Abrogé depuis le 2025-11-06
Dans le cadre de sa mission de contrôle des lieux de privation de liberté, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) constate, de manière récurrente, la vétusté préoccupante de nombreux établissements pénitentiaires. Il observe que l'ancienneté des bâtiments, les carences de leur entretien, ainsi que l'inefficacité ou la lenteur des réponses apportées par l'administration, concourent à maintenir un très grand nombre de personnes détenues dans des conditions indignes, attentatoires à leurs droits fondamentaux. Loin d'être isolés, ces constats témoignent d'un dysfonctionnement structurel de grande ampleur, qui affecte aussi gravement les conditions de travail du personnel pénitentiaire.
Par le présent avis, le CGLPL entend alerter sur les conséquences directes de la vétusté des établissements sur la sécurité, la santé, la dignité et l'intimité des personnes privées de liberté, et sur l'urgence d'apporter à cette situation une réponse à la hauteur des enjeux, conforme aux exigences de l'Etat de droit et aux engagements internationaux de la France.
- L'indignité des conditions de vie et de travail
Les conditions de vie dans de nombreux établissements pénitentiaires en France sont marquées par une profonde indignité. L'insalubrité, la surpopulation et le manque de moyens matériels n'affectent pas seulement les personnes détenues : elles ont également un impact direct sur les conditions de travail du personnel pénitentiaire. Travailler dans des locaux vétustes, souvent surchargés et sous-équipés, accentue la pénibilité du métier, nuit à la sécurité, et contribue à une dégradation générale du climat de la détention.
1.1. De nombreux établissements sont vétustes
La vétusté des établissements résulte souvent de l'ancienneté des infrastructures. A ce jour encore, de nombreuses maisons d'arrêt sont installées dans des bâtiments du XIXᵉ siècle : la structure de la maison d'arrêt de Pau date par exemple de 1868, celle de Nevers de 1857 et celle d'Ajaccio de 1870. La maison centrale de Poissy est située au cœur du quartier historique ; conçu à l'origine en 1645 pour être un couvent, l'établissement a une vocation pénitentiaire depuis 1817, et de maison centrale depuis 1821. Les centres de détention d'Écrouves et d'Oermingen sont d'anciennes casernes construites respectivement en 1913 et 1938, devenues des prisons à la fin de la seconde guerre mondiale.
Le fonctionnement continu de ces structures depuis des décennies, associé à de graves insuffisances dans leur maintenance, a inévitablement entraîné leur extrême dégradation. A la maison d'arrêt de Limoges, mise en service en 1856, les murs sont fissurés et envahis de moisissures, les infiltrations d'eau régulières. Les maisons d'arrêt de Pau et de Nice, édifiées respectivement en 1861 et 1887, présentent également un état alarmant, des murs humides, des moisissures omniprésentes et des sanitaires dégradés. A la maison d'arrêt de Saint-Pierre (La Réunion), installée dans des bâtiments datant de 1863, les fissures dans les murs, les infiltrations d'eau et les sanitaires hors d'usage témoignent de l'état de délabrement généralisé du bâti. L'effondrement en novembre 2023 d'une partie des coursives de la maison d'arrêt de Rouen, conséquence du manque d'entretien chronique de bâtiments anciens et des infiltrations d'eau, a mis en évidence l'extrême dégradation des infrastructures, en même temps que le danger qui en résulte pour les détenus et le personnel pénitentiaire.
Cette situation n'est cependant pas exclusivement imputable à l'ancienneté des bâtiments et infrastructures : les visites du CGLPL révèlent ainsi l'état de dégradation et d'insalubrité avancée dont pâtissent également certains établissements pourtant installés dans des locaux récents, souvent en raison de malfaçons dans le projet de construction. Le centre pénitentiaire de Perpignan, par exemple, a été mis en service en 1987 et a fait l'objet de recommandations en urgence à la suite d'une visite du CGLPL en 2023, notamment en raison de l'indignité des conditions matérielles de détention. Le quartier-centre de détention de Fleury-Mérogis, inauguré en septembre 2023, a fermé seulement un an après, également pour cause d'insalubrité, des fuites d'eau importantes, l'humidité et les moisissures y rendant les conditions de détention intenables. Le nouveau site du centre pénitentiaire des Baumettes 2, ouvert en 2017, fait également l'objet de vives critiques pour les malfaçons constatées dès son ouverture.
Outre la détérioration du bâti et de certains équipements, nombre d'établissements pénitentiaires pâtissent de dysfonctionnements affectant des dispositifs essentiels tels que les circuits de chauffage et de ventilation ou les installations électriques, souvent largement défaillants. Les occupants de la maison d'arrêt de Nice sont confrontés à des installations électriques dangereuses, augmentant les risques d'incidents graves, en particulier d'incendie. Au centre pénitentiaire de Lorient-Ploemeur, le CGLPL a relevé que les cellules étaient équipées d'une unique prise électrique, située dans l'espace sanitaire. Cette configuration oblige les détenus à utiliser jusqu'à trois multiprises branchées entre elles, s'exposant à des risques majeurs de surcharge électrique et donc d'incendie. A la maison d'arrêt de Saint-Pierre, les fuites d'eau entrainent le développement de salpêtre malgré les fréquentes remises en peinture, au point que dans les dortoirs, les détenus tendent des draps pour se protéger des dépôts qui tombent sur leurs lits. La maison d'arrêt de Pau, contrôlée en 2024, cumule quant à elle les défaillances des circuits d'eau - qualifiés par les contrôleurs de « totalement obsolètes », de chauffage - alors que les fenêtres des cellules ne ferment pas - et électriques - les fameux « fils électriques à nu » dont la mention émaille désormais les rapports de visite du CGLPL.
