JORF n°0024 du 28 janvier 2021

Le Conseil supérieur de l'audiovisuel a été saisi pour avis, par courrier en date du 12 janvier 2021, d'un projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et visant au renforcement de la résilience face à ses effets. Ce projet de loi a vocation à reprendre certaines des recommandations formulées par la Convention citoyenne pour le climat.
Conformément à la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication audiovisuelle, le Conseil a pour mission de veiller à ce que le développement du secteur de la communication audiovisuelle s'accompagne d'un niveau élevé de protection de l'environnement.
Le Conseil inscrit son action en faveur de l'environnement dans le prolongement direct de ses missions de régulation. Il s'est engagé, au côté de sept autorités administratives ou publiques indépendantes, à intégrer les enjeux liés au climat et à l'environnement dans ses priorités (1). L'évolution des usages et des modes de consommation des contenus vidéo, comme la profonde mutation du secteur audiovisuel, l'invite à amplifier son action dans ce domaine. La vidéo en ligne représenterait ainsi 1 % des émissions globales de gaz à effet de serre et ce alors que la consommation énergétique du numérique croit annuellement de 9 % (2).
Face à ces évolutions, le Conseil, soucieux de veiller à l'équilibre économique d'acteurs audiovisuels largement dépendants des ressources publicitaires, entend prendre toute sa part au mouvement de transition écologique de la publicité.

I. - Sur la situation du marché publicitaire audiovisuel

A titre liminaire, le Conseil souhaite rappeler que la publicité constitue la source de financement principale des médias audiovisuels privés et contribue de manière importante à l'économie des médias publics en France. Elle constituait ainsi environ 52 % du chiffre d'affaires total des chaînes de télévision gratuites et environ 94 % du chiffre d'affaires total des chaînes gratuites privées en 2019 (3). A titre d'exemple, le secteur automobile représentait à lui seul 12,7 % et 16,5 % du total des investissements publicitaires bruts respectivement en télévision et en radio en 2019 (4). De ce fait, la publicité est un facteur structurant du niveau de financement des programmes et, notamment, de la création audiovisuelle et cinématographique.
Cette ressource économique est cependant soumise à des évolutions structurelles et conjoncturelles majeures.
D'une part, les médias traditionnels affrontent depuis plusieurs années la concurrence de plus en plus soutenue des médias en ligne. En 2019, pour la quatrième année consécutive, la publicité en ligne a ainsi été le premier média investi par les annonceurs et a capté une part importante de la croissance des dépenses de communication. Entre 2011 et 2019, les recettes nettes de la publicité sur supports numériques (5) ont augmenté d'environ 129 % (pour atteindre un total d'environ 5,9 milliards d'euros en 2019) (6), portant la part du numérique dans le total des recettes publicitaires nettes de 19 % à 40 % (7). A l'inverse, les recettes publicitaires de la télévision et de la radio - qui représentaient en 2019 un montant total de 3 402 millions d'euros pour la télévision et 714 millions d'euros pour la radio - ont connu une érosion importante de leur part dans le total des recettes publicitaires nettes, respectivement de 4 et de 1 points (8). En outre, les revenus issus des environnements numériques des médias audiovisuels ne constituent pas un relais de croissance suffisant pour contrebalancer la baisse tendancielle des recettes publicitaires classiques (+ 5,9 % de ces recettes pour la télévision, la radio et la presse en 2019 par rapport à l'année précédente [9]).
D'autre part, les recettes publicitaires ont subi depuis 20 ans les effets de trois chocs conjoncturels négatifs, en 2000, 2008 et 2020. Les restrictions sanitaires liées à la pandémie de covid-19 ont provoqué l'abandon ou le report d'une partie des campagnes publicitaires prévues. Si de bons résultats au second semestre 2020 ont permis de tempérer les effets très significatifs du premier confinement, la télévision a connu une baisse de 8 % de ses recettes publicitaires brutes (avant remises), contre 7 % pour la radio sur l'ensemble de l'année 2020 (10). L'évolution des recettes nettes de la télévision et de la radio pourraient toutefois présenter des différences avec celle des investissements bruts, seuls disponibles à date. Par contraste, les supports publicitaires numériques ont affiché une meilleure résistance. Selon une estimation de Magna (IPG Mediabrands), la publicité en ligne a connu en 2020 une croissance de 5,8 % de ses revenus en France par rapport à 2019. A un niveau plus détaillé, la publicité numérique vidéo a bénéficié d'une croissance de 13,7 % tandis que la publicité sur les réseaux sociaux a augmenté de 18,6 % (11). La crise sanitaire a ainsi contribué à accélérer le transfert de valeur des médias traditionnels vers les acteurs numériques, pour mieux capter une consommation locale et concentrée sur le e-commerce.
Le Conseil est ainsi particulièrement attentif aux évolutions législatives ou réglementaires susceptibles d'affecter l'économie des médias audiovisuels et le financement de la création.

