1.2. Délimitation des marchés en termes géographiques
Il est rappelé au point 56 des « lignes directrices » susvisées que, « selon une jurisprudence constante issue du droit de la concurrence, le marché géographique pertinent peut être défini comme le territoire sur lequel les entreprises concernées engagées dans la fourniture ou la demande des produits ou services sont exposées à des conditions de concurrence similaires ou suffisamment homogènes et qui se distingue des territoires voisins sur lesquels les conditions de concurrence sont sensiblement différentes ».
Concrètement, deux principaux critères permettent, selon les lignes directrices de la Commission, de procéder à la délimitation géographique des marchés de communications électroniques : d'une part, le territoire effectivement couvert par les réseaux, d'autre part, l'existence d'instruments de nature juridique conduisant en pratique à distinguer telle ou telle zone géographique ou, au contraire, à considérer que le marché est de dimension nationale.
1.3. La pertinence des marchés
L'article L. 37-1 du code des postes et des communications électroniques dispose que l'Autorité doit définir les marchés, « au regard notamment des obstacles au développement d'une concurrence effective ».
Ainsi, pour qualifier de pertinent un marché au regard de la régulation sectorielle, il convient de mener une analyse concurrentielle de ce marché.
L'Autorité a tenu le plus grand compte de la recommandation « marchés pertinents » susvisée et des lignes directrices de la Commission dans l'élaboration de son analyse de marché.
Pour définir les marchés de la terminaison d'appels sur les réseaux mobiles pouvant être considérés pertinents pour une régulation ex ante, la recommandation de la Commission s'appuie sur trois critères définis par sa recommandation :
- la présence de barrières à l'entrée élevées et non provisoires ;
- l'absence d'évolution vers une situation de concurrence effective ;
- l'efficacité insuffisante du droit de la concurrence.
L'Autorité considère, conformément au paragraphe 36 des lignes directrices de la Commission susvisées, que, s'agissant d'un marché recensé par la Commission, il ne lui est pas nécessaire de démontrer à nouveau les éléments qui ont déjà été pris en compte par la Commission dans sa recommandation et sur lesquels l'Autorité porte la même appréciation. La recommandation précise en effet que ces critères doivent être réexaminés par les autorités réglementaires nationales lorsqu'elles recensent des « marchés qui ne figurent pas dans la recommandation ».
Toutefois, conformément à l'article L. 37-1, elle s'attachera, dans le cadre de la présente analyse, à démontrer le caractère pertinent des marchés identifiés.
- Analyse de la substituabilité
2.1. Les différents modes de substitution
2.1.1. Point de départ de l'analyse
La présente décision analyse le marché de la terminaison d'appel vocal sur le réseau téléphonique public mobile de la société Outremer Telecom, à destination des clients de ce dernier.
La délimitation du marché pertinent correspondant doit partir du marché le plus petit possible, à savoir la terminaison d'un appel vocal à destination d'un abonné spécifique de l'opérateur mobile considéré. Il est ensuite nécessaire d'examiner la substituabilité du côté de la demande et du côté de l'offre afin de déterminer quel est l'ensemble des produits substituables.
Le produit de départ de l'analyse est la terminaison d'appel vocal sur le réseau téléphonique public mobile GSM de l'opérateur M, depuis le réseau téléphonique public de l'opérateur O, l'appelant étant A et l'appelé B.
2.1.2. Architecture technique de l'offre d'interconnexion
de l'opérateur Outremer Telecom
Le descriptif de l'architecture d'interconnexion de l'opérateur Outremer Telecom permet d'appréhender la substituabilité du côté de l'offre.
A ce jour, France Telecom est le seul opérateur ayant signé une convention d'interconnexion avec Outremer Telecom et étant ainsi directement interconnecté avec ce dernier. Outremer Telecom a transmis à l'Autorité la convention d'interconnexion signée avec France Telecom le 29 avril 1998.
Il en ressort que, pour faire acheminer son trafic, un opérateur tiers réserve de la capacité sur le réseau d'Outremer Telecom. Dans ce cadre, cet opérateur tiers doit fournir ses prévisions de trafic afin qu'Outremer Telecom puisse déterminer les capacités d'interconnexion en termes de blocs primaires de numéros (BPN). Concernant Outremer Telecom, la redevance annuelle de cette prestation de raccordement logique pour un BPN est de 7 317,55 EUR HT. A ce tarif s'ajoute le paiement d'une terminaison d'appel vocal pour chaque appel abouti sur le réseau d'Outremer Telecom.
Afin que l'ensemble des abonnés d'Outremer Telecom soit atteint, l'opérateur désigne des points d'interface appelés Point Opérateur de Présence Entrant (POPE) pour chaque département d'outre-mer couvert par une autorisation GSM. Ces points d'interconnexion sont donc situés en Martinique, Guadeloupe, Guyane et à la Réunion.
Enfin, concernant le raccordement physique, l'opérateur demandeur prend en charge les prestations de raccordement entre son réseau et celui d'Outremer Telecom pour l'écoulement du trafic. Dans ce cadre, Outremer Telecom donne accès à ses locaux.