La vétusté des infrastructures est également un puissant facteur d'indignité des conditions sanitaires. L'insalubrité est d'abord aggravée par la prolifération de nuisibles tels que les cafards, les rats et les punaises de lit. Les difficultés rencontrées par l'administration pour combattre ces invasions sont souvent directement liées à l'ancienneté, à la dégradation des bâtiments et à la surpopulation qui rendent vains les traitements. En témoignent les rapports de visite des maisons d'arrêt de Pau, Besançon, Grasse ou encore Nice : le manque d'étanchéité des murs, les fissures structurelles et les installations défectueuses composent un environnement propice à la multiplication des nuisibles, qui participe à son tour de l'insalubrité générale des lieux et de l'indignité des conditions de détention. Outre les risques sanitaires liés à leur prolifération (cf. infra), les rats détériorent les équipements en rongeant les matériaux, tandis que les cafards et les punaises de lit se logent dans les interstices et rendent les espaces de vie encore plus hostiles. Le CGLPL reçoit régulièrement des témoignages effarants à ce sujet, dans les courriers comme dans le cadre de ses visites d'établissements.
Les détenus souffrent également d'un accès limité à l'hygiène du fait de l'absence de douches en cellule, comme c'est le cas dans nombre de maisons d'arrêt, dont Blois, Rouen, Saint-Malo et tant d'autres, à la maison centrale de Poissy ou au centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier. L'insalubrité des douches collectives dans les établissements pénitentiaires anciens est également un frein à l'hygiène. A la maison d'arrêt de Grasse, les plafonds des douches sont moisis, les robinets et les pommeaux encrassés de calcaire et la température de l'eau impossible à régler. A la maison centrale de Poissy, visitée par le CGLPL en 2023, les douches collectives étaient d'une saleté repoussante.
En dehors des cellules, les espaces communs et extérieurs de nombreux établissements pâtissent également d'un sévère manque d'entretien et du caractère inadapté des équipements. Les cours de promenade sont fréquemment dépourvues de mobilier, d'abris, ou d'équipements sportifs. Au centre pénitentiaire de Nantes, le défaut de maintenance régulière a entraîné une accumulation de déchets et une détérioration générale des infrastructures : les revêtements des sols sont tellement usés qu'ils laissent apparaître le béton. A la maison d'arrêt de Tarbes, les cours de promenade sont exiguës, grillagées et ne disposent d'aucun équipement, ni urinoirs ni bancs. Malgré la propreté des espaces communs lors de la visite, le terrain de sport était jonché de bouteilles en plastique. Certaines cours de promenade de la maison d'arrêt de Pau n'ont ni abri, ni banc, ni barre de traction, ni toilettes, ni point d'eau, sauf chez les hommes où il y a « une petite barre de traction, une table et deux chaises, un point d'eau avec mousse verdâtre ». Le bâtiment d'hébergement de la maison centrale de Poissy est tellement dégradé qu'il n'est « plus possible de l'entretenir », alors même que le nettoyage est assuré et que le service de la maintenance se montre réactif.
Le CGLPL recommande de mettre un terme à l'utilisation par l'administration pénitentiaire de bâtiments anciens, dont la vétusté compromet gravement la dignité des conditions de détention et de travail, et de prévenir, dès la conception de nouveaux établissements, toute malfaçon susceptible d'engendrer à court terme des conditions de détention indignes. A cet effet, il recommande d'investir en amont dans des infrastructures durables, aux fins de prévention contre le risque avéré de subir, en aval, les conséquences humaines et financières d'un bâti défectueux.
1.2. La vétusté des établissements est directement à l'origine d'atteintes aux droits fondamentaux des détenus et impacte gravement les conditions de travail du personnel pénitentiaire
1.2.1. De graves menaces sur la sécurité et l'intégrité physique des détenus et des agents pénitentiaires
Le délabrement des infrastructures compromet directement la sécurité et l'intégrité physique des détenus. Le mobilier des cellules est souvent insuffisant au regard du nombre d'occupants et inadapté, voire détérioré, ce qui augmente les risques d'accidents. A la maison d'arrêt de Limoges par exemple, les lits superposés sont dépourvus d'échelle, privant les détenus de tout appui pour accéder aux couchages supérieurs ; à la maison d'arrêt de Nice, faute de rangements en nombre suffisant, les détenus sont contraints de stocker leurs effets personnels au sol. Les lits dépourvus de barrières, les installations électriques surchargées ou défectueuses, l'encombrement des cellules sont autant de facteurs de risque pour les détenus.
Le danger réside aussi dans les risques inhérents à la dégradation du bâti, exacerbés par un manque global de maintenance : les sols glissants, les murs fissurés, les revêtements dégradés et potentiellement toxiques ou les huisseries fragilisées transforment les espaces de vie en terrains propices aux blessures. Associé à la promiscuité en cellule et aux tensions qu'elle engendre, cet environnement dégradé est une source majeure d'insécurité pour les détenus et le personnel.
|« Je vous écris de ma cellule où je respire du salpêtre, des éclats de peinture au plomb et à l'amiante ».
« Je souhaite vous informer de la situation urgente concernant la coursive de la maison d'arrêt. Une partie de celle-ci a été condamnée car elle menace de s'effondrer si elle subit un poids trop important. Les cellules autour de ce passage menaçant ont été fermées de sorte que les personnes détenues sont réunies dans les cellules restantes dans des conditions difficiles ».|
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La présence de nuisibles constitue également un risque sanitaire pour les enfermés et pour ceux qui les gardent. Le CGLPL a reçu plusieurs témoignages faisant état de la transmission de maladies bactériennes par des nuisibles. Un détenu a par exemple contracté la leptospirose au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses après avoir été exposé à de l'urine de rat. Au centre pénitentiaire de Perpignan, l'infestation de punaises de lit atteint un niveau alarmant, exposant détenus et surveillants à de multiples piqûres et réactions cutanées, et la présence intempestive de chats errants ne fait qu'aggraver la situation.
