaire de la prestation de terminaison d'appel vocal mobile
Nécessaire en l'absence de toute pression concurrentielle s'exerçant sur le prix offert par le vendeur du fait du monopole structurel exercé par les opérateurs dans la fourniture de la terminaison d'appel, les obligations de contrôle tarifaire de la prestation de terminaison d'appel vocal mobile vise notamment à assurer des conditions d'exercice d'une concurrence loyale sur les marchés de communications électroniques en aval des marchés de la terminaison d'appel vocal mobile. L'Autorité a notamment indiqué dans son analyse de marché du 16 octobre 2007 (décision n° 07-0811 susvisée) que l'absence d'obligation de contrôle tarifaire des niveaux de terminaison d'appel au regard des structures et des niveaux de coûts pertinents, processus qui visent à les orienter à terme vers des références de coûts pertinentes serait susceptible de soulever de nombreux problèmes concurrentiels et entraverait notamment l'exercice d'une concurrence effective sur les marchés de détail avals des marchés de gros en cause.
Ainsi, l'obligation d'orientation des prix vers les coûts imposée aux deux opérateurs dominants Orange Caraïbe et SRR permet d'éviter que les opérateurs profitent d'une situation monopolistique pour en tirer une rente. La mise en œuvre de cette obligation est associée à l'obligation de comptabilisation des coûts pour permettre à l'Autorité de mettre en place un référentiel de coût d'un opérateur efficace robuste.
Concernant l'obligation de ne pas pratiquer de tarifs excessifs imposée aux autres opérateurs, le caractère excessif s'apprécie de façon à limiter les éventuelles distorsions concurrentielles pouvant exister sur les marchés de détail sous-jacents découlant des différences entre les tarifs des terminaisons d'appel vocal des différents opérateurs, et notamment entre ceux soumis à une obligation d'orientation vers les coûts et ceux soumis à une obligation de non-excessivité de leurs tarifs. Ainsi que l'Autorité l'a précisé dans sa décision n° 07-0811, les charges de terminaison d'appel doivent converger vers les coûts d'un opérateur efficace, et ce indépendamment du type d'obligations de contrôle tarifaire auquel l'opérateur est soumis. Ainsi, la référence en coûts pertinente à terme est donc identique dans les deux cas.
En retenant une référence de coûts pertinents pour la tarification de la prestation considérée et en considérant les problèmes concurrentiels identifiés pour définir l'obligation de contrôle tarifaire, l'Autorité doit ainsi s'efforcer de corriger les effets de l'absence de concurrence effective sur le marché pertinent régulé. La référence en coûts et le tarif de terminaison d'appel en découlant doivent par ailleurs permettre à l'ensemble des acteurs, i.e. acheteurs ou vendeurs, de recevoir des signaux économiques cohérents avec les structures de coût d'un opérateur efficace garants d'un fonctionnement soutenable des marchés. La mise en œuvre des obligations de contrôle tarifaire de la terminaison d'appel mobile doit répondre à l'objectif de développement d'une concurrence loyale et durable sur les marchés, et plus largement aux objectifs généraux fixés à l'article L. 32-1 (II) du CPCE.
Le choix de la référence de coûts pertinente implique notamment de préciser le périmètre de coûts à prendre en compte en fonction de règles d'efficience et de rationalité économiques et la bonne allocation des coûts joints entre les différentes prestations produites par un opérateur de réseau mobile (le réseau de l'opérateur étant unique et servant à produire de multiples produits). Le concept de coût pris en compte par l'Autorité pour spécifier les modalités de contrôle tarifaire dépend dès lors directement des choix d'allocation qu'elle arrête pour imputer ces masses de coûts joints à l'ensemble des prestations qui les induisent, en particulier à la terminaison d'appel vocal. L'Autorité définit donc, à travers les plafonds tarifaires, la part maximum des coûts joints qu'un opérateur peut recouvrer à travers la tarification de la terminaison d'appel voix, prestation commercialisée en monopole, le reste des coûts pouvant être recouvré sur l'ensemble des autres prestations (de détail notamment) qu'il offre et pour lequel l'opérateur est libre de sa politique tarifaire. Il n'y a par conséquent pas de risque de non-recouvrement de l'ensemble des coûts encourus.
Enfin, l'Autorité définit des méthodes de valorisation et de dépréciation des actifs et détermine les taux de rémunération du capital correspondants. L'Autorité a ainsi retenu jusqu'à présent la méthode des coûts historiques comme méthode de valorisation des coûts des actifs pertinente. A cet égard, l'Autorité considère que la méthode d'évaluation des coûts des actifs des réseaux mobiles par les coûts historiques est toujours adaptée par rapport aux autres méthodes, telles que celle des coûts courants économiques. En effet, la méthode reste adaptée compte tenu notamment du stade de mise en œuvre de l'orientation vers les coûts et parce qu'à la différence des actifs d'un réseau fixe (comme celui de France Télécom), les actifs de très longue durée et comptablement complètement amortis sont également peu nombreux. Par conséquent, l'impact d'un changement de méthode au profit de la méthode d'évaluation en coûts courants est relativement faible. Ceci est un peu plus marqué en outre-mer, les réseaux mobiles y étant plus récents qu'en métropole. Le choix des coûts historiques permet par ailleurs actuellement une bonne comparabilité entre les données issues de la comptabilisation réglementaire et des travaux de modélisation. L'Autorité confirme donc son choix d'utilisation de la méthode des coûts historiques comme méthode de valorisation des actifs pertinente dans le cadre de la présente décision.Toutefois, l'Autorité pourra faire évoluer ce choix dans une prochaine décision.
Par ailleurs, les niveaux des tarifs des terminaisons d'appel de l'ensemble des opérateurs ultramarins ont été soumis à un processus de plafonnement graduel de ces niveaux au regard des structures et des références de coûts pertinentes. Les références de coûts retenues pour tous les opérateurs mobiles identifiés comme puissants sur leurs marchés respectifs de terminaison d'appel, qu'ils soient soumis à une obligation d'orientation vers les coûts ou à une obligation de pratiquer des tarifs non excessifs, sont celles d'un opérateur générique efficace et non les propres coûts de l'opérateur. Ces références correspondent aux coûts alloués aux appels vocaux entrants tels que spécifiés dans la décision n° 07-129.
