JORF n°0078 du 3 avril 2013

Décision du 12 novembre 2012

Le comité de règlement des différends et des sanctions,

Vu la demande de règlement de différend, enregistrée le 30 juin 2011, sous le numéro 209-38-11, présentée par l'exploitation agricole Bordenave, exploitation agricole à responsabilité limitée immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Pau sous le numéro D. 430 147 520, dont le siège social est situé Andoins, 64420 Soumoulou, représentée par son gérant, M. Marc BORDENAVE, ayant pour avocat Me Benoît COUSSY, 4, rue de la Tour-des-Dames, 75009 Paris.

L'exploitation agricole Bordenave a saisi le comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie du différend qui l'oppose à la société Electricité Réseau Distribution France (ci-après désignée « ERDF »), sur les conditions de raccordement au réseau public de distribution d'électricité d'un projet de centrale photovoltaïque.

Il ressort des pièces du dossier que l'exploitation agricole Bordenave développe un projet de centrale photovoltaïque, d'une puissance de production maximale de 160 kW, sur le territoire de la commune de Maubourguet (Hautes-Pyrénées). La société ERDF est le gestionnaire du réseau public de distribution d'électricité sur le territoire de cette commune.

Le 27 août 2010, la société Fonroche, agissant pour le compte de l'exploitation agricole Bordenave, a adressé une demande de raccordement à la société ERDF pour le projet de centrale photovoltaïque.

Le 3 septembre 2010, la société ERDF a indiqué à la société Fonroche que sa demande était considérée comme complète à la date du 30 août 2010.

Le 6 décembre 2010, la société ERDF lui a communiqué une proposition technique et financière pour le raccordement de l'installation de production photovoltaïque au réseau public de distribution d'électricité.

Le même jour, la société Fonroche a renvoyé la proposition technique et financière signée et accompagnée d'un chèque d'acompte.

Le 13 janvier 2011, la société ERDF a indiqué à la société Fonroche que le projet était concerné par les dispositions du décret du 9 décembre 2010 suspendant l'obligation d'achat de l'électricité produite par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil et qu'elle devait, si elle souhaitait bénéficier d'un contrat d'obligation d'achat, adresser une nouvelle demande complète de raccordement à la fin de période de suspension de l'obligation d'achat.

Estimant que les conditions de raccordement au réseau public de distribution de l'installation de production n'étaient pas satisfaisantes, l'exploitation agricole Bordenave a saisi le comité de règlement des différends et des sanctions d'une demande de règlement du différend qui l'oppose à la société ERDF.

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Dans ses observations, l'exploitation agricole Bordenave soutient que la société ERDF n'a pas respecté le délai de trois mois pour lui délivrer une proposition technique et financière. Elle précise que la société ERDF lui a adressé une proposition technique et financière le 6 décembre 2010 sans justifier ce retard.
Elle ajoute que le décret du 9 décembre 2010 est entré en vigueur le 10 décembre 2010 et ne saurait être applicable sauf à contrevenir au principe général de non-rétroactivité des actes administratifs.
L'exploitation agricole Bordenave demande, en conséquence, au comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie de :
― constater que le retard pris par la société ERDF dans l'instruction de la demande de raccordement du projet de l'exploitation agricole Bordenave n'est pas contesté ;
― constater que le retard pris dans l'élaboration de la proposition technique et financière à adresser à l'exploitation agricole Bordenave est du seul fait du gestionnaire de réseau ;
― constater l'inopposabilité de l'article 3 du décret du 9 décembre 2010 au projet de l'exploitation agricole Bordenave ;
― enjoindre à la société ERDF de réintégrer le projet de l'exploitation agricole Bordenave dans la file d'attente à la date à laquelle la société ERDF avait enregistré la demande de proposition technique et financière de manière à ce que l'acceptation de la proposition technique et financière et de la convention de raccordement puissent utilement être prise en compte ;
― ordonner que cette réintégration ne préjudicie nullement aux porteurs de projets susceptibles d'être maintenus dans cette file d'attente ;
― ordonner que la société ERDF s'exécute sous astreinte de cinq cents euros par jour de retard à compter de la date de notification à la société ERDF de la décision à intervenir ;
― ordonner la consignation de la somme d'environ 7 472 euros correspondant à la provision envoyée à l'occasion de l'acceptation à valoir sur le paiement de la proposition technique et financière sur le compte CARPA du conseil de la société ERDF ou à tel séquestre qu'il plaira ;
― condamner, le cas échéant, la société ERDF à prendre en charge les frais inhérents à la présente procédure, en ce compris les dépens et les frais irrépétibles, soit trois mille euros.

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Vu la décision du 2 septembre 2011 par laquelle le comité de règlement des différends et des sanctions a suspendu son instruction jusqu'à l'intervention de la décision du Conseil d'Etat sur les requêtes tendant à l'annulation du décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010.

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Vu la lettre du directeur, adjoint au directeur général, du 9 août 2012 par laquelle il est demandé à la société ERDF de présenter ses observations.

