JORF n°0196 du 26 août 2014

DÉCISION du 14 mai 2014

Le comité de règlement des différends et des sanctions,

Vu la demande de règlement de différend, enregistrée le 11 avril 2011, sous le numéro 182-38-11, présentée par le GAEC Tri Lann, immatriculé au registre du commerce et des sociétés de Vannes sous le numéro 444 893 978, dont le siège social est situé Kerlande Brandivy, 56390 Grandchamp, représenté par l'un des cogérants, M. Didier LE HEC.
Le GAEC Tri Lann a saisi le comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie du différend qui l'oppose à la société ERDF, sur les conditions de raccordement au réseau public de distribution d'électricité de son projet de centrale photovoltaïque.
Il ressort des pièces du dossier que le GAEC Tri Lann développe un projet d'installation photovoltaïque en toiture d'une puissance de 91,3 kW, située sur le territoire de la commune de Brandivy (56).
La société ERDF est le gestionnaire du réseau public de distribution d'électricité sur le territoire de cette commune.
Le 31 août 2010, la société ERDF a réceptionné une demande de raccordement du GAEC Tri Lann, signée du 27 juillet 2010, s'agissant d'une demande d'augmentation de puissance de raccordement à hauteur de 91,3 kW (l'installation étant déjà raccordée depuis janvier 2010 à hauteur de 35,88 kW).
Le 2 septembre 2010, la société ERDF a accusé réception de la demande de raccordement du GAEC Tri Lann à la date du 30 août 2010, lequel semblait « après une première analyse rapide » complet.
Le 27 octobre 2010, la société ERDF a indiqué par courrier au GAEC Tri Lann que son dossier, au regard de la procédure applicable en l'espèce, n'avait pas pu être enregistré et qu'il devait former une nouvelle demande complète de raccordement.
Le 17 novembre 2010, la société ERDF a confirmé au GAEC Tri Lann, à la demande de ce dernier, que son dossier de demande de raccordement était complet à la date du 30 août 2010 et qu'une offre de raccordement lui serait transmise dans les trois mois à compter de cette date.
Le 1er décembre 2010, la société ERDF a adressé par courrier au GAEC Tri Lann une proposition de raccordement accompagnée des conditions particulières de la convention de raccordement.
Le 6 décembre 2010, le GAEC Tri Lann a retourné la proposition de raccordement ainsi que les conditions particulières de la convention de raccordement signées du 2 décembre 2010, accompagnées du chèque d'acompte à la société ERDF, l'ensemble étant reçu par cette dernière le 8 décembre 2010.
Le 10 février 2011, la société ERDF a indiqué au GAEC Tri Lann que son projet était concerné par les dispositions du décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010 et qu'il devait former une nouvelle demande de raccordement.
Estimant que les conditions de raccordement au réseau public de distribution des installations de production n'étaient pas satisfaisantes, le GAEC Tri Lann a saisi le comité de règlement des différends et des sanctions d'une demande de règlement du différend qui l'oppose à la société ERDF.

Dans ses premières observations, le GAEC Tri Lann demande au comité « de porter une attention particulière à [ce] cas et tout faire avec vos instances pour nous replacer dans la file d'attente qui nous vaut d'être traité aux conditions d'août 2010 ».

Vu la décision du 29 avril 2011 par laquelle le comité de règlement des différends et des sanctions a suspendu son instruction jusqu'à l'intervention de la décision du Conseil d'Etat sur les requêtes tendant à l'annulation du décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010.

