III-B. - Analyse de l'Autorité
Deux types d'indicateurs, quantitatifs et qualitatifs, permettent de caractériser l'état de la concurrence et d'évaluer l'influence exercée par les différents acteurs positionnés sur le marché analysé.
III-B-1. Indicateurs quantitatifs
L'ensemble des accès large bande DSL produits par les opérateurs est destiné à être commercialisé in fine sur les marchés de détail, résidentiel et professionnel. Pour cela, quel que soit l'opérateur, la chaîne de valeur du haut débit est constituée de la boucle locale, équipée pour l'ADSL, à laquelle s'ajoutent plusieurs composantes :
- une prestation de collecte depuis le DSLAM jusqu'à un niveau régional ;
- une prestation de collecte depuis un niveau régional jusqu'à un point national ;
- dans le cas où la prestation fournie est l'accès à Internet, une prestation de connectivité Internet.
Un accès large bande DSL produit par un opérateur donné, à savoir l'opérateur qui possède la boucle locale ou un opérateur ayant recours au dégroupage, peut être vendu sur le marché de détail par ce même opérateur, qui contrôle alors le produit de bout en bout, ou bien cédé à un autre opérateur ou fournisseur d'accès à Internet à un niveau intermédiaire de la chaîne de valeur (régional ou national).
Dans le cadre de la présente décision, l'Autorité relève que chaque opérateur, historique ou alternatif, peut produire deux types d'accès large bande DSL :
- des accès DSL cédés au niveau régional à un opérateur tiers, qui complétera l'accès régional avec ses propres prestations complémentaires pour proposer des offres intégrées sur les marchés avals (marché des offres nationales ou marchés de détail) ;
- des accès DSL qui ne donneront lieu à aucune transaction marchande au niveau régional et qui constituent sa production interne.
Conformément à l'avis n° 2005-A-03 du Conseil de la concurrence susvisé, s'appuyant sur une jurisprudence constante, il convient de ne pas retenir la production interne d'une entreprise dans l'évaluation de sa part de marché. Par conséquent, il convient de calculer stricto sensu les parts de marché des entreprises avant d'étudier lors de l'analyse des critères qualitatifs les effets éventuels de la production interne de ces entreprises.
Dans cette perspective, l'évaluation de la part de marché des acteurs positionnés sur le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional doit considérer deux types d'accès :
- les accès DSL produits par France Télécom et livrés au niveau régional à un opérateur ou à un fournisseur d'accès à Internet alternatif ; et
- les accès DSL produits par les opérateurs dégroupeurs et livrés au niveau régional à un opérateur ou à un fournisseur d'accès à Internet tiers.
Au 1er janvier 2005, l'Autorité estime que France Télécom détenait 93 % de part du marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional sur le segment résidentiel et les 7 % du marché détenus par ses concurrents correspondaient à des accès construits au moyen du dégroupage. La part de marché de France Télécom était de 100 % en janvier 2004.
Les offres régionales concurrentes de celles de l'opérateur historique ne peuvent être produites que sur la base du dégroupage, si bien qu'en zone non dégroupées, concernant environ 50 % de la population, France Télécom demeure l'unique offreur.
En zones dégroupées, les opérateurs disposant d'un réseau ont principalement recours au dégroupage et ils revendent presque exclusivement aux FAI sans réseau des offres livrées au niveau national. Ainsi, le marché concurrentiel pour les offres régionales est limité.
Pour ces raisons, il est très peu probable que les accès régionaux produits par des opérateurs alternatifs et commercialisés sur le marché libre représentent, dans un avenir proche ou à l'horizon 2007-début 2008, plus de 50 % du marché.
Il apparaît donc que France Télécom détiendrait encore à l'horizon de la présente analyse une part de marché significative.
III-B-2. Critères qualitatifs
Le calcul des parts de marché n'est pas suffisant pour évaluer la situation concurrentielle du marché. Il est en effet utile de compléter cette mesure chiffrée par une analyse approfondie des caractéristiques économiques du marché pertinent, avant de conclure à l'exercice par un opérateur d'une influence significative sur le marché.
