JORF n°0156 du 8 juillet 2014

(Assemblée plénière du 26 juin 2014)

  1. Au lendemain des élections européennes de mai 2014, l'Union européenne (UE) doit faire face à des défis majeurs. La crise ukrainienne, dans toute sa brutalité, a montré la fragilité du système de sécurité régionale dans une Europe une et libre, fondée sur les principes de la Charte des Nations unies de 1945 et les engagements de la Charte de Paris de 1990 pour une nouvelle Europe. La diplomatie européenne a été en première ligne dès le début de cette crise, qu'elle a abordée avec quelques maladresses et hésitations, avant de réagir avec solidarité au nom de ses valeurs et de ses intérêts. Au même moment, la montée électorale des nationalismes à travers le continent témoigne d'une inquiétude à l'égard d'une Europe trop lointaine et technocratique, qui mène des négociations secrètes sans contrôle démocratique suffisant. Par ailleurs, certains Etats, en prônant une simple zone de libre échange au risque de sacrifier les droits économiques et sociaux, remettent en cause l'indivisibilité et l'universalité des droits de l'homme, alors que la crise économique mondiale multiplie les exclus. C'est en renouant avec ses valeurs fondamentales de liberté, de justice et de solidarité, aux niveaux interne et externe, que l'Union peut connaître un nouvel élan, comme pôle de démocratie et de stabilité, en exerçant un pouvoir d'influence, un « soft power », qui passe par une diplomatie active, volontariste, engagée et cohérente en matière de droits de l'homme.
  2. L'UE connaît cette année des échéances importantes, avec l'élection du Parlement européen, la désignation d'une nouvelle Commission européenne ainsi que de son président et de son vice-président/haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Ce nouveau départ va de pair avec le renouvellement du mandat du représentant spécial de l'UE pour les droits de l'homme (1) et la réflexion sur un nouveau plan d'action sur les droits de l'homme et la démocratie (2).
  3. Après avoir cherché à s'affirmer progressivement comme acteur politique à part entière sur la scène internationale, l'Union est aujourd'hui pleinement engagée sur les plans bilatéral, multilatéral et institutionnel, que ce soit par le biais de son action politique et diplomatique, de ses échanges commerciaux ou encore de ses programmes d'aide humanitaire ou d'aide au développement. La création par le traité de Lisbonne d'un poste de haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et la mise en place d'un service européen pour l'action extérieure (SEAE) (3) sont venues renforcer cette dimension politique de l'action extérieure de l'Union.
  4. Dans ce contexte, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a décidé de se pencher sur un aspect important et souvent méconnu de l'action de l'Union, à savoir sa politique extérieure en matière de droits de l'homme. Cet avis s'inscrit dans la continuité de ses travaux sur la diplomatie et les droits de l'homme (4) qui soulignaient que si les objectifs de la diplomatie ne pouvaient se limiter aux droits de l'homme, ceux-ci en constituaient un élément fondamental. Afin d'actualiser sa réflexion, elle a procédé à une série d'auditions de personnalités issues des institutions européennes, de la société civile, du monde universitaire et de l'administration française (5). Des sujets d'études comme les droits de l'homme dans l'action interne de l'UE ou la place de l'UE dans les organisations internationales, volontairement non développées dans le cadre du présent avis, pourront faire l'objet d'analyses approfondies ultérieures de la CNCDH.
  5. La consécration des droits de l'homme dans l'action de l'UE est le fruit d'une longue évolution dont le traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009 (6), constitue une étape importante, en réaffirmant dès l'article 2 que : « L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'Etat de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme (…) ». En outre, la Charte des droits fondamentaux de l'UE, adoptée en 2000, a acquis par le traité de Lisbonne une valeur conventionnelle au sein de l'Union (7). Elle s'applique à l'ensemble des actions de l'Union, y compris celles ayant une dimension extérieure (8). Aussi la Cour de justice de l'UE et les juridictions nationales disposent-elles désormais d'une nouvelle source sur laquelle s'appuyer pour veiller au respect des droits fondamentaux dans l'interprétation et l'application du droit de l'Union. Dans le même temps, le traité de Lisbonne prévoit l'adhésion de l'UE à la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH).
  6. En matière de politique extérieure, le traité de l'UE dispose que « dans ses relations avec le reste du monde, l'Union contribue (…) à la protection des droits de l'homme » (9) et que « l'action de l'Union sur la scène internationale repose sur les principes qui ont présidé à sa création, à son développement et à son élargissement et qu'elle vise à promouvoir dans le reste du monde : la démocratie, l'état de droit, l'universalité et l'indivisibilité des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la dignité humaine, les principes d'égalité et de solidarité et le respect des principes de la charte des Nations unies et du droit international. L'Union s'efforce de développer des relations et de construire des partenariats avec les pays tiers et avec les organisations internationales, régionales ou mondiales qui partagent les principes visés au premier alinéa. (…) L'Union définit et mène des politiques communes et des actions et œuvre pour assurer un haut degré de coopération dans tous les domaines des relations internationales afin : (…) de consolider et de soutenir la démocratie, l'état de droit, les droits de l'homme et les principes du droit international » (10).
  7. Dans ce cadre, les droits de l'homme sont devenus une composante essentielle de l'action extérieure de l'Union ainsi qu'un élément de son identité. Cette volonté s'est notamment traduite par des évolutions institutionnelles récentes : l'adoption du Cadre stratégique et du plan d'action de l'UE sur les droits de l'homme et la démocratie ainsi que la nomination d'un représentant spécial de l'UE pour les droits de l'homme. Ces deux avancées visent à renforcer la prise en compte transversale des droits de l'homme dans l'ensemble des politiques extérieures de l'UE. Elles réaffirment également la nécessité de conduire l'ensemble de ces politiques de manière cohérente et coordonnée (I). La recherche indispensable de cohérence, qui fonde la légitimité de l'Union, devrait se traduire par une utilisation coordonnée, effective et suivie des outils de la politique extérieure. Or, l'évaluation de ces outils démontre l'existence de marges d'améliorations possibles (II). La cohérence implique également que l'UE tienne le même langage dans les différentes enceintes internationales au sein desquelles elle trouve progressivement sa place (III).
  8. Malgré l'importance croissante de l'Union sur la scène internationale et le renforcement de son action extérieure sur le plan institutionnel, le rôle des Etats membres reste prédominant en ce domaine. L'action extérieure de l'UE, et particulièrement la politique extérieure et de sécurité commune (11), sont largement conditionnées par l'influence des Etats membres et fonctionnent encore selon la méthode intergouvernementale. En outre, les Etats sont le plus souvent en première ligne dans la réponse aux crises, que ce soit dans les phases politiques, diplomatiques ou militaires. L'action extérieure de l'UE au sens large comprend donc aussi bien la politique des institutions européennes - sous l'emprise forte des Etats - que celle de ses Etats membres, dont certains sont membres permanents du Conseil de sécurité (12).
  9. Cet avis adressé au Gouvernement s'inscrit donc dans cette logique d'influence des Etats, notamment de la France, sur l'action extérieure de l'Union et de nécessaire synergie entre les politiques étrangères nationale et européenne. Il n'a pas vocation à analyser de manière exhaustive les mécanismes institutionnels de la politique extérieure de l'Union en matière de droits de l'homme mais plutôt à dégager les grands traits de cette politique et à identifier les principales difficultés, afin de formuler des propositions concrètes pour en améliorer le fonctionnement.
  10. A titre liminaire, la CNCDH constate un défaut général de lisibilité de l'action extérieure de l'Union ainsi qu'un manque de transparence sur la nature et les résultats de cette action, alors même que les moyens financiers mobilisés pour la politique extérieure de l'UE sont très importants (13) et appelleraient une réelle évaluation de son impact, mise à disposition des citoyens européens. L'accès à l'information, comme dans le cadre de négociations d'accords de libre échange (14), est parfois limitée, pour des raisons de confidentialité, et parfois entravée par la complexité institutionnelle de l'UE et par les difficultés d'accès aux documents en français.

I. - L'indispensable recherche de cohérence

  1. La cohérence de l'action de l'Union à l'égard des pays tiers est la condition de sa crédibilité et donc de son efficacité. Elle comprend aussi bien la cohérence interne-externe que la cohérence externe-externe. En effet, il est essentiel que les exigences en matière de droits de l'homme posées par l'Union dans ses relations avec les pays tiers s'appliquent également à sa propre action interne ainsi qu'à celle de ses Etats membres, ce qui traduit l'exigence d'exemplarité qui doit les animer. En outre, la cohérence implique de la constance dans la conduite de la politique extérieure, en dépit de la diversité des sujets et des partenaires. Les politiques à l'égard des pays tiers, de quelque nature qu'elles soient, ne doivent pas se contredire ou se nuire, mais au contraire se renforcer. A cet égard, dans son dernier rapport annuel sur les droits de l'homme, le Parlement européen considère que « le choix stratégique le plus fondamental pour l'UE concerne la résilience et la détermination politique à rester fidèle aux valeurs fondatrices de l'Union face à la pression exercée par d'autres objectifs et intérêts stratégiques, lorsque les temps sont difficiles » (15).

A. - La cohérence au cœur d'un cadre juridique et institutionnel consolidé

  1. Conformément à l'article 21 du traité sur l'UE, les droits de l'homme constituent l'un des huit objectifs des politiques communes et des actions dans le domaine des relations internationales. Sur le plan juridique, l'objectif de respect des droits de l'homme innerve donc l'ensemble des politiques extérieures de l'UE au même titre que d'autres objectifs comme les intérêts de l'Europe, sa sécurité, l'intégration des pays dans l'économie mondiale, y compris par la suppression progressive des obstacles au commerce international.
  2. En vertu du traité de Lisbonne, les compétences en matière de politique extérieure concernent les domaines suivants :

- la politique étrangère et sécurité commune (titre 5, chapitre 2 du traité sur l'UE) ;
- la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) (titre 5, chapitre 2, section 2 du traité sur l'UE) ;
- la politique commerciale commune (partie 5, titre 2 du traité sur le fonctionnement de l'UE) ;
- la coopération au développement (partie 5, titre 2, chapitre 1er du traité sur le fonctionnement de l'UE) ;
- la coopération économique, financière et technique (partie 5, titre 2, chapitre 2 du traité sur le fonctionnement de l'UE) ;
- l'aide humanitaire (partie 5, titre 2, chapitre 3 du traité sur le fonctionnement de l'UE).

De plus, plusieurs politiques de l'UE comportent une dimension extérieure, par exemple dans le domaine des transports ou de la justice et des affaires intérieures (16).
14. En outre, ces différents domaines des relations extérieures sont eux-mêmes subdivisés entre politiques intégrées d'une part, comprenant notamment la politique commerciale commune, la coopération au développement et l'aide humanitaire, et la politique étrangère et de sécurité commune d'autre part, d'essence intergouvernementale, qui recouvre les domaines de la politique étrangère ainsi que l'ensemble des questions relatives à la sécurité de l'Union.
15. De plus, malgré la nomination d'un haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et le regroupement de plusieurs d'entre eux au sein du SEAE, placé sous son autorité, les acteurs de la politique extérieure de l'UE sont nombreux et relativement dispersés. Le haut représentant doit précisément veiller à la cohérence de l'action extérieure de l'Union, ce qui est facilité par son double statut de président du Conseil des affaires étrangères et de vice-président de la Commission, spécifiquement « chargé, au sein de la Commission, des responsabilités qui incombent à cette dernière dans le domaine des relations extérieures et de la coordination des autres aspects de l'action extérieure de l'Union ». Le SEAE, corps diplomatique de l'Union, l'assiste dans l'exécution de son mandat et « veille à la cohérence entre les différents domaines de la politique extérieure de l'Union et entre ces domaines et ses autres politiques » (17).
16. Si le SEAE est considéré comme l'organe politique - à tout le moins en matière de politique étrangère et de sécurité commune -, plusieurs des directions de la Commission européenne et des commissaires européens sont quant à eux chargés des aspects opérationnels et techniques. La Commission est en outre responsable des domaines de la politique extérieure hors politique étrangère et sécurité commune, pour lesquels « elle assure la représentation extérieure de l'Union » (18).
17. Sur le plan politique, les groupes de travail thématiques et géographiques du Conseil, et particulièrement le COHOM qui se consacre aux droits de l'homme dans l'action extérieure, préparent les décisions du Conseil dans ce domaine, notamment l'action de l'Union au sein des instances internationales et les dialogues avec les pays tiers (voir infra). De plus en plus souvent, les groupes de travail géographiques intègrent les droits de l'homme à leur ordre du jour - par exemple, dans le cadre de l'élaboration des stratégies pays sur les droits de l'homme -, en coopération avec le COHOM qui a lui-même accru la fréquence de ses réunions et également tenu des réunions avec le groupe de travail sur les droits fondamentaux au sein de l'UE (FREMP).
18. Quant aux délégations de l'Union dans les pays tiers, elles sont dirigées par un chef de délégation, qui reçoit ses instructions du haut représentant et du SEAE, mais sont majoritairement composées de personnels de la Commission européenne, auxquels s'ajoutent, pour un tiers du personnel, des diplomates des Etats membres et au sein desquelles sont désignés des correspondants sur les droits de l'homme. Elles sont chargées de mettre en œuvre localement la politique extérieure de l'Union, en se coordonnant avec les missions diplomatiques des Etats membres.
19. Par ailleurs, le rôle du Parlement européen dans le domaine des droits de l'homme et de l'action extérieure est crucial sur les plans législatif et budgétaire (19), mais également sur le plan politique avec l'adoption de résolutions et de déclarations de politique étrangère, la publication d'études relatives aux droits de l'homme, l'envoi de délégations parlementaires sur le terrain et l'adoption d'un rapport annuel sur les droits de l'homme et la politique extérieure. En outre, le Parlement européen réalise des missions d'observations électorales et consulte régulièrement les acteurs de la société civile. Il décerne des prix récompensant les personnalités engagées pour le respect des droits de l'homme, à l'exemple du prix Sakharov pour la liberté de l'esprit. Il dispose de surcroît d'un pouvoir d'approbation des accords conclus entre l'Union et les pays ou organisations tiers (20) et attache dans ce cadre beaucoup d'importance à la cohérence de l'action extérieure de l'Union et à la prise en compte des droits de l'homme. Dans son dernier rapport sur les droits de l'homme, il rappelle que « la politique européenne en faveur des droits de l'homme doit être compatible avec le respect des obligations du traité et garantir la cohérence des politiques intérieures et extérieures » (21). Enfin, le haut représentant doit consulter le Parlement sur « les principaux aspects et les choix fondamentaux de la politique étrangère et de sécurité commune et de la politique de sécurité et de défense commune (…) ».
20. La nomination d'un représentant spécial pour les droits de l'homme et l'adoption d'un cadre stratégique et d'un plan d'action (voir infra) ont précisément eu pour objectif de « renforcer la cohérence de l'action menée par l'Union en matière de droits de l'homme et l'intégration des droits de l'homme dans tous les domaines de l'action extérieure de l'Union » (22). Plus particulièrement, le cadre indique que « l'UE œuvrera en faveur des droits de l'homme dans tous les domaines sans exception de son action extérieure [et qu'elle] intégrera la promotion des droits de l'homme dans ses politiques relatives au commerce, aux investissements, à la technologie et aux télécommunications, à l'internet, à l'énergie, à l'environnement, à la responsabilité sociale des entreprises et au développement, ainsi que dans sa politique de sécurité et de défense commune et dans les dimensions extérieures de sa politique sociale et en matière d'emploi et de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, y compris la politique antiterroriste ».
21. Ainsi, la cohérence, posée comme obligation juridique de l'Union (23), est un objectif prioritaire en matière de politique extérieure et figure au cœur du mandat de tous les acteurs de cette politique. Malgré tout, la mise en œuvre concrète de cet objectif se heurte à de nombreuses difficultés.