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Vu les observations en défense, enregistrées le 21 septembre 2012, présentées par la société Electricité Réseau Distribution France (ERDF), société anonyme, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le numéro B 444 608 442, dont le siège social est situé 102, terrasse Boieldieu, 92085 Paris La Défense Cedex, représentée par la présidente du directoire, Mme Michèle BELLON, ayant pour avocat Me Romain GRANJON, cabinet Adamas, 55, boulevard des Brotteaux, 69006 Lyon.
La société ERDF indique que le Conseil d'Etat ayant validé le décret précité du 9 décembre 2010, le comité de règlement des différends et des sanctions doit opposer les dispositions du décret moratoire aux producteurs n'ayant pas renvoyé signée la proposition technique et financière avant le 2 décembre 2010.
Elle estime que l'exploitation agricole Bordenave, n'ayant pas renvoyé signée la proposition technique et financière avant le 2 décembre 2010, ne peut bénéficier de la dérogation prévue à l'article 3 du décret du 9 décembre 2010, ni exiger du comité de règlement des différends et des sanctions l'inopposabilité du décret du 9 décembre 2010.
La société ERDF demande, en conséquence, au comité de règlement des différends et des sanctions de rejeter l'ensemble des prétentions de l'exploitation agricole Bordenave.

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Vu les observations en réplique, enregistrées le 9 octobre 2012, présentées par l'exploitation agricole Bordenave.
L'exploitation agricole Bordenave soutient que les articles L. 134-20 et suivants du code de l'énergie ne prévoient pas la possibilité de surseoir à statuer ultra petita et sans condition de délai, sans même que cela n'ait été demandé par la partie défenderesse ou accepté par la partie plaignante.
Elle estime qu'il y a lieu de statuer au regard du droit applicable au plus tard quatre mois après la saisine. Elle considère que le comité de règlement des différends et des sanctions s'en remettant à la juridiction administrative pour statuer sur un différend et doit, également, faire application de la jurisprudence qui émane de cette juridiction au moment où il devait statuer et, ainsi, faire application du principe de non-rétroactivité des actes réglementaires.
L'exploitation agricole Bordenave renonce à la demande de condamnation de la société ERDF à assumer les frais de procédure ainsi qu'à la mesure d'injonction sous astreintes et persiste dans ses précédentes conclusions.
Elle demande, en outre, au comité de règlement des différends et des sanctions de :
― statuer sur les demandes initiales au regard du droit applicable au plus tard quatre mois après la saisine ;
― prendre systématiquement acte des fautes commises par la société ERDF dans la gestion du dossier objet du présent différend, en ce compris les fautes dans le retard de qualification de la complétude du dossier de demande de raccordement et de délivrance de la proposition technique et financière dans le délai maximum de trois mois.

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Vu les observations en duplique, enregistrées le 31 octobre 2012, présentées par la société ERDF.
La société ERDF estime que les demandes complémentaires, non formulées dans la saisine initiale, ne sauraient être recevables.
Elle soutient que la cour d'appel de Paris ayant validé les décisions de sursis à statuer prononcées par le comité de règlement des différends et des sanctions et que le Conseil d'Etat ayant rejeté les recours dirigés contre le décret du 9 décembre 2010, les dispositions de ce dernier doivent être opposés à l'exploitation agricole Bordenave.
La société ERDF conteste ensuite que le comité de règlement des différends et des sanctions ait compétence pour constater une éventuelle faute commise par elle, dès lors qu'il n'en résulte aucune décision. Elle ajoute que le comité ne pourra que suivre la décision du tribunal de commerce de Nanterre en date du 28 avril 2012.
La société ERDF persiste, donc, dans ses précédentes conclusions.

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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'énergie, notamment ses articles L. 134-19 et suivants ;
Vu le décret n° 2000-894 du 11 septembre 2000 modifié relatif aux procédures applicables devant la Commission de régulation de l'énergie ;
Vu le décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010 suspendant l'obligation d'achat de l'électricité produite par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil ;
Vu la décision du 20 février 2009 relative au règlement intérieur du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie ;
Vu la décision du 30 juin 2011 du président du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie relative à la désignation d'un rapporteur et d'un rapporteur adjoint pour l'instruction de la demande de règlement de différend enregistrée sous le numéro 209-38-11 ;
Vu la décision du 25 août 2011 du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie relative à la prorogation du délai d'instruction de la demande de différend introduite par l'exploitation agricole Bordenave ;
Vu la décision numéro 344972 et autres du 16 novembre 2011 du Conseil d'Etat, société Ciel et Terres et autres.

