Il n'a pas de valeur légale et peut contenir des erreurs.
Proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol
Assemblée plénière du 18 mars 2025 (adoption - 27 voix pour - 1 voix contre - 8 abstentions)
- A la suite de la publication d'un rapport parlementaire sur la définition pénale du viol (1), une proposition de loi « visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles » a été déposée à l'Assemblée nationale le 21 janvier 2025. Elle élargit l'incrimination pénale en y introduisant la notion de non consentement. Dans le prolongement de l'avis relatif aux violences sexuelles de 2018 (2), dans lequel elle appelait à intégrer cette notion dans le code pénal, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) réitère sa position afin de rendre la définition française (3) conforme aux obligations internationales de la France et aux droits fondamentaux (4).
- En effet, la France doit se mettre en conformité avec la Convention d'Istanbul (5), à laquelle elle est partie, en particulier son article 36 (6) qui impose aux Etats de définir le viol comme un rapport sexuel non consenti. Dès 2019, le premier rapport d'évaluation du Groupe d'experts sur la lutte contre les violences l'égard des femmes (GREVIO) du Conseil de l'Europe exhortait la France à mettre sa législation en conformité avec la Convention (7), estimant que la définition pénale française ne permettait pas de saisir de nombreuses situations de rapports sexuels non consentis ; il soulignait en outre que le traitement judiciaire des violences sexuelles y compris le viol, était porteur de stéréotypes de genre (8). De son côté, le Comité des Nations Unies pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) recommandait à la France, dans ses observations finales, de modifier la définition pénale de ce crime en l'articulant autour de la notion de non-consentement de la victime (9). De même, lors du dernier examen périodique universel (EPU), plusieurs Etats appelaient la France à intégrer le défaut de consentement dans la définition pénale du viol (10), en application des standards internationaux.
- Pour leur part, les Etats membres de l'Union européenne (UE) ont adopté, le 7 mai 2024, la première législation destinée à combattre les violences à l'égard des femmes (11). Pourtant l'année 2023 avait été marquée par de vifs débats autour de l'article 5 définissant le viol comme un rapport sexuel non consenti, lequel a fini par être supprimé, en particulier sous l'impulsion de la France. Répondant aux critiques lui reprochant de ne pas suffisamment lutter contre les violences sexuelles, la France a argué qu'elle possédait une des législations les plus sévères en la matière.
- Néanmoins, malgré la sévérité des peines encourues et l'évolution de la jurisprudence, la France reste largement une terre d'impunité pour les auteurs de violences sexuelles (12). Lors du dernier examen de la France en 2023, le CEDAW a considéré que la définition actuelle du viol « limite les possibilités de condamnation et rend difficile le parcours des plaignants et des plaignantes » (13). Alors que, selon la dernière enquête VRS (vécu et ressenti en matière de sécurité) de l'Insee parue fin 2023, 270 000 femmes affirment avoir été victimes de violences sexuelles, seules 6 % d'entre elles ont déposé plainte (14). Le taux de classement sans suite est, quant à lui, extrêmement élevé : 86 % dans les affaires de violences sexuelles, atteignant même 94 % pour les viols (15). La majorité des classements sans suite étant motivée par l'insuffisance de caractérisation de l'infraction, la CNCDH est d'avis que la définition actuelle du viol en est en partie responsable. Les limites du texte actuel ne permettent pas de saisir clairement de nombreuses situations de rapports sexuels non consentis signalés auprès de la police et de la gendarmerie. En définissant le viol et les agressions sexuelles au regard de quatre modus operandi (violence, contrainte, menace ou surprise), le défaut de consentement demeure un élément implicite de l'incrimination.
- Pour la CNCDH, l'absence de consentement de la victime doit apparaître explicitement comme un élément constitutif du viol et des agressions sexuelles. Elle note aussi qu'un large mouvement se dessine en Europe, une quinzaine de pays européens ayant fait évoluer leur législation pour y intégrer la notion de non-consentement (16), comme l'a fait la Belgique en 2022 (17).
- Pourtant, le projet de modification de la définition du viol suscite des critiques (18), essentiellement à deux égards, auxquelles il convient de répondre, d'autant que se dessine au sein des courants féministes et de la doctrine pénaliste un large mouvement d'adhésion à cette réforme (19).
