JORF n°0228 du 18 septembre 2020

Le comité de règlement des différends et des sanctions est saisi par la société Parc Eolien de Peyrelevade Gentioux (ci-après « société PEPG ») des faits suivants.
La société PEPG exploite un parc éolien de six éoliennes d'une puissance maximale installée de 9 000 kW, sur le territoire de la commune de Peyrelevade (19290) au lieu-dit Neuvialle.
Le 3 décembre 2003, la convention de raccordement a été signée entre la société PEPG et la société EDF Réseau Distribution. Elle prévoit le raccordement du poste de livraison dénommé Eolien Neuvialle au poste source Faux-la-Montagne par l'intermédiaire d'une liaison souterraine dédiée d'une longueur de 10, 670 km.
Le 29 novembre 2004, un contrat d'accès transitoire n° 83203 au réseau public de distribution HTA en vue d'une injection a été élaboré entre la société PEPG et la société EDF Réseau Distribution.
Le 3 décembre 2004, le poste de livraison de la société PEPG a été raccordé au réseau public de distribution de l'électricité HTA, pour une puissance de raccordement de 9 MW.
En 2007, la société PEPG et la société EDF Réseau Distribution ont signé le contrat d'accès au réseau public de distribution de l'électricité n° 832003 (CARD-I) pour le site Parc éolien de Peyrelevade-Gentioux.
Le 21 mars 2018, un incident résultant de travaux entrepris par la société EPS, mandatée par la société Orange, s'est produit sur le réseau, entraînant pour la société PEPG une coupure d'accès au réseau public de distribution de l'électricité du 21 mars 2018 à 8 h 05 au 23 mars à 15 h 02.
Le même jour, un « camion laboratoire » a été dépêché sur les lieux du dommage par la société Enedis pour identifier la faille ayant conduit à l'interruption de l'injection.
Le 22 mars 2018, des travaux de « fouille » ont été entrepris par la société Enedis sur le site et ont permis de constater la détérioration du câble HTA sur deux phases.
Le 23 mars 2018, la société EPS a constaté le dommage causé sur le réseau HTA souterrain au niveau du poste de source Faux-la-Montagne et le câble a été réparé.
Par un courrier du 15 mai 2018, la société PEPG a demandé à la société Enedis l'indemnisation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de la coupure d'accès au réseau, ainsi que la prise en charge des pertes d'exploitation estimées à 10 870, 60 euros hors taxes.
Le 26 mai 2018, la société Enedis a indemnisé la société PEPG à hauteur de 2 800 euros au titre d'une « pénalité pour coupure longue ».
Par un courrier du 23 juillet 2018, la société Enedis a indiqué à la société PEPG que l'incident survenu ne pouvait pas faire l'objet d'une indemnisation, au motif que le seuil d'engagement de six coupures longues par an prévu au paragraphe 5.1.1 du CARD-I n'était pas dépassé.
Par un courrier en date du 23 octobre 2019, la société PEPG a mis en demeure la société Enedis de verser la somme de 14 985, 80 euros au titre de la prise en charge des frais et pertes consécutifs à la coupure du réseau intervenue le 21 mars 2018.
Par un courrier du 25 novembre 2019, la société Enedis a renvoyé la société PEPG à sa réponse du 23 juillet 2018.
Par un courrier en date du 16 décembre 2019, la société PEPG a renouvelé sa demande, estimant que la clause 5.1.1.2 du CARD-I n'était pas opposable, dès lors que la notion de durée maximale de coupure longue admissible n'a jamais été définie contractuellement, créant ainsi un déséquilibre significatif dans la relation contractuelle au profit du gestionnaire du réseau public de distribution.
Par un courrier du 30 janvier 2020, la société Enedis a réitéré son refus d'indemniser la société PEPG. Elle indique qu'aucune limite contractuelle n'était fixée concernant la durée d'une coupure longue et que d'une part, la clause en cause se retrouvait dans tous les contrat d'accès au réseau public de distribution en soutirage et en injection et d'autre part, que le contrat était le résultat d'une concertation avec les membres du comité des utilisateurs du réseau public d'électricité (CURDE).
C'est dans ces conditions que la société PEPG a saisi le comité de règlement des différends et des sanctions d'une demande de règlement de différend.
Par une saisine et un mémoire récapitulatif, enregistrés sous le numéro 03-38-20 les 19 mars 2020 et 5 juin 2020, la société PEPG, représentée par son représentant légal et ayant pour avocat Me Nicolas CASTELLAN, cabinet Castellan et associés, demande au comité de règlement des différends et des sanctions, dans le dernier état de ses écritures, de :

- dire que l'absence de définition contractuelle par Enedis de la durée maximale de coupure longue admissible contenue dans la clause d'engagement du distributeur sur la disponibilité du réseau hors travaux revient à donner un caractère purement discrétionnaire à la notion de longueur de la coupure et contrevient au principe de transparence du droit d'accès au réseau ;
- en conséquence, dire que la société Enedis a méconnu ses obligations relatives à l'accès au réseau résultant du contrat conclu avec la société PEPG ;
- dire que la société Enedis devra transmettre à la société PEPG un nouveau contrat d'accès au réseau public de distribution d'électricité en injection HTA, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, permettant d'assurer une totale transparence dans l'application des régimes de responsabilité « en cas d'interruption du réseau » ;
- dire que la société Enedis communiquera au comité le nouveau projet de contrat d'accès au réseau public de distribution d'électricité en injection HTA dans le même délai de six mois à compter de la notification de la présente décision ;
- enjoindre à la société Enedis à solliciter à ses frais auprès du tiers responsable de l'incident (Orange) et de son assureur (MMA), le règlement de la somme de 14 985, 80 euros HT au profit de la société PEPG, en réparation du préjudice subi du fait des conditions dans lesquelles l'accès au réseau a été interrompu du 21 mars 2018, 7 heures au 23 mars 2018, 15 heures, dans un délai de 30 jours à compter de la notification de la présente décision.

Sur la compétence du comité de règlement des différends et des sanctions, la société PEPG soutient que :

- le différend en cause est un différend technique et financier, relatif d'une part, à l'interruption de l'accès au réseau public de distribution d'électricité, et d'autre part, à un désaccord sur l'interprétation et l'exécution d'un contrat d'accès mentionné à l'article L. 111-91 du code, dont le comité peut connaître en application des articles L. 111-91, L. 134-19 et L. 134-20 du code de l'énergie ;
- la compétence du comité est expressément rappelée à l'article 10.9 du CARD-I.

