Il n'a pas de valeur légale et peut contenir des erreurs.
Avis n° 2021-0121 de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP)
|AVERTISSEMENT
Le présent document est un document confidentiel.
Les données et informations protégées par la loi sont présentées de la manière suivante : [SDA].|
|:---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------|
L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ci-après « l'ARCEP » ou « l'Autorité »),
Vu la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques modifiée (dite « loi Bichet ») ;
Vu la loi n° 2019-1063 du 18 octobre 2019 relative à la modernisation de la distribution de la presse ;
Vu le décret n° 2021-440 du 13 avril 2021 portant cahier des charges des sociétés agréées de distribution de la presse ;
Vu la décision n° 2021-1264 du 24 juin 2021 octroyant à France Messagerie un agrément de distributeur de presse ;
Vu l'avis n° 2020-1159 du 22 octobre 2020 relatif aux conditions techniques, tarifaires et contractuelles des prestations de la société France Messagerie ;
Vu l'avis n° 2021-0098 du 28 janvier 2021 relatif aux conditions techniques, tarifaires et contractuelles des prestations de la société France Messagerie ;
Vu la saisine de la société France Messagerie enregistrée le 3 novembre 2021 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Après en avoir délibéré le 15 décembre 2021,
Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations qui suivent :
Par courrier recommandé enregistré le 3 novembre 2021, la société France Messagerie a saisi l'ARCEP de nouvelles conditions techniques, tarifaires et contractuelles (ci-après « conditions TTC ») pour application au 1er janvier 2022.
Après avoir présenté le cadre juridique, le contexte et la saisine de France Messagerie (1), l'Autorité développera son analyse des modifications tarifaires envisagées pour 2022 (2).
- Cadre de la saisine
1.1. Cadre juridique
Le 2° de l'article 18 de la loi Bichet, telle que modifiée par la loi n° 2019-1063, dispose que l'ARCEP « [e]st informée par chaque société agréée, deux mois avant leur entrée en vigueur, des conditions techniques, tarifaires et contractuelles de ses prestations. Dans un délai de deux mois à compter de cette transmission, elle émet un avis public sur ces conditions ou fait connaître ses observations à la société. Elle peut demander à la société de présenter une nouvelle proposition et, si nécessaire, modifier les conditions tarifaires ou suspendre leur application si elles ne respectent pas les principes de non-discrimination, d'orientation vers les coûts d'un opérateur efficace et de concurrence loyale. Elle peut également décider, pour assurer le respect de ces principes, d'un encadrement pluriannuel des tarifs de ces prestations. Elle rend publics les barèmes établis par les sociétés agréées au bénéfice de l'ensemble des clients ».
L'article 5 de la loi Bichet modifiée dispose que : « Toute société agréée de distribution de la presse est tenue de faire droit, dans des conditions objectives, transparentes, efficaces et non discriminatoires, à la demande de distribution des publications d'une entreprise de presse […] ».
L'article 16 de la loi Bichet modifiée dispose que : « [l'ARCEP] est chargée de faire respecter les principes énoncés par la présente loi. Elle veille à la continuité territoriale et temporelle, à la neutralité et à l'efficacité économique de la distribution groupée de la presse ainsi qu'à une couverture large et équilibrée du réseau des points de vente. Elle concourt à la modernisation de la distribution de la presse et au respect du pluralisme de la presse. »
1.2. Les principes retenus pour l'analyse des prestations des sociétés assurant la distribution de la presse
Chargée de faire respecter les principes de la loi Bichet, l'Autorité doit veiller au caractère non-discriminatoire des tarifs, à l'orientation vers les coûts d'un opérateur efficace, à la concurrence loyale, ainsi qu'au respect des principes d'objectivité et de transparence. La manière dont l'ARCEP entend appréhender ces différents principes lors de son examen, dans le présent avis, des conditions TTC des prestations des sociétés de distribution reste identique à celle qu'elle avait retenue lors des précédents avis rendus, à savoir :
« Le principe de non-discrimination vise notamment à éviter que les sociétés de distribution (1) de presse n'augmentent leurs tarifs vis-à-vis d'éditeurs dont le pouvoir de négociation serait moindre et ne diminuent leurs tarifs pour certains clients sans justification objective.
Le principe de transparence vise quant à lui à garantir que tout éditeur a accès à l'ensemble des informations relatives à l'ensemble des prestations de la chaîne de distribution.