Dans les nombreux établissements qui ne disposent pas de douche en cellule (1), l'insalubrité des douches collectives favorise la prolifération de bactéries et champignons. L'exposition aux moisissures, dues à l'humidité combinée à une ventilation insuffisante, peut être à l'origine de maladies respiratoires et dermatologiques. Au centre pénitentiaire de Lorient-Ploemeur, le système d'évacuation des eaux usées est vétuste, les canalisations se bouchant régulièrement et dégorgeant dans le sous-sol. Une eau marron s'écoule et entraîne des réactions cutanées chez certains détenus.
|« Monsieur X m'informe de la présence de moisissures aux fenêtres. Lorsque ses codétenus et lui signaleraient ces moisissures, l'administration pénitentiaire ne leur donnerait que de la javel et rien de plus ne serait fait ».| |:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------|
Par ailleurs, l'isolation défaillante, fréquemment associée à l'impossibilité de fermer les fenêtres, expose les détenus à des températures extrêmes, en hiver comme en période de canicule. A la maison d'arrêt de Saint-Pierre, l'humidité, les cyclones et les températures extrêmes endommagent l'ensemble du bâtiment. Les dortoirs sont dépourvus de fenêtres : les détenus se plaignent du froid en cas de mauvais temps mais aussi de la chaleur suffocante en été, sensiblement aggravée par la suroccupation des cellules et le manque de circulation de l'air. Au centre pénitentiaire de Grenoble-Varces, dans des cellules aux fenêtres cassées ou inexistantes, la chaleur est insoutenable en été, les détenus en sont réduits à mouiller le sol pour tenter de se rafraîchir. À la maison d'arrêt de Carcassonne, le chauffage est coupé la nuit par souci d'économie. Avec un taux d'occupation atteignant 203 % en mars 2024, tous les détenus ne pouvaient pas disposer de couvertures, et nombre d'entre eux dormaient à même des matelas posés au sol, augmentant ainsi leur exposition au froid.
|« Par ces chauds mois de juillet et août, la chaleur dans les cellules dépassent largement les 40 degrés. En gestion spécifique, sans climatisation, dans une cellule en surnombre, la chaleur devient dangereuse. J'en ai pour preuve que l'un de mes codétenus a été victime d'un malaise grave, s'écroulant au sol. Personne malgré nos appels, ne vient pendant toute la nuit. De minuit à 7 heures ».
« La situation se dégrade, peut-être à cause de la chaleur suffocante. Toujours la présence de ces punaises de lit pleines de sang. D'autant plus que je suis facile à atteindre car toujours au sol. Nous sommes trois dans 9 m2 ».|
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L'effondrement des coursives à la maison d'arrêt de Rouen a non seulement perturbé le fonctionnement quotidien de l'établissement, mais a aussi mis en lumière les risques liés à la dégradation du bâti qui menacent chaque jour la sécurité des détenus et du personnel. Cet incident illustre l'urgence de rénover ou remplacer les infrastructures trop anciennes et dégradées. L'insalubrité du centre pénitentiaire de Nantes expose les détenus comme le personnel à des risques sanitaires graves, liés d'une part à la présence d'amiante et d'autre part à l'absence de système de désenfumage des bâtiments, porteuse d'un risque majeur de propagation des flammes en cas d'incendie.
1.2.2. De graves atteintes à la dignité et à l'intimité des personnes détenues
Outre les risques pour la santé et la sécurité des détenus, la vétusté des bâtiments et des équipements est un important facteur d'atteintes à leurs droits, notamment en ce qu'elle aggrave les conséquences de la surpopulation carcérale. Dans des établissements gravement surpeuplés, la fermeture de cellules ou d'ailes entières rendue nécessaire par les travaux de rénovation ou de maintenance augmente inévitablement la pression sur les autres secteurs de la détention. Or certains des établissements concernés au premier chef par les risques liés à la dégradation du bâti sont précisément ceux dont les taux d'occupation sont les plus élevés et dépassent 200 % : ainsi en va-t-il de la maison d'arrêt de Blois, où près de deux tiers des personnes détenues subissent un taux d'occupation avoisinant 290 %, ou de la maison d'arrêt de Limoges, qui présentait en 2022 un taux d'occupation de 205 % pour les hommes et de 200 % pour les femmes. Dans ces conditions, la moindre fermeture de cellule pour travaux a des conséquences immédiates sur le reste de la détention, aggravant la promiscuité dans des cellules non conformes aux standard européens (7 m2 à la maison d'arrêt de Limoges).
Au quartier maison d'arrêt des hommes du centre pénitentiaire de Perpignan, où plus de la moitié des cellules sont occupées par trois personnes, les réparations dans les cellules sont concrètement impossibles sans réduction de la population pénale. A la maison d'arrêt de Rouen, occupée à plus de 110 %, l'effondrement d'une coursive en novembre 2023 a contraint la direction de l'établissement à fermer des dizaines de cellules et les accès à certains espaces. Plusieurs cellules sont inutilisables en raison des risques d'effondrement des plafonds, ce qui réduit encore l'espace disponible pour les détenus, aggravant la promiscuité et les tensions.
Il en résulte que la difficulté - voire l'impossibilité - de libérer des cellules insalubres pour y procéder à des travaux est souvent invoquée par l'administration pénitentiaire pour justifier les insuffisances dans la maintenance des locaux et des équipements ou de lutte contre la prolifération des nuisibles, régulièrement observées par le CGLPL lors de ses visites.