B. - Des difficultés persistantes

  1. Malgré de réelles avancées, les responsables de l'action extérieure de l'UE sont conscients de l'insuffisance de cohérence qui peut parfois entraîner des répercussions négatives sur le respect des droits de l'homme. Ils continuent à chercher des solutions innovantes pour résoudre ces difficultés qui peuvent s'expliquer notamment par la multiplication des priorités et des objectifs, parfois difficilement conciliables, et par la diversité des structures, chargées de les mettre en œuvre, dont l'articulation et la coordination sont encore trop limitées. En outre, la complexité d'organisation de certaines instances, à l'instar du SEAE, et la duplication de plusieurs services compliquent la situation.
  2. Ces défauts de cohérence dans le domaine des droits de l'homme se constatent à plusieurs niveaux : entre les politiques externe et interne de l'Union et entre les différents aspects de sa politique extérieure.

Cohérence interne-externe

  1. En matière de cohérence interne-externe, la CNCDH constate des divergences, voire des contradictions, entre la politique interne de l'Union et de ses Etats membres, d'une part, et la politique extérieure de l'Union, d'autre part. Celles-ci nuisent à l'effectivité de son action et peuvent parfois rendre ses discours sur les droits de l'homme inaudibles.
  2. La politique européenne en matière d'asile et d'immigration illustre dramatiquement cette incohérence. En effet, les Etats membres de l'UE, tous parties à la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, sont tenus de respecter le principe de non-refoulement, inscrit en son article 33 et repris en droit européen (24). Ce principe s'applique également aux demandeurs d'asile en vertu du caractère recognitif du statut de réfugié. Or la politique pratiquée depuis des années par l'UE à l'égard des demandeurs d'asile et des migrants et les nombreux obstacles qu'elle dresse à l'accès à son territoire contreviennent clairement à ses engagements. La prévalence du contrôle migratoire sur toute autre considération et l'(in)action de l'Union à l'égard des migrants qui périssent à ses frontières extérieures et en mer (25), parmi lesquels de nombreuses personnes fuyant la guerre et les persécutions, sont indéfendables. La politique européenne en matière de visas, les activités de l'agence Frontex, les difficultés d'accès à la procédure de dépôt et d'examen d'une demande d'asile semblent particulièrement éloignées des principes fondamentaux de l'UE (26). L'Agence des droits fondamentaux (FRA) a rendu un rapport récent (27) dans lequel elle examine les conditions aux frontières maritimes méridionales de l'UE, relatives aux droits les plus fondamentaux d'une personne, tels que le droit à la vie et le droit de ne pas être renvoyé lorsqu'existent des risques de torture, de persécution ou des traitements inhumains. Le rapport souligne que le fait que les migrants mettent leur vie en danger en traversant la mer dans des embarcations impropres à la navigation afin d'atteindre les côtes de l'Europe et fait part d'une défaillance alarmante de la protection de l'UE des droits fondamentaux des personnes, qui n'est pas résolue. Il indique également que l'UE devrait adopter des orientations claires et précises sur le respect des droits fondamentaux relativement au principe de non-refoulement.
  3. A l'inverse, la lutte contre la peine de mort est un sujet pour lequel l'Union envoie un signal cohérent. En effet, l'abolition de la peine de mort constitue une condition préalable à l'entrée dans l'Union et s'inscrit parmi les grandes priorités de sa politique extérieure (28). A cet égard, l'UE s'est également dotée d'instruments juridiques lui donnant les moyens de ses ambitions politiques. Ainsi, le règlement du Conseil de l'UE n° 1236/2005, entré en vigueur le 30 juillet 2006, porte sur le commerce vers les pays tiers de certains biens susceptibles d'être utilisés en vue d'infliger la peine capitale, la torture ou d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Sous la pression des acteurs de la société civile et du Parlement européen, il a été révisé le 20 décembre 2011 afin d'en combler des lacunes et d'étendre la liste des biens soumis à contrôle à l'exportation. Ainsi la vente de certains anesthésiques qui peuvent être utilisés dans les injections létales à des pays qui n'ont pas encore aboli la peine de mort est désormais sévèrement contrôlée. De plus, les fonds de l'UE permettent aux acteurs de la société civile de mener des campagnes contre la peine de mort.

Cohérence externe-externe

  1. En matière de cohérence externe-externe, c'est principalement entre la politique commerciale de l'Union et d'autres aspects et objectifs de sa politique extérieure comme le développement ou les droits de l'homme que le décalage est le plus marqué. Si les accords commerciaux ou d'investissement comportent des clauses relatives aux droits de l'homme (voir infra), il existe de nombreux exemples de répercussions négatives de ces accords sur le respect des droits de l'homme (confiscation de terres, violations de la liberté syndicale, etc.) (29) ainsi que des contradictions entre les discours politiques et les actions réelles de l'Union sur le terrain, alors même que les avantages commerciaux devraient servir de leviers à la protection des droits de l'homme dans les pays partenaires. En pratique, des négociations se poursuivent par la Commission européenne pour la conclusion d'accords commerciaux ou d'investissement des pays tiers, en faisant fi des violations des droits de l'homme qui persistent ou s'aggravent (30).
  2. A l'inverse, dans le cadre de la politique de développement, l'UE fait progressivement sienne l'approche du développement fondée sur les droits, en application du Programme pour le changement adopté en 2012 qui place la défense des droits de l'homme au cœur de la coopération au développement (31). Cette approche, prônée depuis de nombreuses années par les Nations unies (32), consiste à prendre en compte le respect et la jouissance des droits de l'homme dans les actions de développement et à mesurer l'impact de ces actions sur la réalité des droits. Les conclusions du Conseil de l'UE adoptées le 19 mai constituent à ce sujet une étape essentielle (33), en approuvant la présentation d'une nouvelle « boîte à outils » qui fournit au personnel et aux partenaires de l'UE des orientations concrètes pour une meilleure intégration des droits de l'homme dans les politiques de coopération au développement, à tous les stades de la gestion des projets. Ces conclusions appellent aussi à « une plus grande complémentarité, à une cohérence accrue et à une coordination plus étroite entre l'ensemble des instruments et des politiques de l'UE dans le domaine extérieur » (34). A cet égard, et en lien avec le point précédent, le Conseil « insiste sur l'importance de continuer à procéder à des analyses de l'impact des accords de commerce et d'investissement sur les droits de l'homme » (35) (voir infra sur les études d'impact).

II. - La nécessaire évaluation des documents et outils de la politique extérieure

  1. Sur le fondement de l'analyse des outils existants, cette partie a vocation à dégager des pistes d'améliorations visant à renforcer la mise en œuvre et l'articulation des outils de l'action extérieure, afin de développer la cohérence et l'efficacité de l'action de l'Union.

A. - Une volonté récente de formalisation
Le cadre stratégique et le plan d'action sur les droits de l'homme et la démocratie

  1. Le Conseil de l'UE a adopté en 2012 un Cadre stratégique de l'UE en matière de droits de l'homme et de démocratie, destiné à orienter l'action de l'UE au cours des années à venir, et assorti d'un plan d'action de mise en œuvre pratique. Le cadre identifie 36 résultats recherchés, répartis en sept sous-parties et devant être atteints au moyen de 94 actions que l'UE doit mettre en œuvre avant le 31 décembre 2014. C'est la première fois que l'Union dispose d'un cadre stratégique unifié dans ce domaine. Comme indiqué précédemment, il vise à améliorer la lisibilité, l'efficacité et la cohérence de la politique européenne en matière de droits de l'homme dans son ensemble et à intégrer les droits de l'homme dans tous les domaines de l'action extérieure de l'Union (36). Plusieurs des résultats attendus du plan d'action ont d'ailleurs principalement pour objet de renforcer la cohérence de la politique extérieure (1, 8, 10, 11, 12,13, 14, 15, 25 et 33). Au paragraphe 9, il est ainsi indiqué que « l'UE œuvrera en faveur des droits de l'homme dans tous les domaines sans exception de son action extérieure ». Le représentant spécial de l'UE pour les droits de l'homme est chargé de la mise en œuvre du cadre stratégique et du plan d'action.
  2. Depuis sa mise en place, le cadre stratégique de l'UE dynamise les outils existants et précise le rôle de chacun des acteurs concernés. Cependant, des interrogations subsistent au sein même des instances européennes sur la portée du plan d'action (37), qui mériterait d'être clarifiée. De plus, les résultats attendus et les actions à mettre en œuvre sont très nombreux et énoncés de manière parfois large et vague. Le prochain plan d'action devrait donc se recentrer autour d'actions concrètes et de quelques grandes priorités et établir clairement les responsabilités entre les institutions européennes et les Etats membres.
  3. En outre, le prochain plan devrait faire une place plus importante aux droits économiques, sociaux, et culturels dont le respect et la promotion constituent deux des résultats attendus du premier plan d'action mais qui ne s'inscrivent pas parmi les priorités de l'UE en matière de droits de l'homme. Le SEAE lui-même reconnaît que les activités de l'Union en matière de droits économiques, sociaux et culturels « peuvent être intensifiées » (38). Le Parlement européen regrette que « la politique de l'UE en matière de droits de l'homme continue à négliger largement les droits économiques, sociaux et culturels, alors même que l'Union s'est engagée en faveur de l'indivisibilité et de l'interdépendance des droits, et prie le SEAE, la Commission et les Etats membres de redoubler d'efforts à cet égard, y compris dans le domaine des droits du travail et des droits sociaux » (39). Par exemple, des lignes directrices pourraient être développées sur ces droits (voir infra).
  4. Par ailleurs, il conviendrait d'assurer une évaluation régulière et transparente du cadre stratégique, au-delà des éléments du rapport annuel de l'UE sur les droits de l'homme et la démocratie dans le monde, qui constitue une source d'informations utile mais trop générale, et décalée dans le temps en raison de la lenteur de la publication et de l'accélération des événements sur la scène internationale (40). La publication du rapport devrait être l'occasion d'une évaluation périodique, en lien avec toutes les parties concernées. Des mécanismes de suivi plus efficaces devraient être institués afin de remédier au défaut de mise en œuvre d'actions pourtant essentielles au regard des objectifs de cohérence poursuivis par le cadre stratégique.
  5. A ce sujet, le cadre stratégique et le plan d'action n'ont pas encore fait l'objet d'une appropriation générale suffisante de la part des Etats membres, alors que ces documents s'adressent également à eux et ne sont pas exclusivement destinés aux institutions européennes. Le Parlement demande au « SEAE de redoubler d'efforts pour renforcer le sentiment d'appropriation des Etats membres à l'égard de ce plan d'action et qu'une section sur la mise en œuvre du plan d'action par les Etats membres soit ajoutée au rapport annuel » (41). Pour la cohérence globale de l'action extérieure de l'UE, il serait nécessaire que chaque poste diplomatique national s'approprie le cadre stratégique et le plan d'action et mène des actions propres à les mettre en œuvre, dont ils rendraient ensuite compte. De même, au sein des Etats membres, et ainsi, en France, les acteurs de la société civile ne semblent que peu, voire pas, impliqués dans l'évaluation du plan.

Les stratégies pays en matière de droits de l'homme

  1. Les stratégies pays consistent en une analyse de la situation des droits de l'homme dans chaque pays concerné et permettent ainsi d'identifier des priorités spécifiques par pays en matière de droits de l'homme, et éventuellement d'orienter les programmes d'aides financières et d'assistance technique. Elles engagent les Etats membres, à travers leur adoption par les groupes de travail du Conseil, et garantit une certaine transversalité, en impliquant les groupes géographiques et en s'appuyant sur l'expertise des délégations sur place, en concertation avec les postes diplomatiques des Etats membres.
  2. Toutefois, ces stratégies souffrent d'une absence de publicité et d'un manque d'information effectif du Parlement européen et des acteurs de la société civile, au motif de la stricte confidentialité qui les entoure. Si les acteurs de la société civile sont consultés en amont, ils ne sont pas tenus informés du résultat final et des priorités retenues, ce qui en retour limite sa contribution pour les mettre en œuvre. Sur ce point, le processus mériterait donc d'être amélioré (42).

B. - La diversité des outils de l'action extérieure

  1. En sus des déclarations politiques et démarches spécifiques, qui peuvent porter sur les droits de l'homme, l'UE a créé une série d'outils spécifiquement dédiés à la promotion et à la protection des droits de l'homme dans le cadre de l'action extérieure.

La conditionnalité

  1. Les clauses « droits de l'homme », comme élément essentiel des accords, se sont généralisées dans les accords conclus entre l'Union et les pays ou organisations tiers (43). En dépit de leur diversité, elles ont généralement pour fonction de subordonner l'établissement ou le maintien d'une relation avec un Etat tiers au respect des droits de l'homme par les parties à l'accord et prévoient, pour certaines, l'adoption de mesures appropriées en cas de violation.
  2. Le dernier rapport annuel du Conseil de l'UE sur les droits de l'homme et la démocratie précise qu'« en 2012, l'UE a continué de veiller à ce que des clauses relatives aux droits de l'homme soient insérées dans les accords-cadres à caractère politique conclus avec les pays industrialisés comme avec les pays non industrialisés, même lorsqu'il n'était pas facile de parvenir à un accord avec le pays partenaire. En 2012, des accords contenant une clause relative aux droits de l'homme ont été signés avec l'Iraq, le Viêt-Nam, des pays d'Amérique centrale et les Philippines ». En 2013, des protocoles aux accords de pêche avec le Maroc et la Côte d'Ivoire ont intégré des clauses relatives aux droits de l'homme.
  3. En théorie, ces clauses instaurent une forme de conditionnalité en prévoyant la possibilité de sanctions à l'égard de l'Etat partie défaillant, voire une suspension de l'accord. Ce mécanisme comprend parfois une procédure préalable ou régulière de dialogue (44). Cependant aucun accord ne prévoit l'instauration d'un comité permanent chargé d'en surveiller l'application, contrairement aux clauses concernant d'autres domaines qui s'accompagnent de mécanismes permanents de surveillance. De manière générale, ces clauses relatives aux droits de l'homme ne sont que très peu et très inégalement appliquées, même lorsqu'existent des violations graves des droits de l'homme (45).
  4. Une autre facette de la conditionnalité réside dans l'existence d'instruments incitatifs conditionnant l'octroi d'aides ou d'avantages au respect des droits de l'homme ou des principes du développement durable et de la bonne gouvernance (voir supra les instruments financiers), à l'exemple du système de préférence généralisée (SPG/SPG+) (46). Cependant, il semble que l'incitation que constituent les préférences commerciales ne soit pas toujours suffisamment mise à profit pour renforcer le respect des droits de l'homme sur le terrain (47), même si des améliorations ont pu être apportées par le nouveau règlement en demandant à la Commission de procéder à une évaluation régulière.
  5. Ainsi, comme elle l'avait déjà souligné en 2008, la CNCDH considère qu'afin d'éviter une sous-exploitation de ces mécanismes de conditionnalité, dangereuse pour « la crédibilité de l'Union en tant qu'acteur mondial et résolu sur la scène internationale » (48), il conviendrait d'assurer le suivi rigoureux et régulier de leur mise en œuvre, en agissant par étapes avec des mesures graduées et en instaurant un suivi et un dialogue plus approfondis. La CNCDH rappelle l'importance de « veiller au respect de ces conditionnalités par un système transparent, indépendant et crédible » (49).
  6. Sur la même ligne, le Parlement européen recommande l'établissement d'un dispositif juridique destiné à faciliter leur mise en œuvre effective dès lors que le partenaire porte atteinte aux droits de l'homme et à la démocratie (50). Dans cette perspective, il préconise la mise en place de « mécanismes spécifiques en cas de non-respect », la formulation « d'engagements liés à des critères spécifiques mesurables, réalisables et assortis de délais afin de mesurer les progrès réalisés » ainsi que l'établissement d'un « calendrier de mise en œuvre précis » (51).