II. - Sur l'article 5 relatif à la conclusion de codes de bonne conduite

L'article 5 du projet de loi, qui viendrait compléter l'article 14 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, confie au Conseil la mission de promouvoir la conclusion de codes de bonne conduite visant à réduire efficacement les communications commerciales audiovisuelles relatives à des produits ayant un impact négatif sur l'environnement.
Le Conseil approuve pleinement cette démarche, fondée sur des engagements volontaires des opérateurs convenus avec le régulateur, ce dernier étant chargé d'en contrôler le respect. Elle s'inscrit ainsi dans un mouvement engagé depuis une dizaine d'années, consistant à compléter les outils de régulation classique par des mécanismes de « droit souple ». Ces mécanismes semblent être les mieux à même d'articuler l'objectif de lutte contre le dérèglement climatique avec la préservation des intérêts d'une filière fragilisée par les effets de la crise sanitaire. Ils offrent en effet la souplesse nécessaire à l'adaptation des mesures prises aux spécificités de chacun des acteurs concernés.
Le Conseil considère que les codes prévus à l'article 5 pourraient comporter, outre les mesures concernant les communications commerciales, des engagements relatifs, d'une part, à la diffusion de contenus audiovisuels en lien avec le développement durable et la transition écologique et, d'autre part, aux actions relevant de la responsabilité sociale et sociétale des entreprises.
Le Conseil souhaite par ailleurs souligner certaines des conditions de réussite de cette démarche. En premier lieu, au regard de la rédaction générale du texte qui vise les « produits ayant un impact négatif sur l'environnement, notamment au regard de leur empreinte carbone, des émissions de gaz à effet de serre qu'ils génèrent et de leur participation à la déforestation », les engagements devraient être clairs, concrets, mesurables et auditables. Ils devraient pouvoir s'appuyer sur un référentiel partagé relatif aux produits visés par l'article 5. Leur réalisation ferait l'objet d'une évaluation régulière, dont les résultats seraient rendus publics. En outre, les codes devraient établir des mécanismes garantissant l'accès du régulateur à une information fiable, comparable, actualisée et disponible.
En outre, cette charte pourrait être ouverte, au-delà du strict secteur audiovisuel, à des acteurs volontaires, en particulier les régies des plateformes numériques, afin d'en améliorer la portée et de tenir compte des évolutions des modes de consommation. A cet égard, le Conseil souligne la nécessité de soumettre à un encadrement homogène l'ensemble des formes de publicité sur les médias audiovisuels et numériques. Des mesures sectorielles asymétriques sont en effet susceptibles de renforcer indirectement la prédominance des supports numériques, ainsi que l'ont relevé les auteurs du rapport consacré à la publicité en ligne remis récemment à la ministre de la culture et au secrétaire d'État au numérique (12).

Sous réserve de ces observations, le Conseil émet un avis favorable aux dispositions du projet de loi soumises à son avis.
Le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française.