2.1.3. La terminaison des appels fixe vers mobile
et mobile vers mobile correspond à un même service de gros
La terminaison d'appel sur le réseau mobile depuis un réseau fixe et celle depuis un réseau mobile correspondent à un même service de gros. Les deux sont certes achetées par deux types d'acheteurs différents (les opérateurs fixes et les opérateurs mobiles), mais il s'agit néanmoins d'un même service puisqu'il s'agit techniquement de la même prestation, qu'il répond à un même besoin et qu'il est soumis à des contraintes concurrentielles équivalentes (principe du paiement par l'appelant).
Le fait que l'opérateur mobile de départ soit, à la différence d'un opérateur fixe, en concurrence directe avec l'opérateur offrant la terminaison ne démontre pas une hétérogénéité suffisante des contraintes concurrentielles sur le marché de gros : dans tous les cas, il s'agit avant tout de relations de terminaison d'appel entre opérateurs de boucle locale et une terminaison élevée sur un réseau mobile se traduit par des coûts de revient plus élevés pour l'opérateur de départ, qu'il soit opérateur fixe ou mobile.
Comme pour ses décisions précédentes relatives aux marchés de la terminaison d'appel mobile en métropole et en outre-mer, l'Autorité estime qu'il convient d'inclure dans un même marché l'ensemble des terminaisons quelle que soit l'origine fixe ou mobile car il s'agit de services techniquement identiques, soumis à des contraintes concurrentielles suffisamment homogènes.
2.1.4. Deux niveaux de substituabilité par la demande
Sur un marché de gros, il peut exister deux niveaux de substituabilité du service considéré :
- une substitution par un autre service de gros : il s'agit d'examiner l'ensemble des services de gros qui s'offrent à un opérateur pour fournir un même service de détail et d'étudier la substituabilité des services entre eux.
- une substitution sur le marché de détail du service auquel est associé le produit de gros considéré. Le comportement du client final sur le marché de détail peut avoir des implications indirectes sur le marché de gros analysé, que ce soit sur sa définition ou son fonctionnement.
Le service de terminaison considéré ici est associé à deux services de détail, les communications voix « fixe vers mobile » et les communications « mobile vers mobile tiers ».
L'étude commence par l'analyse de la substituabilité sur le marché de gros, puisque, à une augmentation substantielle du tarif de terminaison, c'est d'abord sur le marché de gros que peut s'opérer une substitution.
2.2. Analyse de la substituabilité du côté de la demande
sur le marché de gros
Un opérateur, fixe ou mobile, devant terminer un appel à destination d'un abonné d'un opérateur mobile GSM pourrait utiliser différents produits de gros :
- l'offre d'interconnexion de l'opérateur mobile, utilisant son réseau GSM ;
- des hérissons ou mobile box ;
- le reroutage par l'international ;
La délimitation du marché de gros doit passer par l'analyse de la substituabilité de ces différents produits, en supposant que le marché contient au minimum l'offre d'interconnexion.
2.2.1. Non-substituabilité de la terminaison d'appel
sur un autre réseau mobile
La terminaison d'appel sur un autre réseau mobile M' ne peut pas être un substitut pour M. En effet, puisqu'il s'agit d'atteindre in fine l'appelé B sur le réseau M, le seul moyen pour l'opérateur M de fournir à l'opérateur de l'appelé (B) le produit souhaité est de lui-même acheter la terminaison d'appel sur le réseau de M. Les charges de terminaison d'appel étant supposées non discriminatoires, M' paiera la même charge que l'opérateur O directement. L'opérateur O n'a donc aucun intérêt à passer par M'.
En cas d'existence d'un opérateur mobile virtuel M'', il n'y aurait pas non plus de substituabilité, car l'opérateur mobile virtuel M'' devrait, tout comme l'opérateur M', acheter une terminaison d'appel vocal à l'opérateur mobile M.
2.2.2. Substituabilité des appels par le biais de hérissons
Définitions des hérissons
Les hérissons sont des batteries de téléphones mobiles, utilisés principalement pour les appels fixe vers mobile, permettant de contourner la terminaison d'appel en utilisant des communications mobile-mobile. Ces dispositifs ont été utilisés par des entreprises et par des opérateurs, essentiellement en métropole. Toutefois, de façon prospective, il y a lieu de les prendre en considération pour l'outre-mer compte tenu de la possibilité technique de déployer ce type de solution.
Substituabilité des appels par le biais des hérissons
En métropole, à une certaine période, les hérissons se sont, de fait, partiellement substitués à la terminaison d'appel. Ils s'avèrent donc être un produit potentiellement substituable. Comme indiqué en section 2.7.2.8 et 2.9, l'Autorité considère que, pour la zone Antilles-Guyane, les hérissons ne sont pas un substitut pleinement efficace à la terminaison d'appel.