Les études d'impact en matière de droits de l'homme

  1. Afin de compléter le dispositif des clauses et de permettre de répondre aux éventuelles atteintes aux droits de l'homme, qui peuvent parfois résulter de l'accord lui-même, les accords dans tous les domaines de l'action extérieure de l'Union devraient être systématiquement accompagnés d'études d'impact sur les droits de l'homme, s'appuyant sur une expertise indépendante et sur la consultation des populations concernées. Des avancées importantes ont été réalisées sur ce point (52), mais les études d'impact restent malgré tout superficielles et insuffisantes concernant les droits de l'homme. Le plan d'action prévoit d'ailleurs de « mettre au point une méthode afin d'aider à la prise en compte de la situation des droits de l'homme dans les pays tiers dans le cadre du lancement de négociations sur des accords de commerce et/ou d'investissement ou de la conclusion de ceux-ci » (53). Le Parlement, dans son dernier rapport sur les droits de l'homme, « invite (d'ailleurs) l'UE à définir et à adopter des orientations stratégiques spécifiques sur l'inclusion effective des droits de l'homme dans ses accords sur le commerce et les investissements afin de procéder avec rigueur et méthode à des études d'impact sur les droits de l'homme » (54).
  2. Il conviendrait également d'introduire des mécanismes de recours et d'alerte qui permettent à toute personne et organisation de signaler des défaillances et des dysfonctionnements éventuels dans l'application de l'accord, ou toute autre violation ayant un impact sur les droits de l'homme, devant entraîner l'adoption de mesures appropriées.

Les dialogues droits de l'homme

  1. Les dialogues sur les droits de l'homme entrepris avec de nombreux pays (une quarantaine de dialogues avec plus de trente pays tiers ont été instaurés jusqu'à présent) et parfois accompagnés d'un dialogue avec les acteurs de la société civile locale demeurent un outil considérable pour aborder des violations précises des droits de l'homme dans les pays tiers. Toutefois, ils se caractérisent par une variété de structures, de formats, de périodicité et de méthodes ainsi que par la confidentialité des échanges, ce qui nuit à la visibilité de cet outil diplomatique.
  2. Par ailleurs, l'efficacité de ces dialogues continue de faire débat au sein des institutions européennes et des acteurs de la société civile. Ces dialogues ne sont pas une fin en soi et doivent aboutir à des actions et résultats concrets. Or, la CNCDH avait déjà noté en 2008 que « leurs agendas, objectifs et indicateurs restent souvent flous » (55). Il n'existe toujours pas aujourd'hui de véritable mécanisme de suivi et d'évaluation de ces dialogues, ni d'indicateurs de progrès. Le Parlement demande à ce que ces dialogues « s'accompagnent de critères publics clairs permettant de mesurer de manière objective les résultats » (56). Par conséquent, ils devraient être renforcés, le suivi périodique des résultats obtenus consolidé et les acteurs de la société civile y être davantage impliqués.
  3. En outre, dans le cadre de la mise en œuvre effective du plan d'action et de l'objectif plus général de cohérence, l'intégration des droits de l'homme dans tous les aspects de la politique extérieure de l'Union devrait se refléter dans le contenu même des dialogues. Ainsi, l'impact des acteurs économiques sur le respect des droits de l'homme devrait être inscrit à l'agenda de ces dialogues.
  4. Dans le cadre de ces dialogues bilatéraux, les interlocuteurs des pays tiers soulèvent de plus en plus souvent des violations des droits de l'homme en Europe. Pour renforcer la cohérence et la crédibilité de ces dialogues, il est essentiel que l'Union puisse répondre de manière approfondie et objective aux interpellations des pays tiers sur la situation des droits de l'homme dans ses pays membres. Aujourd'hui, des efforts sont réalisés pour associer davantage l'expertise des Etats membres dans les dialogues avec les pays tiers. La CNCDH considère que les directions pertinentes de la Commission et l'Agence des droits fondamentaux de l'UE pourraient être utilement associées à l'exercice (57).

Les lignes directrices

  1. La mise en place progressive d'orientations ou de lignes directrices (guidelines) est un des principaux outils pour fixer un cadre pratique, à la fois conceptuel et concret, à l'action de l'UE dans le domaine des droits de l'homme, dans le cadre de sa politique extérieure.
    Les premières lignes directrices sur la peine de mort, adoptées en 1998, ont été révisées en 2008 et en 2013. Depuis lors, une dizaine de lignes directrices ont été adoptées :

- les lignes directrices sur la torture et les peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants, adoptées en 2001 et révisées en 2008 et en 2012 ;
- les lignes directrices sur les dialogues droits de l'homme avec les pays tiers de 2001, révisées en 2009 (cf. infra) ;
- les lignes directrices sur les enfants et les conflits armés de 2003, révisées en 2008 ;
- les lignes directrices sur les défenseurs des droits de l'homme de 2004 révisées en 2008 ;
- les lignes directrices sur la promotion et la protection des droits de l'enfant de 2008 ;
- les lignes directrices sur la violence contre les femmes et les jeunes filles et la lutte contre toutes les formes de discrimination à leur égard de 2008 ;
- les lignes directrices sur le droit international humanitaire de 2009 ;
- les lignes directrices en faveur des droits des personnes LGBTI de 2013 ;
- les lignes directrices sur la promotion et la protection de la liberté de religion et de conviction de 2013 ;
- les lignes directrices sur la liberté d'expression « en ligne et hors ligne » adoptées en 2014.

  1. Cette énumération montre à elle seule la souplesse et l'adaptabilité du mécanisme, avec une évaluation permanente des résultats et des révisions régulières, mais aussi sa montée en puissance, avec de nouvelles priorités. Il ne faudrait pas pour autant que les lignes directrices introduisent une apparente sélectivité dans le système des droits de l'homme, alors que les principes d'universalité et d'indivisibilité sont essentiels. A cet égard, le processus de choix des thématiques retenues et l'élaboration des lignes directrices manquent de transparence. Si certains groupes vulnérables sont pris en compte, les droits économiques, sociaux et culturels ne sont pas traités en tant que tels, alors même que la liberté syndicale est fondamentale pour la garantie de l'ensemble des droits sociaux et que le droit à l'éducation pourrait être une composante des politiques de développement et de soutien à l'état de droit. (A côté de ces lacunes, on peut constater que certaines questions, pourtant prioritaires pour la diplomatie française, comme la question des disparitions forcées ou involontaires ne sont pas traitées en tant que telles, alors qu'elles sont liées aux lignes directrices contre la torture et sur le droit international humanitaire, avec des éléments préventifs et répressifs dont il serait très utile de faire la promotion.)
  2. La France devrait mobiliser ses partenaires européens pour compléter les lignes directrices, avec une vision d'ensemble, en articulant ce programme de travail avec un recours aux instruments financiers de l'UE, mais aussi un soutien renforcé à certains fonds des Nations unies, comme le Fonds volontaire pour les victimes de la torture. Une meilleure lisibilité serait assurée par une harmonisation des lignes directrices qui devraient systématiquement comporter des objectifs, des critères, des moyens, des calendriers, des indicateurs et intégrer une évaluation régulière et exhaustive. Sur ce point, le Parlement européen a récemment recommandé une mise en œuvre des lignes directrices en matière de torture « efficace et axée sur les résultats » (58).
  3. Par ailleurs l'élaboration, l'évaluation et la révision des lignes directrices devraient être faites de manière plus transparente et participative, en y associant plus largement les acteurs de la société civile. Un effort de diffusion et de sensibilisation auprès des « utilisateurs », fonctionnaires européens et diplomates nationaux, pour une application plus systématique des lignes directrices devrait trouver son prolongement dans une information publique, au sein de l'UE, comme dans les pays tiers.

Les instruments financiers

  1. L'Union dispose de plusieurs instruments financiers afin de soutenir diverses actions et projets dans les pays tiers. En matière de droits de l'homme, l'Instrument européen pour la démocratie et les droits de l'homme (IEDDH) a pour vocation première de fournir un soutien financier aux défenseurs des droits de l'homme, aux acteurs de la société civile et des droits de l'homme dans le monde entier et illustre la volonté de l'UE d'encourager le développement d'une société civile active et indépendante. Le nouvel instrument pour 2014-2020 conforte les priorités précédentes concernant le soutien à la démocratie, notamment par l'envoi de missions d'observation électorale, la lutte contre la peine de mort, contre la torture et contre toutes les formes de discriminations, et prévoit un budget en augmentation (1,3 milliard d'euros, contre 1,1 pour le précédent instrument). Il améliore aussi sa capacité d'intervention pour répondre, de manière plus flexible et plus rapide, à des situations d'urgence, notamment pour des défenseurs en danger (59).
  2. Par ailleurs, s'inscrivant dans le cadre des aides préalables à l'adhésion soutenant le processus de stabilisation et d'association des pays candidats et des candidats potentiels à l'UE, l'instrument financier d'aide de préadhésion (IAP) représente un outil utile dans la mise en œuvre de la politique extérieure de l'UE. Il offre en effet une assistance aux pays engagés dans un processus d'adhésion pour la période 2007-2013 et vise le renforcement de la capacité des institutions publiques, de la coopération transfrontalière, du développement économique et social ainsi que du développement rural. Les pays bénéficiaires de ces fonds IPA sont tenus de se mettre en conformité avec les principes démocratiques de l'état de droit, des droits de l'homme et des minorités.
  3. Les instruments financiers de portée géographique comme le Fonds européen pour le développement, l'Instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP) et l'Instrument de coopération au développement (ICD) sont autant d'instruments utiles à la promotion des droits de l'homme dans les pays tiers.
  4. La Cour des comptes européenne a toutefois dressé un constat sévère de l'utilisation des fonds dans certains pays et a recommandé d'en améliorer la gestion transparente et effective (60). Est également pointé l'échec actuel de l'UE à développer la meilleure interaction possible entre le dialogue, les mesures incitatives, les mesures d'appui et les sanctions (61), à l'instar de ce que commande le point 33 du plan d'action (« Utilisation efficace et interaction des instruments de la politique extérieure de l'UE »).

III. - L'Union européenne dans les enceintes multilatérales

  1. L'action multilatérale de l'UE dans les différentes enceintes internationales s'est considérablement développée ces dernières années. En 2013, « diverses décisions du Conseil et propositions de la Commission concernent la participation de l'Union européenne aux organisations internationales et aux conventions multilatérales […] et la diversité des domaines et des organisations concernés et le nombre et la variété de ces actes confirment la volonté de l'UE de continuer à développer son activité multilatérale, que ce soit pour enrichir ses politiques internes ou de proximité ou, plus globalement, pour répondre aux objectifs transversaux de son action extérieure, notamment celui de « promouvoir un système international fondé sur une coopération multilatérale et une bonne gouvernance mondiale » (article 21-2 TUE) » (62).
  2. L'action multilatérale de l'UE se manifeste notamment dans le droit de conclure des traités et des accords internationaux dans le domaine des droits de l'homme (63). L'UE a ainsi adhéré en décembre 2010 à la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées (64). Cette possibilité n'est pas suffisamment exploitée dans le domaine des droits de l'homme, ce qui peut notamment s'expliquer par réserve de certains Etats membres de l'UE qui craignent que cela n'entraîne une extension des compétences mêmes de l'UE en matière de droits de l'homme au détriment des compétences nationales. De manière générale, l'Union gagnerait pourtant à être partie à un plus grand nombre de conventions multilatérales afin de renforcer son rôle et sa crédibilité et de se soumettre à l'exercice d'évaluation de la mise en œuvre de ces instruments par des organes indépendants.

A. - L'Organisation des Nations unies
L'Organisation des Nations unies proprement dite

  1. Le traité sur l'UE dispose que l'UE « favorise des solutions multilatérales aux problèmes communs, en particulier dans le cadre des Nations unies » (65). Si l'UE bénéficie du statut d'observateur au sein de « l'Assemblée générale des Nations unies, de ses commissions et groupes de travail, aux réunions et conférences internationales organisées par l'Assemblée générale ainsi qu'aux conférences des Nations unies » (66), la contribution respective de l'UE et de ses Etats membres reste différente selon les organes (voir supra).
  2. La concertation permanente entre les missions diplomatiques des Etats et la représentation de l'Union assure le plus souvent une grande cohérence des positions prises et la participation de l'UE comme porte-parole de ses Etats membres a l'avantage de donner une grande visibilité à la position des 28 Etats. Toutefois, la contre-partie de cette cohésion est de ne pas toujours permettre la réactivité immédiate qui s'imposerait. Il faudrait aussi favoriser les prises de parole des Etats membres, dans la ligne commune agréée, afin d'animer et d'élargir les débats, en permettant à chaque Etat de mettre en valeur ses bonnes pratiques et ses priorités.
  3. En outre, l'UE serait plus efficace, si elle était plus présente sur le terrain, dans le cadre d'opérations de maintien de la paix placées sous les auspices des Nations unies. De manière générale, une réflexion systématique s'impose sur l'articulation des moyens dont dispose l'UE et les priorités fixées en matière de consolidation de la paix, de reconstruction de l'Etat de droit, de lutte contre l'impunité et de coopération avec la justice pénale internationale.
  4. Par ailleurs, il existe une certaine contradiction entre la montée en puissance de l'UE sur les droits de l'homme, sur la base de ses compétences élargies, et le fait qu'elle ne rende pas compte, au même titre que les Etats, dans un cadre multilatéral, du respect des obligations internationales dans ce domaine. Il en découle un manque de vue d'ensemble et d'analyse systémique de l'action de l'UE, malgré la responsabilité assumée par les Etats membres lorsqu'ils présentent leurs rapports nationaux aux organes de contrôle. Ainsi, dans le cadre de l'Examen périodique universel, il serait légitime et de bonne augure que l'UE présente, sur une base volontaire, un rapport sur le respect des droits de l'homme dans ses politiques internes comme externes. Certes, l'Agence des droits fondamentaux fournit, depuis début 2013, à la demande du bureau du haut-commissaire des extraits des rapports pertinents qu'elle a publiés ces dernières années, mais ces informations portent sur l'Etat membre à l'examen et non sur l'Union en propre. A minima, l'UE devrait être prête à répondre aux sollicitations des organes indépendants de contrôle, pour la transmission d'informations utiles à l'analyse du respect des droits de l'homme. A ce titre, des contacts ont déjà pu avoir lieu entre le Comité des Nations unies pour l'élimination de la discrimination raciale et la Commission européenne sur la question des discriminations à l'égard des populations roms. Les conventions internationales les plus récentes visent la coopération des organes de contrôle avec des « organisations ou institutions régionales intergouvernementales concernées » (67), ce qui ouvre la voie à des formules très souples pour une contribution effective de l'UE, en fonction de ses priorités propres et de ses compétences partagées dans le domaine visé.