Dans l'analyse qui suit, l'Autorité a retenu, parmi les critères qualitatifs évoqués par la Commission européenne dans ses lignes directrices sur l'analyse des marchés, ceux qu'elle estime être les plus pertinents pour la désignation de l'opérateur puissant dans le cas particulier du marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional.
III-B-2-a. La taille de l'entreprise et le contrôle
d'une infrastructure qu'il n'est pas facile de dupliquer
Au 1er janvier 2005, on estime que plus de 6 000 répartiteurs ont été équipés de DSLAM par France Télécom. L'opérateur historique déclare couvrir potentiellement près de 90 % de la population en ADSL (18).
Les opérateurs alternatifs quant à eux proposent des offres d'accès large bande livrées au niveau régional en se fondant sur le dégroupage. Ces offres sont de fait limitées, d'un point de vue géographique, aux zones dégroupées. Au 1er janvier 2005, près de 900 répartiteurs ont été livrés par France Télécom aux opérateurs alternatifs, leur permettant ainsi de couvrir environ 50 % de la population métropolitaine.
France Télécom détient donc à ce jour une position unique et incontournable sur le marché du haut débit en raison de l'étendue de sa couverture géographique.
En suivant une approche plus prospective, on peut estimer que France Télécom bénéficie d'une avance de plus de trois ans sur les opérateurs alternatifs dans le déploiement d'un réseau ADSL d'envergure nationale, comme le montre le tableau en page 13 de la présente décision.
France Télécom a en outre annoncé être en mesure de couvrir 96 % de la population fin 2005 et aura équipé en DSL l'ensemble de ses répartiteurs dans le courant de l'année 2006. L'évolution des zones dégroupées dans les mois et les années à venir, et à tout le moins à l'horizon de l'analyse, reste quant à elle encore incertaine.
L'extension du dégroupage est en effet longue et coûteuse. Chaque nouveau répartiteur doit être aménagé pour héberger les équipements spécifiques. S'agissant des coûts de collecte, un opérateur alternatif ayant recours au dégroupage doit consentir des investissements correspondant au déploiement d'infrastructures suffisamment capillaires pour atteindre les répartiteurs dégroupés.
Ces coûts fixes sont assez largement indépendants de la taille du répartiteur dégroupé, dans la mesure où le génie civil mis en oeuvre pour étendre le réseau vers un répartiteur, en tant qu'il représente le principal inducteur de coût, ne dépend pas de la taille du répartiteur. L'Autorité estime ainsi qu'un opérateur alternatif qui souhaite dégrouper 300 répartiteurs doit investir globalement entre 100 et 150 millions d'euros.
Or l'observation de la taille des répartiteurs montre que l'extension de couverture obtenue par l'ouverture de 300 répartiteurs supplémentaires au dégroupage est de plus en plus réduite. A titre d'illustration, les 900 premiers répartiteurs couvrent près de la moitié de la population, soit autant que les 11 100 répartiteurs suivants.
Dans ces conditions, un opérateur alternatif qui souhaite étendre sa zone de dégroupage est amené à dégrouper des répartiteurs de plus en plus petits, et donc à amortir des coûts fixes sur un nombre de plus en plus réduit de clients. Le coût par abonné du dégroupage croît donc fortement avec l'extension géographique du dégroupage.
Ainsi, l'extension de la couverture d'un opérateur par le dégroupage est de moins en moins rentable. Il existe de ce fait probablement une limite structurelle à la rentabilité, et par voie de conséquence à l'extension du dégroupage.
Au vu de ce qui précède, il apparaît que la couverture géographique du réseau DSL de France Télécom rend l'opérateur actuellement incontournable sur près de la moitié de la population. En outre, cette infrastructure DSL apparaît, à l'horizon de l'analyse, difficilement duplicable par un opérateur alternatif ayant recours au dégroupage.
L'Autorité rappelle par ailleurs que la boucle locale de cuivre a été qualifiée de facilité essentielle par le Conseil de la concurrence à de nombreuses reprises (cf. avis n° 2004-A-01 du 8 janvier 2004 relatif à une demande d'avis de l'AFORS sur les principes généraux des relations contractuelles entre les utilisateurs et les différents acteurs du dégroupage, ou encore l'avis n° 2005-A-03 du 31 janvier 2005 susvisé).
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