Selon le principe d'efficacité, relatif à l'orientation vers les coûts, les coûts pris en compte pour la fixation des tarifs devraient correspondre à ceux encourus par un opérateur dit « efficace ». Il convient donc que ledit opérateur ne fasse pas supporter de coûts indus ou excessifs aux éditeurs.
Conformément au principe d'objectivité, la tarification mise en œuvre par la société de distribution doit pouvoir être justifiée à partir d'éléments de coûts clairs et opposables.
Le principe de concurrence loyale implique quant à lui que les éditeurs doivent avoir la possibilité de choisir leur distribution. Les principes de régulation sont en effet établis pour le bénéfice de tous les éditeurs, qui sont les bénéficiaires in fine des services de distribution de presse.
Il est important de noter que l'Autorité appréciera au cas par cas l'application de ces principes en tenant compte également des objectifs fixés par la loi (neutralité, efficacité économique, couverture large et équilibrée des points de vente, modernisation, respect du pluralisme, continuité territoriale et temporelle).
Ainsi, notamment, le principe de non-discrimination encadre d'éventuelles différences de traitement entre éditeurs qui doivent être justifiées et proportionnées. A cet égard, ce principe est à mettre en regard de la logique de pertinence selon laquelle les coûts devraient être supportés par les éditeurs qui les induisent ou ont usage des prestations correspondantes. Suivant cette logique, un éditeur devrait se voir imputer d'éventuels coûts supplémentaires induits par ses besoins spécifiques à condition que cela soit conforme aux objectifs de la régulation (notamment de pluralisme). Il est à noter par ailleurs que la loi prévoit un mécanisme de péréquation auquel cette logique n'a pas vocation à s'appliquer. »
- Analyse de l'Autorité
Dans son projet de conditions TTC pour 2022, France Messagerie introduit des modifications de plusieurs postes de tarification. Le distributeur prévoit également d'intégrer dans ses barèmes de nouvelles composantes tarifaires. Ces éléments soulèvent trois préoccupations distinctes sur :
- le niveau général des tarifs (2.1) ;
- de nouvelles modalités de remise pouvant s'apparenter à des remises « de bienvenue » (2.2) ;
- certaines modifications conférant des avantages aux publications à très fort tirage (2.3).
2.1. Le niveau général des tarifs et la couverture des coûts par les tarifs restent une source de préoccupation
Si les modifications apportées par France Messagerie conduisent à l'augmentation des tarifs de certaines prestations, les conditions TTC que France Messagerie envisage de proposer aux éditeurs en 2022 ont, d'après l'étude d'impact réalisée par la société, un effet en moyenne baissier sur les montants facturés aux éditeurs, tant pour les magazines que pour les quotidiens.
Dans son avis n° 2021-0098 du 28 janvier 2021, portant sur les conditions TTC 2021 de France Messagerie, l'Autorité indiquait que : « France Messagerie a présenté à l'ARCEP une analyse d'impact prévisionnel des nouveaux tarifs sur le montant facturé aux éditeurs de magazines (par titre distribué). Celle-ci conclut à une baisse significative des montants facturés aux éditeurs. ». Elle avait attiré « l'attention sur les risques sur l'équilibre financier de la messagerie que pourrait engendrer la réalisation de gains de productivité inférieurs à ceux projetés […] ».
Dans le cadre de l'article 8.3 du cahier des charges (2), France Messagerie a transmis une actualisation de la prévision budgétaire pour 2021 et son plan d'affaires pour les années 2022 à 2024. L'actualisation de la prévision budgétaire pour 2021 fait état d'une situation financière bénéficiaire pour 2021.
Le budget prévisionnel de l'année 2022, repose, quant à lui, sur :
- une hypothèse de croissance du portefeuille de publications distribuées de [SDA] correspondant à une croissance de [SDA] ;
- un montant de péréquation au niveau de [SDA] en année pleine, supérieur au montant prévisionnel pour l'année 2020 mentionné dans la consultation publique publiée le 29 juillet 2021 (entre 5,1 M€ et 5,6 M€ pour le 2nd semestre, soit entre 10,2 M€ et 11,2 M€ en année pleine) (3).
Pour les années 2023 et 2024, le plan d'affaires établi par France Messagerie, tout juste à l'équilibre, repose sur les hypothèses suivantes :
- l'identification d'économies de [SDA] ;
- le maintien du montant de péréquation à [SDA], supérieur au montant prévisionnel pour l'année 2020 mentionné dans la consultation publique publiée le 29 juillet 2021 ;
- le versement d'une subvention par l'Etat à hauteur de [SDA].
