JORF n°0002 du 3 janvier 2020

Avis divers n°2019-17

Saisie par le ministre de la culture, en application de l'article R. 111-11 du code du patrimoine,
Vu le code du patrimoine, notamment ses articles L. 111-2, L. 111-4 et R. 111-11 ;
Vu la demande de certificat d'exportation déposée le 4 septembre 2019 relative à un manuscrit enluminé de textes de Guillaume de DIGULLEVILLE, Le Pèlerinage de la vie humaine, en prose, et Le Pèlerinage de l'âme, mis en prose par Jean Galopes, parchemin, 254 f., 5 miniatures en demi-page et 91 plus petites dans le texte attribuées au Maître du missel d'Albon, 2e moitié du XVe siècle, reliure du XIXe siècle de maroquin rouge ;
La Commission régulièrement convoquée et constituée, réunie le 18 décembre 2019 ;
Après en avoir délibéré ;
Considérant que le bien pour lequel le certificat d'exportation est demandé constitue un rare exemplaire manuscrit, réalisé pour l'entourage du roi de Sicile, René Ier, duc d'Anjou (1409-1480), le célèbre « roi René », du Pèlerinage de vie humaine et du Pèlerinage de l'âme, versions en prose de poèmes allégoriques en français composés par Guillaume de Digulleville (1295-après 1358) ; que le Pèlerinage de vie humaine, texte destiné à une lecture orale auprès de laïcs, qui connut un immense succès en Europe du XIVe au XVIe siècle, narre le rêve où l'auteur chemine en pèlerin sur la voie périlleuse vers la Jérusalem céleste ; qu'il a fait l'objet d'une commande de mise en prose en 1465 par la seconde épouse du roi René, Jeanne de Laval (1433-1498), auprès d'un clerc anonyme d'Angers ; que l'association avec le Pèlerinage de l'âme, continuation du précédent poème, composée en vers par Digulleville en 1358 et mise en prose par Jean de Galopes vers 1422-1425, dont seuls trois autres manuscrits sont connus, s'avère très rare puisque présente uniquement dans un volume lacunaire et en assez mauvais état ayant appartenu à Bertrand de Beauvau (mort en 1474), président de la chambre des comptes de Paris, sénéchal d'Anjou et capitaine du château d'Angers, conservé à la bibliothèque municipale de Soissons ; que les armoiries répétées dans l'encadrement des grandes pages enluminées révèlent que le manuscrit fut exécuté pour des proches de la reine Jeanne, son cousin René Ier de Laval (v. 1445-v. 1505), seigneur de Bois-Dauphin, et son épouse, Guyonne de Beauvau, vraisemblablement à l'occasion de leur mariage en 1478 ; que de récents rapprochements permettent d'attribuer les enluminures de cet ouvrage, remarquables par le nombre, la qualité et l'originalité de ses quatre-vingt-seize miniatures, d'un intérêt artistique supérieur au décor de toutes les autres versions identifiées du Pèlerinage en prose, au Maître du missel d'Albon, du nom du missel conservé à Cambridge, et dont il est l'unique manuscrit littéraire connu de sa production ; que cet enlumineur itinérant et singulier, au style composite, mêlant des formules parisiennes à des modèles angevins et berrichons, et très éloigné de la manière de Jean Bourdichon, notamment par l'expressivité des figures, appartient à une génération d'artistes anonymes qui travaillèrent pour la cour d'Anjou-Provence dans les dernières années du règne du roi René ; que ce manuscrit, qui n'était plus localisé après avoir appartenu à de prestigieuses collections privées françaises et étrangères, outre l'intérêt des textes qu'il contient, présente un cycle d'illustrations exceptionnel, parmi lequel se trouve la plus ancienne représentation du château d'Angers, et constitue sans doute l'un des derniers livres de luxe enluminés pour l'entourage du roi René d'une telle qualité encore en mains privées en France ;
Qu'en conséquence, cette œuvre présente un intérêt majeur pour le patrimoine national du point de vue de l'histoire et de l'art et doit être considérée comme un trésor national,
Emet un avis favorable au refus du certificat d'exportation demandé.

Pour la Commission :

Le président,

E. Honorat