Les autres organisations de la famille des Nations unies

  1. La diplomatie des droits de l'homme ne saurait être cantonnée à certains organes des Nations unies et l'action de l'UE dans ce domaine devrait avoir plus de lisibilité au sein de grandes organisations qui ont un impact direct sur les droits de l'homme, comme l'UNESCO, avec ses compétences en matière d'éducation, de culture et de science (bioéthique), etc. Au sein de cette organisation, le secteur consacré aux droits de l'homme a été de plus de plus négligé, afin de réaliser des économies budgétaires, alors qu'il devrait figurer parmi les priorités face aux défis des nouvelles technologies et des sciences de l'information et de la communication.
  2. Il en va de même de l'Organisation internationale du travail (OIT) au sein de laquelle l'UE devrait renforcer la protection et la promotion des droits fondamentaux des travailleurs à travers le monde en luttant contre le dumping social. L'UE doit surtout surmonter le divorce entre les positions dans le cadre des négociations de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ou de négociations commerciales bilatérales et les engagements assumés sur le terrain des droits de l'homme. Le manque de cohérence souvent relevé entre les différentes politiques européennes trouve son prolongement dans les enceintes multilatérales, sans tentative de synthèse visant à donner toute leur place aux droits de l'homme.
  3. C'est également le cas pour nombre d'organisations spécialisées, comme l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), l'Organisation mondiale de la santé (OMS) : trop souvent les Etats européens adoptent une approche gestionnaire, dominée par des intérêts commerciaux ou des priorités comptables, sans prendre en compte l'impact des politiques sur les droits de l'homme, et en particulier les effets négatifs sur les populations les plus vulnérables, ce qui rejoint le souci de cohérence développé avant.

C. - Les organisations européennes
Conseil de l'Europe

  1. Les relations entre l'UE et le Conseil de l'Europe, au-delà des rencontres protocolaires, devaient être renforcées. Déjà en 2006, le rapport de Jean-Claude Juncker préconisait, d'une part, l'adhésion à court terme de l'Union à la CEDH, d'autre part, à moyen terme, l'adhésion de l'Union au Conseil de l'Europe en tant que tel (68). Dès maintenant, il serait utile de faire l'inventaire des conventions européennes ouvertes à l‘adhésion de l'UE et des justifications de sa non-participation. Le projet d'accord d'adhésion de l'UE à la CEDH - finalisé le 5 avril 2013 et actuellement soumis à la Cour de justice de l'Union européenne (69) - comporte lui-même des limites en excluant certains protocoles additionnels importants, comme les protocoles nos 4, 7 et 12. A fortiori, on pourrait souhaiter un engagement plus systématique dans différents domaines traduisant l'indivisibilité des droits de l'homme, comme la Charte sociale européenne révisée.
  2. S'agissant de l'adhésion de l'UE à la CEDH, cette adhésion ne devrait pas, a priori, avoir d'incidence sur la politique extérieure de l'UE, puisque l'objet de l'adhésion de l'UE à la CEDH est le contrôle du respect des droits de l'homme « dans » ou « au sein » de l'UE. Toutefois, elle pourrait, à la marge, toucher la politique extérieure des droits de l'homme de l'UE, dans la mesure où des personnes pourront soumettre au contrôle de la Cour européenne des droits de l'homme tous « actes, mesures ou omissions imputables aux institutions de l'UE, à ses organismes ou à ses agences » qui pourraient affecter les droits desdites personnes (70). Il pourrait en être ainsi, par exemple, en cas d'actions menées ou de sanctions prononcées par l'UE qui auraient des effets sur les droits de personnes ou de groupes de personnes, lesquelles pourraient alors se tourner vers la Cour européenne de Strasbourg après avoir exercé préalablement un recours devant la juridiction de Luxembourg (71).
  3. Sur un terrain institutionnel, les Etats membres de l'UE devraient abandonner la politique de « croissance zéro » qui paralyse le Conseil de l'Europe, alors que ses activités et ses programmes ont un rôle stabilisateur à l'échelle de tout le continent. Le souci légitime d'éviter les doublons devrait également impliquer une coopération plus étroite avec le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe (72), en renforçant ses moyens humains et financiers.

CSCE-OSCE

  1. La Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) qui a été marquée par la signature de l'Acte final de la conférence d'Helsinki en 1975 et par la Charte de Paris pour une nouvelle Europe en 1990, reste essentielle pour la sécurité coopérative des Etats participants au sein d'un espace allant de Vancouver à Vladivostok, réunissant les Etats-Unis et la Russie. C'est dans ce cadre diplomatique souple que, dès le début des années 1990, la diplomatie des droits de l'homme de l'Union européenne s'est exprimée d'une seule voix. L'institutionnalisation progressive de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) depuis la Charte de Paris a permis la mise en place d'institutions propres, comme le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH) et le Centre de prévention des conflits. L'originalité de la CSCE-OSCE est d'associer étroitement la dimension humaine, y compris la protection des droits des minorités nationales, et les mesures de confiance et de désarmement, dans un concept global de sécurité coopérative fondé sur les principes des Nations unies.
  2. L'action de l'UE au sein de l'OSCE est décisive, notamment dans une période de crise régionale, et les Etats membres devraient se mobiliser pour renforcer les institutions de l'OSCE et leurs moyens d'action sur le terrain. L'articulation entre la présidence en exercice de l'OSCE - assurée en 2014 par la diplomatie suisse - et l'action du haut représentant pour les affaires étrangères et de sécurité a été cruciale pour faire face à la crise ukrainienne, mais les Etats membres de l'UE devraient veiller à renforcer les moyens préventifs dont dispose l'OSCE. C'est le cas de la Convention de Stockholm de 1992 créant la Cour de conciliation et d'arbitrage de l'OSCE dont la France avait été à l'origine. Depuis lors, malgré un nombre significatif de ratifications et une composition de haut niveau dans ses deux collèges - celui des conciliateurs et celui des arbitres - la Cour n'a jamais été saisie, alors même que sa vocation initiale était de résoudre les conflits de frontière et les différends relatifs aux minorités nationales. Une campagne de ratifications ne pourrait que renforcer l'autorité de la Cour. Il en va de même des différents mécanismes de bons offices, d'enquête et d'établissement des faits, qui ont été mis en place dans le cadre de la dimension humaine de l'OSCE, comme le « mécanisme de Moscou », qui permet aux Etats au consensus ou à 10 Etats participants en urgence de déclencher une procédure indépendante d'enquête.
  3. Au moment où l'OSCE s'apprête pour 2015 à faire le bilan de ses 40 ans d'existence, une réflexion d'ensemble s'impose aux Etats membres de l'UE sur la synergie des différentes organisations internationales dans la gestion des crises et la protection des droits de l'homme. La récente signature d'une déclaration entre le directeur du BIDDH et le haut-commissaire aux droits de l'homme des Nations unies visant à illustre cette nécessité de concertation renforcer la coopération entre ces deux institutions et de coopération à tous les niveaux (73). La priorité donnée à l'adoption de positions communes fortes au sein des 28 doit aller de pair avec une attitude engagée de l'Union à l'égard des autres Etats comme dans les différentes enceintes multilatérales où l'UE peut jouer un rôle clef de sensibilisation, de vigilance et d'entrainement.

Recommandations

Les recommandations de la CNCDH sur la politique extérieure de l'UE en matière de droits de l'homme ont pour objectif une meilleure efficacité de cette politique et une meilleure articulation avec la politique étrangère française, au service de la promotion et du respect des droits de l'homme.
La CNCDH met en avant quatre impératifs majeurs :

  1. La nécessaire appropriation de la politique extérieure de l'UE en matière de droits de l'homme et de ses différents outils (stratégies pays, lignes directrices…) par tous les acteurs.
  2. Le soutien actif de la France à cette politique, par son action bilatérale et multilatérale et par son implication au sein des institutions européennes.
  3. La transparence, la visibilité et la lisibilité de l'action de l'Union, de ses objectifs et de ses résultats, ainsi que la consultation des acteurs de la société civile - notamment les organisations non gouvernementales et les institutions nationales des droits de l'homme - à tous les niveaux.
  4. La cohérence de l'action extérieure de l'Union, condition de sa crédibilité et de son efficacité, ce qui implique la cohérence des politiques de l'UE vis-à-vis des pays tiers et entre la politique extérieure et la politique interne de l'UE en matière de droits de l'homme. Dans le cadre de la cohérence, il conviendrait de renforcer le mandat de l'Agence des droits fondamentaux sur les situations des droits de l'homme dans les Etats membres et sur l'action extérieure de l'UE (74).
  5. Le respect strict des engagements internationaux, notamment ceux issus de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés.

Cadre stratégique, plan d'action et stratégies pays en matière de droits de l'homme et de démocratie

  1. Œuvrer à la mise en œuvre effective de l'ensemble des actions du plan d'action.
  2. Contribuer à l'évaluation de la mise en œuvre du plan d'action, en rendant compte des actions menées afin d'atteindre les résultats recherchés.
  3. Contribuer activement à l'élaboration du futur plan d'action, qui devra se recentrer sur une liste d'actions ciblées, indiquant précisément le calendrier de mise en œuvre et les indicateurs de suivi.
  4. Œuvrer pour que des actions plus nombreuses soient consacrées aux droits économiques sociaux et culturels dans le prochain plan d'action.
  5. Consulter, pour l'évaluation du premier plan et la préparation du deuxième, les acteurs de la société civile en France.
  6. Demander à ce que les priorités identifiées dans les stratégies pays en matière de droits de l'homme soient rendues publiques ou, à tout le moins, communiquées à la sous-commission compétente du Parlement européen.
  7. Rendre compte de l'évaluation de ces stratégies devant le Parlement européen afin d'en tirer les enseignements utiles.
  8. Saisir l'occasion de la publication du rapport sur l'UE et les droits de l'homme pour présenter aux acteurs français concernés un bilan de la politique extérieure de l'UE.

Clauses droits de l'homme, éléments essentiels des accords entre l'UE et les Etats tiers

  1. Demander à ce que soit intégrée dans tous les accords que l'UE conclus avec les pays tiers, dans quelque domaine que ce soit, une clause en matière de droits de l'homme impliquant l'adoption de mesures appropriées en cas de non-respect.
  2. Demander à ce que chaque clause soit accompagnée d'un mécanisme juridique d'exécution, à travers la mise en place d'un comité permanent de surveillance de l'application effective de la clause.
  3. Garantir un contrôle effectif du respect de ces clauses et prévoir des mécanismes gradués de mesures, précédée d'un dialogue politique.
  4. Encourager l'élaboration d'indicateurs précis en matière de respect des droits de l'homme permettant l'activation de ces clauses, en application du plan d'action sur les droits de l'homme et la démocratie (75).
  5. Exiger la réalisation d'études d'impact systématiques en matière de droits de l'homme, en amont d'un accord entre l'UE et un Etat tiers, et régulièrement au cours de l'exécution de l'accord, en application du plan d'action sur les droits de l'homme et la démocratie (76).
  6. Encourager l'amélioration de la qualité des études d'impact menées dans le domaine des droits de l'homme, en s'assurant qu'elles suivent une méthodologie garantissant la rigueur, l'expertise, l'indépendance et la transparence de l'analyse.
  7. Contribuer à la définition d'une méthodologie des études d'impact en matière de droits de l'homme pour les actes de la politique extérieure, s'inspirant des orientations opérationnelles sur la prise en compte des droits fondamentaux dans les analyses d'impact de la Commission (2011), ainsi que des principes directeurs applicables aux études de l'impact des accords de commerce et d'investissement sur les droits de l'homme, élaborés par le rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation (2011).
  8. Examiner la possibilité de mécanismes d'alerte, de recours et d'établissement des faits ouverts à toute personne qui s'estimerait lésée par une politique extérieure de l'UE et, le cas échéant, prévoir des modalités de réparation adéquate.

Dialogues droits de l'homme

  1. Encourager une approche européenne des dialogues sur les droits de l'homme plus systématisée, en veillant à ce qu'ils se tiennent à haut niveau politique et se déroulent sous un format harmonisé, incluant un séminaire avec les acteurs de la société civile.
  2. Contribuer à la mise en œuvre du plan d'action sur les droits de l'homme et la démocratie (77) en clarifiant les objectifs de chaque dialogue et en évaluer systématiquement les résultats, à la lumière des objectifs identifiés, en consultation avec le Parlement européen et les acteurs de la société civile.
  3. Etudier la possibilité de confier un rôle spécifique à l'Agence des droits fondamentaux de l'UE dans le cadre des dialogues, afin de renforcer la cohérence interne-externe.

Lignes directrices

  1. Clarifier le processus de sélection des thématiques couvertes par les lignes directrices, en définissant les critères de choix avec l'implication du Parlement européen et des acteurs de la société civile.
  2. Soutenir le développement de nouvelles lignes directrices dans le champ des droits économiques, sociaux et culturels.
  3. Préconiser l'adoption de lignes directrices sur les disparitions forcées, conformément à la priorité donnée par la France sur cette question.
  4. Œuvrer à l'harmonisation du contenu et du format des lignes directrices.
  5. Appeler à l'évaluation exhaustive et régulière de la mise en œuvre des lignes directrices, à l'aune de critères mesurables et spécifiques.
  6. S'assurer de la publicité des lignes directrices par les délégations de l'UE et les ambassades de France.

Instruments financiers

  1. De manière générale, contribuer à une meilleure articulation de l'utilisation des différents outils de l'action extérieure de l'UE afin de faire usage de tous les leviers qu'ils offrent (incitatifs comme coercitifs) et de permettre leur renforcement mutuel et leur impact effectif, en application du plan d'action sur les droits de l'homme et la démocratie (78).

Acteurs européens de la politique extérieure de l'UE

  1. Veiller à donner plus de visibilité à la fonction du représentant spécial pour les droits de l'homme qui puisse avoir plus de pouvoir d'initiative et de prise de parole publique, en s'appuyant sur les différents services au sein des institutions de l'UE pour assurer leur meilleure coordination et le développement d'une culture commune.
  2. Encourager la prise en compte transversale des droits de l'homme par l'ensemble des acteurs de l'action extérieure de l'UE, quel que soit le domaine, notamment en encourageant des formations régulières sur les droits de l'homme à destination des fonctionnaires concernés.

Acteurs français de la politique extérieure de l'UE

  1. Renforcer le rôle du Parlement dans le suivi et la mise en œuvre de la politique extérieure en matière de droits de l'homme de l'UE ainsi que le mandat des commissions des affaires européennes de l'Assemblée nationale et du Sénat sur cette thématique.
  2. Renforcer la vigilance du Parlement français sur l'insertion et le respect des clauses relatives aux droits de l'homme dans la ratification des accords de l'UE avec les pays tiers.
  3. Favoriser les synergies entre le réseau diplomatique français et les délégations de l'UE, en contribuant aux réflexions des groupes de travail droits de l'homme dans les pays tiers.
  4. Donner davantage de visibilité à l'action extérieure de l'UE en exigeant systématiquement les documents en langue française ainsi qu'en ajoutant sur le site du quai d'Orsay des éléments actualisés sur les outils et les actions de l'UE dans ce domaine, et en y introduisant des liens vers les sites pertinents des institutions européennes.

Action multilatérale de l'UE

  1. Encourager l'adhésion de l'UE à des instruments internationaux en matière de droits de l'homme, par le biais de protocole additionnels si nécessaires.
  2. Ratifier et encourager la ratification par les Etats membres des traités universels non encore ratifiés, à commencer par la Convention de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.
  3. Veiller à l'adhésion de l'UE à la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (Convention d'Istanbul).
  4. Etudier la faisabilité d'une évaluation de l'action de l'UE en matière de droits de l'homme aux Nations unies dans le cadre de l'Examen périodique universel ou dans un cadre similaire.
  5. Encourager le renforcement des liens de l'UE avec le Conseil de l'Europe et l'OSCE.
    (Avis adopté à l'unanimité, 1 abstention.)