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Les parties ayant été régulièrement convoquées à la séance publique, qui s'est tenue le 12 novembre 2012, du comité de règlement des différends et des sanctions, composé de M. Pierre-François RACINE, président, Mme Sylvie MANDEL, M. Roland PEYLET et M. Christian PERS, membres, en présence de :
M. Olivier BEATRIX, directeur juridique et représentant le directeur général empêché ;
M. Didier LAFFAILLE, rapporteur et M. Thibaut DELAROCQUE, rapporteur adjoint ;
Me Benoît COUSSY, pour l'exploitation agricole Bordenave ;
Les représentants de la société ERDF, assistés de Me Romain GRANJON.
Après avoir entendu :
― le rapport de M. Didier LAFFAILLE, présentant les moyens et les conclusions des parties ;
― les observations de Me Benoît COUSSY pour l'exploitation agricole Bordenave ; l'exploitation agricole Bordenave persiste dans ses moyens et conclusions ;
― les observations de Me Romain GRANJON pour la société ERDF ; la société ERDF persiste dans ses moyens et conclusions ;
Aucun report de séance n'ayant été sollicité ;
Le comité de règlement des différends et des sanctions en ayant délibéré le 12 novembre 2012, après que les parties, le rapporteur, le rapporteur adjoint, le public et les agents des services se sont retirés.

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Sur le retard pris par la société ERDF dans l'instruction de la demande de raccordement.
L'exploitation agricole Bordenave demande au comité de règlement des différends et des sanctions de :
― constater que le retard pris par la société ERDF dans l'instruction de la demande de raccordement du projet de l'exploitation agricole Bordenave n'est pas contesté ;
― constater que le retard pris dans l'élaboration de la proposition technique et financière à adresser à l'exploitation agricole Bordenave est du seul fait du gestionnaire de réseau.
La procédure de traitement des demandes de raccordement des installations de production d'électricité aux réseaux publics de distribution, qui fait partie de la documentation technique de référence de la société ERDF, prévoit dans sa version applicable à l'espèce que le gestionnaire du réseau adressera au producteur une proposition technique et financière de raccordement dans le délai de trois mois suivant la qualification de la demande.
Il ressort des pièces du dossier que la demande de raccordement a été qualifiée par la société ERDF complète à la date du 30 août 2010 et que la proposition technique et financière de raccordement a été adressée le 6 décembre 2010 par cette dernière à la société Fonroche, ce qui constitue une méconnaissance par la société ERDF de sa documentation technique de référence qui prévoit sa transmission dans un délai « de 3 mois ».
L'exploitation agricole Bordenave est donc fondée à invoquer le retard pris par la société ERDF dans l'instruction de sa demande de raccordement.
Sur l'application du décret du 9 décembre 2010
L'exploitation agricole Bordenave demande au comité de règlement des différends et des sanctions de :
― constater l'inopposabilité de l'article 3 du décret du 9 décembre 2010 au projet de l'exploitation agricole Bordenave ;
― enjoindre à la société ERDF de réintégrer le projet de l'exploitation agricole Bordenave dans la file d'attente à la date à laquelle la société ERDF avait enregistré la demande de proposition technique et financière de manière à ce que l'acceptation de la proposition technique et financière et de la convention de raccordement puissent utilement être prise en compte ;
― ordonner que cette réintégration ne préjudicie nullement aux porteurs de projets susceptibles d'être maintenus dans cette file d'attente ;
― ordonner la consignation de la somme d'environ 7 472 euros correspondant à la provision envoyée à l'occasion de l'acceptation à valoir sur le paiement de la proposition technique et financière sur le compte CARPA du conseil de la société ERDF ou à tel séquestre qu'il plaira.
L'article 1er du décret du 9 décembre 2010 dispose que l'« obligation de conclure un contrat d'achat de l'électricité produite par les installations mentionnées au 3° de l'article 2 du décret du 6 décembre 2000 susvisé est suspendue pour une durée de trois mois courant à compter de l'entrée en vigueur du présent décret. Aucune nouvelle demande ne peut être déposée durant la période de suspension ».
L'article 3 du même décret du 9 décembre 2010, prévoit que les « dispositions de l'article 1er ne s'appliquent pas aux installations de production d'électricité issue de l'énergie radiative du soleil dont le producteur a notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, son acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau ».
L'article 5 dudit décret dispose qu'« à l'issue de la période de suspension mentionnée à l'article 1er, les demandes suspendues devront faire l'objet d'une nouvelle demande complète de raccordement au réseau pour bénéficier d'un contrat d'obligation d'achat ».
L'exploitation agricole Bordenave n'ayant notifié que le 6 décembre 2010 son acceptation de la proposition technique et financière de raccordement, les dispositions de l'article 5 du décret du 9 décembre 2010 lui sont applicables. Il lui appartient, si elle souhaite raccorder l'installation de production photovoltaïque au réseau public de distribution, en vue de bénéficier de l'obligation d'achat, de déposer une nouvelle demande complète de raccordement, conformément à ce même article.
Les conditions dans lesquelles le comité de règlement des différends et des sanctions a décidé de surseoir à statuer sur la demande de règlement de différend sont sans incidence sur la solution qu'il y a lieu de lui donner.

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Décide :

Article 1

La société Electricité Réseau Distribution France a méconnu sa procédure de traitement des demandes de raccordement.

Article 2

Le surplus de la demande de l'exploitation agricole Bordenave est rejeté.

Article 3

La présente décision sera notifiée à l'exploitation agricole Bordenave et à la société Electricité Réseau Distribution France. Elle sera publiée au Journal officiel de la République française.

Fait à Paris, le 12 novembre 2012.

Pour le comité de règlement

des différends et des sanctions :

Le président,

P.-F. Racine