Historique des versions

Version 1

Le Conseil supérieur de l'audiovisuel a été saisi pour avis, par courrier en date du 12 janvier 2021, d'un projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et visant au renforcement de la résilience face à ses effets. Ce projet de loi a vocation à reprendre certaines des recommandations formulées par la Convention citoyenne pour le climat.

Conformément à la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication audiovisuelle, le Conseil a pour mission de veiller à ce que le développement du secteur de la communication audiovisuelle s'accompagne d'un niveau élevé de protection de l'environnement.

Le Conseil inscrit son action en faveur de l'environnement dans le prolongement direct de ses missions de régulation. Il s'est engagé, au côté de sept autorités administratives ou publiques indépendantes, à intégrer les enjeux liés au climat et à l'environnement dans ses priorités (1). L'évolution des usages et des modes de consommation des contenus vidéo, comme la profonde mutation du secteur audiovisuel, l'invite à amplifier son action dans ce domaine. La vidéo en ligne représenterait ainsi 1 % des émissions globales de gaz à effet de serre et ce alors que la consommation énergétique du numérique croit annuellement de 9 % (2).

Face à ces évolutions, le Conseil, soucieux de veiller à l'équilibre économique d'acteurs audiovisuels largement dépendants des ressources publicitaires, entend prendre toute sa part au mouvement de transition écologique de la publicité.

I. - Sur la situation du marché publicitaire audiovisuel

A titre liminaire, le Conseil souhaite rappeler que la publicité constitue la source de financement principale des médias audiovisuels privés et contribue de manière importante à l'économie des médias publics en France. Elle constituait ainsi environ 52 % du chiffre d'affaires total des chaînes de télévision gratuites et environ 94 % du chiffre d'affaires total des chaînes gratuites privées en 2019 (3). A titre d'exemple, le secteur automobile représentait à lui seul 12,7 % et 16,5 % du total des investissements publicitaires bruts respectivement en télévision et en radio en 2019 (4). De ce fait, la publicité est un facteur structurant du niveau de financement des programmes et, notamment, de la création audiovisuelle et cinématographique.

Cette ressource économique est cependant soumise à des évolutions structurelles et conjoncturelles majeures.

D'une part, les médias traditionnels affrontent depuis plusieurs années la concurrence de plus en plus soutenue des médias en ligne. En 2019, pour la quatrième année consécutive, la publicité en ligne a ainsi été le premier média investi par les annonceurs et a capté une part importante de la croissance des dépenses de communication. Entre 2011 et 2019, les recettes nettes de la publicité sur supports numériques (5) ont augmenté d'environ 129 % (pour atteindre un total d'environ 5,9 milliards d'euros en 2019) (6), portant la part du numérique dans le total des recettes publicitaires nettes de 19 % à 40 % (7). A l'inverse, les recettes publicitaires de la télévision et de la radio - qui représentaient en 2019 un montant total de 3 402 millions d'euros pour la télévision et 714 millions d'euros pour la radio - ont connu une érosion importante de leur part dans le total des recettes publicitaires nettes, respectivement de 4 et de 1 points (8). En outre, les revenus issus des environnements numériques des médias audiovisuels ne constituent pas un relais de croissance suffisant pour contrebalancer la baisse tendancielle des recettes publicitaires classiques (+ 5,9 % de ces recettes pour la télévision, la radio et la presse en 2019 par rapport à l'année précédente [9]).

