Le Conseil constitutionnel a été saisi, d'une part, par plus de soixante sénateurs, d'autre part, par plus de soixante députés, de recours dirigés contre la loi de finances rectificative pour 1999, adoptée le 22 décembre 1999. Ces recours appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes :
I. - Sur la sincérité des prévisions de recettes
A. - Le recours présenté par les députés adresse à la loi de finances rectificative pour 1999 un certain nombre de critiques tirées du principe de sincérité budgétaire.
Les auteurs de ce recours commencent par affirmer que la sincérité d'une loi de finances se juge au jour du dépôt du document budgétaire et que les ajustements qui peuvent ensuite y être apportés ne peuvent qu'être exceptionnels. Estimant qu'aucun événement exceptionnel n'est intervenu entre le 24 novembre 1999, date de dépôt du projet, et le 20 décembre 1999, date à laquelle le Gouvernement a présenté un amendement réévaluant les prévisions de recettes, ils en déduisent que cette révision remet en cause la sincérité de la loi de finances rectificative.
Les requérants se prévalent ensuite de plusieurs dispositions de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, pour soutenir qu'en méconnaissance de ces dispositions les recettes fiscales du budget de l'Etat sont sous-évaluées. Ils font à cet égard grief à la réévaluation précédemment évoquée d'être insuffisante.
B. - Cette argumentation est mal fondée, en droit comme en fait.
- En premier lieu, il convient d'observer qu'elle n'est pas exempte de contradictions, dans la mesure où il est soutenu tout à la fois, d'une part, que les prévisions ne devraient plus être modifiées après le dépôt du projet et, d'autre part, qu'elles l'ont été, en l'espèce, dans une proportion insuffisante.
Dans sa première branche, cette thèse est juridiquement erronée. En effet, la conformité de la loi aux normes supérieures s'apprécie nécessairement à la date de son adoption, de sorte que, sur le plan juridique, la question est seulement de savoir si les prévisions figurant dans le texte adopté ne méconnaissent pas l'objectif de sincérité qui doit guider le législateur, lorsqu'il adopte les prévisions que comporte une loi de finances. Le Gouvernement était donc parfaitement fondé à présenter un amendement tendant à réviser les prévisions initiales, à partir du moment où il lui apparaissait que les dernières données disponibles pouvaient raisonnablement y conduire.
A cet égard, le Gouvernement n'entend pas revenir sur les observations qu'il a consacrées à la question de l'évaluation des recettes, en réponse aux critiques similaires que les mêmes requérants ont adressées à la loi de finances pour 2000. On rappellera seulement que tout exercice de prévision des recettes fiscales est marqué par des aléas importants, eu égard notamment aux masses en jeu, et que - si l'on distingue, comme il se doit, les controverses pouvant opposer les experts et le débat constitutionnel - il y a lieu de considérer que seule une sous-évaluation manifeste, certaine et volontaire des prévisions, dénaturant la signification du contrôle parlementaire sur ces prévisions, pourrait donner prise à un contrôle de constitutionnalité.
- En deuxième lieu, il faut souligner que la révision des recettes qui avaient été évaluées, un an auparavant, dans la loi de finances initiale pour 1999 a été substantielle, pour tenir compte, à la fois, de la croissance économique de 1998 et de l'évolution de la conjoncture en 1999.
Cette révision a été opérée en deux temps : elle s'est d'abord faite lors de l'élaboration de la loi de finances rectificative, sur la base des encaissements connus à l'époque, c'est-à-dire à fin septembre ; ces évaluations ont ensuite été actualisées, lors des débats, dès que les dernières informations statistiques connues ont permis de mieux appréhender le comportement d'autoliquidation, par les entreprises, de l'acompte d'impôt sur les sociétés (IS) du 15 décembre.
Cette actualisation est aussi proche des encaissements attendus sur l'ensemble de l'année 1999 qu'il est raisonnablement possible de l'être, à la date à laquelle le Parlement se prononce sur la loi de finances rectificative.
On précisera, à cet égard, que les recettes fiscales brutes de la loi de finances rectificative pour 1999 atteignent 1 871,9 milliards de francs. Hors impact des mesures de baisse de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) anticipées au 15 septembre 1999, ces recettes brutes atteindraient 1 877 milliards, soit une progression de 35,5 milliards de francs par rapport à la loi de finances initiale.
En raisonnant toujours hors impact de la baisse de la TVA, les recettes fiscales, nettes des remboursements et dégrèvements, progressent de 22,4 milliards de francs par rapport au montant figurant dans la loi de finances initiale pour 1999 (+ 24,3 milliards de francs pour les recettes totales). Elles s'établissent à 1 557,3 milliards de francs, en progression de 105,3 milliards de francs par rapport aux recettes fiscales nettes de 1998 (+ 7,3 %).
Cette progression des recettes fiscales nettes est en partie expliquée par les encaissements d'IS (+ 44,2 milliards) en raison de la progression de 12 % du bénéfice des entreprises en 1998.
Contrairement donc à ce que soutiennent les députés requérants, la révision des évaluations de recettes est, en tout état de cause, conforme à la situation économique pour 1998 et aux prévisions pour 1999.
Quant aux autres évaluations qui ont été mises en avant pour contester celles que le Gouvernement a retenues, elles ne sauraient être considérées comme fiables :
- les extrapolations à partir des résultats en cours d'année négligent les changements de législation (baisse de la TVA à la mi-septembre et de l'IS à la mi-décembre) et de comptabilisation (la contribution représentative du droit de bail est désormais recouvrée avec l'IR et l'IS, ce qui n'était pas le cas en 1998) ;
- les extrapolations réalisées à partir du ratio « recettes en cours d'année/recettes totales » des années précédentes se révèlent fausses, appliquées aux années précédentes.
Le moyen tiré du défaut de sincérité de la loi de finances rectificative pour 1999 est donc dépourvu de pertinence.
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