Sur le fond, la société PEPG soutient que :

- pour pouvoir valablement opposer la clause 5.1.2 du CARD-I, la société Enedis aurait dû définir contractuellement la durée maximale de coupure longue admissible. En l'absence d'une telle définition, il est donné à la notion de longueur de la coupure un caractère purement discrétionnaire, créant un déséquilibre significatif dans la relation contractuelle au profit de la société Enedis ;
- la qualification de l'interruption survenue entre le 21 mars 2018 à 7 heures au 23 mars 2018 à 15 heures comme coupure longue >=3 min au sens de l'article 5.1.2 du CARD-I est abusive ;
- en vertu de l'article L. 332-8 4° du code de l'énergie, la société Enedis doit assurer dans des conditions objectives, transparentes, et non discriminatoires l'accès à ces réseaux ;
- le CARD-I ne permet pas d'assurer une totale transparence dans l'application des régimes de responsabilité « en cas d'interruption du réseau » ;
- la société Enedis a obtenu une indemnisation de son préjudice par l'assureur du responsable du dommage alors que la société PEPG n'a pas été indemnisée intégralement de son préjudice, en totale contradiction avec l'article 9.2 du CARD-I.

Par un mémoire en défense et un mémoire récapitulatif, enregistrés le 29 mai 2020 et le 19 juin 2020, la société Enedis, représentée par son représentant légal et ayant pour avocat Me Jérôme LEPEE, SELAS ADAMAS, demande au comité de règlement des différends et des sanctions, dans le dernier état de ses écritures, de rejeter l'ensemble des demandes de la société PEPG.
Sur la compétence du comité de règlement des différends et des sanctions, la société Enedis soutient que le comité de règlement des différends et des sanctions ne peut pas connaître de la demande indemnitaire formulée par la société PEPG.
Sur le fond, elle affirme qu'aucun manquement à ses obligations contractuelles résultant du CARD-I n'a été commis et que l'absence de définition de la notion de coupure longue admissible ne contrevient nullement au droit d'accès au réseau de la société PEPG dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires. A ce titre, elle soutient que :

- le réseau n'ayant pas subi plus de six coupures longues sur une année, les engagements contractuels d'Enedis ont été respectés ;
- l'absence de définition de la notion de coupure longue n'est pas discriminatoire, dans la mesure où les stipulations relatives à celle-ci sont appliquées de façon uniforme à l'ensemble des producteurs d'électricité, sur l'ensemble du territoire national relevant des concessions de la société Enedis. En outre, les modèles de CARD-I sont élaborés dans le cadre d'une concertation au sein du CURDE et sont communiqués à la CRE ;
- l'absence de définition de la notion de coupure longue est objective et transparente car justifiée techniquement, dès lors qu'il est matériellement impossible de prévoir un maximum de durée de coupure longue, qui peuvent résulter de nombreux aléas externes ;
- la société Enedis s'engage à mettre en œuvre tous les moyens pour limiter au minimum la durée des coupures susceptibles de résulter d'un incident ;
- l'absence de définition de la durée d'une coupure longue ne pourrait être considérée comme un manquement contractuel qu'en raison de son caractère anormal au regard des circonstances de l'espèce ;
- la société Enedis a respecté son obligation de moyens, dès lors qu'elle a mis en œuvre tous les moyens techniques à sa disposition pour identifier rapidement l'origine du dommage, alerter l'usager subissant la coupure et réaliser les travaux nécessaires, en tenant compte des contraintes techniques électriques attachées et des coûts associés ;
- l'article 9.2 du CARD-I n'était plus en vigueur au moment des faits, et, au demeurant, ces stipulations ne prévoient pas qu'Enedis appelle à la cause un tiers et son assureur pour indemniser la société PEPG.

Par une décision du 30 juin 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 juillet 2020 à 12 heures.
Par un courrier en date du 2 juillet 2020, une mesure d'instruction a été diligentée par le rapporteur auprès des sociétés PEPG et Enedis, afin de se faire communiquer avant le 8 juillet 2020 à 12 heures :

- l'intégralité des conditions générales du CARD-i signé entre les parties, soit le recto et le verso ;
- la convention d'exploitation pour le site de production raccordé au réseau public de distribution ;
- le contrat de raccordement électrique alimentant les auxiliaires de la centrale éolienne.

Par deux courriers électroniques en date du 7 juillet 2020, la société PEPG a répondu à la mesure d'instruction en transmettant :

- le contrat d'accès transitoire n° 83203 au réseau public de distribution d'électricité HTA en vue d'une injection pour le parc éolien de Peyrelevade-Gentioux ;
- l'avenant n° 1 à la convention d'exploitation des installations du parc éolien de Peyrelevade-Gentioux raccordée au réseau de distribution de EDF Gaz de France Distribution Montluçon Guéret ;
- le contrat de raccordement au réseau public de distribution HTA de l'installation du parc éolien de Peyrelevade-Gentioux située à Neuvialle.

Par un courrier électronique en date du 8 juillet 2020, la société Enedis a répondu à la mesure d'instruction en transmettant :

- la convention d'exploitation des installations du parc éolien de Peyrelevade-Gentioux raccordée au réseau de distribution de EDF Gaz de France Distribution Montluçon Guéret et son avenant n° 1 ;
- les conditions générales définitives du CARD-I.

Dans ce courrier, la société Enedis indiquait également que pour le soutirage, la société PEPG avait souscrit un contrat unique incluant la fourniture en électricité et l'accès au réseau de distribution d'électricité avec EDF, dont elle ne disposait pas.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :

- le code de l'énergie, notamment ses articles L. 134-19 et suivants et R. 134-7 et suivants ;
- la décision du 13 février 2019 portant adoption du règlement intérieur du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie ;
- la décision du 11 avril 2020 du président du comité de règlement des différends de la Commission de régulation de l'énergie, relative à la désignation d'un rapporteur pour l'instruction de la demande de règlement de différend enregistrée sous le numéro 03-38-20.

Les parties ayant été régulièrement convoquées à la séance publique, qui s'est tenue le 20 juillet 2020, du comité de règlement des différends et des sanctions, composé de M. Thierry TUOT, président, M. Henri DE LAROSIERE DE CHAMPFEU, M. Nicolas MAZIAU et Mme Hélène VESTUR, membres, en présence de :
Mme Alexandra BONHOMME, directrice des affaires juridiques et représentant le directeur général empêché ;
Mme Jennifer CORRADI, rapporteur ;
Me Stéphanie ARENA, représentant la société PEPG ;
Les représentants de la société Enedis, assistés de Me Jérôme LEPEE ;
Les parties ayant pu s'assurer de l'identité des membres du comité,
Après avoir entendu :

- le rapport de Mme Jennifer CORRADI, présentant les moyens et les conclusions des parties ;
- les observations de Me Stéphanie ARENA pour la société PEPG, celle-ci persiste dans ses moyens et conclusions ;
- les observations de Me Jérôme LEPEE pour la société Enedis, cette dernière persiste dans ses moyens et conclusions.