Enfin, dans un mouvement inverse, la surpopulation en constante aggravation participe directement de la dégradation de locaux déjà vétustes. S'ensuit un cercle vicieux dans lequel l'occupation par trois ou quatre détenus de cellules prévues pour une seule personne accélère l'usure des équipements et infrastructures, qui aggrave en retour des conditions d'incarcération.
|« Il dort à même le sol sur un matelas entre la poubelle et les toilettes ».| |:---------------------------------------------------------------------------|
Cette situation est directement à l'origine de nombreuses atteintes à l'intimité des détenus. L'absence de cloisonnement des toilettes dans les cellules ou de portes dans les douches communes est très régulièrement constatée. Dans nombre d'établissements, les toilettes ne sont séparées du reste de la cellule que par une cloison et une porte battante à mi-hauteur, lorsque cette dernière existe encore. Les contrôleurs sont fréquemment témoins des bricolages imaginés par les détenus pour isoler l'espace sanitaire, par exemple au moyen d'un linge (2). A la maison d'arrêt des femmes de Fleury-Mérogis, occupée à 135 % lors de la dernière visite du CGLPL en novembre 2024, pour remédier à l'absence de séparation entre les toilettes et le reste de la cellule, certaines détenues improvisent des rideaux, qui n'apportent pas plus d'intimité qu'une porte battante ou une cloison à mi-hauteur. Au centre pénitentiaire de Lorient-Ploemeur, plusieurs blocs sanitaires sont dépourvus de porte et certaines portes de poignée, cette dernière étant parfois remplacée par une cuillère. A la maison centrale de Poissy, les toilettes se situent à l'entrée de la cellule et sont immédiatement visibles lorsqu'on ouvre la porte. Certains détenus expliquent glisser sous leur porte une feuille portant la mention « WC » afin que les surveillants veillent à ne pas entrer lorsqu'ils en font usage, précisant toutefois que toutes les équipes ne font pas droit à cette demande d'intimité la plus élémentaire.
Le droit des détenus au maintien des liens familiaux est quant à lui directement impacté, dans certains établissements, par l'état déplorable et inadapté des espaces accueillant les parloirs. L'exercice effectif de ce droit, essentiel à la réinsertion et au bien-être des personnes détenues, se heurte à des obstacles matériels que de simples travaux résoudraient rapidement. Au centre pénitentiaire de Fresnes, des travaux sont en cours ; on ne peut que déplorer leur tardiveté, tant est grande l'indignité à laquelle ils sont censés remédier. Le caractère inadapté de l'espace réservé aux parloirs en particulier, a fait l'objet de nombreuses alertes, depuis des années : des boxes de 1,3 à 1,5 m2 accueillaient les personnes détenues et leurs visiteurs dans des conditions déplorables. L'état dégradé des lieux (murs souillés, matériaux dangereux, équipements insuffisants) et l'absence totale d'intimité exacerbaient le sentiment d'indignité, tant pour les personnes détenues que pour leurs proches.
Il en va de même pour le centre pénitentiaire de Metz, où les cabines des parloirs, d'une surface de seulement 2 m2, sont étouffantes et ne garantissent ni l'intimité des échanges ni le moindre confort. Si de nouveaux locaux sont en construction, la surface prévue des nouvelles cabines (2,20 m2) est à peine plus élevée : une évolution vers des conditions de visite dignes et sereines semble donc peu probable. Au titre de sa mission de prévention des atteintes aux droits des détenus, le CGLPL ne peut manquer de souligner l'absurdité d'une telle situation, tant il est évident que le fait de garantir aux détenus l'accès à du temps passé avec leurs proches, dans des conditions matérielles qui n'emportent ni frustrations ni humiliations, constitue un enjeu majeur pour la sérénité de la détention en général. A l'inverse, les conditions dégradées d'accueil des familles de détenus, lorsqu'elles sont susceptibles de conduire certains d'entre eux à renoncer purement et simplement aux parloirs, sont des facteurs de tension tout aussi évidents.
Le CGLPL recommande que soit proscrit l'hébergement d'êtres humains dans des bâtiments dont l'état est indigne et la mise en œuvre, sans délai, d'un plan de maintenance et de rénovation des établissements pénitentiaires, incluant un calendrier précis de travaux, des moyens budgétaires et humains substantiels, afin de prévenir des atteintes graves à la santé, à la dignité et à l'intimité des personnes détenues, de garantir leur sécurité et celle du personnel et d'assurer des conditions matérielles de prise en charge conformes aux exigences fondamentales de l'Etat de droit.
1.3. Le recours prévu par l'article 803-8 du code de procédure pénale manque l'objectif de remédier à l'indignité des conditions de détention
Outre des atteintes graves à leurs droits fondamentaux, les détenus affectés dans des établissements vétustes pâtissent de la relative, quand ce n'est complète, inopérance des mécanismes de protection juridique censés remédier à l'indignité de leurs conditions de détention. Cette situation n'est pas nouvelle et il sera utilement rappelé à ce titre que l'un des motifs de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), en janvier 2020 (3), avait précisément trait au caractère ineffectif des recours dont disposaient les détenus pour mettre fin à des conditions de détention indignes. Etaient notamment critiqués à cet égard la lenteur des procédures et la portée limitée des recours ouverts devant le juge administratif. En exécution de cette décision, la loi n° 2021-403 du 8 avril 2021 visant à garantir le droit au respect de la dignité en détention a instauré un recours qui permet désormais aux personnes détenues de saisir l'autorité judiciaire pour mettre fin à des conditions d'incarcération qu'elles jugent indignes. Si ce recours, codifié à l'article 803-8 du code de procédure pénale, constitue sur le plan normatif une avancée pour la défense des droits des détenus, ses effets concrets sur la condition carcérale sont plutôt discutables. Les constats effectués par le CGLPL, combinés aux données statistiques disponibles sur ce « recours dignité », indiquent qu'il ne produit pas, à ce stade, les effets escomptés en termes d'amélioration des conditions de détention dans les prisons françaises, pas plus qu'il ne constitue une garantie en termes de protection des droits fondamentaux des détenus.