Dans la poursuite de ces différentes étapes de détermination des coûts, le contexte concurrentiel du marché est un des éléments majeurs d'appréciation, l'objectif étant in fine d'aboutir à la définition des structures et références de coûts pertinentes pour la régulation de la terminaison d'appel vocal mobile dans le contexte précis de la prise de décision. Les choix pertinents au regard des objectifs de la régulation peuvent par exemple différer lorsque le marché et ses acteurs sont en plein développement et que la préoccupation principale des acteurs est de déployer des réseaux et d'acquérir des clients primo-accédants, ou au contraire lorsque le marché est arrivé à maturité avec des réseaux pleinement déployés et une concurrence consistant principalement à conserver ses clients et conquérir ceux de ses concurrents.
Ainsi, si l'Autorité, pour fixer les obligations tarifaires en outre-mer pour la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2009, indiquait dans sa décision n° 07-0811 susvisée prendre pour référence pertinente les coûts d'un appel entrant moyen évalués selon la méthode des coûts historiques et selon une approche d'allocation en coûts complets, elle précisait également : « si la méthode retenue à ce jour est une approche en coûts complets, elle considère qu'il pourrait être nécessaire de revisiter à terme ce concept afin d'adopter une méthodologie cohérente utilisée dans la mise en œuvre de la régulation des terminaisons d'appel, qu'il s'agisse de terminaison d'appel fixe ou de terminaison d'appel mobile ».
Plus loin, elle indiquait également : « sans préjuger de l'approche qui pourrait être retenue sur ce point, l'Autorité s'interroge aujourd'hui sur le périmètre des coûts pertinents relatif au calcul de la terminaison d'appel vocal mobile. S'agissant de ce périmètre, l'Autorité n'exclut pas de le faire évoluer à terme de façon à mieux l'harmoniser avec celui retenu pour la terminaison d'appel fixe et à respecter ainsi une meilleure homogénéité des approches comptables entre les marchés fixes et mobiles ».
Afin de définir correctement les modalités d'application de l'obligation de contrôle de prix pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2010, objet de la présente décision, il convient donc de prendre en compte le contexte actuel, notamment concurrentiel, de développement du marché.
Or, ainsi qu'elle l'a indiqué au 1.4., le contexte concurrentiel a évolué et les terminaisons d'appel ont une importance grandissante dans la formulation des offres de détail des opérateurs, en particulier en outre-mer compte tenu des fortes asymétries de parts de marché, ainsi que dans les modalités de la concurrence entre opérateurs mobiles ou entre opérateurs fixes et mobiles. L'Autorité estime qu'il convient de prendre en compte ces évolutions afin de mettre en œuvre une régulation adaptée.
Les références pertinentes devront également tenir compte des principales spécificités du service de terminaison d'appel vocal, rappelées dans la partie.
Il convient en particulier de rappeler que la terminaison d'appel constitue à la fois une source de revenus pour les appels entrants mais également une charge pour les appels sortants, l'ensemble des flux financiers d'interconnexion étant mécaniquement équilibrés à l'échelle du secteur.
En conclusion, la référence de coûts pertinente à prendre en compte doit, en premier lieu, empêcher les opérateurs de bénéficier d'une rente liée à leur position monopolistique sur les marchés de gros en cause, afin d'assurer des conditions de libre exercice d'une concurrence loyale sur les marchés de communications électroniques qui y sont liés. Il s'agit, au regard de l'objectif de développement d'une concurrence effective et loyale sur les marchés, et plus largement des objectifs généraux fixés à l'article L. 32-1 (II) du CPCE et rappelés à l'article D. 311, et en tenant compte du contexte de développement de ces marchés, de la concurrence sur ces marchés et des spécificités du service de terminaison d'appel, de définir les modalités précises de mise en œuvre de l'obligation d'orientation des tarifs vers les coûts du service de terminaison d'appel, de manière que le signal économique ainsi établi pour les marchés soit adapté et efficace. Les tarifs fixés doivent, à ce titre, s'adapter au contexte, notamment concurrentiel, actuel. En particulier, les choix pertinents dans un exercice de tarification de la prestation de terminaison d'appel mobile peuvent être différents des choix effectués dans le passé, et en particulier des choix de spécification qui ont été précisés dans le cadre des restitutions réglementaires au titre des obligations de comptabilisation des coûts et de séparation comptable, qui sont aujourd'hui évalués en coûts historiques et suivant la méthode d'allocation en coûts complets.
2.2. Par construction, les coûts incrémentaux de long terme rapprochent les tarifs de terminaison d'appel des coûts internes de production de ce service et permettent aux opérateurs de recouvrer leurs coûts
Dans son choix, l'ARCEP doit prendre le plus grand compte des recommandations de la Commission européenne, et notamment de la recommandation sur la régulation des services de terminaison d'appel fixe et mobile dans l'Union européenne (13) adoptée par la Commission européenne le 7 mai 2009.
Cette recommandation indique que l'orientation vers les coûts incrémentaux de long terme est la référence à prendre en compte par les régulateurs européens dans le cadre de la régulation des terminaisons d'appel.
Or, ainsi qu'elle l'a déjà développé dans sa décision n° 08-1176 susvisée portant sur la métropole, l'Autorité estime que, dans le contexte actuel des marchés mobiles et au regard des objectifs généraux fixés à l'article L. 32-1 (II) du CPCE, les coûts incrémentaux de long terme constituent effectivement la référence en coûts pertinente pour fixer les obligations de contrôle tarifaire des terminaisons d'appel. Elle présente dans cette partie les caractéristiques principales de cette approche et développe dans la partie les raisons pour lesquelles elle estime qu'il s'agit de la référence en coûts pertinente pour fixer les obligations de contrôle tarifaire des terminaisons d'appel dans le cadre de la présente décision.