D'autre part, les recettes publicitaires ont subi depuis 20 ans les effets de trois chocs conjoncturels négatifs, en 2000, 2008 et 2020. Les restrictions sanitaires liées à la pandémie de covid-19 ont provoqué l'abandon ou le report d'une partie des campagnes publicitaires prévues. Si de bons résultats au second semestre 2020 ont permis de tempérer les effets très significatifs du premier confinement, la télévision a connu une baisse de 8 % de ses recettes publicitaires brutes (avant remises), contre 7 % pour la radio sur l'ensemble de l'année 2020 (10). L'évolution des recettes nettes de la télévision et de la radio pourraient toutefois présenter des différences avec celle des investissements bruts, seuls disponibles à date. Par contraste, les supports publicitaires numériques ont affiché une meilleure résistance. Selon une estimation de Magna (IPG Mediabrands), la publicité en ligne a connu en 2020 une croissance de 5,8 % de ses revenus en France par rapport à 2019. A un niveau plus détaillé, la publicité numérique vidéo a bénéficié d'une croissance de 13,7 % tandis que la publicité sur les réseaux sociaux a augmenté de 18,6 % (11). La crise sanitaire a ainsi contribué à accélérer le transfert de valeur des médias traditionnels vers les acteurs numériques, pour mieux capter une consommation locale et concentrée sur le e-commerce.

Le Conseil est ainsi particulièrement attentif aux évolutions législatives ou réglementaires susceptibles d'affecter l'économie des médias audiovisuels et le financement de la création.

II. - Sur l'article 5 relatif à la conclusion de codes de bonne conduite

L'article 5 du projet de loi, qui viendrait compléter l'article 14 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, confie au Conseil la mission de promouvoir la conclusion de codes de bonne conduite visant à réduire efficacement les communications commerciales audiovisuelles relatives à des produits ayant un impact négatif sur l'environnement.

Le Conseil approuve pleinement cette démarche, fondée sur des engagements volontaires des opérateurs convenus avec le régulateur, ce dernier étant chargé d'en contrôler le respect. Elle s'inscrit ainsi dans un mouvement engagé depuis une dizaine d'années, consistant à compléter les outils de régulation classique par des mécanismes de « droit souple ». Ces mécanismes semblent être les mieux à même d'articuler l'objectif de lutte contre le dérèglement climatique avec la préservation des intérêts d'une filière fragilisée par les effets de la crise sanitaire. Ils offrent en effet la souplesse nécessaire à l'adaptation des mesures prises aux spécificités de chacun des acteurs concernés.

Le Conseil considère que les codes prévus à l'article 5 pourraient comporter, outre les mesures concernant les communications commerciales, des engagements relatifs, d'une part, à la diffusion de contenus audiovisuels en lien avec le développement durable et la transition écologique et, d'autre part, aux actions relevant de la responsabilité sociale et sociétale des entreprises.

Le Conseil souhaite par ailleurs souligner certaines des conditions de réussite de cette démarche. En premier lieu, au regard de la rédaction générale du texte qui vise les « produits ayant un impact négatif sur l'environnement, notamment au regard de leur empreinte carbone, des émissions de gaz à effet de serre qu'ils génèrent et de leur participation à la déforestation », les engagements devraient être clairs, concrets, mesurables et auditables. Ils devraient pouvoir s'appuyer sur un référentiel partagé relatif aux produits visés par l'article 5. Leur réalisation ferait l'objet d'une évaluation régulière, dont les résultats seraient rendus publics. En outre, les codes devraient établir des mécanismes garantissant l'accès du régulateur à une information fiable, comparable, actualisée et disponible.

En outre, cette charte pourrait être ouverte, au-delà du strict secteur audiovisuel, à des acteurs volontaires, en particulier les régies des plateformes numériques, afin d'en améliorer la portée et de tenir compte des évolutions des modes de consommation. A cet égard, le Conseil souligne la nécessité de soumettre à un encadrement homogène l'ensemble des formes de publicité sur les médias audiovisuels et numériques. Des mesures sectorielles asymétriques sont en effet susceptibles de renforcer indirectement la prédominance des supports numériques, ainsi que l'ont relevé les auteurs du rapport consacré à la publicité en ligne remis récemment à la ministre de la culture et au secrétaire d'État au numérique (12).

Sous réserve de ces observations, le Conseil émet un avis favorable aux dispositions du projet de loi soumises à son avis.

Le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française.