Le CGLPL constate en effet régulièrement la faible mobilisation de ce recours depuis sa création, à une exception près qui concerne un établissement d'outre-mer (4). Cela s'explique notamment par l'insuffisance de l'information diffusée aux personnes détenues : l'analyse de onze rapports du CGLPL publiés sur la période 2022-2023 révèle ainsi qu'aucune des personnes détenues interrogées n'avait connaissance de ce recours. Dans neuf établissements, le personnel de détention n'était pas davantage informé de son existence (5).
Une autre source d'incertitude et d'insécurité juridique majeure résulte des disparités observées dans l'application, par les juge saisis, des critères de recevabilité et de bien-fondé des requêtes aussi bien que dans la prise en compte des éléments produits par les requérants et par l'administration pénitentiaire défenderesse. La grande majorité des requêtes est rejetée, même lorsqu'elles concernent des établissements dont la vétusté est aussi notoire que ses conséquences sur la prise en charge des détenus. Cette disparité des pratiques juridictionnelles est à l'origine de décisions parfois incompréhensibles et contradictoires.
Il ressort également de l'étude de décisions judiciaires qu'une grande partie des requêtes aboutit à un non-lieu à statuer en raison du transfèrement du détenu vers un autre établissement ou de son changement de cellule, ainsi qu'en témoignent plusieurs décisions judiciaires relatives à la maison d'arrêt de Pau. Bien que ce type de réponse puisse résoudre la situation individuelle du requérant, il ne garantit aucune amélioration durable des conditions de détention dans l'établissement ou la cellule d'origine, qui accueille un nouveau détenu à la place.
Dans ces conditions, le CGLPL ne peut que maintenir sa position selon laquelle le recours instauré par la loi du 8 avril 2021 ne saurait, à ce stade, être regardé comme répondant à l'objectif de déflation carcérale et d'amélioration des conditions de détention fixé à la France par la CEDH, aux termes de son arrêt JMB contre France.
Le CGLPL recommande de renforcer l'effectivité du recours prévu à l'article 803-8 du code de procédure pénale, d'une part en garantissant une information plus systématique des personnes détenues sur les recours existants (affichage en détention, livret d'accueil, formulaires disponibles au greffe pénitentiaire, guides pratiques et requêtes type via les points d'accès au droit, charte des droits fondamentaux de la personne détenue) et en apportant, d'autre part, une réponse structurelle aux indignités constatées, au-delà des solutions ponctuelles et individuelles.
Le CGLPL rappelle par ailleurs les recommandations contenues dans son rapport thématique relatif à l'effectivité des voies de recours contre les conditions indignes de détention, publié en octobre 2024 : afin d'atténuer la centralité du transfèrement au sein de la procédure, il est en effet proposé d'une part de supprimer la possibilité pour l'administration pénitentiaire d'opérer un transfèrement, pour conserver uniquement celle d'un transfèrement judiciaire. D'autre part, il s'agirait de limiter le recours au transfèrement administratif aux seuls cas où il serait démontré qu'il est impossible de remédier sur site aux difficultés identifiées (travaux, amélioration de l'accès aux activités, changement de cellule, etc.).
- L'action insuffisante des autorités
L'inertie persistante de l'Etat face à la vétusté des établissements pénitentiaires contribue de manière significative à l'aggravation des conditions de détention. Alors que les acteurs de terrain, multiplient les alertes et que les constats récurrents du CGLPL révèlent une dégradation continue des infrastructures, les réponses apportées par les pouvoirs publics sont généralement inadaptées et ne sont pas à la hauteur des enjeux. La nature et la gravité de ces derniers et la responsabilité qui pèse sur l'administration commandent pourtant, dans nombre de cas, que soient prises des mesures à court terme, si ce n'est dans l'urgence.
2.1. Malgré des alertes répétées, la vétusté des établissements persiste
Depuis 2020, six établissements pénitentiaires visités par le CGLPL ont fait l'objet de recommandations en urgence (6) publiées au Journal officiel de la République française, notamment en raison de l'indignité des conditions matérielles de détention (7). Trente-cinq rapports de visites réalisées de 2020 à 2024 ont par ailleurs mis en exergue la vétusté d'établissements pénitentiaires. Plusieurs de ces derniers faisaient alors l'objet d'une deuxième, voire d'une troisième visite du CGLPL, contraint d'y constater l'absence de toute évolution autre que la dégradation des infrastructures et l'aggravation des dysfonctionnements induits par l'indignité des conditions matérielles d'hébergement.
