JORF n°0280 du 3 décembre 2015

La commission,
Vu la lettre en date du 12 novembre 2015 par laquelle le ministre chargé de l'économie a saisi la commission, en application de l'article 26-I 2° de l'ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014, en vue de la mise en œuvre d'une opération de marché sur le capital de la société Safran ;
Vu l'ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique et le décret n° 2014-949 du 20 août 2014 portant application de ladite ordonnance ;
Vu le décret n° 2004-1320 du 26 novembre 2004 relatif au transfert du secteur public au secteur privé de la société Snecma ;
Vu les avis de la Commission des participations et des transferts n° 2005-A.C.-1 du 17 février 2005 relatif au transfert au secteur privé de la société Snecma, n° 2011-A.C.-4 du 31 mars 2011 relatif au transfert au secteur privé de la société SNPE Matériaux Energétiques (SME), n° 2013-A.-2 du 25 mars 2013 et n° 2013-A.-3 du 27 mars 2013 relatif à une cession sur le marché de titres de Safran, n° 2013-A.-6 du 12 novembre 2013 et n° 2013-A.-7 du 15 novembre 2013 relatif à une cession sur le marché de titres de Safran, n° 2015-A.-2 du 2 mars 2015 et n° 2015-A.-3 du 4 mars 2015 relatif à une cession sur le marché de titres de Safran ;
Vu les documents d'information financière publiés par Safran et en particulier :

- le communiqué de presse du 30 juillet 2015 sur les résultats du premier semestre 2015 intitulé « Forte progression du résultat opérationnel de Safran au premier semestre 2015 » ;
- le document de présentation intitulé « Résultats du premier semestre 2015 » rendu public le 30 juillet 2015 sur le site internet de la société ;
- le rapport financier semestriel 2015 rendu public le 4 août 2015 ;
- le communiqué de presse du 22 octobre 2015 sur le chiffre d'affaires du troisième trimestre 2015 intitulé « Forte progression du chiffre d'affaires au troisième trimestre 2015 » ;
- le document de présentation intitulé « Chiffre d'affaires du troisième trimestre 2015 » rendu public le 22 octobre 2015 sur le site internet de la société ;

Vu le rapport d'évaluation établi par Deutsche Bank, banque-conseil de l'Etat, transmis à la commission le 10 novembre 2015 ;
Vu la note de l'Agence des participations de l'Etat transmise à la commission le 12 novembre 2015 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Après avoir entendu le 13 novembre 2015 :

  1. Conjointement :

- le ministre chargé de l'économie représenté par M. Aymeric DUCROCQ, directeur de participations à l'Agence des participations de l'Etat (APE), Mme Astrid MILSAN, MM. François CHAMPARNAUD et Pierre JEANNIN ;
- Deutsche Bank, banque-conseil de l'Etat, représenté par MM. Adnan PASOVIC, directeur, et Julien FABRE.

  1. Le ministre chargé de l'économie représenté comme ci-dessus ;
    Emet l'avis suivant :
    I. - Par lettre du 12 novembre 2015, le ministre chargé de l'économie a saisi la commission en vue de la mise en œuvre d'une opération de marché sur le capital de la société Safran, actuellement détenue à hauteur de 18,03 % (et 27,5 % des droits de vote) par l'Etat.
    L'opération envisagée consiste dans la cession d'une partie des actions existantes détenues par l'Etat pour un volume de 11 millions d'actions, soit 2,64 % du capital de Safran.
    La cession des actions sur le marché se fera, selon la technique du livre d'ordres accéléré (dite « ABB »), sous la forme d'un placement privé auprès d'investisseurs institutionnels français et internationaux, conduit par un syndicat bancaire qui en garantit la bonne fin en termes de volume et de prix minimum.
    Conformément à l'article 31-2 de l'ordonnance du 20 août 2014, dix pour cent des titres cédés par l'Etat (soit un neuvième de l'opération de marché) seront proposés aux salariés et anciens salariés de Safran dans des conditions qui seront déterminées par arrêté.
    II. - La société Safran résulte du rapprochement opéré en 2005 entre les sociétés Snecma, alors détenue par l'Etat à hauteur de 62 % du capital, et Sagem. Cette opération avait consisté en une offre publique initiée par Sagem sur la totalité des actions de Snecma et qui comprenait une offre principale d'échange et une offre subsidiaire d'achat. L'Etat avait décidé d'apporter les titres qu'il détenait à cette offre publique, ce qui entraînait le transfert au secteur privé de la société Snecma, l'Etat ne détenant qu'environ le tiers du capital du nouveau groupe et le secteur public y étant globalement minoritaire. La commission avait émis sur cette opération l'avis du 17 février 2005 susvisé.
    En vue de protéger les intérêts nationaux, l'Etat, Sagem et Snecma avaient conclu une convention visant à protéger les actifs identifiés comme stratégiques, sensibles ou de défense. En considération de ces dispositions, l'Etat n'a pas institué d'action spécifique au capital de Snecma.
    Le transfert de la société Snecma au secteur privé a été autorisé par le décret du 26 novembre 2004 susvisé.
    Les cessions d'actions de Safran sont réalisées dans le cadre des articles 26 et 27 de l'ordonnance du 20 août 2014 susvisée.
    La réalisation de l'opération, pour les volumes envisagés, est susceptible de faire passer la participation de l'Etat dans le capital de Safran de 18,03 % à 15,39 % ou à 15,10 % en cas d'exercice intégral de l'offre aux salariés qui y sera associée.
    En conséquence le montant des droits de vote détenus par l'Etat pourrait passer de 27,5 % à 23,87 % ou à 23,47 %.
    L'ensemble des salariés et anciens salariés constituent le deuxième actionnaire de Safran avec environ 13,8 % du capital (et 19,7 % des droits de vote). Le reste du capital est détenu par le public, hormis 0,14 % détenu en autocontrôle.
    III. - Le groupe Safran organise son activité en quatre secteurs :

