JORF n°0036 du 12 février 2020

Avis divers n°2019-15

Saisie par le ministre de la culture, en application de l'article R. 111-11 du code du patrimoine ;
Vu le code du patrimoine, notamment ses articles L. 111-2, L. 111-4 et R. 111-11 ;
Vu la demande de certificat d'exportation déposée le 2 octobre 2019, relative à un tableau de Gustave CAILLEBOTTE, Le Déjeuner, huile sur toile, 1876 ;
La commission régulièrement convoquée et constituée, réunie le 18 décembre 2019 ;
Après en avoir délibéré ;
Considérant que le bien pour lequel le certificat d'exportation est demandé constitue un tableau pionnier, peint en 1876, dans l'œuvre de Gustave Caillebotte (1848-1894), peintre français majeur de la seconde moitié du xixe siècle, collectionneur et mécène des artistes impressionnistes à partir de 1877 ; qu'il s'agit de l'un des premiers et des plus importants tableaux que Caillebotte a consacré à l'un de ses sujets de prédilection, la représentation de la vie bourgeoise dans des intérieurs domestiques modernes, dans une veine naturaliste qui domine sa peinture jusqu'à la fin des années 1870 et qu'il applique principalement, à la différence de nombreux peintre réalistes, à des sujets liés à l'univers urbain ; qu'en effet, cette peinture, restée dans la descendance du peintre, illustre, de manière autobiographique, le thème du repas bourgeois, représenté dans le cadre de l'appartement cossu situé à l'angle des rues de Miromesnil et de Lisbonne dans le VIIIe arrondissement, qu'occupaient alors les Caillebotte, avec sa mère Céleste, portant le deuil de son époux Martial, mort en 1874, servie par le maître d'hôtel Jean Daurelle, et le frère cadet de Gustave, René, qui décéda quelques mois après la réalisation du tableau ; que la maîtrise de la composition se traduit notamment par un éclairage en contre-jour, qui fait se découper en silhouettes sur un fond baigné de lumière les figures et les objets, plongés dans l'ombre, et met ainsi l'accent sur les verres, carafes et compotiers en cristal disposées sur cette table en acajou verni, dressée à l'anglaise, sans nappe, dont la surface réfléchissante multiplie les reflets ; qu'en outre, l'effet créé par la présence de son propre couvert au premier plan du tableau, instaurant une distorsion de la perspective et permettant au peintre de faire participer le spectateur à la scène, est caractéristique des meilleures peintures de Caillebotte ; que sa manière de peindre, qui traduit l'influence de l'enseignement de Léon Bonnat, marquée dans cette représentation d'un rituel familial, se distingue de celle des impressionnistes par son dessin précis, sa facture lisse et sa gamme de couleurs limitées ; que Le Déjeuner, qui fait partie de l'ensemble de toiles que Caillebotte a présenté en 1876 pour sa première participation à une exposition impressionniste à Paris et date de la meilleure partie de sa carrière, annonce, par son sujet et son traitement plastique inventif, des compositions de Paul Signac, de Pierre Bonnard et d'Edouard Vuillard et manifeste la grande modernité de cet artiste ;
Qu'en conséquence, cette œuvre présente un intérêt majeur pour le patrimoine national du point de vue de l'histoire et de l'art et doit être considérée comme un trésor national,
Emet un avis favorable au refus du certificat d'exportation demandé.

Pour la commission :

Le président,

E. Honorat