2.2.3. Substituabilité des terminaisons d'appel
depuis un réseau national et depuis un réseau international
Si l'opérateur de l'appelant est un opérateur fixe ou mobile, il a pu profiter pendant de nombreuses années d'une situation historique où la terminaison d'appel sur un réseau mobile émis depuis un réseau international était facturée moins chère qu'une terminaison au départ d'un réseau national. Ce système résultait du fait que les opérateurs de transit internationaux acquittaient un tarif de terminaison d'appel indépendamment du type de boucle locale de terminaison pour des raisons historiques. En France, l'opérateur prenant en charge le trafic de terminaison d'un opérateur étranger facturait un prix de terminaison identique, que l'appel se termine sur un réseau mobile ou un réseau fixe. Ce tarif était basé sur les coûts d'une terminaison d'appel sur une boucle locale fixe.
Si la terminaison d'appel depuis un réseau national devient plus chère que la terminaison d'appel depuis un réseau international, l'opérateur de l'appelant reroutera son trafic par l'international pour bénéficier du tarif plus avantageux.
Inversement, si la terminaison d'appel depuis un réseau international devient plus chère que la terminaison d'appel depuis un réseau national, l'opérateur de l'appelant étranger reroutera son trafic par l'intermédiaire d'un opérateur français pour bénéficier du tarif plus avantageux.
Ce cas de figure s'est produit jusqu'en 2002 où le tarif international était substantiellement inférieur à celui du national. Dans sa décision n° 04-D-48 en date du 14 octobre 2004 relative à des pratiques mises en oeuvre par France Télécom, SFR, Cegetel et Bouygues Telecom, le Conseil de la concurrence confirme ce point en observant que : « Le reroutage constitue pourtant une alternative possible au paiement de la CTA en provenance d'un fixe en la remplaçant par la CTA en provenance de l'étranger, ce que le gestionnaire du réseau GSM terminant l'appel ne peut détecter. »
Il y a donc substituabilité entre terminaison d'appel depuis un réseau national et terminaison d'appel depuis un réseau étranger.
2.3. Analyse de la substituabilité du côté de la demande
sur les marchés de détail
Il est probable que l'augmentation du prix de la terminaison d'appel de l'opérateur mobile entraînerait une augmentation du prix des communications de détail fixe-mobile ou mobile vers mobile tiers d'un montant équivalent. Il est probable que l'opérateur fixe ou mobile répercute cette augmentation sur son client de détail afin de maintenir sa rétention et donc son niveau de rentabilité.
Il s'agit alors de mieux comprendre le comportement de l'appelant si le prix de la terminaison d'appel de l'opérateur mobile considéré augmentait fortement, et donc par conséquent le prix de la communication de détail fixe vers mobile ou mobile vers mobile tiers. Les deux sections suivantes analysent le comportement de l'appelant face, d'une part, à une hausse du prix des appels fixe vers mobile et, d'autre part, à une hausse du prix des appels mobile vers mobile tiers.
2.4. Comportement de l'appelant face à une hausse
des appels fixe vers mobile
Différents types de substitution sont envisageables :
- substitution par un appel mobile vers mobile ;
- substitution par un appel au départ du fixe vers un autre réseau mobile ;
- substitution par un appel au départ du fixe vers un réseau fixe ;
- substitution par un SMS ;
- substitution par de la voix sur IP.
2.4.1. Non-substituabilité d'un appel mobile vers mobile
Il ne serait pas avantageux pour l'appelant d'utiliser un appel off-net depuis un réseau mobile vers le réseau mobile considéré. En effet, l'opérateur mobile de départ sera soumis à la même charge de terminaison d'appel que l'opérateur fixe, et il est donc peu probable que l'opérateur mobile de départ propose un tarif off-net plus avantageux que l'appel fixe-mobile de A puisque les coûts de terminaison sont les mêmes et que les coûts de collecte sont généralement bien plus importants pour un réseau mobile.
Pour que l'appelant puisse utilement substituer un appel fixe-mobile par un appel on-net, il faut que celui-ci connaisse le réseau de l'appelé et qu'il soit client du même réseau. La probabilité que l'appelé soit client du même opérateur est en première approximation égale à la part de marché de cet opérateur. L'appelant n'a aucun moyen simple de connaître l'opérateur de l'appelé s'il n'est pas un proche de celui-ci ou un spécialiste des télécoms. La portabilité des numéros rend encore plus compliquée la connaissance de l'opérateur de l'appelé.
En outre, la qualité d'une communication mobile-mobile est inférieure à celle d'une communication fixe-mobile (4), et l'appelant n'est pas forcément dans une zone de couverture du réseau de l'opérateur A.
L'Autorité considère finalement que le caractère substituable d'un appel mobile-mobile vers l'appelant A n'est donc pas suffisant pour inclure ce produit dans le marché étudié, bien qu'il existe une porosité réelle mais limitée entre l'usage des deux produits. Cette analyse est confortée par celle du Conseil de la concurrence, dans le cadre de son avis du 14 octobre 2004 (5) :
« Le Conseil de la concurrence observe, à l'instar de l'Autorité, que, pour l'ensemble des autres types d'appels, la possibilité d'une substitution est peu probable, comme le révèle notamment la différence substantielle des prix. Par exemple, il est peu probable qu'un appel F/F soit substituable à un appel M/M. »