- le secteur « propulsion aéronautique et spatiale » (53 % du chiffre d'affaires et 77 % du résultat opérationnel courant au premier semestre 2015) rassemble les activités de première monte pour les moteurs d'avions civils (notamment modèles CFM 56 et LEAP) et militaires, les activités de service et de maintenance, les turbines d'hélicoptères et la propulsion spatiale civile (pour Ariane 5) et militaire (missiles balistiques et tactiques). Depuis 1974, l'essentiel de l'activité dans les moteurs d'avions civils est conduite en coopération avec General Electric Aircraft Engines selon un accord prolongé jusqu'à 2040 ;
- le secteur « équipements aéronautiques » (29 % du chiffre d'affaires et 16 % du résultat opérationnel) réunit les activités concernant des équipements comme les systèmes d'atterrissage et de freinage, les nacelles, les inverseurs de poussée, les câblages, ainsi que les services qui y sont associés ;
- le secteur « défense » (7 % du chiffre d'affaires et 1 % du résultat opérationnel) regroupe les activités d'avionique (autodirecteurs, navigation inertielle), d'électronique, d'optronique et de logiciels critiques ;
- le secteur « sécurité » (11 % du chiffre d'affaires et 6 % du résultat opérationnel), exercé au travers de la filiale Morpho, rassemble les activités d'identification biométrique, de détection et les documents numériques (documents d'identité, cartes bancaires, cartes SIM).

La répartition géographique du chiffre d'affaires au 30 juin 2015 était la suivante : France 21 %, reste de l'Europe 20 %, Amériques 37 %, Asie-Océanie 14 % et Afrique-Moyen-Orient 8 %.
Le groupe a employé dans le monde en 2014 un effectif total d'environ 69 000 employés localisés en France pour 60 % d'entre eux.
IV. - L'avis de la commission du 2 mars 2015 susvisé a présenté les résultats de l'exercice 2014 qui avait été marqué par une croissance du chiffre d'affaires et une augmentation des résultats, en données ajustées, qui faisaient suite à celles des années précédentes.
Il est rappelé qu'en raison de l'impact important de l'effet de change et des instruments de couverture du dollar, le groupe Safran retraite ses comptes consolidés de ces éléments ainsi que de certains écarts d'acquisition. Le groupe communiquant sur ces comptes ajustés, ce sont leurs données qui sont résumées ci-après sauf mention contraire.
Le 30 juillet 2015, le groupe Safran a rendu public ses résultats du premier semestre de l'exercice 2015. L'appréciation significative du dollar américain par rapport à l'euro a eu sur la période un impact très important sur les différents agrégats des comptes ajustés.
Le chiffre d'affaires consolidé s'est établi à 8,4 milliards d'euros, soit une hausse de 16,6 % par rapport au premier semestre 2014 (et de 5 % sur base organique c'est-à-dire hors effet de change et de périmètre). Comme précédemment l'activité a été portée par la propulsion (+ 19,2 %) et en particulier par les services (+ 30,8 %) grâce aux révisions de moteurs CFM56 de seconde génération et de moteurs GE90. L'évolution a été moins favorable pour le secteur équipements (+ 13 % mais - 1,2 % sur base organique), ce que le groupe attribue à la maturité des programmes et à la pression sur les prix. Le secteur défense a continué à se dégrader (+ 5,5 % mais - 1,7 % sur base organique) avec la fin programmée des livraisons d'équipements Felin à l'armée française. A l'inverse le secteur sécurité a connu un fort rebond (+ 22,6 % et + 7,9 % sur base organique) grâce à la progression de la demande.
Le résultat opérationnel courant s'est élevé à 1,171 milliard d'euros, en hausse de 22,5 % par rapport au premier semestre 2014. Il représente une marge de 13,9 % par rapport au chiffre d'affaires (contre 13,3 % au premier semestre 2014). Cette augmentation est due essentiellement au secteur propulsion (+ 29,8 %) et notamment à la hausse des livraisons de moteurs CFM56. Les secteurs équipements et sécurité progressent quant à eux respectivement de 1 % et de 3,1 % tandis que le secteur défense recule de 65,1 %.
Le résultat net ajusté, part du groupe, d'un montant de 1,164 milliard, est en forte augmentation en raison d'une plus-value de cession nette (titres Ingenico) de 419 millions. Dans les comptes consolidés, apparaît au contraire une perte nette de 193 millions d'euros (contre un bénéfice de 652 millions au premier semestre 2014), en raison pour l'essentiel de la variation de la juste valeur des dérivés de change (principalement ventes d'options d'achat de dollars). Cette variation est neutralisée dans les comptes ajustés « afin de présenter les résultats des opérations de couverture sur les mêmes périodes que ceux des flux couverts » alors que Safran ne pratique pas une comptabilité de couverture, au sens de la réglementation, et inscrit donc à sa « juste valeur » son portefeuille de dérivés de change dans ses comptes consolidés.
Le cash-flow libre généré au premier semestre atteint 96 millions d'euros contre 41 millions au premier semestre 2014.
Les capitaux propres du groupe s'élèvent à 6,36 milliards d'euros au 30 juin 2015, en baisse de 2 % par rapport au montant du 31 décembre 2014, en raison de la perte nette comptable pour 2014 et de la distribution du solde de dividende. La dette nette est restée à son faible niveau de 1,5 milliard. Les écarts d'acquisition nets (goodwill) inscrits à l'actif du bilan sont en légère augmentation à 3,55 milliards (+ 3,9 %).
Le 22 octobre 2015, le groupe Safran a publié un communiqué sur l'évolution de son chiffre d'affaires au troisième trimestre. Par rapport au troisième trimestre 2014, le chiffre d'affaires ajusté a progressé à 4,141 milliards d'euros (+ 15,4 % et + 5,7 % sur base organique). La période a enregistré à nouveau une forte progression des secteurs propulsion (+ 14,2 % et + 5,7 % sur base organique) et sécurité (+ 28,8 % et + 17,7 % sur base organique) et une évolution moins favorable des secteurs équipements (+ 15,6 % mais - 0,8 % sur base organique) et défense (+ 3,9 % mais - 1,2 % sur base organique).
Sur les neuf premiers mois de l'année 2015, le chiffre d'affaires ajusté progresse, par rapport à la même période de 2014, de 16,2 % (4,9 % sur base organique).
V. - Parmi les faits marquants des derniers mois on peut noter, en dehors des succès commerciaux remportés dans les différents secteurs, notamment celui de la sécurité, le renforcement du partenariat avec Rolls-Royce dans les systèmes de transmission de puissance qui va se traduire en particulier par la construction d'une usine de production en Pologne par la société commune aux deux groupes, Aero Gearbox International. La finalisation de la création d'Airbus Safran Launchers (ASL) se poursuit par ailleurs : l'accord entre ASL et le CNES sur l'acquisition de la participation de ce dernier dans Arianespace a été conclu en juin 2015. ASL et l'Agence spatiale européenne ont signé le contrat de développement du lanceur Ariane 6. Dans le secteur de la sécurité, Morpho, filiale de Safran, a cédé en mai 2015 sa participation dans Ingenico.
Comme il a déjà été souligné dans les avis précédents de la commission, le succès du programme de nouveau moteur LEAP, destiné à remplacer le CFM 56, et produit avec le groupe GE, est un élément décisif pour l'avenir de Safran.
Les campagnes d'essai du LEAP-1A, depuis un premier vol le 19 mai sur un A320neo, se sont poursuivies avec succès et sa certification devrait être obtenue très prochainement. La campagne sur banc d'essai a été conclue cet été pour le LEAP-1B permettant la préparation d'un premier vol début 2016 sur 737MAX. Le moteur LEAP-1C, destiné au nouvel avion C919 du groupe chinois COMAC, a été livré à l'été 2015 et le premier vol devrait intervenir également début 2016.
Le groupe Safran en conclut que la performance du LEAP est en ligne avec les prévisions et donne pleine confiance quant à l'atteinte des objectifs. Dans le même temps la mise en production se poursuit, comprenant notamment des constructions d'usines et des modernisations de sites existants, en particulier deux nouvelles lignes d'assemblage dédiées à Villaroche. Les premières livraisons commerciales sont prévues en 2016. Le carnet de commandes du moteur LEAP continue sa progression (9 580 unités commandés au 30 juin 2015). Safran vise toujours une part de marché supérieure à 70 % sur les futurs avions monocouloirs.
Safran développe par ailleurs le programme de moteur Silvercrest destiné aux avions d'affaires, comme le Falcon 5X (Dassault) et le Citation Longitude (Cessna). Le groupe a annoncé que des développements supplémentaires sont nécessaires sur ce programme pour en atteindre les objectifs. Le calendrier de livraison doit être révisé et la situation des actifs concernés doit être examinée à l'arrêté des comptes 2015.
VI. - Le groupe Safran, lors de l'annonce de ses résultats du premier semestre 2015, a révisé à la hausse sa prévision de résultat opérationnel courant. Les perspectives pour l'ensemble de l'exercice 2015 sont désormais les suivantes (sur la base d'hypothèses quant à la parité entre le dollar américain et l'euro) :