(13) La recommandation, sa note explicative et le document de travail de la Commission sont téléchargeables à l'adresse suivante : http://ec.europa.eu/information_society/policy/ecomm/implementation_enforcement/article_7/index_en.htm.

2.2.1. La logique des coûts incrémentaux rapproche par construction les tarifs de terminaison d'appel des coûts internes de production de ce service
Pour dimensionner son réseau, un opérateur tient compte notamment des effets de long terme des offres proposées sur le marché. De fait, le coût interne perçu par un opérateur pour la fourniture d'une offre intégrant des appels on net correspond à une anticipation des investissements nécessaires pour assurer l'accroissement de la capacité de son réseau afin d'acheminer le trafic additionnel généré par cette offre. Ces coûts correspondent par exemple aux coûts de densification en stations de base qu'il sera nécessaire de mettre en service pour assurer la capacité nécessaire à l'acheminement de ce nouveau trafic.
Symétriquement, le coût supplémentaire encouru par un opérateur pour terminer sur son propre réseau les appels off net d'un opérateur tiers par rapport à une situation où il ne fournirait pas cette prestation de terminaison d'appel, s'ils peuvent être légèrement différents du coût interne, correspond principalement aux coûts de densification en stations de base qu'il sera nécessaire de mettre en service pour assurer la capacité nécessaire à l'acheminement de ce nouveau trafic.
Pour promouvoir l'efficacité économique, et notamment l'utilisation efficace des fréquences, le tarif de terminaison d'appel doit rémunérer ces coûts additionnels. Par ailleurs, ceux-ci doivent être évalués sur le long terme afin de prendre en considération les variations induites de dimensionnement du réseau des opérateurs. Inversement, pour empêcher les opérateurs de bénéficier d'une rente liée à leur position monopolistique sur les marchés de gros en cause et promouvoir la concurrence, comme développé au 2.2.2., la régulation doit proposer un tarif de terminaison d'appel qui soit orienté vers ces seuls coûts, à l'exclusion de tout autre qui ne soit pas induit par le trafic entrant de terminaison d'appel.
Ainsi, pour limiter les distorsions de concurrence possibles entre les opérateurs mobiles, l'opérateur appelant devrait payer les coûts associés à ses appels, tandis que les autres coûts de réseau qui auraient de toute façon été encourus par l'opérateur appelé en raison de l'exercice de son activité commerciale devraient être recouvrés sur les marchés de détail auprès de l'appelé, ces coûts pouvant par exemple être associés à la possibilité d'être joint. Ceci aboutit en effet à des signaux de coûts efficaces pour les opérateurs :
― l'opérateur appelant doit recevoir le bon signal de coûts lorsqu'il construit ses offres de détail ; il paie donc les coûts additionnels qu'il occasionne du fait de son trafic sortant ;
― l'opérateur appelé, qui lorsqu'il est seul sur un marché recouvre tous ses coûts auprès de ses clients de détail, recouvre auprès de l'opérateur appelant les coûts additionnels que ce dernier engendre en envoyant désormais du trafic sur son réseau.
Cette approche correspond de fait à la méthode dite des « coûts incrémentaux de long terme », en prenant pour « incrément » l'ensemble du trafic entrant d'un opérateur. Le coût de référence correspond aux coûts (efficaces) encourus du fait de la fourniture en gros du service de terminaison d'appel et qui ne le seraient pas si ce service n'était pas fourni, ou encore à la différence entre les coûts totaux de long terme d'un opérateur fournissant sa gamme complète de services et les coûts totaux déterminés à long terme de cet opérateur fournissant sa gamme complète de services sauf le service de terminaison d'appel fourni sur le marché de gros à des tiers. Pour ramener ce coût incrémental total à un coût de référence à la minute, on le divise par l'ensemble du trafic correspondant à ce service incrémental de terminaison d'appel, soit le trafic total entrant de l'opérateur.
2.2.2. La logique des coûts incrémentaux permet, par construction, aux opérateurs de recouvrer, via le tarif de terminaison d'appel, les coûts induits par ce service
L'Autorité tient à souligner à nouveau que, contrairement aux affirmations de certains acteurs, l'approche en coûts incrémentaux ne remet absolument pas en cause la capacité des opérateurs à recouvrer la totalité de leurs coûts, mais qu'elle a seulement pour effet de limiter la part de leurs coûts joints recouvrables au travers du tarif de terminaison d'appel sur leurs concurrents et d'augmenter la part recouvrable sur d'autres services où ils ne sont pas en position de monopole mais soumis à une pression concurrentielle exercée par les autres opérateurs et par leurs clients.
En effet, comme indiqué au 2.1., l'Autorité définit, à travers les plafonds tarifaires, la part maximum des coûts joints qu'un opérateur peut recouvrer à travers la tarification de la terminaison d'appel voix, prestation commercialisée en monopole, le reste des coûts pouvant être recouvré sur l'ensemble des autres prestations (de détail notamment) qu'il offre et pour lequel l'opérateur est libre de sa politique tarifaire. Il n'y a par conséquent pas de risque de non-recouvrement de l'ensemble des coûts encourus.
Et de fait, par construction, l'approche en coûts incrémentaux tient compte exactement des coûts engendrés par la fourniture de cette prestation supplémentaire : elle tient compte de l'ensemble de ces coûts et seulement de ces coûts. En particulier, avec cette méthode, on suppose que tous les actifs sont remplacés à long terme. Autrement dit, tous les coûts sont variables et pris en compte, y compris les coûts d'investissement pertinents.
Elle diffère de l'approche en coûts complets en ce qu'elle n'alloue pas uniformément l'intégralité des coûts, et notamment les coûts réseaux, à l'ensemble des prestations techniques fournies par l'opérateur mobile. A titre d'exemple, une approche en coûts incrémentaux ne prend en compte pour le calcul des coûts de terminaison d'appel que les besoins en capacité nécessaires à l'acheminement du trafic tiers, mais ne retient plus les besoins en couverture nécessaires pour proposer des offres commerciales de détail à ses propres clients indépendamment de tout trafic entrant tiers. De même, les coûts de licence, dans la mesure où ils ne sont pas conditionnés par le trafic entrant, ne sauraient être pris en compte pour le calcul des coûts de terminaison d'appel car nécessaires à une exploitation commerciale d'opérateur mobile indépendamment de l'existence d'un trafic entrant tiers. Les coûts de couverture et de licence, s'ils ne sont pas pris en compte dans le coût de la terminaison d'appel, le sont intégralement dans le calcul des coûts d'accès aux réseaux et d'appels sortants qui fondent la tarification de détail des opérateurs vis-à-vis de leurs clients.
2.3. Les coûts incrémentaux de long terme constituent la référence en coûts pertinente pour fixer les obligations de contrôle tarifaire des terminaisons d'appel au regard du développement actuel du marché et des objectifs fixés à l'Autorité par l'article L. 32-1 du CPCE
Afin d'empêcher les opérateurs de bénéficier d'une rente liée à leur position monopolistique sur les marchés de gros en cause et d'assurer des conditions de libre exercice d'une concurrence loyale sur les marchés de communications électroniques qui y sont liés, il convient de choisir un signal de coût qui corresponde au coût interne de production du service de terminaison d'appel. La logique des coûts incrémentaux est donc tout à fait adaptée à cet objectif.
En pratique, dans le contexte actuel des marchés mobiles, et en particulier du marché mobile français en outre-mer, présenté au chapitre 1., le choix de ce signal de coût répond aux objectifs fixés par le II de l'article L. 32-1 du CPCE.
En effet, il permet tout d'abord de répondre à l'objectif de concurrence loyale entre opérateurs, en ce qu'il limite les distorsions de concurrence entre opérateurs mobiles, mais permet aussi, dans un contexte prospectif de convergence entre les secteurs fixes et mobiles, de limiter les distorsions entre opérateurs mobiles et fixes et donc in fine les distorsions des consommations des abonnés fixes et mobiles.
Toujours dans un contexte prospectif de convergence, non seulement commerciale, mais aussi technique entre les réseaux fixes et mobiles, il permet plus largement de mettre en œuvre une régulation qui n'avantage pas artificiellement une technologie par rapport à l'autre, conformément aux objectifs de neutralité technologique, d'investissement efficace dans les infrastructures et d'utilisation efficace des fréquences radioélectriques.
L'objectif de libre exercice de la concurrence sur les marchés a pour but in fine de permettre un développement efficace des marchés au bénéfice du consommateur final. Ainsi, les objectifs précédents se traduisent pour les consommateurs par celui de ne pas brider le développement naturel des marchés de détail, en particulier le déploiement des offres de convergence. Plus généralement, le choix de la logique des coûts incrémentaux permet de ne pas limiter les innovations commerciales ou technologiques, comme les offres de convergence, mais aussi les offres de voix illimitées et/ou forfaitaires, dans une forme la plus ouverte possible. Il permet notamment de limiter, ou tout du moins de ne pas encourager artificiellement, l'incitation à la tarification différenciée au détail entre trafic on net et off net, qui réduit de facto l'interopérabilité des réseaux et renforce les effets de réseaux et leurs effets anticoncurrentiels.
Cela rejoint l'objectif de l'exercice d'une concurrence loyale entre acteurs de la téléphonie mobile, mais aussi de la protection du consommateur. En effet, l'objectif fixé par l'article L. 32-1 (II) du CPCE, qui consiste à inciter à l'interopérabilité des réseaux et plus précisément à définir des conditions d'interconnexion « qui garantissent la possibilité pour tous les utilisateurs de communiquer librement et l'égalité des conditions de la concurrence », vise notamment à permettre aux utilisateurs de joindre un correspondant indépendamment de son réseau de raccordement. En outre, sur le plan tarifaire, ce type de différenciation conduit à une moindre transparence et à une complexification des offres, en particulier dans un contexte de croissance des services de portabilité des numéros. Or, l'objectif de protection des consommateurs passe notamment par la fourniture d'informations claires.
Enfin, au regard de l'objectif de développement de la concurrence au bénéfice du consommateur, il convient de mettre en œuvre une régulation des tarifs de terminaison d'appel qui ne limite pas le jeu concurrentiel des opérateurs mobiles sur le marché de détail.
Or, la logique des coûts incrémentaux est une référence en coûts permettant de définir un tarif de terminaison d'appel mobile entraînant le moins de distorsions de concurrence possible sur les marchés de détail en aval de cette prestation de gros.
L'analyse de l'Autorité sur l'ensemble de ces points est développée ci-après.

2.3.1. Concurrence loyale entre opérateurs mobiles
et « non-incitation » à la différenciation tarifaire on net/off net...