Ainsi la troisième visite de la maison d'arrêt de Besançon, en septembre 2024, a-t-elle révélé que la majorité des constats d'indignité opérés en 2018 étaient toujours d'actualité. A la maison d'arrêt de Nevers, le CGLPL alertait déjà en 2016, après sa deuxième visite, sur le caractère extrêmement dégradé des conditions de détention, qui ont donné lieu à de nouvelles recommandations, à peu de choses près identiques, en juin 2023. Quatorze années séparent la première et la dernière visite - menée en octobre 2024 - de la maison d'arrêt pour femmes de Fleury-Mérogis par le CGLPL, qui soulignait, dès 2010, « l'insuffisance criante des moyens nécessaires pour assurer l'entretien des bâtiments, devenus très délabrés et souvent hors d'usage, plaçant en toute hypothèse les personnels et les détenus, dans des situations difficiles ». Les visites de 2015 et 2019 ont donné lieu à des constats identiques : un rapport après l'autre, la dégradation continue et inéluctable de la structure immobilière fait ainsi l'objet de développements de plus en plus longs. Le rapport de la deuxième visite indique que « la dégradation des locaux s'est poursuivie dans l'attente d'une rénovation qui tarde à intervenir » ; celui de la troisième visite, en 2019, faisait de la rénovation de la maison d'arrêt des femmes « une priorité absolue en raison de la dégradation des cellules et des locaux sanitaires » ; il est enfin question, dans les constats opérés fin 2024, de particules d'amiante dans la colle des revêtements de sol des cellules, discontinus et partiellement arrachés, de moisissures, de cellules dépourvues de douche, de dégradations importantes des douches collectives de la nurserie, du vestiaire et du quartier des mineures. Lors de la deuxième visite du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, en 2018, les contrôleurs étaient informés de la finalisation d'un projet de démolition des bâtiments vétustes et de construction de nouveaux locaux. Le même projet leur avait été présenté comme imminent dix ans plus tôt, lors de la précédente visite de l'établissement. Or la structure, dans un état désastreux, n'avait quasiment pas changé. Lors de la dernière visite du CGLPL, en 2023, une amélioration des conditions d'hébergement en maison d'arrêt était annoncée, à la faveur de la livraison de locaux neufs dans un délai prévisionnel de cinq ans : il était donc d'ores et déjà acquis, trois ans après la condamnation de la France par la CEDH pour l'indignité des conditions de détention dans les prisons françaises, que les personnes détenues dans cet établissement seraient soumises, au moins pour les quatre années suivantes, aux conditions indignes décrites par le CGLPL dans ses rapports successifs. Si, depuis cette visite, 400 nouvelles places ont été créées par la mise en fonction d'un nouveau bâtiment, cette dernière n'a pas entraîné la fermeture des locaux concernés par ces constats calamiteux : le nouveau bâtiment est déjà surpeuplé, tandis que l'indignité demeure dans les anciens.
Le CGLPL n'est au demeurant pas seul à alerter les pouvoirs publics de cette situation désastreuse. Les associations d'aide aux personnes détenues et à leurs proches, la CEDH et le Comité européen de prévention de la torture (CPT) alertent régulièrement les autorités de l'état déplorable des prisons françaises. En 2021, le CPT rapportait ainsi, à l'issue de ses visites conduites en 2019 dans cinq établissements : « En matière de conditions matérielles, il existait un grand contraste entre les établissements visités. La prison de Vendin-le-Vieil offrait de très bonnes conditions d'incarcération alors que les autres établissements étaient surpeuplés, vieillissants ou délabrés : problèmes de chauffage et fenêtres cassées (Bordeaux-Gradignan) ou présence de rats (Lille-Sequedin et Maubeuge) ».
A la maison d'arrêt de Rouen, le Bâtonnier a réalisé deux visites de l'établissement, à la fin des années 2023 et 2024. Déplorant l'absence de toute évolution d'une année à l'autre, il en appelle, dans ses deux rapports, à une prise en charge urgente de la situation par l'administration pénitentiaire. Les syndicats pénitentiaires et le maire de Rouen ont également interpellé les pouvoirs publics sur la question, sans qu'aucune date de début de travaux ne soit pourtant fixée.
S'agissant de la maison d'arrêt de Coutances, le Bâtonnier relevait également, lors de sa visite de 2022, que « malgré les efforts des personnels […], les conditions matérielles d'accueil des détenus décrites en 2011 et 2016 par le CGLPL restent globalement inchangées et indignes ». Au centre pénitentiaire des Hauts-de-Seine à Nanterre, après avoir relevé qu'« aucun travaux n'était en cours lors de sa visite », le Bâtonnier concluait ainsi son rapport : « malgré l'effort et la bonne volonté de la Direction de l'établissements, les injonctions ordonnées au garde des Sceaux [par le tribunal administratif (8)] n'ont pas été suivies d'effet à ce jour », injonctions qui, sans surprise, portaient notamment sur des « réparations identifiées comme nécessaires lors de l'audit électrique, en particulier en ce qui concerne les fils électriques dénudés. »
Les cas de la maison d'arrêt de Pau, du centre pénitentiaire de Nantes et de la maison centrale de Poissy témoignent également avec éclat de ce qu'on peut légitimement qualifier d'indifférence institutionnelle, malgré des alertes répétées : à Pau, dix-sept des dix-huit recommandations formulées par la sous-commission départementale de sécurité incendie (SCDS) un an avant la visite du CGLPL, en avril 2024, étaient restées sans suite, amenant la commission à émettre un avis défavorable à la poursuite d'exploitation de l'établissement. Quatre jours après la visite des contrôleurs, un détenu est décédé à la suite d'un incendie dans sa cellule. Il est permis de penser que ce décès tragique aurait pu être évité si les mesures de sécurité recommandées avaient été prises. Au centre pénitentiaire de Nantes, visité en mars 2023, un avis défavorable à la poursuite de l'exploitation de l'établissement était régulièrement réitéré depuis 2008 par la SCDS : dans ses observations en réponse au rapport provisoire, la directrice du centre pénitentiaire faisait valoir que la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) Grand-Ouest avait pris la décision, en février 2023 - soit quinze ans après le premier avis défavorable - de programmer une première phase de travaux d'installation des moyens de détection d'incendie.