Articles pertinents du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne
Traité sur l'Union européenne


Historique des versions

Version 1

(Assemblée plénière du 26 juin 2014)

1. Au lendemain des élections européennes de mai 2014, l'Union européenne (UE) doit faire face à des défis majeurs. La crise ukrainienne, dans toute sa brutalité, a montré la fragilité du système de sécurité régionale dans une Europe une et libre, fondée sur les principes de la Charte des Nations unies de 1945 et les engagements de la Charte de Paris de 1990 pour une nouvelle Europe. La diplomatie européenne a été en première ligne dès le début de cette crise, qu'elle a abordée avec quelques maladresses et hésitations, avant de réagir avec solidarité au nom de ses valeurs et de ses intérêts. Au même moment, la montée électorale des nationalismes à travers le continent témoigne d'une inquiétude à l'égard d'une Europe trop lointaine et technocratique, qui mène des négociations secrètes sans contrôle démocratique suffisant. Par ailleurs, certains Etats, en prônant une simple zone de libre échange au risque de sacrifier les droits économiques et sociaux, remettent en cause l'indivisibilité et l'universalité des droits de l'homme, alors que la crise économique mondiale multiplie les exclus. C'est en renouant avec ses valeurs fondamentales de liberté, de justice et de solidarité, aux niveaux interne et externe, que l'Union peut connaître un nouvel élan, comme pôle de démocratie et de stabilité, en exerçant un pouvoir d'influence, un « soft power », qui passe par une diplomatie active, volontariste, engagée et cohérente en matière de droits de l'homme.

2. L'UE connaît cette année des échéances importantes, avec l'élection du Parlement européen, la désignation d'une nouvelle Commission européenne ainsi que de son président et de son vice-président/haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Ce nouveau départ va de pair avec le renouvellement du mandat du représentant spécial de l'UE pour les droits de l'homme (1) et la réflexion sur un nouveau plan d'action sur les droits de l'homme et la démocratie (2).

3. Après avoir cherché à s'affirmer progressivement comme acteur politique à part entière sur la scène internationale, l'Union est aujourd'hui pleinement engagée sur les plans bilatéral, multilatéral et institutionnel, que ce soit par le biais de son action politique et diplomatique, de ses échanges commerciaux ou encore de ses programmes d'aide humanitaire ou d'aide au développement. La création par le traité de Lisbonne d'un poste de haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et la mise en place d'un service européen pour l'action extérieure (SEAE) (3) sont venues renforcer cette dimension politique de l'action extérieure de l'Union.

4. Dans ce contexte, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a décidé de se pencher sur un aspect important et souvent méconnu de l'action de l'Union, à savoir sa politique extérieure en matière de droits de l'homme. Cet avis s'inscrit dans la continuité de ses travaux sur la diplomatie et les droits de l'homme (4) qui soulignaient que si les objectifs de la diplomatie ne pouvaient se limiter aux droits de l'homme, ceux-ci en constituaient un élément fondamental. Afin d'actualiser sa réflexion, elle a procédé à une série d'auditions de personnalités issues des institutions européennes, de la société civile, du monde universitaire et de l'administration française (5). Des sujets d'études comme les droits de l'homme dans l'action interne de l'UE ou la place de l'UE dans les organisations internationales, volontairement non développées dans le cadre du présent avis, pourront faire l'objet d'analyses approfondies ultérieures de la CNCDH.

5. La consécration des droits de l'homme dans l'action de l'UE est le fruit d'une longue évolution dont le traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009 (6), constitue une étape importante, en réaffirmant dès l'article 2 que : « L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'Etat de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme (…) ». En outre, la Charte des droits fondamentaux de l'UE, adoptée en 2000, a acquis par le traité de Lisbonne une valeur conventionnelle au sein de l'Union (7). Elle s'applique à l'ensemble des actions de l'Union, y compris celles ayant une dimension extérieure (8). Aussi la Cour de justice de l'UE et les juridictions nationales disposent-elles désormais d'une nouvelle source sur laquelle s'appuyer pour veiller au respect des droits fondamentaux dans l'interprétation et l'application du droit de l'Union. Dans le même temps, le traité de Lisbonne prévoit l'adhésion de l'UE à la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH).

6. En matière de politique extérieure, le traité de l'UE dispose que « dans ses relations avec le reste du monde, l'Union contribue (…) à la protection des droits de l'homme » (9) et que « l'action de l'Union sur la scène internationale repose sur les principes qui ont présidé à sa création, à son développement et à son élargissement et qu'elle vise à promouvoir dans le reste du monde : la démocratie, l'état de droit, l'universalité et l'indivisibilité des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la dignité humaine, les principes d'égalité et de solidarité et le respect des principes de la charte des Nations unies et du droit international. L'Union s'efforce de développer des relations et de construire des partenariats avec les pays tiers et avec les organisations internationales, régionales ou mondiales qui partagent les principes visés au premier alinéa. (…) L'Union définit et mène des politiques communes et des actions et œuvre pour assurer un haut degré de coopération dans tous les domaines des relations internationales afin : (…) de consolider et de soutenir la démocratie, l'état de droit, les droits de l'homme et les principes du droit international » (10).

7. Dans ce cadre, les droits de l'homme sont devenus une composante essentielle de l'action extérieure de l'Union ainsi qu'un élément de son identité. Cette volonté s'est notamment traduite par des évolutions institutionnelles récentes : l'adoption du Cadre stratégique et du plan d'action de l'UE sur les droits de l'homme et la démocratie ainsi que la nomination d'un représentant spécial de l'UE pour les droits de l'homme. Ces deux avancées visent à renforcer la prise en compte transversale des droits de l'homme dans l'ensemble des politiques extérieures de l'UE. Elles réaffirment également la nécessité de conduire l'ensemble de ces politiques de manière cohérente et coordonnée (I). La recherche indispensable de cohérence, qui fonde la légitimité de l'Union, devrait se traduire par une utilisation coordonnée, effective et suivie des outils de la politique extérieure. Or, l'évaluation de ces outils démontre l'existence de marges d'améliorations possibles (II). La cohérence implique également que l'UE tienne le même langage dans les différentes enceintes internationales au sein desquelles elle trouve progressivement sa place (III).

8. Malgré l'importance croissante de l'Union sur la scène internationale et le renforcement de son action extérieure sur le plan institutionnel, le rôle des Etats membres reste prédominant en ce domaine. L'action extérieure de l'UE, et particulièrement la politique extérieure et de sécurité commune (11), sont largement conditionnées par l'influence des Etats membres et fonctionnent encore selon la méthode intergouvernementale. En outre, les Etats sont le plus souvent en première ligne dans la réponse aux crises, que ce soit dans les phases politiques, diplomatiques ou militaires. L'action extérieure de l'UE au sens large comprend donc aussi bien la politique des institutions européennes - sous l'emprise forte des Etats - que celle de ses Etats membres, dont certains sont membres permanents du Conseil de sécurité (12).

9. Cet avis adressé au Gouvernement s'inscrit donc dans cette logique d'influence des Etats, notamment de la France, sur l'action extérieure de l'Union et de nécessaire synergie entre les politiques étrangères nationale et européenne. Il n'a pas vocation à analyser de manière exhaustive les mécanismes institutionnels de la politique extérieure de l'Union en matière de droits de l'homme mais plutôt à dégager les grands traits de cette politique et à identifier les principales difficultés, afin de formuler des propositions concrètes pour en améliorer le fonctionnement.

10. A titre liminaire, la CNCDH constate un défaut général de lisibilité de l'action extérieure de l'Union ainsi qu'un manque de transparence sur la nature et les résultats de cette action, alors même que les moyens financiers mobilisés pour la politique extérieure de l'UE sont très importants (13) et appelleraient une réelle évaluation de son impact, mise à disposition des citoyens européens. L'accès à l'information, comme dans le cadre de négociations d'accords de libre échange (14), est parfois limitée, pour des raisons de confidentialité, et parfois entravée par la complexité institutionnelle de l'UE et par les difficultés d'accès aux documents en français.

I. - L'indispensable recherche de cohérence

11. La cohérence de l'action de l'Union à l'égard des pays tiers est la condition de sa crédibilité et donc de son efficacité. Elle comprend aussi bien la cohérence interne-externe que la cohérence externe-externe. En effet, il est essentiel que les exigences en matière de droits de l'homme posées par l'Union dans ses relations avec les pays tiers s'appliquent également à sa propre action interne ainsi qu'à celle de ses Etats membres, ce qui traduit l'exigence d'exemplarité qui doit les animer. En outre, la cohérence implique de la constance dans la conduite de la politique extérieure, en dépit de la diversité des sujets et des partenaires. Les politiques à l'égard des pays tiers, de quelque nature qu'elles soient, ne doivent pas se contredire ou se nuire, mais au contraire se renforcer. A cet égard, dans son dernier rapport annuel sur les droits de l'homme, le Parlement européen considère que « le choix stratégique le plus fondamental pour l'UE concerne la résilience et la détermination politique à rester fidèle aux valeurs fondatrices de l'Union face à la pression exercée par d'autres objectifs et intérêts stratégiques, lorsque les temps sont difficiles » (15).

A. - La cohérence au cœur d'un cadre juridique et institutionnel consolidé

12. Conformément à l'article 21 du traité sur l'UE, les droits de l'homme constituent l'un des huit objectifs des politiques communes et des actions dans le domaine des relations internationales. Sur le plan juridique, l'objectif de respect des droits de l'homme innerve donc l'ensemble des politiques extérieures de l'UE au même titre que d'autres objectifs comme les intérêts de l'Europe, sa sécurité, l'intégration des pays dans l'économie mondiale, y compris par la suppression progressive des obstacles au commerce international.

13. En vertu du traité de Lisbonne, les compétences en matière de politique extérieure concernent les domaines suivants :

- la politique étrangère et sécurité commune (titre 5, chapitre 2 du traité sur l'UE) ;

- la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) (titre 5, chapitre 2, section 2 du traité sur l'UE) ;

- la politique commerciale commune (partie 5, titre 2 du traité sur le fonctionnement de l'UE) ;

- la coopération au développement (partie 5, titre 2, chapitre 1er du traité sur le fonctionnement de l'UE) ;

- la coopération économique, financière et technique (partie 5, titre 2, chapitre 2 du traité sur le fonctionnement de l'UE) ;

- l'aide humanitaire (partie 5, titre 2, chapitre 3 du traité sur le fonctionnement de l'UE).

De plus, plusieurs politiques de l'UE comportent une dimension extérieure, par exemple dans le domaine des transports ou de la justice et des affaires intérieures (16).

14. En outre, ces différents domaines des relations extérieures sont eux-mêmes subdivisés entre politiques intégrées d'une part, comprenant notamment la politique commerciale commune, la coopération au développement et l'aide humanitaire, et la politique étrangère et de sécurité commune d'autre part, d'essence intergouvernementale, qui recouvre les domaines de la politique étrangère ainsi que l'ensemble des questions relatives à la sécurité de l'Union.

15. De plus, malgré la nomination d'un haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et le regroupement de plusieurs d'entre eux au sein du SEAE, placé sous son autorité, les acteurs de la politique extérieure de l'UE sont nombreux et relativement dispersés. Le haut représentant doit précisément veiller à la cohérence de l'action extérieure de l'Union, ce qui est facilité par son double statut de président du Conseil des affaires étrangères et de vice-président de la Commission, spécifiquement « chargé, au sein de la Commission, des responsabilités qui incombent à cette dernière dans le domaine des relations extérieures et de la coordination des autres aspects de l'action extérieure de l'Union ». Le SEAE, corps diplomatique de l'Union, l'assiste dans l'exécution de son mandat et « veille à la cohérence entre les différents domaines de la politique extérieure de l'Union et entre ces domaines et ses autres politiques » (17).

16. Si le SEAE est considéré comme l'organe politique - à tout le moins en matière de politique étrangère et de sécurité commune -, plusieurs des directions de la Commission européenne et des commissaires européens sont quant à eux chargés des aspects opérationnels et techniques. La Commission est en outre responsable des domaines de la politique extérieure hors politique étrangère et sécurité commune, pour lesquels « elle assure la représentation extérieure de l'Union » (18).

17. Sur le plan politique, les groupes de travail thématiques et géographiques du Conseil, et particulièrement le COHOM qui se consacre aux droits de l'homme dans l'action extérieure, préparent les décisions du Conseil dans ce domaine, notamment l'action de l'Union au sein des instances internationales et les dialogues avec les pays tiers (voir infra). De plus en plus souvent, les groupes de travail géographiques intègrent les droits de l'homme à leur ordre du jour - par exemple, dans le cadre de l'élaboration des stratégies pays sur les droits de l'homme -, en coopération avec le COHOM qui a lui-même accru la fréquence de ses réunions et également tenu des réunions avec le groupe de travail sur les droits fondamentaux au sein de l'UE (FREMP).

18. Quant aux délégations de l'Union dans les pays tiers, elles sont dirigées par un chef de délégation, qui reçoit ses instructions du haut représentant et du SEAE, mais sont majoritairement composées de personnels de la Commission européenne, auxquels s'ajoutent, pour un tiers du personnel, des diplomates des Etats membres et au sein desquelles sont désignés des correspondants sur les droits de l'homme. Elles sont chargées de mettre en œuvre localement la politique extérieure de l'Union, en se coordonnant avec les missions diplomatiques des Etats membres.

19. Par ailleurs, le rôle du Parlement européen dans le domaine des droits de l'homme et de l'action extérieure est crucial sur les plans législatif et budgétaire (19), mais également sur le plan politique avec l'adoption de résolutions et de déclarations de politique étrangère, la publication d'études relatives aux droits de l'homme, l'envoi de délégations parlementaires sur le terrain et l'adoption d'un rapport annuel sur les droits de l'homme et la politique extérieure. En outre, le Parlement européen réalise des missions d'observations électorales et consulte régulièrement les acteurs de la société civile. Il décerne des prix récompensant les personnalités engagées pour le respect des droits de l'homme, à l'exemple du prix Sakharov pour la liberté de l'esprit. Il dispose de surcroît d'un pouvoir d'approbation des accords conclus entre l'Union et les pays ou organisations tiers (20) et attache dans ce cadre beaucoup d'importance à la cohérence de l'action extérieure de l'Union et à la prise en compte des droits de l'homme. Dans son dernier rapport sur les droits de l'homme, il rappelle que « la politique européenne en faveur des droits de l'homme doit être compatible avec le respect des obligations du traité et garantir la cohérence des politiques intérieures et extérieures » (21). Enfin, le haut représentant doit consulter le Parlement sur « les principaux aspects et les choix fondamentaux de la politique étrangère et de sécurité commune et de la politique de sécurité et de défense commune (…) ».

20. La nomination d'un représentant spécial pour les droits de l'homme et l'adoption d'un cadre stratégique et d'un plan d'action (voir infra) ont précisément eu pour objectif de « renforcer la cohérence de l'action menée par l'Union en matière de droits de l'homme et l'intégration des droits de l'homme dans tous les domaines de l'action extérieure de l'Union » (22). Plus particulièrement, le cadre indique que « l'UE œuvrera en faveur des droits de l'homme dans tous les domaines sans exception de son action extérieure [et qu'elle] intégrera la promotion des droits de l'homme dans ses politiques relatives au commerce, aux investissements, à la technologie et aux télécommunications, à l'internet, à l'énergie, à l'environnement, à la responsabilité sociale des entreprises et au développement, ainsi que dans sa politique de sécurité et de défense commune et dans les dimensions extérieures de sa politique sociale et en matière d'emploi et de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, y compris la politique antiterroriste ».