Tout d'abord, dès lors que les opérateurs se facturent entre eux une terminaison d'appel sensiblement supérieure au coût interne de production de ce service, donc au coût incrémental de long terme, un opérateur a un intérêt économique immédiat à vendre, y compris à lui-même, une grande quantité de minutes de cette prestation. Cet intérêt va le conduire à inciter ses clients à pratiquer des appels on net et non off net.
En effet, pour peu que l'opérateur respecte un principe de non-discrimination, il tire de ce fait profit de la rente ainsi créée sur ce marché de gros sur lequel il est en position monopolistique.
En tout état de cause, ces appels on net ne lui coûtent in fine que le coût incrémental susmentionné, alors que les appels off net exigent le versement d'une charge de terminaison d'appel mobile à l'opérateur appelé.
Afin d'inciter ses clients à consommer des prestations on net, l'opérateur pratique des tarifs de détail plus bas pour les appels on net, ou encore d'une tarification forfaitaire par laquelle le client final bénéficie d'une offre d'abondance pour ses minutes on net (14).
En outre, l'opérateur limite ainsi le volume et le coût des terminaisons d'appel payé à ses concurrents. Le fait pour un opérateur de commercialiser des offres comprenant un volume important de communications on net présente donc l'avantage de permettre à ce dernier de proposer un service de communication entraînant moins de versement de charge de terminaison d'appel à un opérateur mobile tiers.
Or le solde d'interconnexion associé à une offre, qui joue un rôle prépondérant dans l'équilibre économique de chaque offre que l'opérateur propose, correspond à la différence entre les charges d'interconnexion qu'il doit payer à ses concurrents au titre du trafic entrant sur leurs réseaux respectifs et les revenus d'interconnexion qu'il perçoit de ses concurrents au titre de l'offre en cause. Une variation de ces charges et revenus se traduit concrètement pour l'opérateur par une diminution, respectivement un accroissement, immédiat de sa marge brute.
L'intérêt à développer le trafic on net dans le but d'améliorer son solde d'interconnexion pour chacune de ses offres s'applique à l'ensemble des opérateurs indépendamment de leur taille. Cet intérêt devient d'autant plus grand que le tarif de terminaison d'appel est élevé.
En première analyse, on pourrait penser que le niveau de tarif de la terminaison d'appel est neutre sur les flux financiers d'interconnexion entre opérateurs mobiles, en partant du constat que ces flux financiers sont globalement équilibrés dans la mesure où les trafics entrants et sortants des différents opérateurs s'équilibrent naturellement. Toutefois, cette assertion n'est vraie que dans l'hypothèse où tous les opérateurs possèdent des parcs de clients ayant des caractéristiques homogènes, notamment en termes de préférences et de profils de consommation, en particulier entre appels on net et appels off net. Or cette condition n'est pas remplie.
De plus, si les trafics entrant et sortant peuvent rester, d'un point de vue macroscopique (15), globalement équilibrés, il n'en demeure pas moins que, d'un point de vue microscopique (16), il existe des déséquilibres importants selon la catégorie de consommateurs, le segment de clientèle ou l'offre considérés. Or un opérateur appréhende en général offre de détail par offre de détail les flux d'interconnexion résultant des trafics entrant et sortant. Pour une offre donnée, il peut donc exister des déséquilibres importants entre opérateurs. L'écart entre les tarifs de terminaison d'appel des opérateurs et leurs structures de coûts peuvent donc avoir des effets incitatifs inefficaces sur les offres présentes sur le marché quand bien même les flux de trafic entre les opérateurs seraient globalement équilibrés.
Par ailleurs, plus l'opérateur dispose d'une part de marché élevée, plus ses offres de communications on net à tarif privilégié sont attractives pour ses clients ; la contrainte sur le choix des destinataires de l'appel étant d'autant plus souple pour le client.
Sur un plan concurrentiel, un opérateur de taille importante a un intérêt immédiat à développer des offres de communications on net attractives, dans la mesure où ces dernières favorisent l'attractivité de son réseau relativement à un opérateur plus petit. Inversement, dans le cas d'un opérateur de faible taille, l'attractivité des offres de communications on net à tarif privilégié qu'il pourrait proposer sera plus réduite, l'intérêt commercial des offres on net croissant avec la taille du parc, dans la mesure où, en l'absence de coordination de leurs actes d'achat, les clients finaux valorisent d'autant plus ce type d'offre qu'il est probable que leurs correspondants usuels appartiennent effectivement au même réseau que le leur.
En outre, la différenciation entre on net et off net favorise l'« effet club », c'est-à-dire le fait qu'un client prospectif préférera, toutes choses égales par ailleurs, souscrire auprès de l'opérateur auprès duquel ses correspondants sont déjà clients, afin de bénéficier du tarif on net sur un maximum d'appels. Or même si le périmètre des correspondants les plus appelés d'un client peut être stable dans le temps, la probabilité qu'à un moment donné ces correspondants soient clients d'un même opérateur est directement reliée à la part de marché de cet opérateur. Ainsi, l'effectivité de l'« effet club » croît avec l'écart de taille entre le parc clients de cet opérateur et ceux de ses concurrents, dans la mesure où l'intérêt d'une offre on net croît avec la probabilité que les correspondants les plus fréquents du client potentiel auront souscrit une offre auprès de cet opérateur plutôt qu'un autre.
L'avènement des offres de communications on net attractives susmentionnées présente ainsi un risque de distorsion concurrentielle vis-à-vis d'un opérateur de taille réduite, tenant à ce que, en première analyse, ce dernier ne puisse potentiellement les répliquer de manière pertinente qu'en proposant des communications illimitées vers tous les opérateurs (on net et off net) ou un prix de la minute unique tout aussi attractif (on net et off net). Or la commercialisation de telles offres, et notamment d'une offre avec de l'illimité voix tous opérateurs, entraîne, à l'échelle de ces offres, de fortes dépenses de terminaison pour la majorité des appels sortants car ils correspondent à des appels off net.
Ainsi lorsque le coût de production ― coût incrémental de long terme ― et le prix de cession externe ― tarif de la terminaison d'appel mobile ― diffèrent, il apparaît que le risque de non-réplicabilité économique des offres de communications on net attractives défavorise les opérateurs dont les parcs sont significativement les plus faibles (17) en limitant leur capacité à se maintenir dans le jeu concurrentiel et ce indépendamment de leurs propres structures de coût. Il pourrait néanmoins être objecté que la différenciation tarifaire entre on net et off net induit une dynamique proconcurrentielle en incitant chaque opérateur à accroître sa part de marché pour bénéficier au maximum de l'« effet club ». Cet argument, issu de la littérature économique, revêt une certaine pertinence lorsque les parts de marché initiales des opérateurs sont équilibrées. Chacun tire alors un même bénéfice de l'« effet club » et cherche à prendre un avantage sur ses concurrents (pour peu que les conditions de marché ainsi que le cadre juridique permettent la mise en œuvre d'une telle politique commerciale). En revanche, lorsque les parts de marché sont asymétriques (comme c'est notamment le cas outre-mer), l'« effet club », magnifié par l'écart entre coût et tarif de terminaison d'appel, crée au contraire un handicap artificiel pour les plus petits opérateurs, enfermant ces derniers dans un « cercle vicieux » : plus leur part de marché est faible moins leurs offres sont attractives, plus leur part de marché est faible, etc.
Cette structuration des offres favorise en outre la stabilité de ces « clubs » et réduit donc également l'intensité concurrentielle. En effet, une fois qu'un « club » est formé et qu'un consommateur est client du même opérateur que ses correspondants les plus fréquents, le changement d'opérateur est pour lui d'autant plus coûteux qu'il lui ferait perdre le bénéfice des tarifs préférentiels offerts pour les appels on net vers ces correspondants.
Dans l'ensemble de cette partie, l'Autorité confirme les conclusions qu'elle a déjà pu adopter dans ses décisions d'analyse des marchés précédemment publiées, portant respectivement sur la terminaison d'appel sur les réseaux mobiles métropolitains (en date du 4 octobre 2007) et ultramarins (en date du 16 octobre 2007) ainsi que dans sa décision fixant l'encadrement tarifaire des terminaisons d'appel des opérateurs métropolitains en date du 2 décembre 2008.
Ainsi, elle estime que, de manière à ce que le tarif de terminaison d'appel vocal entraîne le moins de distorsions de concurrence possible entre les opérateurs mobiles, il ne doit pas y avoir de différence significative entre le coût interne et le prix de cession externe des services de terminaison d'appel mobile. Une régulation des tarifs de terminaison d'appel en référence aux coûts incrémentaux répond donc par construction à cet objectif. Le choix de cette référence rétablit ainsi un jeu concurrentiel loyal entre acteurs de la téléphonie mobile, basé uniquement sur les prestations de détail, et apparaît à ce titre comme le bon niveau de coûts permettant d'éliminer toute forme d'asymétrie artificielle due à des déséquilibres de trafic éventuels. En outre, cette approche limite, également par construction, l'incitation artificielle à la tarification différenciée au détail entre trafic on net et off net, due aux tarifs de gros de la terminaison d'appel, bien que de telles offres puissent toutefois perdurer sur le marché du fait de l'incitation commerciale des gros opérateurs à favoriser les effets de réseau.
Inversement, des niveaux de tarifs de terminaison d'appel mobile fixés en référence aux coûts complets, et donc (par définition) supérieurs aux coûts incrémentaux, encouragent la différenciation tarifaire entre appels on net et appels off net, les premiers étant fortement favorisés dans les offres de détail au détriment des seconds. Cette situation, résultant du mode de régulation du marché de l'interconnexion, a des conséquences néfastes en termes de concurrence entre opérateurs mobiles sur les marchés de détail, entraînant notamment un désavantage concurrentiel pour les opérateurs ayant proportionnellement plus de volumes de trafic off net. Cela est amplifié dans un marché où la concurrence pour les services vocaux se tourne désormais vers l'acquisition de clients des opérateurs concurrents, le développement du marché ayant atteint sa maturité. Plus globalement, en introduisant artificiellement (18) un coût variable élevé pour les appels off net, le maintien de niveaux élevés de tarifs de terminaison d'appel mobile constitue un frein au jeu concurrentiel entre opérateurs mobiles et à la baisse des prix unitaires d'appel. L'Autorité souhaite souligner à cet égard que la diffusion d'offres d'abondance constitue un développement naturel du marché, rendu possible par le fait que les opérateurs bénéficient sur leurs réseaux respectifs d'une économie de coûts fixes, et de ce fait n'encourent que des coûts très faibles pour produire ces offres.

(14) Il convient ici de préciser que la différenciation tarifaire évoquée dans la présente section n'est pas induite par l'existence d'un écart significatif entre les tarifs de gros de terminaison d'appel des opérateurs : elle existe même dans la situation où l'ensemble des terminaisons d'appel mobiles sont symétriques. (15) C'est-à-dire sur l'ensemble des offres de l'opérateur. (16) C'est-à-dire sur chaque offre de l'opérateur prise individuellement. (17) Dans sa décision n° 02-D-69 du 26 novembre 2002 relative aux saisines et aux demandes de mesures conservatoires présentées par la société Bouygues Telecom, l'Union fédérale des consommateurs Que Choisir et la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie, le Conseil de la concurrence relevait ainsi que : « la différenciation tarifaire peut influer sur le choix des clients lors du premier achat ou d'un renouvellement, dans la mesure où ils seront désormais susceptibles de tenir compte des réseaux auxquels appartiennent leurs principaux correspondants. Ces effets sont de nature à limiter l'interopérabilité des réseaux et donc à favoriser le plus grand des parcs, les clients valorisant la possibilité d'appeler et d'être appelés par le plus grand nombre possible de correspondants. » (18) Ce coût est artificiel au sens où il n'est pas induit par la structure de coût des opérateurs mobiles mais uniquement par le mode de facturation des relations d'interconnexion.