Le comité de règlement des différends et des sanctions en ayant délibéré après que les parties, le rapporteur, le public et les agents des services se sont retirés.
Sur la compétence du comité de règlement des différends et des sanctions

  1. Aux termes de l'article L. 134-19 du code de l'énergie : « Le comité de règlement des différends et des sanctions peut être saisi en cas de différend : / 1° Entre les gestionnaires et les utilisateurs des réseaux publics de transport ou de distribution d'électricité ; […] Ces différends portent sur l'accès auxdits réseaux, ouvrages et installations ou à leur utilisation, notamment en cas de refus d'accès ou de désaccord sur la conclusion, l'interprétation ou l'exécution des contrats mentionnés aux articles L. 111-91 à L. 111-94, L. 111-97, L. 321-11 et L. 321-12, ou des contrats relatifs aux opérations de transport et de stockage géologique de dioxyde de carbone mentionnés à l'article L. 229-49 du code de l'environnement. / La saisine du comité est à l'initiative de l'une ou l'autre des parties. ». L'article L. 111-91 du code de l'énergie, auquel il est ainsi renvoyé dispose que : « I. - Un droit d'accès aux réseaux publics de transport et de distribution est garanti par les gestionnaires de ces réseaux […] II. - Pour mettre en œuvre les dispositions du I, des contrats sont conclus entre les gestionnaires des réseaux publics de transport et de distribution concernés et les utilisateurs de ces réseaux. »
  2. Il résulte de ces dispositions qu'un différend n'entre dans la compétence du comité de règlement des différends et des sanctions, laquelle est une compétence d'attribution, qu'à une double condition, tenant, l'une à la qualité des personnes qu'un différend oppose, et l'autre, à l'objet du différend.
  3. En l'espèce, la société PEPG demande au comité de constater que la société Enedis a méconnu ses obligations relatives à l'accès au réseau, et par voie de conséquence de l'enjoindre à transmettre un nouveau contrat d'accès au réseau public de distribution d'électricité en injection HTA, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présence décision, permettant d'assurer une totale transparence dans l'application des régimes de responsabilité « en cas d'interruption du réseau ».
  4. Il ressort des pièces du dossier que, d'une part, la société Enedis et la société PEPG ont la qualité, respectivement, de gestionnaire et d'utilisateur du réseau public de distribution d'électricité. D'autre part, le différend est relatif à l'interruption de l'accès au réseau public de distribution d'électricité et à un désaccord sur l'interprétation et l'exécution d'un contrat d'accès mentionné à l'article L. 111-91 du code de l'énergie. En conséquence, le comité de règlement des différends et des sanctions est compétent pour connaître de cette demande.
    Sur le manquement d'Enedis à ses obligations relatives à l'accès au réseau résultant du contrat
    En ce qui concerne le respect de la clause relative aux engagements du distributeur sur la disponibilité du réseau hors travaux
  5. La société PEPG soutient que la société Enedis ne pouvait pas lui opposer valablement la clause 5.1.2 des conditions particulières du CARD-I pour justifier de son refus de l'indemniser du préjudice subi, dans la mesure où, en l'absence de définition contractuelle de la durée maximale de coupure longue admissible, cette clause présente un caractère abusif.
  6. La société Enedis considère que ses obligations contractuelles ont été respectées, dès lors qu'il n'y a pas eu plus de six coupures longues sur une année.
  7. L'article 5.1 des conditions générales du CARD-I définit les engagements du distributeur en prévoyant que : « hormis les situations d'exploitations relevant du régime perturbé ou de la force majeure, décrites à l'article 9.3, il existe un régime normal d'exploitation des aléas inhérents au système électrique, notamment liés à des causes extérieures (aléa climatique entre autres) susceptible d'affecter la disponibilité du Réseau d'évacuation ou la qualité de l'onde électrique. Les situations rendant indisponible le Réseau d'évacuation ou altérant la qualité de l'onde électrique conduisent à définir des seuils décrets ci-après, dont le franchissement engage la responsabilité du Distributeur dans les conditions de l'article 9.1.1.1.1 des Conditions Générales ». L'article 5.1.1.2 des mêmes conditions générales du CARD-I détaille les engagements du distributeur sur la disponibilité du réseau hors travaux en fixant selon les zones d'habitations, le nombre de coupures longues et brèves par périodes de douze mois à ne pas dépasser. Il en résulte que pour une agglomération de moins de 10 000 habitants (zone 1), le nombre de coupures longues, soit d'une durée supérieure ou égale à trois minutes, à ne pas dépasser est de six. L'article 5.1.1.2 des conditions particulières du CARD-I reprend ce seuil.
  8. Il ressort des pièces du dossier qu'en raison de travaux réalisés par la société EPS, mandatée par la société Orange, sur un support Telecom, deux des trois phases d'un câble souterrain de la ligne électrique reliant le poste de livraison de Neuvialle et le poste source de Faux-la-Montagne ont été détériorés, privant la société PEPG de tout accès au réseau pour une durée de 56 heures, non contestée au cours de la séance publique.
  9. Il n'est pas contesté que la société PEPG n'a pas connu d'autre coupure d'accès au réseau supérieure à trois minutes au cours de l'année 2018. Par suite, la société Enedis n'a pas méconnu l'article 5.1.2 des conditions particulières du CARD-I.
    En ce qui concerne la méconnaissance alléguée des principes fondamentaux d'accès au réseau
  10. La société PEPG fait valoir qu'en appliquant les stipulations de l'article 5.1.2 la société Enedis a méconnu ses obligations de traitement non-discriminatoire et transparent des demandes d'accès au réseau résultant de l'article L. 322-8 4° du code de l'énergie.
  11. La société Enedis considère que l'absence de définition de la notion de coupure longue ne pouvait en aucun cas caractériser une méconnaissance des obligations de traitement non-discriminatoire et transparent prévues à l'article L. 322-8 4° du code.
  12. A titre liminaire, si la société demanderesse invoque le caractère abusif de cette clause, cette question relève exclusivement de l'office du juge de droit commun. Le comité ne peut, dans le cadre de sa compétence, que se prononcer sur le point de savoir si, en appliquant la clause 5.1.2 des conditions particulières du CARD-I, la société Enedis a manqué à ses obligations résultant de sa qualité de gestionnaire du réseau de distribution.
  13. L'article L. 322-8 du code de l'énergie dispose que : « sans préjudice des dispositions du sixième alinéa du I de l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales, un gestionnaire de réseau de distribution d'électricité est, dans sa zone de desserte exclusive, notamment chargé, dans le cadre des cahiers des charges de concession et des règlements de service des régies : (…) 4° D'assurer, dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires, l'accès à ces réseaux ; (…) ».