- D'une part, la référence explicite à une notion aussi « ambiguë » et « floue » que celle de consentement dans la définition rénovée du crime serait inappropriée dès lors qu'un viol est toujours un acte de pouvoir qui ne saurait se résoudre en une opposition binaire entre le oui et le non (20). Au contraire, une nouvelle définition fondée expressément sur le non-consentement faciliterait l'appréhension des faits sous la qualification de viol : par exemple le cas d'une victime qui cède (21), en raison de la sidération (22), la peur ou encore d'un contexte de domination ou d'autorité de tous ordres préexistant aux faits (23), telle l'emprise. La définition du viol résultant de celle proposée par le Conseil de l'Europe devrait ainsi permettre d'appréhender pénalement toute relation sexuelle non librement consentie.
- D'autre part, l'insertion de la notion de non-consentement, en focalisant l'attention policière puis judiciaire sur le comportement de la victime conduirait à déplacer le centre de gravité des investigations du comportement de l'agresseur vers cette dernière. Ainsi, la réforme serait « contre-productive », dès lors que « la justice se sentira encore plus encline à centrer les débats sur le consentement de la victime au lieu de s'interroger sur la stratégie de l'agresseur (24) ». Mais c'est ignorer qu'aujourd'hui les investigations se concentrent déjà largement sur les plaignantes et plaignants, leur comportement et leur vie intime, leur faisant vivre un parcours pénal particulièrement pénible, comme l'a souligné le Comité des Nations unies (CEDAW) lors de l'examen de la France en 2023. Le phénomène de victimation secondaire a ainsi largement été documenté et se trouve au cœur de huit requêtes déposées contre la France devant la Cour européenne des droits de l'homme (25). Pour la CNCDH, la nouvelle définition permettrait au contraire de replacer l'auteur au centre du débat judiciaire : les investigations porteraient désormais sur la façon dont le mis en cause s'est ou non assuré du consentement de la personne. Au regard des « circonstances environnantes (26) », les investigations devraient vérifier que le consentement a été valablement recueilli : il doit être libre, éclairé, préalable, continu et spécifique de l'acte sexuel en cause (27). Pour autant, cette réforme ne doit aucunement avoir pour effet d'affaiblir la présomption d'innocence ou les droits de la défense : c'est toujours à la partie poursuivante de rechercher et d'apporter les éléments de preuve. De surcroît, la réforme proposée ne doit créer aucune présomption de non-consentement au profit de la victime (28).
- La CNCDH estime qu'il importe et de conserver les quatre modus operandi du texte actuel, et de les faire précéder de l'adverbe « notamment ». Cet adverbe n'est pas contraire au principe de prévisibilité de la loi pénale, dès lors que ces quatre modus operandi de l'agresseur ne sont ici que des exemples facilitant la preuve du défaut de consentement de la victime, désormais élément constitutif explicite de l'incrimination. Cette adjonction permettra aux magistrats de mieux saisir les autres procédés utilisés par les auteurs pour outrepasser le non-consentement des victimes, dans le respect bien sûr du principe de l'interprétation stricte de la loi pénale. Au demeurant, le code pénal renferme déjà d'autres infractions dont les modus operandi sont précédés de cet adverbe (29).
- La CNCDH tient néanmoins à rappeler avec force que l'introduction du défaut de consentement de la victime dans la définition du viol ne saurait suffire. Cette réforme textuelle doit s'inscrire dans une politique pénale cohérente et ambitieuse pour que ce crime soit traité à la hauteur de sa gravité. En ce sens, la CNCDH appelle à l'adoption et la diffusion d'une circulaire de politique pénale propre à renforcer le travail policier et judiciaire autour de la plainte elle-même, de l'écoute de la victime, du recueil des éléments de preuve, suivant la technique du faisceau d'indices et de l'appréhension par les enquêteurs et les magistrats des circonstances environnantes. Et il convient bien sûr d'accroître les moyens de la police judiciaire et la formation des enquêteurs et des magistrats en les sensibilisant aux biais de genre et à la spécificité du consentement en matière sexuelle. Enfin, ce changement législatif doit être l'occasion de mener de nouvelles campagnes d'information et de sensibilisation, y compris au sein de l'éducation nationale. La mise en œuvre effective de la loi du 4 juillet 2001, qui rendu l'éducation à la vie sexuelle, affective et relationnelle obligatoire, est ainsi une condition essentielle de la prévention des violences sexuelles et sexistes.