- une hausse du chiffre d'affaires ajusté comprise entre 7 % et 9 % ;
- une augmentation du résultat opérationnel courant ajusté d'environ 15 % (contre un peu supérieur à 10 %) ;
- un cash-flow libre représentant 35 % à 45 % du résultat opérationnel courant ajusté sous réserve des incertitudes subsistant quant au rythme des paiements de plusieurs clients.

Ces prévisions ont été confirmées en octobre sous réserve des effets possibles de la finalisation de la constitution d'ASL.
Ces perspectives se fondent sur l'augmentation soutenue des livraisons de moteurs en première monte, sur la croissance des activités de service pour les moteurs civils (réévaluée entre 16 et 19 %), sur un niveau soutenu d'investissements corporels de l'ordre de 700 millions d'euros (requis par la transition de production et la montée en cadence), sur une réduction de la R&D autofinancée (de l'ordre de 100 millions d'euros) ainsi que sur la poursuite de la démarche d'amélioration des coûts directs et de réduction des frais généraux.
La communication financière du groupe est par ailleurs l'occasion de préciser sa stratégie d'investissement ainsi que sa politique de change. Sur ce dernier point, Safran a annoncé avoir modifié sa politique de couverture pour tenir compte de l'environnement nouveau de change euro/dollar.
VII. - Conformément à la loi, la commission a procédé à l'évaluation de Safran en recourant à une analyse multicritères qui prend en compte les éléments boursiers, la valeur des actifs, les bénéfices réalisés, l'existence des filiales et les perspectives d'avenir. Elle a disposé à cet effet d'un rapport établi par Deutsche Bank, banque conseil de l'Etat.
Dans ce rapport, la banque conseil étudie tout d'abord l'évolution du cours de bourse de Safran sur plusieurs périodes (un an, depuis le début 2015, six mois, trois mois, un mois). Elle présente aussi les études des analystes financiers qui suivent la valeur et leurs objectifs de cours.
La banque conseil développe pour sa part trois approches d'évaluation, privilégiant l'approche intrinsèque (actualisation des flux) en raison de l'absence de sociétés suffisamment comparables. Les approches extrinsèques (multiples boursiers) sont ainsi mises en œuvre à titre de vérification de la pertinence des résultats.