  14. Le premier alinéa de l'article D. 322-2 du code de l'énergie précise, s'agissant des obligations du gestionnaire du réseau public de distribution, que : « le gestionnaire du réseau prend les mesures qui lui incombent pour que la tension délivrée par le réseau soit globalement maintenue à l'intérieur d'une plage de variation et pour que la continuité de cette tension soit globalement assurée ».
  15. Cette disposition trouve sa traduction à l'article 9.1.1.1.2 des conditions générales du CARD-I dans sa version applicable aux parties, relatif aux cas où le gestionnaire du réseau de distribution est tenu d'une obligation de moyens, et qui stipule que : « le Distributeur n'est pas responsable des dommages causés au Producteur du fait des Coupures ou défauts dans la qualité de l'onde électrique résultant : (…) des aléas liés au régime normal d'exploitation visé à l'article 5.1.1.2 des Conditions Générales en cas de non-dépassement du nombre de Coupures et des seuils de tolérance visés aux articles précités ; (…) Toutefois, la responsabilité du Distributeur est susceptible d'être engagée en tout ou partie si le Producteur qui subit les dommages rapporte la preuve d'une faute ou d'une négligence du Distributeur ».
  16. Il a été précédemment énoncé que la société Enedis avait fait une stricte application de la clause 5.1.2 des conditions particulières du CARD-I. En outre, si l'absence de durée maximale pour une coupure longue aurait pu, en soi, être susceptible de contrevenir aux principes fondamentaux d'accès au réseau, il convient de préciser la portée exacte de cette clause, qui loin de dégager une clause d'exonération de responsabilité en faveur du gestionnaire du réseau de distribution lorsque le seuil de six coupures par an sur le réseau n'a pas été dépassé, organise en réalité une présomption de responsabilité en cas dépassement de ce chiffre.
  17. En d'autres termes, avant même le dépassement des six coupures prévues par cette clause, il pèse sur le gestionnaire du réseau de distribution une obligation le contraignant à mettre en œuvre tous les moyens à sa disposition pour mettre fin à l'incident constaté sur le réseau. Dès lors que le producteur démontre que le gestionnaire du réseau de distribution a commis une faute ou a fait preuve d'une négligence dans la gestion de l'incident, la responsabilité de ce dernier peut être engagée dès la première coupure.
  18. Aussi, au regard des éléments transmis, il convient de vérifier si la société Enedis a satisfait à son obligation de moyens pour rétablir l'accès au réseau.
  19. Il ressort des pièces du dossier qu'après avoir informé la société PEPG de la survenance d'un incident au début de la coupure, la société Enedis a rapidement mis en œuvre différents moyens pour identifier et rétablir l'accès au réseau, en mettant à disposition un « camion laboratoire » dès l'après-midi du 21 mars et l'installation le lendemain d'une boite de jonction.
  20. Par ailleurs, s'agissant du caractère prétendument discriminatoire de la clause 5.1.2 des conditions particulières du CARD-I, les modèles de CARD-I sont conçus dans le cadre d'une concertation au sein du comité des utilisateurs des réseaux publics d'électricité, avant de faire l'objet d'une communication à la CRE, ce qui fut le cas en l'espèce pour le contrat signé en 2007. De même, le comité relève que la clause critiquée figure toujours dans les CARD pris dans leurs versions actuelles.
  21. Surtout, comme le relève la société Enedis, cette clause étant présente dans les conditions générales du CARD-I, elle est appliquée de manière uniforme à l'ensemble des producteurs d'électricité ayant signé un CARD-I, sur l'ensemble du territoire national relevant des concessions de la société Enedis.
  22. En conséquence, les éléments du dossier ne permettent pas de constater que la société Enedis a manqué à son obligation de non-discrimination.
  23. Dans ces conditions, le comité estime que la société Enedis n'a pas méconnu l'article L. 322-8 4° du code de l'énergie en faisant une stricte application de la clause 5.1.2 du CARD-I, dans la mesure où cette clause, ainsi que le comportement de la société Enedis dans la gestion de l'incident, ne présentent pas une atteinte à l'accès, dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires au réseau de distribution de l'électricité.
    En ce qui concerne le respect de la clause relative à la procédure de réparation
  24. La société PEPG soutient que la société Enedis a agi en violation de l'article 9.2 du CARD-I, en refusant à la société PEPG de l'indemniser alors même qu'elle a elle-même obtenu une indemnisation de son préjudice de la part de l'assureur du tiers responsable du dommage.
  25. En tout état de cause, les stipulations de l'article 9.2 du CARD-I, dans leur version applicable au litige, n'imposent pas au gestionnaire du réseau de distribution, qui a été indemnisé par un tiers des dommages qu'il a subis sur son réseau, d'informer le producteur de cette indemnisation. Le principe d'accès au réseau dans des conditions transparentes ne saurait le contraindre à une telle obligation.
  26. Il s'ensuit que la société Enedis n'a pas manqué à ses obligations relatives à l'accès au réseau résultant du contrat.
    Sur la modification des clauses contractuelles
  27. La société PEPG demande au comité d'enjoindre à la société Enedis de lui transmettre un nouveau contrat d'accès au réseau public de distribution d'électricité en injection HTA, dans un délai de six mois à compter de la notification de la décision, permettant d'assurer une totale transparence dans l'application des régimes de responsabilité « en cas d'interruption du réseau ».
  28. Il résulte de tout ce qui précède, en particulier des points 16 et 17, que le comité ne peut que rejeter cette demande.
    Sur l'indemnisation par la société Enedis de la société PEPG
  29. La société PEPG demande à ce que le comité de règlement des différends et des sanctions enjoigne à la société Enedis de solliciter à ses frais auprès du tiers responsable de l'incident (Orange) et de son assureur (MMA), le règlement de la somme de 14 985, 80 euros H.T à son profit, en réparation du préjudice subi du fait des conditions dans lesquelles l'accès au réseau a été interrompu du 21 mars 2018, 7 heures au 23 mars 2018, 15 heures, dans un délai de 30 jours à compter de la notification de la présente décision.
  30. La société Enedis estime pour sa part que, en application d'une pratique décisionnelle établie, le comité n'est pas compétent pour statuer sur la demande indemnitaire formulée par la société PEPG.
  31. A supposer même que la demande d'injonction à la société Enedis d'intervenir auprès d'un tiers pour obtenir la réparation du préjudice qu'elle a subi soit regardée comme une demande d'indemnisation, elle ne relève en tout état de cause pas de la compétence du comité s'agissant de l'indemnisation d'un préjudice. Par suite, la demande sera rejetée.
    Décide :

Historique des versions

Version 1

Le comité de règlement des différends et des sanctions est saisi par la société Parc Eolien de Peyrelevade Gentioux (ci-après « société PEPG ») des faits suivants.