Vu les observations complémentaires, enregistrées le 7 juin 2013, présentées par le GAEC Tri Lann ayant pour avocat Me Julien MAFFARD, Fidal, Département règlement des contentieux, 15, rue du Professeur-Jean-Pecker, 35042 Rennes Cedex.
Le GAEC Tri Lann fait valoir qu'en lui retournant son dossier de demande de raccordement, sous prétexte que celui-ci n'était pas complet, alors qu'il l'était, la société ERDF a indéniablement commis une faute engageant sa responsabilité délictuelle.
Il affirme que cette faute a eu pour effet de lui faire perdre une chance que son dossier soit traité avant l'entrée en vigueur du décret « moratoire », et donc de bénéficier de tarifs d'achat de l'électricité nettement plus avantageux, la proposition technique et financière ayant été adressée par la société ERDF au GAEC Tri Lann le 1er décembre 2010, renvoyée par le GAEC le 4 décembre 2010, enregistrée par ERDF le 6 décembre 2010.
Le GAEC Tri Lann rappelle que l'article 8.2.1 de la procédure de traitement des demandes de raccordement, individuel en BT de puissance supérieure à 36 kVA et en HTA, au réseau public de distribution géré par ERDF applicable à compter du 3 juillet 2010 prévoit qu'« à compter de la date de qualification de la demande de raccordement, le délai de transmission au demandeur de l'offre de raccordement ne dépassera pas le délai défini dans le barème de raccordement pour le type d'installation concernée. Ce délai n'excédera pas trois mois quel que soit le domaine de tension de raccordement », qu'en l'espèce la société ERDF n'a pas respecté ce délai de trois mois en n'adressant la proposition technique et financière que le 1er décembre 2010, le dossier de demande de raccordement ayant été considéré comme complet le 30 août 2010.
Il souligne qu'il convient de prendre en compte la seule date d'envoi de la proposition technique et financière signée au gestionnaire du réseau public de distribution, non la date de réception de cette dernière.
Dès lors, le GAEC Tri Lann en conclut que la société ERDF doit être condamnée à l'indemniser pour le préjudice subi tant en raison de la gestion de son dossier qu'en raison du non-respect du délai de transmission de la proposition technique et financière.
Il soutient que si de telles fautes n'avaient pas été commises il aurait pu bénéficier des tarifs d'achat d'électricité antérieurs au décret « moratoire », soit ceux applicables au 30 août 2010.
Le GAEC Tri Lann évalue à 403 889,20 euros le préjudice subi sur vingt ans.
Il demande au comité de règlement des différends et des sanctions de :
« Vu l'article 1382 du code civil,Vu les dispositions de la délibération du 11 juin 2009 adoptée par la Commission de régulation de l'énergie,
Vu les dispositions de la procédure de traitement des demandes de raccordement, individuel en BT de puissance supérieure à 36 kVA et en HTA, au réseau public de distribution géré par ERDF,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,

- dire et juger qu'ERDF a commis une faute engageant sa responsabilité délictuelle, en procédant au retour du dossier pourtant complet déposé par le GAEC Tri Lann,
- dire et juger qu'ERDF n'a pas respecté les délais de traitement qu'il lui incombait de respecter.

En conséquence,

- dire et juger qu'en raison de ces inexécutions, ERDF a privé le GAEC Tri Lann de la chance de ne pas être soumis au moratoire, et d'ainsi pouvoir bénéficier des tarifs de rachat de l'électricité applicable au 30 août 2010.

En conséquence,

- condamner ERDF à payer au GAEC Tri Lann la somme de 403.889,20 euros en réparation du préjudice subi. »

Vu la lettre de la Commission de régulation de l'énergie du 24 juin 2013 par laquelle il est demandé à la société ERDF de présenter ses observations.

Vu les observations en défense, enregistrées le 2 octobre 2013, présentées par la société Electricité Réseau Distribution France (ERDF), société anonyme, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro B 444 608 442, dont le siège social est situé tour Winterthur, 102, terrasse Boieldieu, 92085 Paris La Défense, représentée par le président du directoire en exercice, ayant pour avocat Me Romain GRANJON, cabinet Adamas, 55, boulevard des Brotteaux, 69006 Lyon.
La société ERDF précise que le 18 octobre 2011, le GAEC Tri Lann a assigné la société ERDF devant le tribunal de grande instance de Laval en vue d'obtenir sa condamnation au paiement de 403.889,20 euros en réparation du préjudice qu'il aurait subi, que le GAEC Tri Lann s'est désisté de cette instance en septembre 2012 pour ensuite assigner la société ERDF devant le tribunal de commerce de Nanterre le 14 juin 2013.
Elle fait valoir que tant la demande initiale du GAEC Tri Lann visant à bénéficier des « conditions d'août 2010 » que ses dernières écritures visant à engager la responsabilité délictuelle de la société ERDF sont vouées au rejet.
S'agissant de la demande initiale du GAEC Tri Lann tendant à ce que son projet soit replacé dans la file d'attente et « traité aux conditions d'août 2010 », la société ERDF soutient que l'acceptation de la proposition technique et financière ayant été notifiée postérieurement au 1er décembre 2010, le GAEC Tri Lann n'a donc pas pu bénéficier de la dérogation prévue par l'article 3 du décret du 9 décembre 2010.
S'agissant des demandes additionnelles du GAEC Tri Lann, elle estime que ces demandes sont irrecevables dès lors que le comité est saisi des mêmes demandes que le tribunal de commerce de Nanterre, devant lequel l'instance est toujours pendante.
En outre, la société ERDF considère qu'il n'appartient qu'au juge du contrat de condamner, le cas échéant, la société ERDF à indemniser le préjudice subi par le GAEC Tri Lann, que dès lors le comité ne peut caractériser l'existence d'une « faute » qui serait commise par un gestionnaire de réseau ou d'une violation de ses obligations contractuelles, que le comité n'est pas compétent pour connaître des demandes relatives à la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle de l'une des parties au contrat, qu'il ne peut pas prononcer des condamnations tendant à l'exécution d'obligations contractuelles, à ce qu'il soit enjoint aux parties de signer un contrat, ou à la réparation du préjudice prétendument subi par le demandeur.
Enfin, elle prétend qu'elle a adressé la proposition technique et financière le 1er décembre 2010, que par conséquent elle a respecté le délai de trois mois prévu dans sa documentation technique et financière.
La société ERDF demande au comité de règlement des différends et des sanctions de rejeter l'ensemble des prétentions du GAEC Tri Lann.