2.3.2. ... permettant la transparence tarifaire
et l'interopérabilité des réseaux au bénéfice des consommateurs

L'un des objectifs principaux fixés à l'Autorité par le II de l'article L. 32-1 du CPCE consiste à inciter à l'interopérabilité des réseaux et plus précisément à définir des conditions d'interconnexion " qui garantissent la possibilité pour tous les utilisateurs de communiquer librement et l'égalité des conditions de la concurrence ". A cet égard, alors que l'on voit se développer les offres d'abondance sur tous les marchés de détail confondus (au départ des réseaux mobiles, fixes ou internet), le fait que l'on observe, pour les appels à destination des opérateurs mobiles, sauf exceptions récentes, des offres conditionnées par le réseau de destination de l'opérateur et par des horaires limités, et, plus largement, une différenciation très courante des tarifs au détail entre trafic on net et off net, au-delà du fait que cela renforce les effets de réseaux et leurs effets anticoncurrentiels, réduit de facto l'interopérabilité des réseaux.
Or, même si elle peut connaître un certain succès commercial du fait d'offres d'abondance on net ou de prix à la minute on net privilégié, la distinction entre communications on net et communications off net n'a pas de pertinence du point de vue de l'utilisateur final qui, toutes choses étant égales par ailleurs, souhaite avant tout joindre un correspondant indépendamment de son réseau de raccordement. Sur le plan économique, le développement des offres on net illimitées ou des pratiques de différenciation tarifaire on net/off net conduisent donc à une discrimination sur le marché de détail qui n'est pas fondée sur des différences de préférence de premier rang de la part des demandeurs.
Sur le plan tarifaire, il conduit en outre à une moindre transparence et à une complexification des offres, en particulier dans un contexte de croissance des services de portabilité des numéros, qui rendent moins identifiables les numéros de tel ou tel opérateur. Lorsqu'il émet un appel, un consommateur peut ainsi ne pas savoir à l'avance si une communication on net ou off net lui sera facturée. Or, l'objectif de protection des consommateurs passe notamment par la fourniture d'informations claires, notamment par la transparence des tarifs.
Dès lors, il apparaît que la prise en compte des coûts incrémentaux, en limitant l'incitation à la tarification différenciée au détail entre trafic on net et off net, ou tout du moins ne l'encourageant pas artificiellement, bénéficie aux consommateurs en permettant d'améliorer l'interopérabilité des réseaux en réduisant la ponction des abonnés des opérateurs tiers et d'améliorer la lisibilité des grilles tarifaires des opérateurs, particulièrement complexes en outre-mer.
En effet, une enquête réalisée en outre-mer pour le compte de l'ARCEP (19) à l'automne 2007 met en avant la forte méconnaissance des consommateurs d'outre-mer des tarifs liés à leur offre, méconnaissance plus accentuée encore qu'en métropole. En effet, les trois quarts des utilisateurs interrogés ne les connaissent peu, voire pas du tout pour la moitié d'entre eux (20), comme le souligne le graphique ci-dessous.
L'Autorité considère que la différenciation courante des tarifs entre l'on net et l'off net contribue à la complexité des offres de détail et donc à la méconnaissance conséquente des tarifs par les utilisateurs.

Vous pouvez consulter le graphique, non reproduit ci-après, en
cliquant sur le lien " Fac-similé " situé en bas de la présente page

(19) Enquête IPSOS réalisée simultanément auprès d'un échantillon de 1 000 équipés mobiles métropolitains et de 300 équipés mobiles d'outre-mer (100 en Martinique, 100 en Guadeloupe, 100 à La Réunion).
(20) Il s'agissait de la question 39 : " Connaissez-vous les tarifs correspondant à votre offre de téléphonie mobile (c'est-à-dire le coût des appels, le coût des appels hors forfait, le coût des SMS, le coût des appels vers l'international, etc.) ? " Les résultats statistiques en outre-mer sont à interpréter plutôt comme des tendances, au regard du faible échantillon interrogé (300 personnes).

2.3.3. Neutralité technologique et concurrence loyale entre opérateurs mobiles et fixes

L'approche en coûts incrémentaux limite les distorsions de concurrence entre les opérateurs mobiles, mais permet également d'éliminer les distorsions de concurrence entre opérateurs mobiles et opérateurs fixes.
Il convient tout d'abord de rappeler que les périmètres des coûts considérés jusqu'à ce jour par le régulateur comme pertinents pour la prestation de terminaison d'appel fixe, d'une part, et mobile, d'autre part, sont différents dans la mesure où la charge de terminaison d'appel vocal mobile rétribue plus de services que celle relative à la terminaison d'appel fixe. En effet, la terminaison d'appel mobile rémunère la sollicitation de tous les éléments de réseau activés par la transmission de l'appel du point d'interconnexion à l'appelé, segment d'accès compris. Pour rappel, dans le cas du fixe, la terminaison d'appel ne recouvre pas les coûts associés au segment d'accès jusqu'à l'utilisateur final. Le coût de ce segment d'accès (par exemple, la paire de cuivre), qui est entièrement dédié à l'utilisateur fixe, est recouvré à travers une tarification, qui prend en compte ce coût, des services offerts au détail à l'utilisateur final.
Les tarifs de terminaison d'appel vocal mobile sont bien supérieurs aux coûts complets et issus d'une pratique de financement des réseaux mobiles par les appels fixes vers mobiles. Par conséquent, les tarifs de terminaison d'appel vocal mobile sont à ce jour bien supérieurs à ceux de la terminaison d'appel vocal fixe, atteignant des niveaux absolus structurellement élevés, au-delà des différences technologiques (et de coûts subséquentes) évidentes.
Ainsi, en outre-mer, l'ordre de grandeur des tarifs de terminaison d'appel vocal fixe est inférieur à un centime d'euro, lorsque, dans le même temps, il est actuellement en moyenne supérieur à 10 c€ pour le monde mobile.
Sur le marché de détail, il convient de noter la tarification en moyenne élevée des communications fixe vers mobile par rapport aux communications fixe vers fixe. Par ailleurs, l'ensemble des acteurs de la téléphonie vocale est engagé dans une transition des structures de tarification historique où le service téléphonique est facturé au nombre et à la durée des appels vers une facturation forfaitaire. Cette tendance progresse en téléphonie fixe et mobile. Cette évolution découle de la maturité des réseaux des opérateurs qui peuvent absorber la croissance des volumes à moindre coût et de la très forte préférence exprimée par les utilisateurs finals pour ce type d'offres permettant une meilleure maîtrise de leur dépense. Néanmoins cette tendance structurelle ne s'applique pas aux communications « fixe vers mobile » qui, du fait du tarif élevé de la terminaison d'appel mobile, ne peuvent être commercialisées sous forme forfaitaire. La part relative des communications fixe vers mobiles demeure faible, non pas du fait des préférences des consommateurs mais en conséquence des niveaux tarifaires actuels des appels fixes vers mobiles.
Le maintien d'un niveau de tarif de terminaison d'appel mobile artificiellement élevé par rapport à celui de terminaison d'appel fixe constitue un transfert de la disponibilité à payer des abonnés fixes vers les opérateurs mobiles au détriment des opérateurs fixes, de nature à conduire sur la période considérée à des déséquilibres, des modifications artificielles des préférences des consommateurs et des transferts de valeur inefficaces entre les consommateurs fixes et mobiles.
Inversement, l'application d'une approche en coûts incrémentaux dans la tarification des terminaisons d'appel mobiles peut conduire à limiter considérablement les déséquilibres et transferts de valeur des opérateurs fixes vers les opérateurs mobiles, ainsi que les distorsions pouvant impacter les choix des consommateurs, ce qui est susceptible de stimuler les usages des clients des opérateurs fixes.
Par ailleurs, cette approche a pour effet de rapprocher les niveaux des tarifs de terminaisons d'appel fixes et mobiles. Or, par-delà les implications en termes de surplus du consommateur de services de communications fixes, il convient de relever que le maintien, dans un contexte de convergence naissante où les opérateurs fixes et mobiles sont de plus en plus en concurrence, d'un tarif de terminaison d'appel mobile élevé et supérieur à ses coûts crée, alors que les concepts ne sont pas harmonisés entre fixe et mobile, un avantage certain pour les opérateurs mobiles, ce qui biaise le jeu concurrentiel. Le développement d'offres de convergence virtuelle (par exemple, l'offre Happy Zone de SRR) ou plus technique faisant reposer la prestation de services mobiles concurrents de services fixes sur la perception de tarifs de terminaison d'appel élevés emporte en effet une distorsion concurrentielle du fait de la subvention croisée opérée entre marché de gros et marché de détail (au détriment de l'opérateur pâtissant de l'asymétrie de niveaux de tarifs de terminaison) et peut être considéré comme générateur d'inefficacités productives (c'est-à-dire d'une mobilisation de ressources radio injustifiées au regard des conditions effectives d'utilisation par le consommateur final).
En supprimant la césure artificielle entre les produits fixes et mobiles, une régulation des plafonds tarifaires de terminaison d'appel mobile en référence aux coûts incrémentaux permet ainsi de rétablir une concurrence loyale entre les opérateurs mobiles et fixes, et notamment aux opérateurs fixes d'être en mesure de répondre aux offres de convergence des opérateurs mobiles commerciales et techniques, existantes ou à venir, et ainsi de ne pas biaiser l'adoption de la technologie la plus efficace. Le marché est ainsi en mesure de mieux tirer partie de la convergence technique entre les réseaux, favorisant l'émergence d'offres innovantes sur le marché de détail.
Cette tendance moins affirmée à ce stade pour l'outre-mer paraît néanmoins pertinente dans une analyse prospective.
Dans son avis sur l'analyse de marché du 4 octobre 2007 (21) portant sur la métropole, le Conseil de la concurrence émet des commentaires similaires :
« 25. Enfin, le Conseil de la concurrence remarque que la frontière entre les services de téléphonie mobile et les services de téléphonie fixe devient de plus en plus poreuse, d'une part, du fait du développement d'offres de convergence (voir supra), d'autre part, en raison du lancement d'offres purement mobiles concurrençant directement les offres fixes. Ainsi, SFR a lancé récemment l'option "Happy Zone” qui propose des appels illimités vers tous les fixes 24 heures sur 24 pour les appels passés par ses clients dans une zone proche de leur résidence (offre de type « Cell-ID »). Ces offres s'appuient notamment sur le constat que plus de 30 % des appels mobiles sont passés depuis le domicile des utilisateurs. Ces offres sont susceptibles de concurrencer les offres de téléphonie fixe illimitées proposées par les opérateurs de téléphonie fixe et plus marginalement par les opérateurs Internet (dans le cadre d'offres double ou triple play). Or, les économies de ces offres seront radicalement différentes selon qu'elles s'appuient sur des revenus entrants consistant en des charges de terminaisons d'appels fixes (environ 1 centime d'euro par minute en moyenne) ou mobiles (environ 8 centimes d'euro en moyenne à ce jour). Sachant que les revenus entrants sont particulièrement importants dans l'élaboration de ce type d'offres, il convient de veiller à ce que la régulation des niveaux de terminaison d'appel (revenus entrants) du fixe et du mobile n'introduise pas un biais dans la concurrence sur le marché de détail entre des services en compétition et respecte le principe de neutralité technologique. »
Ces observations développées dans le contexte du marché métropolitain se transposent aux marchés mobiles outre-mer dans une analyse prospective.