La société PEPG exploite un parc éolien de six éoliennes d'une puissance maximale installée de 9 000 kW, sur le territoire de la commune de Peyrelevade (19290) au lieu-dit Neuvialle.

Le 3 décembre 2003, la convention de raccordement a été signée entre la société PEPG et la société EDF Réseau Distribution. Elle prévoit le raccordement du poste de livraison dénommé Eolien Neuvialle au poste source Faux-la-Montagne par l'intermédiaire d'une liaison souterraine dédiée d'une longueur de 10, 670 km.

Le 29 novembre 2004, un contrat d'accès transitoire n° 83203 au réseau public de distribution HTA en vue d'une injection a été élaboré entre la société PEPG et la société EDF Réseau Distribution.

Le 3 décembre 2004, le poste de livraison de la société PEPG a été raccordé au réseau public de distribution de l'électricité HTA, pour une puissance de raccordement de 9 MW.

En 2007, la société PEPG et la société EDF Réseau Distribution ont signé le contrat d'accès au réseau public de distribution de l'électricité n° 832003 (CARD-I) pour le site Parc éolien de Peyrelevade-Gentioux.

Le 21 mars 2018, un incident résultant de travaux entrepris par la société EPS, mandatée par la société Orange, s'est produit sur le réseau, entraînant pour la société PEPG une coupure d'accès au réseau public de distribution de l'électricité du 21 mars 2018 à 8 h 05 au 23 mars à 15 h 02.

Le même jour, un « camion laboratoire » a été dépêché sur les lieux du dommage par la société Enedis pour identifier la faille ayant conduit à l'interruption de l'injection.

Le 22 mars 2018, des travaux de « fouille » ont été entrepris par la société Enedis sur le site et ont permis de constater la détérioration du câble HTA sur deux phases.

Le 23 mars 2018, la société EPS a constaté le dommage causé sur le réseau HTA souterrain au niveau du poste de source Faux-la-Montagne et le câble a été réparé.

Par un courrier du 15 mai 2018, la société PEPG a demandé à la société Enedis l'indemnisation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de la coupure d'accès au réseau, ainsi que la prise en charge des pertes d'exploitation estimées à 10 870, 60 euros hors taxes.

Le 26 mai 2018, la société Enedis a indemnisé la société PEPG à hauteur de 2 800 euros au titre d'une « pénalité pour coupure longue ».

Par un courrier du 23 juillet 2018, la société Enedis a indiqué à la société PEPG que l'incident survenu ne pouvait pas faire l'objet d'une indemnisation, au motif que le seuil d'engagement de six coupures longues par an prévu au paragraphe 5.1.1 du CARD-I n'était pas dépassé.

Par un courrier en date du 23 octobre 2019, la société PEPG a mis en demeure la société Enedis de verser la somme de 14 985, 80 euros au titre de la prise en charge des frais et pertes consécutifs à la coupure du réseau intervenue le 21 mars 2018.

Par un courrier du 25 novembre 2019, la société Enedis a renvoyé la société PEPG à sa réponse du 23 juillet 2018.

Par un courrier en date du 16 décembre 2019, la société PEPG a renouvelé sa demande, estimant que la clause 5.1.1.2 du CARD-I n'était pas opposable, dès lors que la notion de durée maximale de coupure longue admissible n'a jamais été définie contractuellement, créant ainsi un déséquilibre significatif dans la relation contractuelle au profit du gestionnaire du réseau public de distribution.

Par un courrier du 30 janvier 2020, la société Enedis a réitéré son refus d'indemniser la société PEPG. Elle indique qu'aucune limite contractuelle n'était fixée concernant la durée d'une coupure longue et que d'une part, la clause en cause se retrouvait dans tous les contrat d'accès au réseau public de distribution en soutirage et en injection et d'autre part, que le contrat était le résultat d'une concertation avec les membres du comité des utilisateurs du réseau public d'électricité (CURDE).

C'est dans ces conditions que la société PEPG a saisi le comité de règlement des différends et des sanctions d'une demande de règlement de différend.

Par une saisine et un mémoire récapitulatif, enregistrés sous le numéro 03-38-20 les 19 mars 2020 et 5 juin 2020, la société PEPG, représentée par son représentant légal et ayant pour avocat Me Nicolas CASTELLAN, cabinet Castellan et associés, demande au comité de règlement des différends et des sanctions, dans le dernier état de ses écritures, de :

- dire que l'absence de définition contractuelle par Enedis de la durée maximale de coupure longue admissible contenue dans la clause d'engagement du distributeur sur la disponibilité du réseau hors travaux revient à donner un caractère purement discrétionnaire à la notion de longueur de la coupure et contrevient au principe de transparence du droit d'accès au réseau ;

- en conséquence, dire que la société Enedis a méconnu ses obligations relatives à l'accès au réseau résultant du contrat conclu avec la société PEPG ;

- dire que la société Enedis devra transmettre à la société PEPG un nouveau contrat d'accès au réseau public de distribution d'électricité en injection HTA, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, permettant d'assurer une totale transparence dans l'application des régimes de responsabilité « en cas d'interruption du réseau » ;

- dire que la société Enedis communiquera au comité le nouveau projet de contrat d'accès au réseau public de distribution d'électricité en injection HTA dans le même délai de six mois à compter de la notification de la présente décision ;

- enjoindre à la société Enedis à solliciter à ses frais auprès du tiers responsable de l'incident (Orange) et de son assureur (MMA), le règlement de la somme de 14 985, 80 euros HT au profit de la société PEPG, en réparation du préjudice subi du fait des conditions dans lesquelles l'accès au réseau a été interrompu du 21 mars 2018, 7 heures au 23 mars 2018, 15 heures, dans un délai de 30 jours à compter de la notification de la présente décision.

Sur la compétence du comité de règlement des différends et des sanctions, la société PEPG soutient que :

- le différend en cause est un différend technique et financier, relatif d'une part, à l'interruption de l'accès au réseau public de distribution d'électricité, et d'autre part, à un désaccord sur l'interprétation et l'exécution d'un contrat d'accès mentionné à l'article L. 111-91 du code, dont le comité peut connaître en application des articles L. 111-91, L. 134-19 et L. 134-20 du code de l'énergie ;

- la compétence du comité est expressément rappelée à l'article 10.9 du CARD-I.