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'énergie, notamment ses articles L. 134-19 et suivants ;
Vu le décret n° 2000-894 du 11 septembre 2000 modifié, relatif aux procédures applicables devant la Commission de régulation de l'énergie ;
Vu le décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010, suspendant l'obligation d'achat de l'électricité produite par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil ;
Vu la décision du 20 février 2009, relative au règlement intérieur du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie ;
Vu les décisions des 25 avril 2011 et 11 mars 2013 du président du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie, relatives à la désignation d'un rapporteur et d'un rapporteur adjoint pour l'instruction de la demande de règlement de différend enregistrée sous le numéro 182-38-11 ;
Vu la décision n° 344972 et autres du 16 novembre 2011 du Conseil d'Etat, société Ciel et Terre et autres ;

Les parties ayant été régulièrement convoquées à la séance publique du comité de règlement des différends et des sanctions, composé de Mme Monique LIEBERT-CHAMPAGNE, présiden,t Mme Françoise LAPORTE, M. Roland PEYLET et M. Christian PERS, membres du comité, qui s'est tenue le 14 mai 2014, en présence de :
Mme Alexandra BONHOMME, directrice juridique, représentant le directrice général empêché ;
Mme Maud BRASSART, rapporteure, et M. Thibaut DELAROCQUE, rapporteur adjoint ;
Les représentants de la société ERDF, assistés de Me Jérôme LEPEE.

Après avoir entendu :
- le rapport de Mme Maud BRASSART, présentant les moyens et les conclusions des parties ;
- les observations de Me Jérôme LEPEE pour la société ERDF ; la société ERDF persiste dans ses moyens et conclusions ;

Aucun report de séance n'ayant été sollicité ;
Le comité de règlement des différends et des sanctions en ayant délibéré, après que les parties, les rapporteurs, le public et les agents des services se sont retirés.