(21) Avis 07-A-05 précité.

2.3.4. Développement de la concurrence
et de l'innovation au bénéfice du consommateur

Au-delà de l'amélioration de l'interopérabilité des réseaux et de la simplification des offres, le libre exercice de la concurrence a plus généralement pour but de permettre in fine un développement efficace des marchés au bénéfice du consommateur final.
Ainsi, il convient de choisir une référence en coûts permettant de ne pas brider le développement naturel des marchés de détail et, en particulier, de ne pas limiter le développement d'offres de voix illimitées et/ou forfaitaires, dans une forme la plus ouverte possible, mais aussi les innovations commerciales ou technologiques, comme les offres de convergence.
Or, comme indiqué précédemment, une régulation des tarifs de terminaison d'appel mobile en référence aux coûts incrémentaux induits par cette prestation est de nature à rétablir une concurrence loyale entre acteurs mobiles et fixes, favorisant un développement efficace des marchés, et en particulier l'adoption de la technologie la plus efficace, et stimulant l'innovation et le développement d'offres de convergence. Cela au bénéfice du consommateur. Cette stimulation vaut pour la convergence technique, mais aussi commerciale. Ainsi, dans le cadre d'une tendance au développement des offres illimitées, des niveaux tarifaires de terminaison d'appel mobile élevés font peser un aléa financier considérable sur les opérateurs fixes qui voudraient développer des offres illimitées vers les mobiles. Une référence aux coûts incrémentaux permettrait de rétablir le bon signal de coûts sur ces marchés et de stimuler le développement d'offres illimitées et/ou forfaitaires, y compris vers les mobiles, en cohérence avec le coût réel induit par ce nouveau trafic.
De même, comme indiqué plus haut, en réduisant l'écart entre le coût interne de fourniture d'une terminaison d'appel et son prix de cession externe, cette approche limite l'incitation pour les opérateurs à la différenciation entre les appels on net et off net, au bénéfice de la transparence des offres de détail, et permet le développement d'offres illimitées sans restriction d'usage (vers tous les réseaux et à toute heure).
A l'inverse, parce qu'elle laisse un écart important entre le coût interne pour la fourniture d'une minute incrémentale de terminaison d'appel et l'achat d'une terminaison d'appel externe, une tarification en référence aux coûts complets renforce les incitations au développement d'offres avec effet de réseau et limite le développement d'offres illimitées vers les mobiles au départ du fixe ou sans restrictions d'usage (offres illimitées on net ou à certaines heures, illimitées vers les fixes...). L'utilisation de cette méthode revient également à ne pas reconnaître que l'utilité de la communication est partagée entre l'appelé et l'appelant, ce qui entraîne des tarifs off net élevés, notamment pour les communications fixe vers mobile, une sous-consommation d'appels et une moindre satisfaction des consommateurs. En effet, lorsque l'utilité retirée par l'appelant est inférieure au prix de l'appel, ce dernier y renonce, alors même que l'utilité globalement retirée par l'appelé et l'appelant peut, elle, être supérieure à ce prix et donc correspondre à une consommation efficace si l'appelé pouvait participer au paiement de l'appel.
Enfin, avec la tarification de la terminaison d'appel en coûts complets, plus un opérateur est agressif commercialement en offrant à son client plus de minutes pour une dépense donnée, plus il va devoir s'acquitter d'un montant élevé de terminaisons d'appel et participer ainsi au financement des coûts fixes de ses concurrents, payant notamment une partie de leurs coûts de licence. Ainsi, cette méthode limite fortement les incitations concurrentielles à baisser les tarifs de communication sur les marchés de détail mobiles. Cet effet négatif sur la dynamique concurrentielle est particulièrement préjudiciable alors même que les fortes incitations concurrentielles qui prévalaient dans un marché en pleine croissance ont disparu avec la quasi-maturité de ce marché en termes de taux de pénétration.
2.4. Le changement de référence de coûts pertinente appelle un nouvel équilibre sur le marché plus efficace à terme, dans un marché en permanente adaptation
L'évolution dans le choix du concept retenu, d'une référence aux coûts complets vers une référence aux coûts incrémentaux, représente à terme un changement assez profond, qui implique une modification de l'équilibre économique des offres de détail, et qui devrait par conséquent induire une adaptation progressive de ces offres par les opérateurs mobiles.
Si l'équilibre économique ainsi prévu à terme apparaît plus efficace que l'équilibre actuel, l'ajustement des marchés qu'il nécessite ne devrait pas être immédiat mais devrait plutôt s'envisager progressivement dans un marché en permanente adaptation. C'est la raison pour laquelle l'analyse doit être menée dans un contexte dynamique.
2.4.1. La tarification de la terminaison d'appel en référence aux coûts incrémentaux permet l'enrichissement des offres et la stimulation des usages pour les consommateurs
Le passage d'une régulation en référence aux coûts complets à une régulation en référence aux coûts incrémentaux implique que la structure des offres de détail mobile sera probablement à terme différente, les opérateurs les ayant progressivement réexaminées et adaptées à ces nouvelles conditions tarifaires de gros. Le changement de concept de coûts n'est donc pas neutre pour les consommateurs.