Dans ces conditions, l'Autorité continue à s'interroger sur la solidité financière et économique de la société France Messagerie et est préoccupée par le risque que cette situation fait peser sur sa capacité à assurer la pérennité de la distribution des quotidiens. Elle insiste sur la nécessité d'assurer la santé de l'entreprise à travers une amélioration continue de l'efficacité de l'outil industriel et, le cas échéant, l'augmentation des tarifs.
Dès lors, et au regard de ce qui précède, l'Autorité invite France Messagerie à réexaminer ces éléments et notamment ses conditions techniques, tarifaires et contractuelles.
2.2. De nouvelles modalités de remise applicables aux publications s'apparentant à des remises « de bienvenue »
France Messagerie prévoit d'intégrer dans ses conditions TTC applicables aux publications plusieurs modifications sur les remises pratiquées :
- d'une part, elle introduit une nouvelle remise sur « croissance des volumes » ;
- d'autre part, elle introduit une nouvelle « offre de lancement ».
Les formulations proposées par France Messagerie pourraient conduire à ce que ces remises confèrent des avantages aux publications transférées d'un autre distributeur de presse, constituant ainsi des remises dites « de bienvenue ».
Dans son avis n° 2020-0140 du 6 février 2020, l'ARCEP avait demandé à la société Presstalis la suppression des remises dites « de bienvenue » (welcome bonus) qui s'appliquent aux transferts entre distributeurs de presse car « de telles remises ne correspondent en effet à aucun gain d'efficacité et ne contribuent pas au pluralisme ou à la diversité de l'offre. De plus, leur mise en œuvre dans un secteur en situation de duopole se fait in fine au détriment des deux acteurs. Elles soulèvent un certain nombre de difficultés au regard des principes de concurrence loyale, d'efficacité, d'objectivité et de pertinence. »
2.2.1. Remise « sur croissance des volumes »
Dans son projet de conditions TTC pour 2022, France Messagerie prévoit de mettre en place une remise « sur croissance des volumes ». L'assiette de la remise est la différence entre les fournis totaux de l'année N+1 et les fournis totaux de l'année N, avec un abattement de 0,01 € par exemplaire fourni supplémentaire (ou 0,005 € par exemplaire fourni supplémentaire si le titre est distribué en « flux détendu »).
L'ARCEP relève que la formulation proposée par France Messagerie ne permet pas de déterminer clairement l'année de référence qui sera prise en compte pour le calcul de la croissance des volumes dès lors que l'assiette de la remise est définie comme suit dans les conditions TTC : « Assiette (par codification) = fournis totaux 2023 - fournis totaux 2022 ».
Or, comme l'avait souligné l'Autorité dans son avis n° 2020-0140 du 6 février 2020, les remises qui sont « indexées sur une croissance des ventes du groupe et qui, la première année, prendraient comme année de référence pour le calcul de la croissance une année vierge ou partielle » constituent des remises dites « de bienvenue ».
En conséquence, l'Autorité demande à France Messagerie de préciser la formulation de cette remise de manière à faire apparaître sans ambiguïté que l'année de référence utilisée pour le calcul de la croissance des volumes est une année complète de distribution par France Messagerie.
2.2.2. « Offre de lancement »
Par ailleurs, France Messagerie souhaite accompagner les éditeurs qui lancent un nouveau titre pendant une durée de deux mois avec une nouvelle « offre de lancement » donnant lieu notamment à une réduction de 50 % des frais de transport à la palette reçue pour les titres concernés.
Dans son projet de barème, France Messagerie présente sa nouvelle « offre de lancement » de la façon suivante : « France Messagerie accompagne pendant une durée de deux mois calendaires (quelle que soit la périodicité du titre) les éditeurs dans leurs nouveaux projets ». Dans sa réponse au questionnaire envoyé le 9 novembre 2021, France Messagerie affirme que les « nouveaux projets » sont définis comme « les nouvelles codifications (non inclus les hors-séries, ceux-ci étant rattachés à une codif existante) que ceux-ci soient édités par un nouveau client ou un éditeur déjà client de France Messagerie ».
Or, au vu des éléments dont l'Autorité dispose, un titre transféré d'un autre distributeur de presse pourrait recevoir une nouvelle codification et ainsi bénéficier de l'offre de lancement. Cette offre pourrait donc être utilisée comme remise « de bienvenue ».