- Comme l'indique le GREVIO dans son rapport d'évaluation sur la France, introduire le défaut de consentement dans le code pénal, réforme à haute portée symbolique, permettra de changer de paradigme : en s'assurant que l'autre a donné son accord à une relation sexuelle et en soulignant qu'aucun corps n'est à disposition, un pas de plus pourra être accompli vers l'égalité entre les femmes et les hommes et la dignité de tous les êtres humains.
(1) Rapport d'information déposé par la délégation de l'Assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes sur la définition pénale du viol, n° 792, déposé le mardi 21 janvier 2025.
(2) CNCDH, Avis relatif aux violences sexuelles : une urgence sociale et de sante publique, un enjeu de droits fondamentaux, Assemblée plénière du 20 novembre 2018, JORF n° 0273 du 25 novembre 2018, texte n° 66.
(3) Aux termes de l'art. 222-22 du code pénal « Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ou, dans les cas prévus par la loi, commise sur un mineur par un majeur. » et aux termes de l'art.222-23 « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. »
(4) L'analyse faite ici par la CNCDH n'évoque que le viol mais inclut également les autres agressions sexuelles.
(5) Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, également appelée « la Convention d'Istanbul », 11 mai 2011.
(6) Article 36 - Violence sexuelle, y compris le viol.
« 1. Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infraction pénale, lorsqu'ils sont commis intentionnellement : a. la pénétration vaginale, anale ou orale non consentie, à caractère sexuel, du corps d'autrui avec toute partie du corps ou avec un objet ;
b. les autres actes à caractère sexuel non consentis sur autrui ;
c. le fait de contraindre autrui à se livrer à des actes à caractère sexuel non consentis avec un tiers. (…) » ;
2. Le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes.
(7) « Le GREVIO exhorte les autorités françaises à réexaminer leur législation et leurs pratiques judiciaires, en particulier la pratique de la correctionnalisation, en matière de violences sexuelles, y compris celles commises sur les victimes mineures, afin : a. de fonder la définition des violences sexuelles sur l'absence de libre consentement de la victime, en conformité avec l'article 36, paragraphe 1, de la Convention d'Istanbul ; et b. d'assurer une réponse judiciaire efficace aux violences sexuelles, qui soit centrée sur le respect des droits humains des victimes, et sur une prise en charge et un accompagnement approprié des victimes ». Rapport d'évaluation de référence sur la France par le GREVIO, 2019.
(8) Le GREVIO note que « le défaut de connaissance des dispositifs existants ainsi que les préjugés et attitudes discriminatoires issus d'une culture patriarcale continuent à parsemer d'embûches le parcours des victimes » ; voir paragraphe 221 du rapport.
(9) Observations finales concernant le 9e rapport périodique de la France, CEDAW/C/FRA/CO/9 ; le comité recommande de « modifier le Code pénal de manière que la définition du viol soit fondée sur l'absence de consentement, couvre tout acte sexuel non consenti et tienne compte de toutes les circonstances coercitives, conformément aux normes internationales relatives aux droits humains ».
(10) https://www.cncdh.fr/actualite/examen-periodique-universel-de-la-france-les-etats-adressent-plus-de-350-recommandations
(11) Directive a(UE) 2024/1385 du Parlement européen et du Conseil du 14 mai 2024 sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique.
(12) La CNCDH rappelle que si les femmes forment l'immense majorité des victimes de violences sexuelles, (en moyenne 85 % de victimes femmes, dont 59 % ont entre 18 et 24 ans, V. rapport d'information déposé par la délégation de l'Assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes sur la définition pénale du viol, n° 792, déposé le mardi 21 janvier 2025) les hommes le sont également (violences sexuelles dans les établissements scolaires, carcéraux, militaires…).
(13) Cf. note n° 9.
(14) Rapport d'information déposé par la délégation de l'Assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes sur la définition pénale du viol, n° 792, déposé le mardi 21 janvier 2025.
(15) Le traitement judiciaire des violences sexuelles et conjugales en France. Maëlle Stricot. Avril 2024. Note IPP n° 107, mise à jour le 27/11/2024 avec des ajouts de précisions méthodologiques. Cette étude révèle que dans la grande majorité des cas, et contrairement aux autres procédures, l'auteur des faits est connu et identifié. Le motif principal de classement étant « pour infraction insuffisamment caractérisée », ce qui ne signifie nullement que l'infraction n'a pas eu lieu, mais que les preuves sont insuffisantes pour sanctionner l'auteur présumé. Néanmoins, le ministère de la justice a contesté la méthode retenue. Le dernier Infostat Justice (2018) se référant aux violences sexuelles révélait que seules 30 % des plaintes pour viol donnaient lieu à des poursuites pénales. Il est regrettable que le ministère de la justice n'ait toujours pas actualisé ces chiffres en dépit de l'importance du débat relatif à l'accès à la justice des victimes de violences sexuelles.