Innovation, stimulation des usages et tarification plus efficace

Ainsi qu'esquissé précédemment une régulation des tarifs de terminaison d'appel mobile en référence aux coûts incrémentaux devrait rétablir les bons signaux de coûts sur les marchés de gros concernés, limitant les distorsions artificielles de prix sur les marchés de détail (on net/off net, fixe vers mobile/mobile vers fixe), permettant le développement d'offres d'abondance à destination de tous les réseaux (all net) et/ou depuis les réseaux fixes et d'offres de convergence, libérant ainsi les usages.
En rétablissant les bons signaux de coûts sur les marchés de gros concernés, les tarifs étant ramenés aux seuls coûts encourus par l'opérateur concerné pour la fourniture de la terminaison d'appel, une régulation en référence aux coûts incrémentaux devrait plus précisément induire un nouvel équilibre entre accès et trafic, et moins de subventions croisées et de transferts entre consommateurs. Alors que la partie « abonnement », implicite aujourd'hui, pourrait être plus explicite, le prix à la minute des appels devrait baisser, permettant de rétablir également aux clients les bons signaux de coûts et donc de les inciter à adopter des comportements de consommation plus efficaces.
Globalement, cela devrait avoir pour conséquence une plus grande satisfaction des consommateurs par une simplification des grilles tarifaires des offres de détail, une augmentation des volumes de communications et une tarification plus efficace.
En effet, le surcoût actuel de certaines communications a pour conséquence une sous-consommation d'appels, liée à des comportements de restriction de la part des consommateurs en position d'appelant mais aussi en position d'appelé. En particulier, actuellement, les utilisateurs de téléphonie fixe limitent les appels à destination des réseaux mobiles. Ainsi, en France, seulement 11 % des appels émis depuis une ligne fixe (trafic RTC ou au départ des accès en IP) ont pour destination un mobile (22). Ce phénomène est relativement fort chez les clients des fournisseurs d'accès à Internet ne disposant pas pour la plupart d'appels vers les mobiles inclus dans leur forfait. Ainsi seulement 5 % des appels émis depuis une ligne de « voix sur large bande » ont pour destination un mobile (23). De plus, une enquête réalisée en métropole montre que les usagers mobiles appelés par une ligne fixe cherchent à limiter les frais de leur correspondant : 45 % d'entre eux écourtent la conversation et 37 % proposent souvent à leur correspondant de les rappeler, souvent voire systématiquement (24). La baisse des tarifs des appels fixe vers mobile ou l'inclusion des communications fixe vers mobile dans les forfaits des opérateurs fixes devraient ainsi par exemple assouplir et développer les usages sous-jacents, pour une meilleure satisfaction des consommateurs.

Un impact limité sur les « petits consommateurs »

A première vue, cette réorganisation de la structure tarifaire, et notamment la diminution des subventions croisées entre consommateurs, pourrait pénaliser les clients qui émettent globalement moins d'appels qu'ils n'en reçoivent (clients dits « asymétriques »). En effet, en analyse statique, les offres concernant ces clients seront moins rentables pour les opérateurs, lesquels pourraient alors avoir une incitation à augmenter leurs tarifs ou à délaisser ce segment de clientèle. Or, les clients plus fortement « asymétriques » sont plutôt les « petits consommateurs », c'est-à-dire les consommateurs émettant relativement peu d'appels et dont la facture est relativement basse.
Ce raisonnement est exposé par Orange Réunion et un second opérateur dans leurs réponses respectives à la consultation publique du 13 février 2009.
Les deux opérateurs étudient, par le biais de données internes à leurs entreprises respectives, l'impact d'une baisse de la terminaison d'appel mobile à 1c€/min sur la rentabilité d'un petit consommateur et celle d'un gros consommateur, à offres de détail inchangées. Ils concluent à une plus forte dégradation du revenu du petit consommateur.
Orange Réunion souligne par cet exemple « le fait que, la part de revenu liée à la TAM étant moins importante pour les gros consommateurs, la baisse de rentabilité est plus aisément maîtrisable pour l'opérateur qui a donc intérêt à encourager ce segment et à développer leurs usages ».
Ce même opérateur considère qu'« une baisse forte des TA mobiles a pour conséquence de réduire l'incitation économique des opérateurs à servir les petits consommateurs » et cite une étude du cabinet Frontier economics (25), qui affirme qu'à l'échelle de l'Union européenne « l'établissement des terminaisons d'appel mobile à 2 c€/min se traduirait par une baisse de la pénétration en Europe de 9 % ». Le second opérateur évoque quant à lui le risque potentiel de repositionnement commercial des opérateurs au détriment des petits consommateurs.
Les deux opérateurs soulignent par ailleurs que les offres adressant les petits consommateurs (prépayés, forfaits bloqués) sont majoritaires en outre-mer, comme le montre le suivi des indicateurs mobiles.
L'Autorité estime que les conclusions précédentes reposent sur une analyse statique du marché qui n'est pas adaptée. Il est nécessaire au contraire de raisonner en analyse dynamique.
De fait, l'adaptation des comportements des opérateurs mobiles aux conséquences du choix d'un nouveau concept de référence tarifaire n'a pas de raison d'être restreinte à une réaction à une simple baisse ou hausse des prix. Les opérateurs ont à leur disposition de multiples leviers d'ajustement pour s'adapter aux nouvelles conditions tarifaires sur les marchés de gros et restructurer leurs offres de détail. Outre le prix facial des offres, ils peuvent agir sur la durée de l'abonnement ou de la validité de la carte en entrant, sur l'équilibrage entre le prix à la minute des communications et celui de l'accès (une forme d'abonnement). Ils peuvent modifier leur politique de subventionnement des terminaux ou de distribution. Ils peuvent enfin modifier le système de marges sur l'ensemble de leurs offres, et non offre par offre.
Ainsi, le marché est en permanente adaptation, comme on a pu le voir au cours des années passées, où les précédentes baisses tarifaires de terminaison d'appel (plus de 60 % de baisse depuis 2005) ont été absorbées par le marché, sans entraîner une disparition des offres du « bas de marché », avec, à l'inverse, une hausse de la pénétration (hors saisonnalité) et le maintien du ratio prépayé/post-payé. En effet, dans la zone Antilles-Guyane, la part du prépayé dans le parc client a augmenté entre 2005 et 2008 passant de 35 % à 51 %. Quant à la zone Réunion-Mayotte, la part du prépayé dans le parc client est passé de 61 % à 54 % pour la même période.
L'Autorité constate également que les précédentes baisses des tarifs de terminaison d'appel n'ont pas eu d'effet sur la pénétration mobile, qui a augmenté sur la période. Le taux de pénétration actif en outre-mer est en effet passé de 76 % à 102 % entre mars 2005 et mars 2009. Il existe encore aujourd'hui des relais de croissance sur la 3G, qui aideront le marché à absorber un changement des conditions tarifaires sur les marchés de gros.
Au demeurant, alors qu'aujourd'hui les « petits consommateurs » paient leurs consommations à la minute à un prix relativement élevé au regard de la moyenne du marché compte tenu de l'abonnement implicite intégré dans les tarifs des communications, il n'est pas exclu qu'une grande partie d'entre eux pourraient au contraire bénéficier d'une nouvelle structure d'offre fixant explicitement une facturation périodique minimum pour rémunérer l'accès au réseau, associée à un prix à la minute de la communication beaucoup plus faible, ce qui pourrait de fait leur permettre de consommer plus de minutes sortantes pour une dépense donnée.
L'Autorité note à cet égard que les opérateurs n'ont pas intérêt à ce que la pénétration baisse et devraient, sous réserve de leur capacité à segmenter, ajuster leurs offres de manière à ce que tout client leur apportant une marge positive, même avec une rentabilité inférieure, reste sur le marché (26), de manière à participer au financement des coûts fixes du réseau.
Orange Réunion considère d'ailleurs que « le rythme de baisse des TA mobiles est un élément déterminant pour assurer une juste restitution des gains de productivité du réseau bénéficiant à la fois aux gros consommateurs et aux petits consommateurs ».

Le tarif de terminaison d'appel n'a pas vocation
à être un outil de politique redistributive

Orange Réunion et un second opérateur mettent en avant le fait que les petits consommateurs sont principalement des personnes aux revenus modestes. Orange Réunion s'appuie sur une étude réalisée par IPSOS en octobre 2008 permettant de faire le lien entre la catégorie socioprofessionnelle et le type d'offre mobile souscrit par les clients.
Ainsi, Orange Réunion souligne que « les personnes dont le pouvoir d'achat est le plus faible et qui ont majoritairement choisi des offres entrée de marché pourraient être les premiers touchés par une éventuelle augmentation des tarifs de détail mobile ».
L'Autorité souligne qu'en tout état de cause, si les niveaux des tarifs de terminaison d'appel actuels avaient pour conséquence de permettre à une partie de clients modestes d'accéder au marché de la téléphonie mobile via la subvention des consommateurs « asymétriques » par les plus gros consommateurs, cela n'est pas l'objectif de la régulation tarifaire de la terminaison d'appel. Celle-ci vise à soutenir une concurrence loyale entre opérateurs et permettre le développement efficace des marchés au bénéfice des consommateurs. Elle répond donc à une problématique concurrentielle et économique et n'est pas adaptée pour répondre à une problématique de redistribution.
De fait, une politique redistributive indirecte via le niveau des tarifs de terminaison d'appel, visant à subventionner les revenus modestes, ne serait pas efficace en ce qu'elle n'atteindrait qu'une partie de la cible visée, et subventionnerait à l'inverse des personnes n'étant pas dans la cible. Enfin, une politique de tarifs de terminaison d'appel hauts maintiendrait les problèmes concurrentiels, biaiserait les consommations et limiterait le développement du marché, et serait donc inefficace économiquement.
L'introduction de tarifs sociaux en téléphonie mobile constituerait à ce titre une politique redistributive efficace car ciblant directement les revenus modestes, sans par ailleurs induire les problématiques concurrentielles, détaillées plus haut, liées à une tarification de la terminaison d'appel supérieure à ses coûts incrémentaux.
L'Autorité note par ailleurs que l'article 111 de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (27) permet l'établissement d'une convention entre l'Etat et les opérateurs mobiles qui proposeraient des tarifs sociaux aux personnes ayant un revenu modeste.
L'Autorité note également le lancement récent par Orange France en métropole d'une offre mobile à bas prix à destination des bénéficiaires du revenu de solidarité active.