La maison centrale de Poissy a quant à elle fait de l'objet de trois visites du CGLPL : en 2009, 2014 et 2023. Les rapports mettent en lumière les conséquences des aléas qui affectent les projets de restructuration ou de reconstruction des établissements pénitentiaires les plus dégradés. Ainsi ressort-il du rapport de la visite menée en 2014 que « comme cela avait déjà été constaté en 2009, plusieurs bâtiments sont sans affectation en raison d'un état nécessitant des travaux de réhabilitation et de mise aux normes. » Il y est également fait état des atermoiements de l'administration quant à l'avenir de l'établissement, dont la fermeture pour 2016 était annoncée dès 2010, avant que la poursuite de l'activité ne soit envisagée à partir de 2013. A cet égard, il est précisé que « l'annonce d'une fermeture aurait eu pour effet de mettre en veille toute tentative de réhabilitation immobilière et de figer l'établissement dans sa vétusté » et que, du fait de cette incertitude « aucune programmation de travaux de maintenance structurelle n'est prévue pour enrayer sa dégradation ». Ces constats, bien que vieux de neuf ans, trouvent un nouvel écho dans le rapport de la visite de la maison centrale conduite en 2023, dont il ressort cette fois que « le bâtiment d'hébergement est tellement dégradé qu'il n'est plus possible de l'entretenir […] Dans les espaces collectifs, les sols des couloirs sont dégradés, des murs sont gondolés, des plafonds portent d'importantes traces de brûlé ».
2.2. Les travaux réalisés sont tardifs et insuffisants
Lors de ses visites d'établissement pénitentiaires notoirement vétustes, le CGLPL est ainsi fréquemment informé de plans de restructuration, plus ou moins anciens et programmés à plus ou moins court terme. Or si la mise en œuvre de ces projets ne relève généralement pas des établissements concernés, leur seule perspective justifie souvent une forme d'inertie face à des difficultés qui impactent directement la vie quotidienne dans les lieux concernés : on n'engage pas de travaux de réparation ou de maintenance, car sous peu tout sera rénové, reconstruit. La maison d'arrêt de Rouen en est un exemple dramatique : bien que remontant à 2011, le constat de sa nécessaire destruction n'a jamais été suivi d'effet, faute d'accord sur le site d'implantation de l'établissement de remplacement. Du fait de cette destruction annoncée, la maison d'arrêt n'a bénéficié d'aucune des opérations de réhabilitation nécessaires, avant qu'un plan de restructuration totale ne soit finalement annoncé en 2019. Il demeurait en attente de financement et de planification concrète lors de la dernière visite du CGLPL en novembre 2023. L'effondrement d'une coursive quelques semaines après cette visite attestait, si besoin était, de l'urgence et de la gravité de la situation. Cette dernière semble d'autant plus invraisemblable qu'il ressort notamment du rapport de la précédente visite de l'établissement par le CGLPL, que malgré « des travaux de rénovation […] réalisés depuis la dernière visite, intervenue en 2008, il pleut parfois dans les coursives. Les conditions matérielles de vie restent très difficiles et, par certains aspects, attentatoires à la dignité et à l'intimité[…] ».
D'autres établissements sont purement et simplement laissés à l'abandon, sans espoir de travaux de rénovation. La maison d'arrêt de Nice, par exemple, se trouve comme figée dans sa vétusté du fait d'un improbable cercle vicieux : privée de projet concret de rénovation en raison de l'ouverture annoncée d'un nouvel établissement pénitentiaire en 2027, elle fait l'objet de restrictions budgétaires alors que la maintenance de l'établissement pâtit déjà depuis plusieurs années de l'insuffisance de son budget de fonctionnement et que l'investissement est réduit, également depuis longtemps, faute de perspectives claires. Il en va de même de la maison d'arrêt de Pau, vouée à disparaître avec l'ouverture d'un nouvel établissement prévue en 2029. L'absence de gestion à court-terme et d'anticipation concernant l'entretien et la réhabilitation des infrastructures existantes conduit aujourd'hui à des situations intolérables. Les détenus et le personnel sont maintenus dans un environnement indigne sans autre solution que celle d'attendre qu'un nouvel établissement soit construit, avec toute l'incertitude entourant ce type de projet immobilier. Egalement vétuste, la maison d'arrêt de Nevers devait quant à elle fermer définitivement à la faveur d'un projet de construction d'un nouveau centre pénitentiaire à Dijon, annoncé en 2010 puis abandonné. Six ans plus tard, le CGLPL constatait que la maison d'arrêt était en attente d'une complète restructuration et que les conditions de détention y étaient extrêmement dégradées. Si, depuis lors, des travaux d'ampleur ont été réalisés, certains étaient encore en cours ou programmés au moment de la troisième visite de l'établissement, en septembre 2023, soit plus de dix ans après l'annonce de sa fermeture.
Aux conséquences catastrophiques de ces situations s'ajoutent les effets de la surpopulation carcérale, qui accélère la dégradation du bâti et fait obstacle à des travaux d'envergure, pourtant indispensables à toute amélioration des conditions de détention et de travail.
Ainsi le CGLPL a-t-il pu constater, dans plusieurs établissements pénitentiaires, l'interruption ou le report de travaux de rénovation engagés ou programmés, en raison de la surpopulation carcérale. Cette dernière est d'ailleurs invoquée à ce titre, par le ministre de la justice, dans ses observations adressées au CGLPL en réponse à son rapport de la visite de la maison d'arrêt de Saint-Malo : « la rénovation des cellules a été entreprise mais doit être suspendue épisodiquement en raison de la surpopulation » (9). Le projet de reconstruction de la maison d'arrêt de Limoges a quant à lui été abandonné en 2021, laissant à la charge de la DISP la poursuite du financement des travaux de réparation des équipements, réfection des locaux ou sécurisation du site. Si un certain nombre de travaux ont été effectués à ce titre, ils n'ont nullement permis de remédier à l'indignité des conditions de détention et de travail observées par le CGLPL lors de sa dernière visite, en janvier 2022. La situation de constante suroccupation de la maison d'arrêt, en partie à l'origine de l'abandon du projet de reconstruction, fait notamment obstacle à la fermeture pour travaux d'ailes entières du bâtiment. Le CGLPL soulignait pourtant, dès 2011, l'impact sur les conditions de détention de la vétusté « frappante » du bâtiment et du caractère « en général très dégradé » du matériel.