- l'actualisation des flux (DCF) : la banque conseil a construit un plan d'affaires sur la période 2015-2020. Ce plan agrège des prévisions établies pour chacune des quatre divisions (chiffre d'affaires et résultat d'exploitation) et les agrégats principaux du groupe. Il retient la méthodologie des « comptes ajustés » de Safran. Pour les trois premières années, les projections du consensus de marché sont retenues. Pour la période 2019-2020 et pour la valeur terminale, la banque se fonde sur une analyse des perspectives de croissance et de marge. La valeur terminale est calculée à partir d'une année normative 2020 sur la base du flux attendu en 2020 et d'hypothèses de croissance perpétuelle annuelle de 2 % et de marge de résultat d'exploitation de 15 %. Les flux sont actualisés au coût moyen pondéré du capital estimé à 7,8 %. Dans le calcul du taux d'actualisation, le taux sans risque est déterminé à partir de la moyenne sur un an du taux de l'OAT 10 ans. Une analyse de sensibilité est menée en fonction de variations du taux d'actualisation et des hypothèses de croissance perpétuelle et de marge ;
- les multiples boursiers consolidés : le groupe est évalué de façon globale selon cette méthode. Les multiples moyens valeur d'entreprise/EBIT (résultat d'exploitation) des sociétés cotées comparables sont appliqués aux agrégats financiers correspondants de Safran pour les années 2016 et 2017. Le résultat d'exploitation (EBIT) étant le solde intermédiaire sur lequel communique Safran, il est utilisé de préférence à l'excédent brut d'exploitation (EBITDA). L'EBIT est retraité des montants nets de recherche-développement (R&D) capitalisés afin d'harmoniser les données de Safran avec celles des comparables. La banque observe que les prévisions de R&D de Safran pour 2015 et 2016 étant plus en ligne que les années précédentes avec un niveau normatif, cette harmonisation ne conduit pas à une pénalisation significative de la valorisation de Safran. La banque conseil retient comme comparables sept groupes principalement européens présents dans la propulsion ou plus généralement l'aéronautique civile : Meggitt, MTU, Rolls Royce, United Technologies, Moog, Woodward et Zodiac Aerospace ;
- la somme des parties (par les multiples boursiers) : les quatre secteurs de l'activité de Safran sont évalués séparément puis agrégés. Pour chaque secteur, les multiples moyens valeur d'entreprise/EBIT (résultat d'exploitation) des sociétés cotées comparables du secteur sont appliqués aux agrégats financiers correspondants de Safran pour les années 2016 et 2017. Les comparables retenus sont : MTU, Rolls Royce et Woodward (propulsion), B/E Aerospace, Curtiss Wright, Esterline, Meggitt, Moog, TransDigm et Zodiac Aerospace (équipements), Cobham, Thales, Rockwell Collins (défense), Gemalto, Smiths, L-3 et QinetiQ (sécurité). La R&D est retraitée comme dans la méthode précédente.

La banque conseil écarte d'autre méthodes d'évaluation : multiples de transactions comparables (à défaut d'échantillon pertinent), l'actif net réévalué (s'agissant d'une société industrielle en activité) et l'actualisation des flux de dividendes futurs (qui dépend du taux de distribution).
Au total, la banque conseil conclut que les évaluations présentées par les différentes méthodes retenues sont cohérentes tant entre elles qu'avec les niveaux de cours récents de Safran, étant observé que l'évaluation intrinsèque conduit à un montant supérieur à celui des évaluations extrinsèques.
VIII. - La commission a analysé l'appréciation de Safran par les marchés ainsi que les forces et faiblesses du groupe.
Dans son précédent avis sur la valeur de Safran du 2 mars 2015, la commission avait souligné la forte hausse du cours de bourse de l'action durant l'année 2013 puis au premier trimestre 2015. Cette dernière hausse s'expliquait en partie par l'évolution favorable de la parité dollar/euro et par la hausse générale du marché soutenu par les annonces de la BCE quant aux opérations de « quantitative easing ». La cession d'actions par l'Etat de mars 2015 s'est opérée au prix de 62,61 €. Depuis mars 2015, le cours de Safran a évolué dans un tunnel entre 60 et 70 €. D'abord affecté d'une érosion progressive vers le bas de ce tunnel, le cours s'est repris vigoureusement à la veille de l'annonce des résultats semestriels dépassant par moments 70 €. Touché durant la seconde quinzaine d'août par la baisse générale du marché, il a été ensuite soutenu, grâce notamment à son entrée en septembre dans l'indice Euro Stoxx 50, évoluant entre 67 € et 70 € et connaissant ainsi sur la période considérée, une évolution plus favorable que celles de ses comparables ou de l'indice CAC 40.
A la suite cependant de la publication hier 12 novembre 2015 par le motoriste Rolls-Royce d'un quatrième avertissement sur ses résultats 2015, le cours de l'action de cette société s'est effondré de 20 % sur le marché et a entraîné la baisse de l'ensemble de son secteur, Safran perdant ainsi dans la journée 3,45 % à 68 €, baisse qui se poursuit aujourd'hui.
Le cours de bourse apparaît comme un élément de référence important dans le cadre de l'analyse de la valeur de la société compte tenu de l'importance du flottant et des volumes de transaction : sur les 12 derniers mois, les volumes moyens échangés par mois s'élèvent à 23,8 millions d'actions soit 1,5 milliard d'euros et 7,5 % du flottant.
L'action Safran est suivie régulièrement par un nombre important d'analystes des grands établissements financiers. Leur opinion est favorable, un nombre significatif étant toutefois passés au cours des derniers mois d'une recommandation d'acheter à une recommandation de conserver, le cours étant devenu proche de leurs objectifs. La moyenne des objectifs de cours, régulièrement relevés à la hausse par les analystes, est aujourd'hui de 73,4 € avec toutefois un écart-type important.
L'activité de Safran n'est certes pas exempte de risques parmi lesquels :