(22) Source : ARCEP, Observatoire des marchés, T4 2008. (23) Source : ARCEP, Observatoire des marchés, T4 2008. (24) Source : enquête IPSOS pour le compte de l'ARCEP auprès d'usagers mobiles, novembre 2007. Réponses à la question : « Lorsqu'un proche vous appelle sur votre téléphone mobile depuis son téléphone fixe, cherchez-vous à limiter ses frais en écourtant la conversation ? » et à la question : « Lorsqu'un proche vous appelle sur votre téléphone mobile depuis son téléphone fixe, cherchez-vous à limiter ses frais en proposant de le rappeler ? » (25) Assessing the impact of lowering Mobile TRs, juillet 2008. (26) Dans la mesure où leur capacité à discriminer les différentes catégories de clientèle n'est pas remise en cause. (27) Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, publiée au Journal officiel de la République française n° 181 du 5 août 2008, page 12471. Son article 111 a introduit au CPCE un article L. 33-9 ainsi rédigé : « Une convention entre l'Etat et les opérateurs de téléphonie mobile détermine les conditions dans lesquelles ceux-ci fournissent une offre tarifaire spécifique à destination des personnes rencontrant des difficultés particulières dans l'accès au service téléphonique en raison de leur niveau de revenu. »

2.4.2. La tarification de la terminaison d'appel en référence aux coûts incrémentaux permet le rétablissement d'une concurrence saine entre les acteurs sans réduire les incitations à l'investissement, y compris en matière de couverture du territoire
Ainsi qu'il a été développé au chapitre 2.2, une régulation du tarif de terminaison d'appel en référence aux coûts incrémentaux devrait limiter les distorsions de concurrence entre opérateurs mobiles, ainsi qu'entre opérateurs mobiles et fixes.
Ainsi, la concurrence ne sera plus faussée au détriment des plus petits opérateurs mobiles et des opérateurs fixes, ce qui devrait stimuler le jeu concurrentiel sur le marché mature de la voix, les petits opérateurs pouvant être agressifs commercialement sans participer au financement des coûts fixes ou des inefficacités de leurs concurrents, et stimuler le développement d'offres d'abondance et de convergence, qu'elles soient techniques ou commerciales.

Un rééquilibrage sain des flux financiers entre opérateurs

Le passage aux coûts incrémentaux diminue également fortement la distorsion de concurrence entre opérateurs fixes intégrés et opérateurs fixes non intégrés, puisque actuellement les premiers peuvent internaliser en partie leurs soldes d'interconnexion fixe mobile et ainsi moins subir le niveau élevé des tarifs de terminaison d'appel mobile en coûts complets.
Mediaserv partage l'analyse de l'Autorité et « se félicite de la prise en compte, bien que tardive, de cette réalité qui obère le développement des opérateurs fixes et favorise indûment les opérateurs horizontalement intégrés ».
Par ailleurs, le passage aux coûts incrémentaux limite les flux financiers versés par les petits opérateurs, très asymétriques en matière de trafic, aux gros opérateurs, aux stricts coûts supportés par les gros opérateurs pour terminer leur trafic. Cette nouvelle référence diminue ainsi la distorsion de concurrence entre petits et gros opérateurs mobiles.
Ainsi, Outremer Telecom souligne, dans sa contribution à la consultation publique lancée le 13 février 2009, que les niveaux actuels de terminaison d'appel vocal ne sont pas satisfaisants pour le développement d'offres d'abondance car les offres d'abondance on net « conduisent surtout, lorsqu'elles sont combinées à des parts de marché initiales asymétriques, à un déséquilibre du jeu concurrentiel via des effets clubs pénalisant artificiellement les petits opérateurs.[...] afin d'échapper au cercle vicieux de ces effets clubs, l'opérateur de petite taille ne peut répliquer de manière pertinente qu'avec des offres d'abondance à la fois on net et off net. Mais alors les déficits de solde d'interconnexion qu'elles entraînent mécaniquement, sont non seulement susceptibles de peser sur sa viabilité économique mais constituent une rente au profit de ses concurrents les autorisant à une plus grande agressivité concurrentielle ».

La tarification de la terminaison d'appel en référence aux coûts
incrémentaux n'aura pas d'impact négatif sur l'investissement

Inversement, un opérateur considère qu'« une terminaison d'appel élevée constitue un signal économique fort incitant les acteurs économiques à investir pour développer les usages (développement de la couverture pour acquérir du trafic supplémentaire, qualité de service, amélioration de l'ergonomie des terminaux, subvention des terminaux, etc.) ». Pour cet opérateur, la baisse de la terminaison d'appel mobile induite par le changement de référence de coûts est de nature à remettre en cause la vitesse et le dynamisme des investissements, notamment dans la couverture 3G, technologie lancée récemment, dans le renouvellement de la couverture 2G.
L'Autorité ne partage pas cette analyse et considère au contraire qu'une régulation des terminaisons d'appel mobile en référence aux coûts incrémentaux permet de rétablir les bons signaux économiques permettant des investissements efficaces et une utilisation efficace des ressources, en particulier du spectre.
En outre, une tarification en référence aux coûts incrémentaux rémunère les opérateurs pour les coûts d'investissement induits par la fourniture de la terminaison d'appel. Il n'y a donc pas de phénomène de passager clandestin.
En particulier, en matière de couverture du territoire, l'Autorité considère que le passage aux coûts incrémentaux ne va pas diminuer l'incitation des opérateurs à couvrir le territoire. En effet, le niveau de couverture est un élément capital pour l'image des opérateurs et qui influence en tout premier lieu les consommateurs dans le choix des offres de téléphonie mobile.

Conclusion du chapitre

Au regard des développements précédents et comme annoncé dans sa décision n° 07-0811, l'Autorité fait évoluer les références pertinentes de coûts de façon à mieux prendre en compte les nouvelles problématiques concurrentielles qui se posent et à mieux les harmoniser avec celles retenues pour la terminaison d'appel fixe, afin notamment de mettre en œuvre une meilleure cohérence de la régulation des marchés fixes et mobiles dans une logique de convergence.
Ainsi, elle considère que les coûts pertinents devant servir de référence à la fixation des plafonds tarifaires au titre de l'obligation d'orientation des tarifs vers les coûts de la prestation de terminaison d'appel vocal correspondent aux coûts incrémentaux induits par la fourniture du service de terminaison d'appel dans son ensemble. Il s'agit en effet de la référence en coûts correspondant au signal efficace au regard des objectifs de l'Autorité fixés à l'article L. 32-1 du CPCE, tel qu'analysé ci-dessus. En particulier, le niveau optimal à terme de tarification de la terminaison d'appel est un niveau orienté vers les coûts incrémentaux, en ce qu'il permet le développement d'une concurrence saine et loyale entre les opérateurs mobiles et qu'il entraîne une réorganisation efficace du marché globalement au bénéfice des consommateurs.
Cette approche est cohérente avec la démarche retenue en métropole et avec la recommandation de la Commission européenne sur la régulation des services de terminaison d'appel fixe et mobile dans l'Union européenne adoptée le 7 mai 2009.
Si le signal efficace correspond à des tarifs du service de terminaison d'appel reflétant les coûts incrémentaux, l'Autorité estime cependant, comme développé ci-après, qu'une application brutale du changement de concept risquerait d'être contre-productive. Une période de transition de plusieurs années vers les coûts incrémentaux de long terme doit être mise en place de manière pragmatique en cohérence avec les spécificités du secteur mobile d'outre-mer et les évolutions du cadre européen. Cela apparaît nécessaire pour laisser au marché le temps de s'adapter.