21. Ainsi, la cohérence, posée comme obligation juridique de l'Union (23), est un objectif prioritaire en matière de politique extérieure et figure au cœur du mandat de tous les acteurs de cette politique. Malgré tout, la mise en œuvre concrète de cet objectif se heurte à de nombreuses difficultés.

B. - Des difficultés persistantes

22. Malgré de réelles avancées, les responsables de l'action extérieure de l'UE sont conscients de l'insuffisance de cohérence qui peut parfois entraîner des répercussions négatives sur le respect des droits de l'homme. Ils continuent à chercher des solutions innovantes pour résoudre ces difficultés qui peuvent s'expliquer notamment par la multiplication des priorités et des objectifs, parfois difficilement conciliables, et par la diversité des structures, chargées de les mettre en œuvre, dont l'articulation et la coordination sont encore trop limitées. En outre, la complexité d'organisation de certaines instances, à l'instar du SEAE, et la duplication de plusieurs services compliquent la situation.

23. Ces défauts de cohérence dans le domaine des droits de l'homme se constatent à plusieurs niveaux : entre les politiques externe et interne de l'Union et entre les différents aspects de sa politique extérieure.

Cohérence interne-externe

24. En matière de cohérence interne-externe, la CNCDH constate des divergences, voire des contradictions, entre la politique interne de l'Union et de ses Etats membres, d'une part, et la politique extérieure de l'Union, d'autre part. Celles-ci nuisent à l'effectivité de son action et peuvent parfois rendre ses discours sur les droits de l'homme inaudibles.

25. La politique européenne en matière d'asile et d'immigration illustre dramatiquement cette incohérence. En effet, les Etats membres de l'UE, tous parties à la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, sont tenus de respecter le principe de non-refoulement, inscrit en son article 33 et repris en droit européen (24). Ce principe s'applique également aux demandeurs d'asile en vertu du caractère recognitif du statut de réfugié. Or la politique pratiquée depuis des années par l'UE à l'égard des demandeurs d'asile et des migrants et les nombreux obstacles qu'elle dresse à l'accès à son territoire contreviennent clairement à ses engagements. La prévalence du contrôle migratoire sur toute autre considération et l'(in)action de l'Union à l'égard des migrants qui périssent à ses frontières extérieures et en mer (25), parmi lesquels de nombreuses personnes fuyant la guerre et les persécutions, sont indéfendables. La politique européenne en matière de visas, les activités de l'agence Frontex, les difficultés d'accès à la procédure de dépôt et d'examen d'une demande d'asile semblent particulièrement éloignées des principes fondamentaux de l'UE (26). L'Agence des droits fondamentaux (FRA) a rendu un rapport récent (27) dans lequel elle examine les conditions aux frontières maritimes méridionales de l'UE, relatives aux droits les plus fondamentaux d'une personne, tels que le droit à la vie et le droit de ne pas être renvoyé lorsqu'existent des risques de torture, de persécution ou des traitements inhumains. Le rapport souligne que le fait que les migrants mettent leur vie en danger en traversant la mer dans des embarcations impropres à la navigation afin d'atteindre les côtes de l'Europe et fait part d'une défaillance alarmante de la protection de l'UE des droits fondamentaux des personnes, qui n'est pas résolue. Il indique également que l'UE devrait adopter des orientations claires et précises sur le respect des droits fondamentaux relativement au principe de non-refoulement.

26. A l'inverse, la lutte contre la peine de mort est un sujet pour lequel l'Union envoie un signal cohérent. En effet, l'abolition de la peine de mort constitue une condition préalable à l'entrée dans l'Union et s'inscrit parmi les grandes priorités de sa politique extérieure (28). A cet égard, l'UE s'est également dotée d'instruments juridiques lui donnant les moyens de ses ambitions politiques. Ainsi, le règlement du Conseil de l'UE n° 1236/2005, entré en vigueur le 30 juillet 2006, porte sur le commerce vers les pays tiers de certains biens susceptibles d'être utilisés en vue d'infliger la peine capitale, la torture ou d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Sous la pression des acteurs de la société civile et du Parlement européen, il a été révisé le 20 décembre 2011 afin d'en combler des lacunes et d'étendre la liste des biens soumis à contrôle à l'exportation. Ainsi la vente de certains anesthésiques qui peuvent être utilisés dans les injections létales à des pays qui n'ont pas encore aboli la peine de mort est désormais sévèrement contrôlée. De plus, les fonds de l'UE permettent aux acteurs de la société civile de mener des campagnes contre la peine de mort.

Cohérence externe-externe

27. En matière de cohérence externe-externe, c'est principalement entre la politique commerciale de l'Union et d'autres aspects et objectifs de sa politique extérieure comme le développement ou les droits de l'homme que le décalage est le plus marqué. Si les accords commerciaux ou d'investissement comportent des clauses relatives aux droits de l'homme (voir infra), il existe de nombreux exemples de répercussions négatives de ces accords sur le respect des droits de l'homme (confiscation de terres, violations de la liberté syndicale, etc.) (29) ainsi que des contradictions entre les discours politiques et les actions réelles de l'Union sur le terrain, alors même que les avantages commerciaux devraient servir de leviers à la protection des droits de l'homme dans les pays partenaires. En pratique, des négociations se poursuivent par la Commission européenne pour la conclusion d'accords commerciaux ou d'investissement des pays tiers, en faisant fi des violations des droits de l'homme qui persistent ou s'aggravent (30).

28. A l'inverse, dans le cadre de la politique de développement, l'UE fait progressivement sienne l'approche du développement fondée sur les droits, en application du Programme pour le changement adopté en 2012 qui place la défense des droits de l'homme au cœur de la coopération au développement (31). Cette approche, prônée depuis de nombreuses années par les Nations unies (32), consiste à prendre en compte le respect et la jouissance des droits de l'homme dans les actions de développement et à mesurer l'impact de ces actions sur la réalité des droits. Les conclusions du Conseil de l'UE adoptées le 19 mai constituent à ce sujet une étape essentielle (33), en approuvant la présentation d'une nouvelle « boîte à outils » qui fournit au personnel et aux partenaires de l'UE des orientations concrètes pour une meilleure intégration des droits de l'homme dans les politiques de coopération au développement, à tous les stades de la gestion des projets. Ces conclusions appellent aussi à « une plus grande complémentarité, à une cohérence accrue et à une coordination plus étroite entre l'ensemble des instruments et des politiques de l'UE dans le domaine extérieur » (34). A cet égard, et en lien avec le point précédent, le Conseil « insiste sur l'importance de continuer à procéder à des analyses de l'impact des accords de commerce et d'investissement sur les droits de l'homme » (35) (voir infra sur les études d'impact).

II. - La nécessaire évaluation des documents et outils de la politique extérieure

29. Sur le fondement de l'analyse des outils existants, cette partie a vocation à dégager des pistes d'améliorations visant à renforcer la mise en œuvre et l'articulation des outils de l'action extérieure, afin de développer la cohérence et l'efficacité de l'action de l'Union.

A. - Une volonté récente de formalisation

Le cadre stratégique et le plan d'action sur les droits de l'homme et la démocratie

30. Le Conseil de l'UE a adopté en 2012 un Cadre stratégique de l'UE en matière de droits de l'homme et de démocratie, destiné à orienter l'action de l'UE au cours des années à venir, et assorti d'un plan d'action de mise en œuvre pratique. Le cadre identifie 36 résultats recherchés, répartis en sept sous-parties et devant être atteints au moyen de 94 actions que l'UE doit mettre en œuvre avant le 31 décembre 2014. C'est la première fois que l'Union dispose d'un cadre stratégique unifié dans ce domaine. Comme indiqué précédemment, il vise à améliorer la lisibilité, l'efficacité et la cohérence de la politique européenne en matière de droits de l'homme dans son ensemble et à intégrer les droits de l'homme dans tous les domaines de l'action extérieure de l'Union (36). Plusieurs des résultats attendus du plan d'action ont d'ailleurs principalement pour objet de renforcer la cohérence de la politique extérieure (1, 8, 10, 11, 12,13, 14, 15, 25 et 33). Au paragraphe 9, il est ainsi indiqué que « l'UE œuvrera en faveur des droits de l'homme dans tous les domaines sans exception de son action extérieure ». Le représentant spécial de l'UE pour les droits de l'homme est chargé de la mise en œuvre du cadre stratégique et du plan d'action.

31. Depuis sa mise en place, le cadre stratégique de l'UE dynamise les outils existants et précise le rôle de chacun des acteurs concernés. Cependant, des interrogations subsistent au sein même des instances européennes sur la portée du plan d'action (37), qui mériterait d'être clarifiée. De plus, les résultats attendus et les actions à mettre en œuvre sont très nombreux et énoncés de manière parfois large et vague. Le prochain plan d'action devrait donc se recentrer autour d'actions concrètes et de quelques grandes priorités et établir clairement les responsabilités entre les institutions européennes et les Etats membres.

32. En outre, le prochain plan devrait faire une place plus importante aux droits économiques, sociaux, et culturels dont le respect et la promotion constituent deux des résultats attendus du premier plan d'action mais qui ne s'inscrivent pas parmi les priorités de l'UE en matière de droits de l'homme. Le SEAE lui-même reconnaît que les activités de l'Union en matière de droits économiques, sociaux et culturels « peuvent être intensifiées » (38). Le Parlement européen regrette que « la politique de l'UE en matière de droits de l'homme continue à négliger largement les droits économiques, sociaux et culturels, alors même que l'Union s'est engagée en faveur de l'indivisibilité et de l'interdépendance des droits, et prie le SEAE, la Commission et les Etats membres de redoubler d'efforts à cet égard, y compris dans le domaine des droits du travail et des droits sociaux » (39). Par exemple, des lignes directrices pourraient être développées sur ces droits (voir infra).

33. Par ailleurs, il conviendrait d'assurer une évaluation régulière et transparente du cadre stratégique, au-delà des éléments du rapport annuel de l'UE sur les droits de l'homme et la démocratie dans le monde, qui constitue une source d'informations utile mais trop générale, et décalée dans le temps en raison de la lenteur de la publication et de l'accélération des événements sur la scène internationale (40). La publication du rapport devrait être l'occasion d'une évaluation périodique, en lien avec toutes les parties concernées. Des mécanismes de suivi plus efficaces devraient être institués afin de remédier au défaut de mise en œuvre d'actions pourtant essentielles au regard des objectifs de cohérence poursuivis par le cadre stratégique.

34. A ce sujet, le cadre stratégique et le plan d'action n'ont pas encore fait l'objet d'une appropriation générale suffisante de la part des Etats membres, alors que ces documents s'adressent également à eux et ne sont pas exclusivement destinés aux institutions européennes. Le Parlement demande au « SEAE de redoubler d'efforts pour renforcer le sentiment d'appropriation des Etats membres à l'égard de ce plan d'action et qu'une section sur la mise en œuvre du plan d'action par les Etats membres soit ajoutée au rapport annuel » (41). Pour la cohérence globale de l'action extérieure de l'UE, il serait nécessaire que chaque poste diplomatique national s'approprie le cadre stratégique et le plan d'action et mène des actions propres à les mettre en œuvre, dont ils rendraient ensuite compte. De même, au sein des Etats membres, et ainsi, en France, les acteurs de la société civile ne semblent que peu, voire pas, impliqués dans l'évaluation du plan.

Les stratégies pays en matière de droits de l'homme

35. Les stratégies pays consistent en une analyse de la situation des droits de l'homme dans chaque pays concerné et permettent ainsi d'identifier des priorités spécifiques par pays en matière de droits de l'homme, et éventuellement d'orienter les programmes d'aides financières et d'assistance technique. Elles engagent les Etats membres, à travers leur adoption par les groupes de travail du Conseil, et garantit une certaine transversalité, en impliquant les groupes géographiques et en s'appuyant sur l'expertise des délégations sur place, en concertation avec les postes diplomatiques des Etats membres.

36. Toutefois, ces stratégies souffrent d'une absence de publicité et d'un manque d'information effectif du Parlement européen et des acteurs de la société civile, au motif de la stricte confidentialité qui les entoure. Si les acteurs de la société civile sont consultés en amont, ils ne sont pas tenus informés du résultat final et des priorités retenues, ce qui en retour limite sa contribution pour les mettre en œuvre. Sur ce point, le processus mériterait donc d'être amélioré (42).

B. - La diversité des outils de l'action extérieure

37. En sus des déclarations politiques et démarches spécifiques, qui peuvent porter sur les droits de l'homme, l'UE a créé une série d'outils spécifiquement dédiés à la promotion et à la protection des droits de l'homme dans le cadre de l'action extérieure.

La conditionnalité

38. Les clauses « droits de l'homme », comme élément essentiel des accords, se sont généralisées dans les accords conclus entre l'Union et les pays ou organisations tiers (43). En dépit de leur diversité, elles ont généralement pour fonction de subordonner l'établissement ou le maintien d'une relation avec un Etat tiers au respect des droits de l'homme par les parties à l'accord et prévoient, pour certaines, l'adoption de mesures appropriées en cas de violation.

39. Le dernier rapport annuel du Conseil de l'UE sur les droits de l'homme et la démocratie précise qu'« en 2012, l'UE a continué de veiller à ce que des clauses relatives aux droits de l'homme soient insérées dans les accords-cadres à caractère politique conclus avec les pays industrialisés comme avec les pays non industrialisés, même lorsqu'il n'était pas facile de parvenir à un accord avec le pays partenaire. En 2012, des accords contenant une clause relative aux droits de l'homme ont été signés avec l'Iraq, le Viêt-Nam, des pays d'Amérique centrale et les Philippines ». En 2013, des protocoles aux accords de pêche avec le Maroc et la Côte d'Ivoire ont intégré des clauses relatives aux droits de l'homme.

40. En théorie, ces clauses instaurent une forme de conditionnalité en prévoyant la possibilité de sanctions à l'égard de l'Etat partie défaillant, voire une suspension de l'accord. Ce mécanisme comprend parfois une procédure préalable ou régulière de dialogue (44). Cependant aucun accord ne prévoit l'instauration d'un comité permanent chargé d'en surveiller l'application, contrairement aux clauses concernant d'autres domaines qui s'accompagnent de mécanismes permanents de surveillance. De manière générale, ces clauses relatives aux droits de l'homme ne sont que très peu et très inégalement appliquées, même lorsqu'existent des violations graves des droits de l'homme (45).

41. Une autre facette de la conditionnalité réside dans l'existence d'instruments incitatifs conditionnant l'octroi d'aides ou d'avantages au respect des droits de l'homme ou des principes du développement durable et de la bonne gouvernance (voir supra les instruments financiers), à l'exemple du système de préférence généralisée (SPG/SPG+) (46). Cependant, il semble que l'incitation que constituent les préférences commerciales ne soit pas toujours suffisamment mise à profit pour renforcer le respect des droits de l'homme sur le terrain (47), même si des améliorations ont pu être apportées par le nouveau règlement en demandant à la Commission de procéder à une évaluation régulière.

42. Ainsi, comme elle l'avait déjà souligné en 2008, la CNCDH considère qu'afin d'éviter une sous-exploitation de ces mécanismes de conditionnalité, dangereuse pour « la crédibilité de l'Union en tant qu'acteur mondial et résolu sur la scène internationale » (48), il conviendrait d'assurer le suivi rigoureux et régulier de leur mise en œuvre, en agissant par étapes avec des mesures graduées et en instaurant un suivi et un dialogue plus approfondis. La CNCDH rappelle l'importance de « veiller au respect de ces conditionnalités par un système transparent, indépendant et crédible » (49).