(16) Amnesty International : « Parlons de consentement : les lois relatives au viol fondées sur le consentement en Europe » ;
https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2020/12/consent-based-rape-laws-in-europe/
(17) Aux termes de l'article 417/11 du code pénal belge, le viol est défini comme « Tout acte qui consiste en ou se compose d'une pénétration sexuelle de quelque nature et par quelque moyen que ce soit, commis sur une personne ou à l'aide d'une personne qui n'y consent pas ».
(18) https://www.publicsenat.fr/actualites/societe/le-consentement-dans-la-definition-penale-du-viol-fait-debat-parmi-les-juristes-et-les-feministes
(19) https://www.nouvelobs.com/societe/20241122.OBS96782/violences-sexistes-et-sexuelles-il-faut-inscrire-dans-le-marbre-qu-un-rapport-sexuel-non-librement-consenti-est-un-viol.html ; Définition du viol : ajouter la notion de non-consentement est dans l'intérêt des victimes - L'Humanité ; Audrey Darsonville, Magali Lafourcade, François Lavallière, Catherine Le Magueresse et Élodie Tuaillon-Hibon ; « Faire du consentement libre et éclairé à l'acte sexuel la norme », Dalloz Actualité 5 juin 2024.
(20) V. Tribune collectif féministe contre le viol : https://cfcv.asso.fr/justice-contre-introduction-consentement/ Adde dans le même sens, Manon Garcia, Croire qu'il suffit de définir le viol par le non-consentement est illusoire, Le Monde 14 décembre 2024, p. 28 ; Clara Serra, La doctrine du consentement, éd. La Fabrique, 2025.
(21) « Céder n'est pas consentir » ; V. G. Fraysse, Du consentement, éd.du Seuil 2022, coll. Essais, p. 104.
(22) V. cependant l'arrêt de la chambre criminelle prenant en considération « un état de sidération » qui résulte de la surprise pour caractériser des viols et agressions sexuelles, Crim. 11 septembre 2024 n° 23-86.657.
(23) Comme la domination économique ou l'autorité dans un contexte professionnel, médical, religieux, sportif, politique…
(24) V. Céline Piquet et al., Introduire la notion de consentement dans la définition du viol est un piège, in Le Monde du 18 février 2025, Idées, p. 25).
(25) La CNCDH a déposé des observations devant la Cour européenne des droits de l'homme dans le cadre des requêtes E.A. et Association AVFT contre la France (req. n° 30556/22) ; C.A. contre la France (req. n° 39690/22) ; M.L. contre la France (req. n° 39759/22) ;G.B. contre la France (req. n° 8229/23) portant notamment sur la définition pénale du viol.
(26) Les circonstances environnantes renvoient au cadre et au contexte dans lesquels les faits ont été commis : par exemple, lieu de commission des faits, état d'ébriété ou soumission chimique, vulnérabilités particulières, relation de pouvoir, contexte de violences ou de pressions préexistantes etc. Cf. art. 36§2 de la Convention d'Istanbul, précité note 6.
(27) La spécificité du consentement renvoie à la nature et aux modalités de l'acte sexuel sur lequel il porte (ex : pénétration vaginale ou anale, utilisation ou non d'un préservatif, pratiques sadomasochistes…).
(28) L'introduction du défaut de consentement ne revient pas sur l'existence d'une présomption de non-consentement pour les mineurs de moins de 15 ans et pour les enfants victimes d'inceste, introduite par la loi du 21 avril 2021. En effet, il existe une présomption de non-consentement pour les mineurs de moins de 15 ans en cas de relation sexuelle avec un adulte, sous réserve d'un écart d'âge de 5 ans (art. 222-23-1 du code pénal). Par ailleurs, s'agissant de l'inceste il existe une présomption de non-consentement pour toute personne de moins de 18 ans (art. 222-23-2 du code pénal).
(29) Cf. code pénal, art. 227-15 : mise en péril de la santé et de la moralité des mineurs, 224-4 : enlèvement et séquestration, etc.
1 version