Sur le fond, la société PEPG soutient que :

- pour pouvoir valablement opposer la clause 5.1.2 du CARD-I, la société Enedis aurait dû définir contractuellement la durée maximale de coupure longue admissible. En l'absence d'une telle définition, il est donné à la notion de longueur de la coupure un caractère purement discrétionnaire, créant un déséquilibre significatif dans la relation contractuelle au profit de la société Enedis ;

- la qualification de l'interruption survenue entre le 21 mars 2018 à 7 heures au 23 mars 2018 à 15 heures comme coupure longue >=3 min au sens de l'article 5.1.2 du CARD-I est abusive ;

- en vertu de l'article L. 332-8 4° du code de l'énergie, la société Enedis doit assurer dans des conditions objectives, transparentes, et non discriminatoires l'accès à ces réseaux ;

- le CARD-I ne permet pas d'assurer une totale transparence dans l'application des régimes de responsabilité « en cas d'interruption du réseau » ;

- la société Enedis a obtenu une indemnisation de son préjudice par l'assureur du responsable du dommage alors que la société PEPG n'a pas été indemnisée intégralement de son préjudice, en totale contradiction avec l'article 9.2 du CARD-I.

Par un mémoire en défense et un mémoire récapitulatif, enregistrés le 29 mai 2020 et le 19 juin 2020, la société Enedis, représentée par son représentant légal et ayant pour avocat Me Jérôme LEPEE, SELAS ADAMAS, demande au comité de règlement des différends et des sanctions, dans le dernier état de ses écritures, de rejeter l'ensemble des demandes de la société PEPG.

Sur la compétence du comité de règlement des différends et des sanctions, la société Enedis soutient que le comité de règlement des différends et des sanctions ne peut pas connaître de la demande indemnitaire formulée par la société PEPG.

Sur le fond, elle affirme qu'aucun manquement à ses obligations contractuelles résultant du CARD-I n'a été commis et que l'absence de définition de la notion de coupure longue admissible ne contrevient nullement au droit d'accès au réseau de la société PEPG dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires. A ce titre, elle soutient que :

- le réseau n'ayant pas subi plus de six coupures longues sur une année, les engagements contractuels d'Enedis ont été respectés ;

- l'absence de définition de la notion de coupure longue n'est pas discriminatoire, dans la mesure où les stipulations relatives à celle-ci sont appliquées de façon uniforme à l'ensemble des producteurs d'électricité, sur l'ensemble du territoire national relevant des concessions de la société Enedis. En outre, les modèles de CARD-I sont élaborés dans le cadre d'une concertation au sein du CURDE et sont communiqués à la CRE ;

- l'absence de définition de la notion de coupure longue est objective et transparente car justifiée techniquement, dès lors qu'il est matériellement impossible de prévoir un maximum de durée de coupure longue, qui peuvent résulter de nombreux aléas externes ;

- la société Enedis s'engage à mettre en œuvre tous les moyens pour limiter au minimum la durée des coupures susceptibles de résulter d'un incident ;

- l'absence de définition de la durée d'une coupure longue ne pourrait être considérée comme un manquement contractuel qu'en raison de son caractère anormal au regard des circonstances de l'espèce ;

- la société Enedis a respecté son obligation de moyens, dès lors qu'elle a mis en œuvre tous les moyens techniques à sa disposition pour identifier rapidement l'origine du dommage, alerter l'usager subissant la coupure et réaliser les travaux nécessaires, en tenant compte des contraintes techniques électriques attachées et des coûts associés ;

- l'article 9.2 du CARD-I n'était plus en vigueur au moment des faits, et, au demeurant, ces stipulations ne prévoient pas qu'Enedis appelle à la cause un tiers et son assureur pour indemniser la société PEPG.

Par une décision du 30 juin 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 juillet 2020 à 12 heures.

Par un courrier en date du 2 juillet 2020, une mesure d'instruction a été diligentée par le rapporteur auprès des sociétés PEPG et Enedis, afin de se faire communiquer avant le 8 juillet 2020 à 12 heures :

- l'intégralité des conditions générales du CARD-i signé entre les parties, soit le recto et le verso ;

- la convention d'exploitation pour le site de production raccordé au réseau public de distribution ;

- le contrat de raccordement électrique alimentant les auxiliaires de la centrale éolienne.

Par deux courriers électroniques en date du 7 juillet 2020, la société PEPG a répondu à la mesure d'instruction en transmettant :

- le contrat d'accès transitoire n° 83203 au réseau public de distribution d'électricité HTA en vue d'une injection pour le parc éolien de Peyrelevade-Gentioux ;

- l'avenant n° 1 à la convention d'exploitation des installations du parc éolien de Peyrelevade-Gentioux raccordée au réseau de distribution de EDF Gaz de France Distribution Montluçon Guéret ;

- le contrat de raccordement au réseau public de distribution HTA de l'installation du parc éolien de Peyrelevade-Gentioux située à Neuvialle.

Par un courrier électronique en date du 8 juillet 2020, la société Enedis a répondu à la mesure d'instruction en transmettant :

- la convention d'exploitation des installations du parc éolien de Peyrelevade-Gentioux raccordée au réseau de distribution de EDF Gaz de France Distribution Montluçon Guéret et son avenant n° 1 ;

- les conditions générales définitives du CARD-I.

Dans ce courrier, la société Enedis indiquait également que pour le soutirage, la société PEPG avait souscrit un contrat unique incluant la fourniture en électricité et l'accès au réseau de distribution d'électricité avec EDF, dont elle ne disposait pas.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'énergie, notamment ses articles L. 134-19 et suivants et R. 134-7 et suivants ;

- la décision du 13 février 2019 portant adoption du règlement intérieur du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie ;

- la décision du 11 avril 2020 du président du comité de règlement des différends de la Commission de régulation de l'énergie, relative à la désignation d'un rapporteur pour l'instruction de la demande de règlement de différend enregistrée sous le numéro 03-38-20.

Les parties ayant été régulièrement convoquées à la séance publique, qui s'est tenue le 20 juillet 2020, du comité de règlement des différends et des sanctions, composé de M. Thierry TUOT, président, M. Henri DE LAROSIERE DE CHAMPFEU, M. Nicolas MAZIAU et Mme Hélène VESTUR, membres, en présence de :

Mme Alexandra BONHOMME, directrice des affaires juridiques et représentant le directeur général empêché ;

Mme Jennifer CORRADI, rapporteur ;

Me Stéphanie ARENA, représentant la société PEPG ;

Les représentants de la société Enedis, assistés de Me Jérôme LEPEE ;

Les parties ayant pu s'assurer de l'identité des membres du comité,

Après avoir entendu :

- le rapport de Mme Jennifer CORRADI, présentant les moyens et les conclusions des parties ;

- les observations de Me Stéphanie ARENA pour la société PEPG, celle-ci persiste dans ses moyens et conclusions ;

- les observations de Me Jérôme LEPEE pour la société Enedis, cette dernière persiste dans ses moyens et conclusions.