43. Sur la même ligne, le Parlement européen recommande l'établissement d'un dispositif juridique destiné à faciliter leur mise en œuvre effective dès lors que le partenaire porte atteinte aux droits de l'homme et à la démocratie (50). Dans cette perspective, il préconise la mise en place de « mécanismes spécifiques en cas de non-respect », la formulation « d'engagements liés à des critères spécifiques mesurables, réalisables et assortis de délais afin de mesurer les progrès réalisés » ainsi que l'établissement d'un « calendrier de mise en œuvre précis » (51).

Les études d'impact en matière de droits de l'homme

44. Afin de compléter le dispositif des clauses et de permettre de répondre aux éventuelles atteintes aux droits de l'homme, qui peuvent parfois résulter de l'accord lui-même, les accords dans tous les domaines de l'action extérieure de l'Union devraient être systématiquement accompagnés d'études d'impact sur les droits de l'homme, s'appuyant sur une expertise indépendante et sur la consultation des populations concernées. Des avancées importantes ont été réalisées sur ce point (52), mais les études d'impact restent malgré tout superficielles et insuffisantes concernant les droits de l'homme. Le plan d'action prévoit d'ailleurs de « mettre au point une méthode afin d'aider à la prise en compte de la situation des droits de l'homme dans les pays tiers dans le cadre du lancement de négociations sur des accords de commerce et/ou d'investissement ou de la conclusion de ceux-ci » (53). Le Parlement, dans son dernier rapport sur les droits de l'homme, « invite (d'ailleurs) l'UE à définir et à adopter des orientations stratégiques spécifiques sur l'inclusion effective des droits de l'homme dans ses accords sur le commerce et les investissements afin de procéder avec rigueur et méthode à des études d'impact sur les droits de l'homme » (54).

45. Il conviendrait également d'introduire des mécanismes de recours et d'alerte qui permettent à toute personne et organisation de signaler des défaillances et des dysfonctionnements éventuels dans l'application de l'accord, ou toute autre violation ayant un impact sur les droits de l'homme, devant entraîner l'adoption de mesures appropriées.

Les dialogues droits de l'homme

46. Les dialogues sur les droits de l'homme entrepris avec de nombreux pays (une quarantaine de dialogues avec plus de trente pays tiers ont été instaurés jusqu'à présent) et parfois accompagnés d'un dialogue avec les acteurs de la société civile locale demeurent un outil considérable pour aborder des violations précises des droits de l'homme dans les pays tiers. Toutefois, ils se caractérisent par une variété de structures, de formats, de périodicité et de méthodes ainsi que par la confidentialité des échanges, ce qui nuit à la visibilité de cet outil diplomatique.

47. Par ailleurs, l'efficacité de ces dialogues continue de faire débat au sein des institutions européennes et des acteurs de la société civile. Ces dialogues ne sont pas une fin en soi et doivent aboutir à des actions et résultats concrets. Or, la CNCDH avait déjà noté en 2008 que « leurs agendas, objectifs et indicateurs restent souvent flous » (55). Il n'existe toujours pas aujourd'hui de véritable mécanisme de suivi et d'évaluation de ces dialogues, ni d'indicateurs de progrès. Le Parlement demande à ce que ces dialogues « s'accompagnent de critères publics clairs permettant de mesurer de manière objective les résultats » (56). Par conséquent, ils devraient être renforcés, le suivi périodique des résultats obtenus consolidé et les acteurs de la société civile y être davantage impliqués.

48. En outre, dans le cadre de la mise en œuvre effective du plan d'action et de l'objectif plus général de cohérence, l'intégration des droits de l'homme dans tous les aspects de la politique extérieure de l'Union devrait se refléter dans le contenu même des dialogues. Ainsi, l'impact des acteurs économiques sur le respect des droits de l'homme devrait être inscrit à l'agenda de ces dialogues.

49. Dans le cadre de ces dialogues bilatéraux, les interlocuteurs des pays tiers soulèvent de plus en plus souvent des violations des droits de l'homme en Europe. Pour renforcer la cohérence et la crédibilité de ces dialogues, il est essentiel que l'Union puisse répondre de manière approfondie et objective aux interpellations des pays tiers sur la situation des droits de l'homme dans ses pays membres. Aujourd'hui, des efforts sont réalisés pour associer davantage l'expertise des Etats membres dans les dialogues avec les pays tiers. La CNCDH considère que les directions pertinentes de la Commission et l'Agence des droits fondamentaux de l'UE pourraient être utilement associées à l'exercice (57).

Les lignes directrices

50. La mise en place progressive d'orientations ou de lignes directrices (guidelines) est un des principaux outils pour fixer un cadre pratique, à la fois conceptuel et concret, à l'action de l'UE dans le domaine des droits de l'homme, dans le cadre de sa politique extérieure.

Les premières lignes directrices sur la peine de mort, adoptées en 1998, ont été révisées en 2008 et en 2013. Depuis lors, une dizaine de lignes directrices ont été adoptées :

- les lignes directrices sur la torture et les peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants, adoptées en 2001 et révisées en 2008 et en 2012 ;

- les lignes directrices sur les dialogues droits de l'homme avec les pays tiers de 2001, révisées en 2009 (cf. infra) ;

- les lignes directrices sur les enfants et les conflits armés de 2003, révisées en 2008 ;

- les lignes directrices sur les défenseurs des droits de l'homme de 2004 révisées en 2008 ;

- les lignes directrices sur la promotion et la protection des droits de l'enfant de 2008 ;

- les lignes directrices sur la violence contre les femmes et les jeunes filles et la lutte contre toutes les formes de discrimination à leur égard de 2008 ;

- les lignes directrices sur le droit international humanitaire de 2009 ;

- les lignes directrices en faveur des droits des personnes LGBTI de 2013 ;

- les lignes directrices sur la promotion et la protection de la liberté de religion et de conviction de 2013 ;

- les lignes directrices sur la liberté d'expression « en ligne et hors ligne » adoptées en 2014.

51. Cette énumération montre à elle seule la souplesse et l'adaptabilité du mécanisme, avec une évaluation permanente des résultats et des révisions régulières, mais aussi sa montée en puissance, avec de nouvelles priorités. Il ne faudrait pas pour autant que les lignes directrices introduisent une apparente sélectivité dans le système des droits de l'homme, alors que les principes d'universalité et d'indivisibilité sont essentiels. A cet égard, le processus de choix des thématiques retenues et l'élaboration des lignes directrices manquent de transparence. Si certains groupes vulnérables sont pris en compte, les droits économiques, sociaux et culturels ne sont pas traités en tant que tels, alors même que la liberté syndicale est fondamentale pour la garantie de l'ensemble des droits sociaux et que le droit à l'éducation pourrait être une composante des politiques de développement et de soutien à l'état de droit. (A côté de ces lacunes, on peut constater que certaines questions, pourtant prioritaires pour la diplomatie française, comme la question des disparitions forcées ou involontaires ne sont pas traitées en tant que telles, alors qu'elles sont liées aux lignes directrices contre la torture et sur le droit international humanitaire, avec des éléments préventifs et répressifs dont il serait très utile de faire la promotion.)

52. La France devrait mobiliser ses partenaires européens pour compléter les lignes directrices, avec une vision d'ensemble, en articulant ce programme de travail avec un recours aux instruments financiers de l'UE, mais aussi un soutien renforcé à certains fonds des Nations unies, comme le Fonds volontaire pour les victimes de la torture. Une meilleure lisibilité serait assurée par une harmonisation des lignes directrices qui devraient systématiquement comporter des objectifs, des critères, des moyens, des calendriers, des indicateurs et intégrer une évaluation régulière et exhaustive. Sur ce point, le Parlement européen a récemment recommandé une mise en œuvre des lignes directrices en matière de torture « efficace et axée sur les résultats » (58).

53. Par ailleurs l'élaboration, l'évaluation et la révision des lignes directrices devraient être faites de manière plus transparente et participative, en y associant plus largement les acteurs de la société civile. Un effort de diffusion et de sensibilisation auprès des « utilisateurs », fonctionnaires européens et diplomates nationaux, pour une application plus systématique des lignes directrices devrait trouver son prolongement dans une information publique, au sein de l'UE, comme dans les pays tiers.

Les instruments financiers

54. L'Union dispose de plusieurs instruments financiers afin de soutenir diverses actions et projets dans les pays tiers. En matière de droits de l'homme, l'Instrument européen pour la démocratie et les droits de l'homme (IEDDH) a pour vocation première de fournir un soutien financier aux défenseurs des droits de l'homme, aux acteurs de la société civile et des droits de l'homme dans le monde entier et illustre la volonté de l'UE d'encourager le développement d'une société civile active et indépendante. Le nouvel instrument pour 2014-2020 conforte les priorités précédentes concernant le soutien à la démocratie, notamment par l'envoi de missions d'observation électorale, la lutte contre la peine de mort, contre la torture et contre toutes les formes de discriminations, et prévoit un budget en augmentation (1,3 milliard d'euros, contre 1,1 pour le précédent instrument). Il améliore aussi sa capacité d'intervention pour répondre, de manière plus flexible et plus rapide, à des situations d'urgence, notamment pour des défenseurs en danger (59).

55. Par ailleurs, s'inscrivant dans le cadre des aides préalables à l'adhésion soutenant le processus de stabilisation et d'association des pays candidats et des candidats potentiels à l'UE, l'instrument financier d'aide de préadhésion (IAP) représente un outil utile dans la mise en œuvre de la politique extérieure de l'UE. Il offre en effet une assistance aux pays engagés dans un processus d'adhésion pour la période 2007-2013 et vise le renforcement de la capacité des institutions publiques, de la coopération transfrontalière, du développement économique et social ainsi que du développement rural. Les pays bénéficiaires de ces fonds IPA sont tenus de se mettre en conformité avec les principes démocratiques de l'état de droit, des droits de l'homme et des minorités.

56. Les instruments financiers de portée géographique comme le Fonds européen pour le développement, l'Instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP) et l'Instrument de coopération au développement (ICD) sont autant d'instruments utiles à la promotion des droits de l'homme dans les pays tiers.

57. La Cour des comptes européenne a toutefois dressé un constat sévère de l'utilisation des fonds dans certains pays et a recommandé d'en améliorer la gestion transparente et effective (60). Est également pointé l'échec actuel de l'UE à développer la meilleure interaction possible entre le dialogue, les mesures incitatives, les mesures d'appui et les sanctions (61), à l'instar de ce que commande le point 33 du plan d'action (« Utilisation efficace et interaction des instruments de la politique extérieure de l'UE »).

III. - L'Union européenne dans les enceintes multilatérales

58. L'action multilatérale de l'UE dans les différentes enceintes internationales s'est considérablement développée ces dernières années. En 2013, « diverses décisions du Conseil et propositions de la Commission concernent la participation de l'Union européenne aux organisations internationales et aux conventions multilatérales […] et la diversité des domaines et des organisations concernés et le nombre et la variété de ces actes confirment la volonté de l'UE de continuer à développer son activité multilatérale, que ce soit pour enrichir ses politiques internes ou de proximité ou, plus globalement, pour répondre aux objectifs transversaux de son action extérieure, notamment celui de « promouvoir un système international fondé sur une coopération multilatérale et une bonne gouvernance mondiale » (article 21-2 TUE) » (62).

59. L'action multilatérale de l'UE se manifeste notamment dans le droit de conclure des traités et des accords internationaux dans le domaine des droits de l'homme (63). L'UE a ainsi adhéré en décembre 2010 à la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées (64). Cette possibilité n'est pas suffisamment exploitée dans le domaine des droits de l'homme, ce qui peut notamment s'expliquer par réserve de certains Etats membres de l'UE qui craignent que cela n'entraîne une extension des compétences mêmes de l'UE en matière de droits de l'homme au détriment des compétences nationales. De manière générale, l'Union gagnerait pourtant à être partie à un plus grand nombre de conventions multilatérales afin de renforcer son rôle et sa crédibilité et de se soumettre à l'exercice d'évaluation de la mise en œuvre de ces instruments par des organes indépendants.

A. - L'Organisation des Nations unies

L'Organisation des Nations unies proprement dite

60. Le traité sur l'UE dispose que l'UE « favorise des solutions multilatérales aux problèmes communs, en particulier dans le cadre des Nations unies » (65). Si l'UE bénéficie du statut d'observateur au sein de « l'Assemblée générale des Nations unies, de ses commissions et groupes de travail, aux réunions et conférences internationales organisées par l'Assemblée générale ainsi qu'aux conférences des Nations unies » (66), la contribution respective de l'UE et de ses Etats membres reste différente selon les organes (voir supra).

61. La concertation permanente entre les missions diplomatiques des Etats et la représentation de l'Union assure le plus souvent une grande cohérence des positions prises et la participation de l'UE comme porte-parole de ses Etats membres a l'avantage de donner une grande visibilité à la position des 28 Etats. Toutefois, la contre-partie de cette cohésion est de ne pas toujours permettre la réactivité immédiate qui s'imposerait. Il faudrait aussi favoriser les prises de parole des Etats membres, dans la ligne commune agréée, afin d'animer et d'élargir les débats, en permettant à chaque Etat de mettre en valeur ses bonnes pratiques et ses priorités.

62. En outre, l'UE serait plus efficace, si elle était plus présente sur le terrain, dans le cadre d'opérations de maintien de la paix placées sous les auspices des Nations unies. De manière générale, une réflexion systématique s'impose sur l'articulation des moyens dont dispose l'UE et les priorités fixées en matière de consolidation de la paix, de reconstruction de l'Etat de droit, de lutte contre l'impunité et de coopération avec la justice pénale internationale.

63. Par ailleurs, il existe une certaine contradiction entre la montée en puissance de l'UE sur les droits de l'homme, sur la base de ses compétences élargies, et le fait qu'elle ne rende pas compte, au même titre que les Etats, dans un cadre multilatéral, du respect des obligations internationales dans ce domaine. Il en découle un manque de vue d'ensemble et d'analyse systémique de l'action de l'UE, malgré la responsabilité assumée par les Etats membres lorsqu'ils présentent leurs rapports nationaux aux organes de contrôle. Ainsi, dans le cadre de l'Examen périodique universel, il serait légitime et de bonne augure que l'UE présente, sur une base volontaire, un rapport sur le respect des droits de l'homme dans ses politiques internes comme externes. Certes, l'Agence des droits fondamentaux fournit, depuis début 2013, à la demande du bureau du haut-commissaire des extraits des rapports pertinents qu'elle a publiés ces dernières années, mais ces informations portent sur l'Etat membre à l'examen et non sur l'Union en propre. A minima, l'UE devrait être prête à répondre aux sollicitations des organes indépendants de contrôle, pour la transmission d'informations utiles à l'analyse du respect des droits de l'homme. A ce titre, des contacts ont déjà pu avoir lieu entre le Comité des Nations unies pour l'élimination de la discrimination raciale et la Commission européenne sur la question des discriminations à l'égard des populations roms. Les conventions internationales les plus récentes visent la coopération des organes de contrôle avec des « organisations ou institutions régionales intergouvernementales concernées » (67), ce qui ouvre la voie à des formules très souples pour une contribution effective de l'UE, en fonction de ses priorités propres et de ses compétences partagées dans le domaine visé.