- l'incertitude quant à la conjoncture économique générale à venir et quant à l'éventuel retournement du cycle aéronautique ;
- la dépendance à l'égard des commandes publiques, spécialement dans le secteur défense, dans un contexte de contraintes budgétaires croissantes qui peuvent se traduire par des retards de paiement ou de programmes ;
- les risques de réalisation qui demeurent sur les importants programmes en cours. Le moteur LEAP a franchi jusqu'à présent avec succès ses phases d'essais et atteint ses objectifs techniques mais il va désormais devoir entrer dans sa phase de production industrielle, avec les risques techniques et financiers inhérents. S'y ajouteront les risques résultant des garanties associées aux nouveaux modes de facturation en fonction de la disponibilité des moteurs. L'entreprise a par ailleurs annoncé un ajustement de calendrier et d'éventuels suppléments de coût du programme du moteur Silvercrest ;
- l'incertitude sur l'activité et la rentabilité du secteur défense (alors que, porté par le contexte, le secteur sécurité s'est redressé) ;
- les conséquences du poids grandissant des services et de l'issue de l'enquête de la Commission européenne sur les politiques de prix des services après-vente de moteurs d'avions.

Les éléments favorables restent cependant déterminants :

- l'environnement qui reste porteur du secteur de l'aviation civile favorable tant à la propulsion qu'aux équipements aéronautiques ;
- l'importance du parc de moteurs CFM56 en maintenance ;
- l'avancée conforme aux prévisions du programme du nouveau moteur LEAP qui se substituera au CFM56, et son succès commercial ;
- la lisibilité que procure l'importance du carnet de commandes ;
- le niveau du cours du dollar américain par rapport à celui de l'euro ;
- la réalisation régulière par la société des objectifs qu'elle a annoncés.

Au total, Safran est un groupe industriel de haute technologie dont les produits, principalement dans la propulsion, sont reconnus internationalement et connaissent un grand succès commercial. D'un point de vue boursier, la valeur est recherchée par les investisseurs et son statut a été renforcé par son entrée récente dans l'indice Euro Stoxx 50.
Comme il a été exposé au point II ci-dessus, la commission observe que la cession conduit à une diminution de la participation et donc des droits de vote de l'Etat dans Safran qui demeureront cependant au niveau élevé d'un minimum de 23,47 %. Cette diminution est sans conséquence du point de vue des intérêts nationaux compte tenu des droits spécifiques dont dispose conventionnellement l'Etat.
L'opération présentée à la commission consiste en un placement privé garanti par un syndicat bancaire quant à sa bonne fin et à son prix, ainsi qu'il avait déjà été procédé lors des précédentes cessions. Le recours à cette procédure paraît approprié dans le contexte général du marché.
IX.- Compte tenu de l'ensemble de ces éléments et au vu des informations qui lui ont été communiquées ainsi que des données les plus récentes du marché, la commission estime que la valeur de Safran ne saurait être inférieure à 62 euros par action soit globalement à environ 25,86 milliards d'euros pour 417 029 585 actions composant le capital social.
Adopté dans la séance du 13 novembre 2015 où siégeaient MM. Bertrand SCHNEITER, président, Pierre ACHARD, Mme Dominique DEMANGEL, M. Marc-André FEFFER, Mme Daniele LAJOUMARD, M. Philippe MARTIN et Mme Inès-Claire MERCEREAU, membres de la commission.


Historique des versions

Version 1

La commission,

Vu la lettre en date du 12 novembre 2015 par laquelle le ministre chargé de l'économie a saisi la commission, en application de l'article 26-I 2° de l'ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014, en vue de la mise en œuvre d'une opération de marché sur le capital de la société Safran ;

Vu l'ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique et le décret n° 2014-949 du 20 août 2014 portant application de ladite ordonnance ;

Vu le décret n° 2004-1320 du 26 novembre 2004 relatif au transfert du secteur public au secteur privé de la société Snecma ;

Vu les avis de la Commission des participations et des transferts n° 2005-A.C.-1 du 17 février 2005 relatif au transfert au secteur privé de la société Snecma, n° 2011-A.C.-4 du 31 mars 2011 relatif au transfert au secteur privé de la société SNPE Matériaux Energétiques (SME), n° 2013-A.-2 du 25 mars 2013 et n° 2013-A.-3 du 27 mars 2013 relatif à une cession sur le marché de titres de Safran, n° 2013-A.-6 du 12 novembre 2013 et n° 2013-A.-7 du 15 novembre 2013 relatif à une cession sur le marché de titres de Safran, n° 2015-A.-2 du 2 mars 2015 et n° 2015-A.-3 du 4 mars 2015 relatif à une cession sur le marché de titres de Safran ;

Vu les documents d'information financière publiés par Safran et en particulier :

- le communiqué de presse du 30 juillet 2015 sur les résultats du premier semestre 2015 intitulé « Forte progression du résultat opérationnel de Safran au premier semestre 2015 » ;

- le document de présentation intitulé « Résultats du premier semestre 2015 » rendu public le 30 juillet 2015 sur le site internet de la société ;

- le rapport financier semestriel 2015 rendu public le 4 août 2015 ;

- le communiqué de presse du 22 octobre 2015 sur le chiffre d'affaires du troisième trimestre 2015 intitulé « Forte progression du chiffre d'affaires au troisième trimestre 2015 » ;

- le document de présentation intitulé « Chiffre d'affaires du troisième trimestre 2015 » rendu public le 22 octobre 2015 sur le site internet de la société ;

Vu le rapport d'évaluation établi par Deutsche Bank, banque-conseil de l'Etat, transmis à la commission le 10 novembre 2015 ;

Vu la note de l'Agence des participations de l'Etat transmise à la commission le 12 novembre 2015 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Après avoir entendu le 13 novembre 2015 :

1. Conjointement :

- le ministre chargé de l'économie représenté par M. Aymeric DUCROCQ, directeur de participations à l'Agence des participations de l'Etat (APE), Mme Astrid MILSAN, MM. François CHAMPARNAUD et Pierre JEANNIN ;

- Deutsche Bank, banque-conseil de l'Etat, représenté par MM. Adnan PASOVIC, directeur, et Julien FABRE.