Le comité de règlement des différends et des sanctions en ayant délibéré après que les parties, le rapporteur, le public et les agents des services se sont retirés.

Sur la compétence du comité de règlement des différends et des sanctions

1. Aux termes de l'article L. 134-19 du code de l'énergie : « Le comité de règlement des différends et des sanctions peut être saisi en cas de différend : / 1° Entre les gestionnaires et les utilisateurs des réseaux publics de transport ou de distribution d'électricité ; […] Ces différends portent sur l'accès auxdits réseaux, ouvrages et installations ou à leur utilisation, notamment en cas de refus d'accès ou de désaccord sur la conclusion, l'interprétation ou l'exécution des contrats mentionnés aux articles L. 111-91 à L. 111-94, L. 111-97, L. 321-11 et L. 321-12, ou des contrats relatifs aux opérations de transport et de stockage géologique de dioxyde de carbone mentionnés à l'article L. 229-49 du code de l'environnement. / La saisine du comité est à l'initiative de l'une ou l'autre des parties. ». L'article L. 111-91 du code de l'énergie, auquel il est ainsi renvoyé dispose que : « I. - Un droit d'accès aux réseaux publics de transport et de distribution est garanti par les gestionnaires de ces réseaux […] II. - Pour mettre en œuvre les dispositions du I, des contrats sont conclus entre les gestionnaires des réseaux publics de transport et de distribution concernés et les utilisateurs de ces réseaux. »

2. Il résulte de ces dispositions qu'un différend n'entre dans la compétence du comité de règlement des différends et des sanctions, laquelle est une compétence d'attribution, qu'à une double condition, tenant, l'une à la qualité des personnes qu'un différend oppose, et l'autre, à l'objet du différend.

3. En l'espèce, la société PEPG demande au comité de constater que la société Enedis a méconnu ses obligations relatives à l'accès au réseau, et par voie de conséquence de l'enjoindre à transmettre un nouveau contrat d'accès au réseau public de distribution d'électricité en injection HTA, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présence décision, permettant d'assurer une totale transparence dans l'application des régimes de responsabilité « en cas d'interruption du réseau ».

4. Il ressort des pièces du dossier que, d'une part, la société Enedis et la société PEPG ont la qualité, respectivement, de gestionnaire et d'utilisateur du réseau public de distribution d'électricité. D'autre part, le différend est relatif à l'interruption de l'accès au réseau public de distribution d'électricité et à un désaccord sur l'interprétation et l'exécution d'un contrat d'accès mentionné à l'article L. 111-91 du code de l'énergie. En conséquence, le comité de règlement des différends et des sanctions est compétent pour connaître de cette demande.

Sur le manquement d'Enedis à ses obligations relatives à l'accès au réseau résultant du contrat

En ce qui concerne le respect de la clause relative aux engagements du distributeur sur la disponibilité du réseau hors travaux

5. La société PEPG soutient que la société Enedis ne pouvait pas lui opposer valablement la clause 5.1.2 des conditions particulières du CARD-I pour justifier de son refus de l'indemniser du préjudice subi, dans la mesure où, en l'absence de définition contractuelle de la durée maximale de coupure longue admissible, cette clause présente un caractère abusif.

6. La société Enedis considère que ses obligations contractuelles ont été respectées, dès lors qu'il n'y a pas eu plus de six coupures longues sur une année.

7. L'article 5.1 des conditions générales du CARD-I définit les engagements du distributeur en prévoyant que : « hormis les situations d'exploitations relevant du régime perturbé ou de la force majeure, décrites à l'article 9.3, il existe un régime normal d'exploitation des aléas inhérents au système électrique, notamment liés à des causes extérieures (aléa climatique entre autres) susceptible d'affecter la disponibilité du Réseau d'évacuation ou la qualité de l'onde électrique. Les situations rendant indisponible le Réseau d'évacuation ou altérant la qualité de l'onde électrique conduisent à définir des seuils décrets ci-après, dont le franchissement engage la responsabilité du Distributeur dans les conditions de l'article 9.1.1.1.1 des Conditions Générales ». L'article 5.1.1.2 des mêmes conditions générales du CARD-I détaille les engagements du distributeur sur la disponibilité du réseau hors travaux en fixant selon les zones d'habitations, le nombre de coupures longues et brèves par périodes de douze mois à ne pas dépasser. Il en résulte que pour une agglomération de moins de 10 000 habitants (zone 1), le nombre de coupures longues, soit d'une durée supérieure ou égale à trois minutes, à ne pas dépasser est de six. L'article 5.1.1.2 des conditions particulières du CARD-I reprend ce seuil.

8. Il ressort des pièces du dossier qu'en raison de travaux réalisés par la société EPS, mandatée par la société Orange, sur un support Telecom, deux des trois phases d'un câble souterrain de la ligne électrique reliant le poste de livraison de Neuvialle et le poste source de Faux-la-Montagne ont été détériorés, privant la société PEPG de tout accès au réseau pour une durée de 56 heures, non contestée au cours de la séance publique.

9. Il n'est pas contesté que la société PEPG n'a pas connu d'autre coupure d'accès au réseau supérieure à trois minutes au cours de l'année 2018. Par suite, la société Enedis n'a pas méconnu l'article 5.1.2 des conditions particulières du CARD-I.

En ce qui concerne la méconnaissance alléguée des principes fondamentaux d'accès au réseau

10. La société PEPG fait valoir qu'en appliquant les stipulations de l'article 5.1.2 la société Enedis a méconnu ses obligations de traitement non-discriminatoire et transparent des demandes d'accès au réseau résultant de l'article L. 322-8 4° du code de l'énergie.

11. La société Enedis considère que l'absence de définition de la notion de coupure longue ne pouvait en aucun cas caractériser une méconnaissance des obligations de traitement non-discriminatoire et transparent prévues à l'article L. 322-8 4° du code.

12. A titre liminaire, si la société demanderesse invoque le caractère abusif de cette clause, cette question relève exclusivement de l'office du juge de droit commun. Le comité ne peut, dans le cadre de sa compétence, que se prononcer sur le point de savoir si, en appliquant la clause 5.1.2 des conditions particulières du CARD-I, la société Enedis a manqué à ses obligations résultant de sa qualité de gestionnaire du réseau de distribution.

13. L'article L. 322-8 du code de l'énergie dispose que : « sans préjudice des dispositions du sixième alinéa du I de l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales, un gestionnaire de réseau de distribution d'électricité est, dans sa zone de desserte exclusive, notamment chargé, dans le cadre des cahiers des charges de concession et des règlements de service des régies : (…) 4° D'assurer, dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires, l'accès à ces réseaux ; (…) ».