Les autres organisations de la famille des Nations unies

64. La diplomatie des droits de l'homme ne saurait être cantonnée à certains organes des Nations unies et l'action de l'UE dans ce domaine devrait avoir plus de lisibilité au sein de grandes organisations qui ont un impact direct sur les droits de l'homme, comme l'UNESCO, avec ses compétences en matière d'éducation, de culture et de science (bioéthique), etc. Au sein de cette organisation, le secteur consacré aux droits de l'homme a été de plus de plus négligé, afin de réaliser des économies budgétaires, alors qu'il devrait figurer parmi les priorités face aux défis des nouvelles technologies et des sciences de l'information et de la communication.

65. Il en va de même de l'Organisation internationale du travail (OIT) au sein de laquelle l'UE devrait renforcer la protection et la promotion des droits fondamentaux des travailleurs à travers le monde en luttant contre le dumping social. L'UE doit surtout surmonter le divorce entre les positions dans le cadre des négociations de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ou de négociations commerciales bilatérales et les engagements assumés sur le terrain des droits de l'homme. Le manque de cohérence souvent relevé entre les différentes politiques européennes trouve son prolongement dans les enceintes multilatérales, sans tentative de synthèse visant à donner toute leur place aux droits de l'homme.

66. C'est également le cas pour nombre d'organisations spécialisées, comme l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), l'Organisation mondiale de la santé (OMS) : trop souvent les Etats européens adoptent une approche gestionnaire, dominée par des intérêts commerciaux ou des priorités comptables, sans prendre en compte l'impact des politiques sur les droits de l'homme, et en particulier les effets négatifs sur les populations les plus vulnérables, ce qui rejoint le souci de cohérence développé avant.

C. - Les organisations européennes

Conseil de l'Europe

67. Les relations entre l'UE et le Conseil de l'Europe, au-delà des rencontres protocolaires, devaient être renforcées. Déjà en 2006, le rapport de Jean-Claude Juncker préconisait, d'une part, l'adhésion à court terme de l'Union à la CEDH, d'autre part, à moyen terme, l'adhésion de l'Union au Conseil de l'Europe en tant que tel (68). Dès maintenant, il serait utile de faire l'inventaire des conventions européennes ouvertes à l‘adhésion de l'UE et des justifications de sa non-participation. Le projet d'accord d'adhésion de l'UE à la CEDH - finalisé le 5 avril 2013 et actuellement soumis à la Cour de justice de l'Union européenne (69) - comporte lui-même des limites en excluant certains protocoles additionnels importants, comme les protocoles nos 4, 7 et 12. A fortiori, on pourrait souhaiter un engagement plus systématique dans différents domaines traduisant l'indivisibilité des droits de l'homme, comme la Charte sociale européenne révisée.

68. S'agissant de l'adhésion de l'UE à la CEDH, cette adhésion ne devrait pas, a priori, avoir d'incidence sur la politique extérieure de l'UE, puisque l'objet de l'adhésion de l'UE à la CEDH est le contrôle du respect des droits de l'homme « dans » ou « au sein » de l'UE. Toutefois, elle pourrait, à la marge, toucher la politique extérieure des droits de l'homme de l'UE, dans la mesure où des personnes pourront soumettre au contrôle de la Cour européenne des droits de l'homme tous « actes, mesures ou omissions imputables aux institutions de l'UE, à ses organismes ou à ses agences » qui pourraient affecter les droits desdites personnes (70). Il pourrait en être ainsi, par exemple, en cas d'actions menées ou de sanctions prononcées par l'UE qui auraient des effets sur les droits de personnes ou de groupes de personnes, lesquelles pourraient alors se tourner vers la Cour européenne de Strasbourg après avoir exercé préalablement un recours devant la juridiction de Luxembourg (71).

69. Sur un terrain institutionnel, les Etats membres de l'UE devraient abandonner la politique de « croissance zéro » qui paralyse le Conseil de l'Europe, alors que ses activités et ses programmes ont un rôle stabilisateur à l'échelle de tout le continent. Le souci légitime d'éviter les doublons devrait également impliquer une coopération plus étroite avec le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe (72), en renforçant ses moyens humains et financiers.

CSCE-OSCE

70. La Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) qui a été marquée par la signature de l'Acte final de la conférence d'Helsinki en 1975 et par la Charte de Paris pour une nouvelle Europe en 1990, reste essentielle pour la sécurité coopérative des Etats participants au sein d'un espace allant de Vancouver à Vladivostok, réunissant les Etats-Unis et la Russie. C'est dans ce cadre diplomatique souple que, dès le début des années 1990, la diplomatie des droits de l'homme de l'Union européenne s'est exprimée d'une seule voix. L'institutionnalisation progressive de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) depuis la Charte de Paris a permis la mise en place d'institutions propres, comme le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH) et le Centre de prévention des conflits. L'originalité de la CSCE-OSCE est d'associer étroitement la dimension humaine, y compris la protection des droits des minorités nationales, et les mesures de confiance et de désarmement, dans un concept global de sécurité coopérative fondé sur les principes des Nations unies.

71. L'action de l'UE au sein de l'OSCE est décisive, notamment dans une période de crise régionale, et les Etats membres devraient se mobiliser pour renforcer les institutions de l'OSCE et leurs moyens d'action sur le terrain. L'articulation entre la présidence en exercice de l'OSCE - assurée en 2014 par la diplomatie suisse - et l'action du haut représentant pour les affaires étrangères et de sécurité a été cruciale pour faire face à la crise ukrainienne, mais les Etats membres de l'UE devraient veiller à renforcer les moyens préventifs dont dispose l'OSCE. C'est le cas de la Convention de Stockholm de 1992 créant la Cour de conciliation et d'arbitrage de l'OSCE dont la France avait été à l'origine. Depuis lors, malgré un nombre significatif de ratifications et une composition de haut niveau dans ses deux collèges - celui des conciliateurs et celui des arbitres - la Cour n'a jamais été saisie, alors même que sa vocation initiale était de résoudre les conflits de frontière et les différends relatifs aux minorités nationales. Une campagne de ratifications ne pourrait que renforcer l'autorité de la Cour. Il en va de même des différents mécanismes de bons offices, d'enquête et d'établissement des faits, qui ont été mis en place dans le cadre de la dimension humaine de l'OSCE, comme le « mécanisme de Moscou », qui permet aux Etats au consensus ou à 10 Etats participants en urgence de déclencher une procédure indépendante d'enquête.

72. Au moment où l'OSCE s'apprête pour 2015 à faire le bilan de ses 40 ans d'existence, une réflexion d'ensemble s'impose aux Etats membres de l'UE sur la synergie des différentes organisations internationales dans la gestion des crises et la protection des droits de l'homme. La récente signature d'une déclaration entre le directeur du BIDDH et le haut-commissaire aux droits de l'homme des Nations unies visant à illustre cette nécessité de concertation renforcer la coopération entre ces deux institutions et de coopération à tous les niveaux (73). La priorité donnée à l'adoption de positions communes fortes au sein des 28 doit aller de pair avec une attitude engagée de l'Union à l'égard des autres Etats comme dans les différentes enceintes multilatérales où l'UE peut jouer un rôle clef de sensibilisation, de vigilance et d'entrainement.

Recommandations

Les recommandations de la CNCDH sur la politique extérieure de l'UE en matière de droits de l'homme ont pour objectif une meilleure efficacité de cette politique et une meilleure articulation avec la politique étrangère française, au service de la promotion et du respect des droits de l'homme.

La CNCDH met en avant quatre impératifs majeurs :

1. La nécessaire appropriation de la politique extérieure de l'UE en matière de droits de l'homme et de ses différents outils (stratégies pays, lignes directrices…) par tous les acteurs.

2. Le soutien actif de la France à cette politique, par son action bilatérale et multilatérale et par son implication au sein des institutions européennes.

3. La transparence, la visibilité et la lisibilité de l'action de l'Union, de ses objectifs et de ses résultats, ainsi que la consultation des acteurs de la société civile - notamment les organisations non gouvernementales et les institutions nationales des droits de l'homme - à tous les niveaux.

4. La cohérence de l'action extérieure de l'Union, condition de sa crédibilité et de son efficacité, ce qui implique la cohérence des politiques de l'UE vis-à-vis des pays tiers et entre la politique extérieure et la politique interne de l'UE en matière de droits de l'homme. Dans le cadre de la cohérence, il conviendrait de renforcer le mandat de l'Agence des droits fondamentaux sur les situations des droits de l'homme dans les Etats membres et sur l'action extérieure de l'UE (74).

5. Le respect strict des engagements internationaux, notamment ceux issus de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés.

Cadre stratégique, plan d'action et stratégies pays en matière de droits de l'homme et de démocratie

6. Œuvrer à la mise en œuvre effective de l'ensemble des actions du plan d'action.

7. Contribuer à l'évaluation de la mise en œuvre du plan d'action, en rendant compte des actions menées afin d'atteindre les résultats recherchés.

8. Contribuer activement à l'élaboration du futur plan d'action, qui devra se recentrer sur une liste d'actions ciblées, indiquant précisément le calendrier de mise en œuvre et les indicateurs de suivi.

9. Œuvrer pour que des actions plus nombreuses soient consacrées aux droits économiques sociaux et culturels dans le prochain plan d'action.

10. Consulter, pour l'évaluation du premier plan et la préparation du deuxième, les acteurs de la société civile en France.

11. Demander à ce que les priorités identifiées dans les stratégies pays en matière de droits de l'homme soient rendues publiques ou, à tout le moins, communiquées à la sous-commission compétente du Parlement européen.

12. Rendre compte de l'évaluation de ces stratégies devant le Parlement européen afin d'en tirer les enseignements utiles.

13. Saisir l'occasion de la publication du rapport sur l'UE et les droits de l'homme pour présenter aux acteurs français concernés un bilan de la politique extérieure de l'UE.

Clauses droits de l'homme, éléments essentiels des accords entre l'UE et les Etats tiers

14. Demander à ce que soit intégrée dans tous les accords que l'UE conclus avec les pays tiers, dans quelque domaine que ce soit, une clause en matière de droits de l'homme impliquant l'adoption de mesures appropriées en cas de non-respect.

15. Demander à ce que chaque clause soit accompagnée d'un mécanisme juridique d'exécution, à travers la mise en place d'un comité permanent de surveillance de l'application effective de la clause.

16. Garantir un contrôle effectif du respect de ces clauses et prévoir des mécanismes gradués de mesures, précédée d'un dialogue politique.

17. Encourager l'élaboration d'indicateurs précis en matière de respect des droits de l'homme permettant l'activation de ces clauses, en application du plan d'action sur les droits de l'homme et la démocratie (75).

18. Exiger la réalisation d'études d'impact systématiques en matière de droits de l'homme, en amont d'un accord entre l'UE et un Etat tiers, et régulièrement au cours de l'exécution de l'accord, en application du plan d'action sur les droits de l'homme et la démocratie (76).

19. Encourager l'amélioration de la qualité des études d'impact menées dans le domaine des droits de l'homme, en s'assurant qu'elles suivent une méthodologie garantissant la rigueur, l'expertise, l'indépendance et la transparence de l'analyse.

20. Contribuer à la définition d'une méthodologie des études d'impact en matière de droits de l'homme pour les actes de la politique extérieure, s'inspirant des orientations opérationnelles sur la prise en compte des droits fondamentaux dans les analyses d'impact de la Commission (2011), ainsi que des principes directeurs applicables aux études de l'impact des accords de commerce et d'investissement sur les droits de l'homme, élaborés par le rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation (2011).

21. Examiner la possibilité de mécanismes d'alerte, de recours et d'établissement des faits ouverts à toute personne qui s'estimerait lésée par une politique extérieure de l'UE et, le cas échéant, prévoir des modalités de réparation adéquate.

Dialogues droits de l'homme

22. Encourager une approche européenne des dialogues sur les droits de l'homme plus systématisée, en veillant à ce qu'ils se tiennent à haut niveau politique et se déroulent sous un format harmonisé, incluant un séminaire avec les acteurs de la société civile.

23. Contribuer à la mise en œuvre du plan d'action sur les droits de l'homme et la démocratie (77) en clarifiant les objectifs de chaque dialogue et en évaluer systématiquement les résultats, à la lumière des objectifs identifiés, en consultation avec le Parlement européen et les acteurs de la société civile.

24. Etudier la possibilité de confier un rôle spécifique à l'Agence des droits fondamentaux de l'UE dans le cadre des dialogues, afin de renforcer la cohérence interne-externe.

Lignes directrices

25. Clarifier le processus de sélection des thématiques couvertes par les lignes directrices, en définissant les critères de choix avec l'implication du Parlement européen et des acteurs de la société civile.

26. Soutenir le développement de nouvelles lignes directrices dans le champ des droits économiques, sociaux et culturels.

27. Préconiser l'adoption de lignes directrices sur les disparitions forcées, conformément à la priorité donnée par la France sur cette question.

28. Œuvrer à l'harmonisation du contenu et du format des lignes directrices.

29. Appeler à l'évaluation exhaustive et régulière de la mise en œuvre des lignes directrices, à l'aune de critères mesurables et spécifiques.

30. S'assurer de la publicité des lignes directrices par les délégations de l'UE et les ambassades de France.

Instruments financiers

31. De manière générale, contribuer à une meilleure articulation de l'utilisation des différents outils de l'action extérieure de l'UE afin de faire usage de tous les leviers qu'ils offrent (incitatifs comme coercitifs) et de permettre leur renforcement mutuel et leur impact effectif, en application du plan d'action sur les droits de l'homme et la démocratie (78).

Acteurs européens de la politique extérieure de l'UE

32. Veiller à donner plus de visibilité à la fonction du représentant spécial pour les droits de l'homme qui puisse avoir plus de pouvoir d'initiative et de prise de parole publique, en s'appuyant sur les différents services au sein des institutions de l'UE pour assurer leur meilleure coordination et le développement d'une culture commune.

33. Encourager la prise en compte transversale des droits de l'homme par l'ensemble des acteurs de l'action extérieure de l'UE, quel que soit le domaine, notamment en encourageant des formations régulières sur les droits de l'homme à destination des fonctionnaires concernés.

Acteurs français de la politique extérieure de l'UE

34. Renforcer le rôle du Parlement dans le suivi et la mise en œuvre de la politique extérieure en matière de droits de l'homme de l'UE ainsi que le mandat des commissions des affaires européennes de l'Assemblée nationale et du Sénat sur cette thématique.

35. Renforcer la vigilance du Parlement français sur l'insertion et le respect des clauses relatives aux droits de l'homme dans la ratification des accords de l'UE avec les pays tiers.

36. Favoriser les synergies entre le réseau diplomatique français et les délégations de l'UE, en contribuant aux réflexions des groupes de travail droits de l'homme dans les pays tiers.

37. Donner davantage de visibilité à l'action extérieure de l'UE en exigeant systématiquement les documents en langue française ainsi qu'en ajoutant sur le site du quai d'Orsay des éléments actualisés sur les outils et les actions de l'UE dans ce domaine, et en y introduisant des liens vers les sites pertinents des institutions européennes.

Action multilatérale de l'UE

38. Encourager l'adhésion de l'UE à des instruments internationaux en matière de droits de l'homme, par le biais de protocole additionnels si nécessaires.

39. Ratifier et encourager la ratification par les Etats membres des traités universels non encore ratifiés, à commencer par la Convention de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

40. Veiller à l'adhésion de l'UE à la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (Convention d'Istanbul).

41. Etudier la faisabilité d'une évaluation de l'action de l'UE en matière de droits de l'homme aux Nations unies dans le cadre de l'Examen périodique universel ou dans un cadre similaire.

42. Encourager le renforcement des liens de l'UE avec le Conseil de l'Europe et l'OSCE.

(Avis adopté à l'unanimité, 1 abstention.)

Articles pertinents du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

Traité sur l'Union européenne