2. Le ministre chargé de l'économie représenté comme ci-dessus ;

Emet l'avis suivant :

I. - Par lettre du 12 novembre 2015, le ministre chargé de l'économie a saisi la commission en vue de la mise en œuvre d'une opération de marché sur le capital de la société Safran, actuellement détenue à hauteur de 18,03 % (et 27,5 % des droits de vote) par l'Etat.

L'opération envisagée consiste dans la cession d'une partie des actions existantes détenues par l'Etat pour un volume de 11 millions d'actions, soit 2,64 % du capital de Safran.

La cession des actions sur le marché se fera, selon la technique du livre d'ordres accéléré (dite « ABB »), sous la forme d'un placement privé auprès d'investisseurs institutionnels français et internationaux, conduit par un syndicat bancaire qui en garantit la bonne fin en termes de volume et de prix minimum.

Conformément à l'article 31-2 de l'ordonnance du 20 août 2014, dix pour cent des titres cédés par l'Etat (soit un neuvième de l'opération de marché) seront proposés aux salariés et anciens salariés de Safran dans des conditions qui seront déterminées par arrêté.

II. - La société Safran résulte du rapprochement opéré en 2005 entre les sociétés Snecma, alors détenue par l'Etat à hauteur de 62 % du capital, et Sagem. Cette opération avait consisté en une offre publique initiée par Sagem sur la totalité des actions de Snecma et qui comprenait une offre principale d'échange et une offre subsidiaire d'achat. L'Etat avait décidé d'apporter les titres qu'il détenait à cette offre publique, ce qui entraînait le transfert au secteur privé de la société Snecma, l'Etat ne détenant qu'environ le tiers du capital du nouveau groupe et le secteur public y étant globalement minoritaire. La commission avait émis sur cette opération l'avis du 17 février 2005 susvisé.

En vue de protéger les intérêts nationaux, l'Etat, Sagem et Snecma avaient conclu une convention visant à protéger les actifs identifiés comme stratégiques, sensibles ou de défense. En considération de ces dispositions, l'Etat n'a pas institué d'action spécifique au capital de Snecma.

Le transfert de la société Snecma au secteur privé a été autorisé par le décret du 26 novembre 2004 susvisé.

Les cessions d'actions de Safran sont réalisées dans le cadre des articles 26 et 27 de l'ordonnance du 20 août 2014 susvisée.

La réalisation de l'opération, pour les volumes envisagés, est susceptible de faire passer la participation de l'Etat dans le capital de Safran de 18,03 % à 15,39 % ou à 15,10 % en cas d'exercice intégral de l'offre aux salariés qui y sera associée.

En conséquence le montant des droits de vote détenus par l'Etat pourrait passer de 27,5 % à 23,87 % ou à 23,47 %.

L'ensemble des salariés et anciens salariés constituent le deuxième actionnaire de Safran avec environ 13,8 % du capital (et 19,7 % des droits de vote). Le reste du capital est détenu par le public, hormis 0,14 % détenu en autocontrôle.

III. - Le groupe Safran organise son activité en quatre secteurs :

- le secteur « propulsion aéronautique et spatiale » (53 % du chiffre d'affaires et 77 % du résultat opérationnel courant au premier semestre 2015) rassemble les activités de première monte pour les moteurs d'avions civils (notamment modèles CFM 56 et LEAP) et militaires, les activités de service et de maintenance, les turbines d'hélicoptères et la propulsion spatiale civile (pour Ariane 5) et militaire (missiles balistiques et tactiques). Depuis 1974, l'essentiel de l'activité dans les moteurs d'avions civils est conduite en coopération avec General Electric Aircraft Engines selon un accord prolongé jusqu'à 2040 ;

- le secteur « équipements aéronautiques » (29 % du chiffre d'affaires et 16 % du résultat opérationnel) réunit les activités concernant des équipements comme les systèmes d'atterrissage et de freinage, les nacelles, les inverseurs de poussée, les câblages, ainsi que les services qui y sont associés ;

- le secteur « défense » (7 % du chiffre d'affaires et 1 % du résultat opérationnel) regroupe les activités d'avionique (autodirecteurs, navigation inertielle), d'électronique, d'optronique et de logiciels critiques ;

- le secteur « sécurité » (11 % du chiffre d'affaires et 6 % du résultat opérationnel), exercé au travers de la filiale Morpho, rassemble les activités d'identification biométrique, de détection et les documents numériques (documents d'identité, cartes bancaires, cartes SIM).

La répartition géographique du chiffre d'affaires au 30 juin 2015 était la suivante : France 21 %, reste de l'Europe 20 %, Amériques 37 %, Asie-Océanie 14 % et Afrique-Moyen-Orient 8 %.

Le groupe a employé dans le monde en 2014 un effectif total d'environ 69 000 employés localisés en France pour 60 % d'entre eux.

IV. - L'avis de la commission du 2 mars 2015 susvisé a présenté les résultats de l'exercice 2014 qui avait été marqué par une croissance du chiffre d'affaires et une augmentation des résultats, en données ajustées, qui faisaient suite à celles des années précédentes.

Il est rappelé qu'en raison de l'impact important de l'effet de change et des instruments de couverture du dollar, le groupe Safran retraite ses comptes consolidés de ces éléments ainsi que de certains écarts d'acquisition. Le groupe communiquant sur ces comptes ajustés, ce sont leurs données qui sont résumées ci-après sauf mention contraire.

Le 30 juillet 2015, le groupe Safran a rendu public ses résultats du premier semestre de l'exercice 2015. L'appréciation significative du dollar américain par rapport à l'euro a eu sur la période un impact très important sur les différents agrégats des comptes ajustés.