14. Le premier alinéa de l'article D. 322-2 du code de l'énergie précise, s'agissant des obligations du gestionnaire du réseau public de distribution, que : « le gestionnaire du réseau prend les mesures qui lui incombent pour que la tension délivrée par le réseau soit globalement maintenue à l'intérieur d'une plage de variation et pour que la continuité de cette tension soit globalement assurée ».

15. Cette disposition trouve sa traduction à l'article 9.1.1.1.2 des conditions générales du CARD-I dans sa version applicable aux parties, relatif aux cas où le gestionnaire du réseau de distribution est tenu d'une obligation de moyens, et qui stipule que : « le Distributeur n'est pas responsable des dommages causés au Producteur du fait des Coupures ou défauts dans la qualité de l'onde électrique résultant : (…) des aléas liés au régime normal d'exploitation visé à l'article 5.1.1.2 des Conditions Générales en cas de non-dépassement du nombre de Coupures et des seuils de tolérance visés aux articles précités ; (…) Toutefois, la responsabilité du Distributeur est susceptible d'être engagée en tout ou partie si le Producteur qui subit les dommages rapporte la preuve d'une faute ou d'une négligence du Distributeur ».

16. Il a été précédemment énoncé que la société Enedis avait fait une stricte application de la clause 5.1.2 des conditions particulières du CARD-I. En outre, si l'absence de durée maximale pour une coupure longue aurait pu, en soi, être susceptible de contrevenir aux principes fondamentaux d'accès au réseau, il convient de préciser la portée exacte de cette clause, qui loin de dégager une clause d'exonération de responsabilité en faveur du gestionnaire du réseau de distribution lorsque le seuil de six coupures par an sur le réseau n'a pas été dépassé, organise en réalité une présomption de responsabilité en cas dépassement de ce chiffre.

17. En d'autres termes, avant même le dépassement des six coupures prévues par cette clause, il pèse sur le gestionnaire du réseau de distribution une obligation le contraignant à mettre en œuvre tous les moyens à sa disposition pour mettre fin à l'incident constaté sur le réseau. Dès lors que le producteur démontre que le gestionnaire du réseau de distribution a commis une faute ou a fait preuve d'une négligence dans la gestion de l'incident, la responsabilité de ce dernier peut être engagée dès la première coupure.

18. Aussi, au regard des éléments transmis, il convient de vérifier si la société Enedis a satisfait à son obligation de moyens pour rétablir l'accès au réseau.

19. Il ressort des pièces du dossier qu'après avoir informé la société PEPG de la survenance d'un incident au début de la coupure, la société Enedis a rapidement mis en œuvre différents moyens pour identifier et rétablir l'accès au réseau, en mettant à disposition un « camion laboratoire » dès l'après-midi du 21 mars et l'installation le lendemain d'une boite de jonction.

20. Par ailleurs, s'agissant du caractère prétendument discriminatoire de la clause 5.1.2 des conditions particulières du CARD-I, les modèles de CARD-I sont conçus dans le cadre d'une concertation au sein du comité des utilisateurs des réseaux publics d'électricité, avant de faire l'objet d'une communication à la CRE, ce qui fut le cas en l'espèce pour le contrat signé en 2007. De même, le comité relève que la clause critiquée figure toujours dans les CARD pris dans leurs versions actuelles.

21. Surtout, comme le relève la société Enedis, cette clause étant présente dans les conditions générales du CARD-I, elle est appliquée de manière uniforme à l'ensemble des producteurs d'électricité ayant signé un CARD-I, sur l'ensemble du territoire national relevant des concessions de la société Enedis.

22. En conséquence, les éléments du dossier ne permettent pas de constater que la société Enedis a manqué à son obligation de non-discrimination.

23. Dans ces conditions, le comité estime que la société Enedis n'a pas méconnu l'article L. 322-8 4° du code de l'énergie en faisant une stricte application de la clause 5.1.2 du CARD-I, dans la mesure où cette clause, ainsi que le comportement de la société Enedis dans la gestion de l'incident, ne présentent pas une atteinte à l'accès, dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires au réseau de distribution de l'électricité.

En ce qui concerne le respect de la clause relative à la procédure de réparation

24. La société PEPG soutient que la société Enedis a agi en violation de l'article 9.2 du CARD-I, en refusant à la société PEPG de l'indemniser alors même qu'elle a elle-même obtenu une indemnisation de son préjudice de la part de l'assureur du tiers responsable du dommage.

25. En tout état de cause, les stipulations de l'article 9.2 du CARD-I, dans leur version applicable au litige, n'imposent pas au gestionnaire du réseau de distribution, qui a été indemnisé par un tiers des dommages qu'il a subis sur son réseau, d'informer le producteur de cette indemnisation. Le principe d'accès au réseau dans des conditions transparentes ne saurait le contraindre à une telle obligation.

26. Il s'ensuit que la société Enedis n'a pas manqué à ses obligations relatives à l'accès au réseau résultant du contrat.

Sur la modification des clauses contractuelles

27. La société PEPG demande au comité d'enjoindre à la société Enedis de lui transmettre un nouveau contrat d'accès au réseau public de distribution d'électricité en injection HTA, dans un délai de six mois à compter de la notification de la décision, permettant d'assurer une totale transparence dans l'application des régimes de responsabilité « en cas d'interruption du réseau ».

28. Il résulte de tout ce qui précède, en particulier des points 16 et 17, que le comité ne peut que rejeter cette demande.

Sur l'indemnisation par la société Enedis de la société PEPG

29. La société PEPG demande à ce que le comité de règlement des différends et des sanctions enjoigne à la société Enedis de solliciter à ses frais auprès du tiers responsable de l'incident (Orange) et de son assureur (MMA), le règlement de la somme de 14 985, 80 euros H.T à son profit, en réparation du préjudice subi du fait des conditions dans lesquelles l'accès au réseau a été interrompu du 21 mars 2018, 7 heures au 23 mars 2018, 15 heures, dans un délai de 30 jours à compter de la notification de la présente décision.

30. La société Enedis estime pour sa part que, en application d'une pratique décisionnelle établie, le comité n'est pas compétent pour statuer sur la demande indemnitaire formulée par la société PEPG.

31. A supposer même que la demande d'injonction à la société Enedis d'intervenir auprès d'un tiers pour obtenir la réparation du préjudice qu'elle a subi soit regardée comme une demande d'indemnisation, elle ne relève en tout état de cause pas de la compétence du comité s'agissant de l'indemnisation d'un préjudice. Par suite, la demande sera rejetée.

Décide :