Dans de nombreux établissements, il est procédé à des rénovations ponctuelles et superficielles plutôt qu'à des projets structurels. Lors de leurs visites de la maison d'arrêt de Blois et de la maison d'arrêt pour femmes de Fleury-Mérogis, les contrôleurs ont relevé que des travaux ponctuels étaient entrepris pour la réfection des peintures et des sols, mais que les conditions de détention étaient encore inacceptables, nécessitant que des rénovations structurelles soient engagées sans délai. Le même constat s'applique à la maison centrale de Poissy, à propos de laquelle le CGLPL, dans le rapport de sa dernière visite, tirait les conséquences de ses constats successifs, de plus en plus alarmants : soulignant que « Les travaux limités ne résolvent en rien les problèmes structurels de fond, et ne permettent pas d'améliorer de manière substantielle les conditions de détention » l'institution pointait une « approche réductrice » témoignant d'un « manque de vision à long terme et d'une absence de stratégie globale pour traiter de manière systémique les questions de vétusté et de surpopulation en prison. Les interventions sont fragmentées et les projets traités de manière isolée, sans plan directeur cohérent permettant d'envisager la rénovation ou la reconstruction des prisons de manière coordonnée et pérenne. Les raisons invoquées […] tiennent souvent à des budgets insuffisants octroyés aux établissements pour assurer des réparations structurelles et traiter les défaillances graves des infrastructures, alors même que celles-là sont destinées à être de plus en plus nombreuses avec le temps ».
Il ne saurait être valablement contesté que le caractère ancien, récurrent et général de ce constat concernant les établissements pénitentiaires menaçant ruine oblige en tout état de cause l'administration pénitentiaire. L'exemple de la maison centrale de Poissy jette au contraire une lumière crue sur sa coupable inertie, dont les conséquences sont palpables sur le terrain, particulièrement en termes d'atteintes graves aux droits des détenus.
Le CGLPL recommande que chaque établissement pénitentiaire vétuste fasse l'objet d'un diagnostic approfondi, permettant de déterminer sans délai les mesures à prendre quant à son avenir. Il est impératif de tirer les conséquences des alertes répétées des acteurs de terrain (commissions de sécurité, autorités de contrôle, Défenseur des droits) et de mettre un terme aux annonces sans effet qui maintiennent détenus et personnel dans l'attente et l'indignité, sous prétexte de projets incertains.
Ainsi, les constats dressés par le CGLPL et de nombreux autres acteurs institutionnels, associatifs et judiciaires convergent vers un diagnostic alarmant : la vétusté des établissements pénitentiaires français est un facteur central de l'indignité des conditions de détention, de prise en charge et de travail. Entraînant insécurité, atteintes à la santé, à la dignité et à l'intimité, mais aussi tensions au sein des établissements, cette situation met en cause la responsabilité de l'Etat en matière de respect des droits fondamentaux des personnes placées sous sa garde. Face à des infrastructures vieillissantes, parfois insalubres, souvent inappropriées, et malgré plusieurs condamnations de la France par la CEDH, l'action de l'administration reste trop lente et parcellaire. La mise en œuvre de plans de rénovation ambitieux, cohérents et s'appuyant sur des moyens suffisants, ne peut plus être repoussée : elle est une condition sine qua non de la dignité des conditions de détention et de leur compatibilité avec les exigences d'un Etat de droit, dont l'apprentissage de la réinsertion dès l'incarcération.
(1) Maisons d'arrêt de Blois, de Saint-Malo, de Besançon (bâtiment C), de Châlons-en-Champagne, de Limoges, de Bar-le-Duc, de Nice, de Pau, de Rouen, de Grasse, maison centrale de Poissy, centres pénitentiaires de Saint-Quentin-Fallavier, de Nantes (bâtiments A, B, C et E)…
(2) CGLPL, L'intimité au risque de la privation de liberté, Dalloz, 2021.
(3) CEDH, 30 janvier 2020, JMB c. France, Requête n° 9671/15 et 31 autres.
(4) Sur 184 requêtes en conditions indignes de détention formées devant le juge administratif en 2022, 91 étaient formées par des détenus d'établissements d'Outre-Mer, dont 59 portant sur le centre pénitentiaire de Nouméa. En 2023, le centre pénitentiaire représentait plus de 60 % du contentieux des conditions indignes de détention.
(5) CGLPL, Rapport sur l'effectivité des voies de recours contre les conditions indignes de détention, 2024, Dalloz.
(6) Prise en application de l'article 9 de la loi n° 1545 du 30 octobre 2007, lequel régit les suites données par le CGLPL à ses constats qui présentent un caractère d'exceptionnelle gravité.
(7) Les centres pénitentiaires de Toulouse-Seysses (juillet 2021), de Bordeaux-Gradignan (juillet 2022), de Bois-d'Arcy (décembre 2022), de Perpignan (juillet 2023), de Grenoble-Varces (septembre 2023) et la maison d'arrêt de Tarbes (juin 2024).
(8) Ordonnance du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 30 juin 2023 (n° 2307209), saisi par requête de l'Observatoire international des prisons, l'Ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine et l'Association pour la défense des droits des détenus, à propos des conditions indignes de détention.
(9) Observations du ministre de la justice en réponse au rapport de visite du CGLPL de la maison d'arrêt de Saint-Malo, 12 décembre 2023.
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