Le chiffre d'affaires consolidé s'est établi à 8,4 milliards d'euros, soit une hausse de 16,6 % par rapport au premier semestre 2014 (et de 5 % sur base organique c'est-à-dire hors effet de change et de périmètre). Comme précédemment l'activité a été portée par la propulsion (+ 19,2 %) et en particulier par les services (+ 30,8 %) grâce aux révisions de moteurs CFM56 de seconde génération et de moteurs GE90. L'évolution a été moins favorable pour le secteur équipements (+ 13 % mais - 1,2 % sur base organique), ce que le groupe attribue à la maturité des programmes et à la pression sur les prix. Le secteur défense a continué à se dégrader (+ 5,5 % mais - 1,7 % sur base organique) avec la fin programmée des livraisons d'équipements Felin à l'armée française. A l'inverse le secteur sécurité a connu un fort rebond (+ 22,6 % et + 7,9 % sur base organique) grâce à la progression de la demande.

Le résultat opérationnel courant s'est élevé à 1,171 milliard d'euros, en hausse de 22,5 % par rapport au premier semestre 2014. Il représente une marge de 13,9 % par rapport au chiffre d'affaires (contre 13,3 % au premier semestre 2014). Cette augmentation est due essentiellement au secteur propulsion (+ 29,8 %) et notamment à la hausse des livraisons de moteurs CFM56. Les secteurs équipements et sécurité progressent quant à eux respectivement de 1 % et de 3,1 % tandis que le secteur défense recule de 65,1 %.

Le résultat net ajusté, part du groupe, d'un montant de 1,164 milliard, est en forte augmentation en raison d'une plus-value de cession nette (titres Ingenico) de 419 millions. Dans les comptes consolidés, apparaît au contraire une perte nette de 193 millions d'euros (contre un bénéfice de 652 millions au premier semestre 2014), en raison pour l'essentiel de la variation de la juste valeur des dérivés de change (principalement ventes d'options d'achat de dollars). Cette variation est neutralisée dans les comptes ajustés « afin de présenter les résultats des opérations de couverture sur les mêmes périodes que ceux des flux couverts » alors que Safran ne pratique pas une comptabilité de couverture, au sens de la réglementation, et inscrit donc à sa « juste valeur » son portefeuille de dérivés de change dans ses comptes consolidés.

Le cash-flow libre généré au premier semestre atteint 96 millions d'euros contre 41 millions au premier semestre 2014.

Les capitaux propres du groupe s'élèvent à 6,36 milliards d'euros au 30 juin 2015, en baisse de 2 % par rapport au montant du 31 décembre 2014, en raison de la perte nette comptable pour 2014 et de la distribution du solde de dividende. La dette nette est restée à son faible niveau de 1,5 milliard. Les écarts d'acquisition nets (goodwill) inscrits à l'actif du bilan sont en légère augmentation à 3,55 milliards (+ 3,9 %).

Le 22 octobre 2015, le groupe Safran a publié un communiqué sur l'évolution de son chiffre d'affaires au troisième trimestre. Par rapport au troisième trimestre 2014, le chiffre d'affaires ajusté a progressé à 4,141 milliards d'euros (+ 15,4 % et + 5,7 % sur base organique). La période a enregistré à nouveau une forte progression des secteurs propulsion (+ 14,2 % et + 5,7 % sur base organique) et sécurité (+ 28,8 % et + 17,7 % sur base organique) et une évolution moins favorable des secteurs équipements (+ 15,6 % mais - 0,8 % sur base organique) et défense (+ 3,9 % mais - 1,2 % sur base organique).

Sur les neuf premiers mois de l'année 2015, le chiffre d'affaires ajusté progresse, par rapport à la même période de 2014, de 16,2 % (4,9 % sur base organique).

V. - Parmi les faits marquants des derniers mois on peut noter, en dehors des succès commerciaux remportés dans les différents secteurs, notamment celui de la sécurité, le renforcement du partenariat avec Rolls-Royce dans les systèmes de transmission de puissance qui va se traduire en particulier par la construction d'une usine de production en Pologne par la société commune aux deux groupes, Aero Gearbox International. La finalisation de la création d'Airbus Safran Launchers (ASL) se poursuit par ailleurs : l'accord entre ASL et le CNES sur l'acquisition de la participation de ce dernier dans Arianespace a été conclu en juin 2015. ASL et l'Agence spatiale européenne ont signé le contrat de développement du lanceur Ariane 6. Dans le secteur de la sécurité, Morpho, filiale de Safran, a cédé en mai 2015 sa participation dans Ingenico.

Comme il a déjà été souligné dans les avis précédents de la commission, le succès du programme de nouveau moteur LEAP, destiné à remplacer le CFM 56, et produit avec le groupe GE, est un élément décisif pour l'avenir de Safran.

Les campagnes d'essai du LEAP-1A, depuis un premier vol le 19 mai sur un A320neo, se sont poursuivies avec succès et sa certification devrait être obtenue très prochainement. La campagne sur banc d'essai a été conclue cet été pour le LEAP-1B permettant la préparation d'un premier vol début 2016 sur 737MAX. Le moteur LEAP-1C, destiné au nouvel avion C919 du groupe chinois COMAC, a été livré à l'été 2015 et le premier vol devrait intervenir également début 2016.

Le groupe Safran en conclut que la performance du LEAP est en ligne avec les prévisions et donne pleine confiance quant à l'atteinte des objectifs. Dans le même temps la mise en production se poursuit, comprenant notamment des constructions d'usines et des modernisations de sites existants, en particulier deux nouvelles lignes d'assemblage dédiées à Villaroche. Les premières livraisons commerciales sont prévues en 2016. Le carnet de commandes du moteur LEAP continue sa progression (9 580 unités commandés au 30 juin 2015). Safran vise toujours une part de marché supérieure à 70 % sur les futurs avions monocouloirs.