Sur la recevabilité des demandes du GAEC Tri Lann :
La société ERDF soutient que les demandes du GAEC Tri Lann sont irrecevables au motif que le tribunal de commerce de Nanterre a été saisi de demandes identiques.
Les saisines concurrentes du comité de règlement des différends et des sanctions et d'une juridiction ne sont exclues par aucun texte ni aucun principe, chaque juridiction ou autorité administrative statuant dans son domaine de compétence propre.
Sur la demande du GAEC Tri Lann visant à ce que son projet soit réintégré dans la file d'attente aux conditions d'août 2010 :
Le GAEC Tri Lann demande au comité de replacer son projet dans la file d'attente afin que ce dernier soit traité aux conditions d'août 2010.
L'article 1er du décret du 9 décembre 2010 dispose que l'« obligation de conclure un contrat d'achat de l'électricité produite par les installations mentionnées au 3° de l'article 2 du décret du 6 décembre 2000 susvisé est suspendue pour une durée de trois mois courant à compter de l'entrée en vigueur du présent décret. Aucune nouvelle demande ne peut être déposée durant la période de suspension ».
L'article 3 du même décret du 9 décembre 2010 prévoit que les « dispositions de l'article 1er ne s'appliquent pas aux installations de production d'électricité issue de l'énergie radiative du soleil dont le producteur a notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, son acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau ».
La légalité dudit décret du 9 décembre 2010 n'a pas été remise en cause par la décision du 16 novembre 2011 du Conseil d'Etat, société Ciel et Terre et autres.
Il ressort des pièces du dossier que la société ERDF a adressé au GAEC Tri Lann une proposition de raccordement ainsi que les conditions particulières de la convention de raccordement le 1er décembre 2010, que l'ensemble de ces documents a été signé par le GAEC Tri Lann le 2 décembre 2010 puis renvoyé le 6 décembre 2010 à la société ERDF, accompagné d'un chèque d'acompte, que ces documents ont été reçus par la société ERDF le 8 décembre 2010.
Cette proposition de raccordement accompagnée des conditions particulières de la convention de raccordement s'inscrit dans un dispositif contractuel plus avancé que la proposition technique et financière visée à la procédure de la société ERDF et aux procédures identiques conduites par d'autres distributeurs, auxquelles renvoient nécessairement les dispositions de l'article 3 du décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010. Par cette proposition de raccordement et ces conditions particulières de la convention de raccordement, la société́ ERDF s'est engagée sur les conditions techniques, juridiques et financières permettant à̀ une installation de production d'être raccordée au réseau public de distribution géré́ par la société́ ERDF.
Même si en vertu des dispositions de l'article 1er de ce décret, la conclusion d'un contrat d'achat, qui ne relève pas de la compétence du comité, est suspendue pendant une durée de trois mois, il demeure que toute proposition de raccordement accompagnée des conditions particulières de la convention de raccordement régulièrement conclues avant l'entrée en vigueur de ce décret devait être exécutée par la société ERDF, le projet en cause conservant nécessairement sa place en file d'attente.
S'il s'avérait que la société ERDF a sorti le projet du GAEC Tri Lann de la file d'attente, celui-ci devrait y être réintégré.
La place en file d'attente est sans incidence sur le tarif d'achat applicable, pour lequel le comité de règlement des différends et des sanctions n'est pas compétent.
Sur la demande du GAEC Tri Lann tendant à ce que le comité constate un manquement de la société ERDF à sa procédure de traitement des demandes de raccordement :
Le GAEC Tri Lann demande au comité de dire et juger que la société ERDF n'a pas respecté les délais de traitement qui lui incombaient.
Le paragraphe 9.1.2 de la procédure de traitement des demandes de raccordement applicable en l'espèce prévoit que « le délai maximal d'établissement de la convention de raccordement est de trois mois en BT et de neuf mois en HTA, sous réserve de l'aboutissement des démarches et autorisations administratives ».
Dès lors, la société ERDF disposait d'un délai de trois mois pour adresser au GAEC Tri Lann une proposition de raccordement.
Il ressort des pièces du dossier que la demande de raccordement du GAEC Tri Lann a été considérée comme complète par la société ERDF à la date du 30 août 2010, que cette dernière lui a adressé une proposition de raccordement accompagnée des conditions particulières de la convention de raccordement le 1er décembre 2010, que l'ensemble de ces documents a été signé par le GAEC Tri Lann le 2 décembre 2010.
Dans ces conditions, le comité ne peut que constater que la société ERDF a méconnu la procédure de traitement des demandes de raccordement applicable en l'espèce en adressant au GAEC Tri Lann une proposition postérieurement au 30 novembre 2010.
Sur la demande du GAEC Tri Lann tendant à ce que le comité constate une faute engageant la responsabilité délictuelle de la société ERDF dans la gestion du dossier de ce dernier :
Le GAEC Tri Lann demande au comité de dire et juger que la société ERDF a commis une faute engageant sa responsabilité délictuelle, « en procédant au retour du dossier pourtant complet déposé par le GAEC Tri Lann ».
Toutefois, il n'appartient qu'au juge compétent d'apprécier si le comportement de la société ERDF est susceptible d'engager sa responsabilité.
Sur les autres demandes du GAEC Tri Lann :
Le GAEC Tri Lann demande au comité de dire et juger qu'en raison de ces inexécutions la société ERDF a privé le GAEC Tri Lann de la chance de ne pas être soumis au moratoire et d'ainsi pouvoir bénéficier des tarifs de rachat de l'électricité applicables au 30 août 2010, en conséquence de condamner la société ERDF à lui payer la somme de 403 889,20 euros.
Toutefois, il n'appartient pas au comité de règlement des différends et des sanctions, dans le cadre de la compétence que lui donnent les articles L. 134-19 et suivants du code de l'énergie en matière de règlement de différends, de condamner une des parties à la réparation d'un préjudice allégué en raison de l'inexécution par l'autre partie de ses obligations.

Décide :

Article 1

La société ERDF a méconnu sa procédure de traitement des demandes de raccordement.

Article 2

Le surplus des demandes du GAEC Tri Lann est rejeté.

Article 3

La présente décision sera notifiée au GAEC Tri Lann et à la société Electricité Réseau Distribution France et publiée au Journal officiel de la République française.

Fait à Paris, le 14 mai 2014.

Pour le comité de règlement des différends et des sanctions :

La présidente,

M. Liebert-Champagne