L'ARCEP demande donc à France Messagerie d'indiquer dans ses conditions techniques, tarifaires et contractuelles que seuls les nouveaux titres d'éditeurs déjà clients de France Messagerie depuis au moins une année pleine peuvent être éligibles à l'offre de lancement.
2.3. Avantages concédés aux publications à très fort tirage
Le projet de conditions TTC de France Messagerie pour 2022 introduit plusieurs modifications qui confèrent un avantage aux publications à très fort tirage au détriment de plus petits titres. C'est le cas de :
- la baisse de la tarification plancher des frais de messagerie ;
- la modification de la remise sur fournis à l'année.
2.3.1. Baisse de la tarification plancher des frais de messagerie
Les frais de messagerie supportés par les éditeurs, diminués des éventuelles remises, sont encadrés au moyen d'un plancher et d'un plafond de tarification.
En particulier, France Messagerie prévoit, dans ses conditions TTC applicables aux publications, de revoir la tarification plancher des frais de messagerie à la baisse. Elle s'élèverait à 0,8 % de la VMF, contre 2 % de la VMF dans les barèmes actuellement en vigueur.
Or, cette modification engendre mécaniquement une baisse de tarif, parfois substantielle, pour les titres à plus fort tirage, qui étaient pour certains facturés au niveau du plancher de 2 % en 2021 et qui pourront voir leurs frais de messagerie diminuer de plus de 50 %.
L'ARCEP considère que le volume des fournis peut être un facteur d'économies d'échelle pour la distribution groupée de la presse susceptible de justifier l'octroi de certaines remises, revenant in fine à réduire le tarif moyen de distribution par exemplaire. En revanche, elle estime qu'une remise sur les prestations de base s'appliquant à une minorité de titres à très fort tirage au détriment de plus petits titres, sans justification de gains d'efficacité, soulève un certain nombre de difficultés au regard du principe d'objectivité et va à l'encontre des principes de diversité et de pluralisme issus de la loi Bichet, auxquels l'Autorité est chargée de veiller.
Elle demande donc à France Messagerie de revoir son mode de calcul de la tarification plancher des frais de messagerie afin de ne pas favoriser de manière injustifiée les titres à fort tirage au détriment des titres à faible tirage.
2.3.2. Modification de la remise sur fournis à l'année
Par ailleurs, France Messagerie prévoit, dans ses conditions TTC applicables aux publications, de revoir à la hausse le taux de remise sur fournis à l'année pour la tranche la plus élevée : dans les conditions TTC prévues pour 2022, une remise de 2,6 % de la VMF est proposée pour les titres dont le fourni annuel dépasse les 4 000 000 exemplaires, contre 1,9 % auparavant pour les titres dépassant les 800 000 exemplaires. Cette modification ne peut bénéficier qu'à une minorité de titres à très fort tirage.
Pour les mêmes raisons qu'au point 2.3.1, l'ARCEP demande à France Messagerie de revoir son mode de calcul de la remise sur fournis à l'année afin de ne pas favoriser de manière injustifiée les titres à fort tirage au détriment des titres à faible tirage.
- Conclusion
L'Autorité continue de s'interroger sur la solidité financière et économique de la société France Messagerie et est préoccupée par le risque que cette situation fait peser sur sa capacité à assurer la pérennité de la distribution des quotidiens. Elle insiste sur la nécessité d'assurer la santé de l'entreprise à travers une amélioration continue de l'efficacité de l'outil industriel et, le cas échéant, l'augmentation des tarifs. En conséquence, l'Autorité invite France Messagerie à réexaminer les éléments de son plan d'affaires et ses conditions techniques, tarifaires et contractuelles (« TTC »).
L'Autorité demande en outre à la société France Messagerie :
- de préciser la formulation de la remise « sur croissance des volumes » de manière à faire apparaître sans ambiguïté que l'année de référence utilisée pour le calcul de la croissance des volumes est une année complète de distribution par France Messagerie ;
- d'indiquer dans ses conditions TTC que seuls les nouveaux titres d'éditeurs déjà clients de France Messagerie depuis au moins une année pleine peuvent être éligibles à l'offre de lancement ;
- de revoir son mode de calcul de la tarification plancher des frais de messagerie et de la remise sur fournis à l'année afin de ne pas favoriser de manière injustifiée les titres à fort tirage au détriment des titres à faible tirage.
1 version