Safran développe par ailleurs le programme de moteur Silvercrest destiné aux avions d'affaires, comme le Falcon 5X (Dassault) et le Citation Longitude (Cessna). Le groupe a annoncé que des développements supplémentaires sont nécessaires sur ce programme pour en atteindre les objectifs. Le calendrier de livraison doit être révisé et la situation des actifs concernés doit être examinée à l'arrêté des comptes 2015.

VI. - Le groupe Safran, lors de l'annonce de ses résultats du premier semestre 2015, a révisé à la hausse sa prévision de résultat opérationnel courant. Les perspectives pour l'ensemble de l'exercice 2015 sont désormais les suivantes (sur la base d'hypothèses quant à la parité entre le dollar américain et l'euro) :

- une hausse du chiffre d'affaires ajusté comprise entre 7 % et 9 % ;

- une augmentation du résultat opérationnel courant ajusté d'environ 15 % (contre un peu supérieur à 10 %) ;

- un cash-flow libre représentant 35 % à 45 % du résultat opérationnel courant ajusté sous réserve des incertitudes subsistant quant au rythme des paiements de plusieurs clients.

Ces prévisions ont été confirmées en octobre sous réserve des effets possibles de la finalisation de la constitution d'ASL.

Ces perspectives se fondent sur l'augmentation soutenue des livraisons de moteurs en première monte, sur la croissance des activités de service pour les moteurs civils (réévaluée entre 16 et 19 %), sur un niveau soutenu d'investissements corporels de l'ordre de 700 millions d'euros (requis par la transition de production et la montée en cadence), sur une réduction de la R&D autofinancée (de l'ordre de 100 millions d'euros) ainsi que sur la poursuite de la démarche d'amélioration des coûts directs et de réduction des frais généraux.

La communication financière du groupe est par ailleurs l'occasion de préciser sa stratégie d'investissement ainsi que sa politique de change. Sur ce dernier point, Safran a annoncé avoir modifié sa politique de couverture pour tenir compte de l'environnement nouveau de change euro/dollar.

VII. - Conformément à la loi, la commission a procédé à l'évaluation de Safran en recourant à une analyse multicritères qui prend en compte les éléments boursiers, la valeur des actifs, les bénéfices réalisés, l'existence des filiales et les perspectives d'avenir. Elle a disposé à cet effet d'un rapport établi par Deutsche Bank, banque conseil de l'Etat.

Dans ce rapport, la banque conseil étudie tout d'abord l'évolution du cours de bourse de Safran sur plusieurs périodes (un an, depuis le début 2015, six mois, trois mois, un mois). Elle présente aussi les études des analystes financiers qui suivent la valeur et leurs objectifs de cours.

La banque conseil développe pour sa part trois approches d'évaluation, privilégiant l'approche intrinsèque (actualisation des flux) en raison de l'absence de sociétés suffisamment comparables. Les approches extrinsèques (multiples boursiers) sont ainsi mises en œuvre à titre de vérification de la pertinence des résultats.

- l'actualisation des flux (DCF) : la banque conseil a construit un plan d'affaires sur la période 2015-2020. Ce plan agrège des prévisions établies pour chacune des quatre divisions (chiffre d'affaires et résultat d'exploitation) et les agrégats principaux du groupe. Il retient la méthodologie des « comptes ajustés » de Safran. Pour les trois premières années, les projections du consensus de marché sont retenues. Pour la période 2019-2020 et pour la valeur terminale, la banque se fonde sur une analyse des perspectives de croissance et de marge. La valeur terminale est calculée à partir d'une année normative 2020 sur la base du flux attendu en 2020 et d'hypothèses de croissance perpétuelle annuelle de 2 % et de marge de résultat d'exploitation de 15 %. Les flux sont actualisés au coût moyen pondéré du capital estimé à 7,8 %. Dans le calcul du taux d'actualisation, le taux sans risque est déterminé à partir de la moyenne sur un an du taux de l'OAT 10 ans. Une analyse de sensibilité est menée en fonction de variations du taux d'actualisation et des hypothèses de croissance perpétuelle et de marge ;

- les multiples boursiers consolidés : le groupe est évalué de façon globale selon cette méthode. Les multiples moyens valeur d'entreprise/EBIT (résultat d'exploitation) des sociétés cotées comparables sont appliqués aux agrégats financiers correspondants de Safran pour les années 2016 et 2017. Le résultat d'exploitation (EBIT) étant le solde intermédiaire sur lequel communique Safran, il est utilisé de préférence à l'excédent brut d'exploitation (EBITDA). L'EBIT est retraité des montants nets de recherche-développement (R&D) capitalisés afin d'harmoniser les données de Safran avec celles des comparables. La banque observe que les prévisions de R&D de Safran pour 2015 et 2016 étant plus en ligne que les années précédentes avec un niveau normatif, cette harmonisation ne conduit pas à une pénalisation significative de la valorisation de Safran. La banque conseil retient comme comparables sept groupes principalement européens présents dans la propulsion ou plus généralement l'aéronautique civile : Meggitt, MTU, Rolls Royce, United Technologies, Moog, Woodward et Zodiac Aerospace ;

- la somme des parties (par les multiples boursiers) : les quatre secteurs de l'activité de Safran sont évalués séparément puis agrégés. Pour chaque secteur, les multiples moyens valeur d'entreprise/EBIT (résultat d'exploitation) des sociétés cotées comparables du secteur sont appliqués aux agrégats financiers correspondants de Safran pour les années 2016 et 2017. Les comparables retenus sont : MTU, Rolls Royce et Woodward (propulsion), B/E Aerospace, Curtiss Wright, Esterline, Meggitt, Moog, TransDigm et Zodiac Aerospace (équipements), Cobham, Thales, Rockwell Collins (défense), Gemalto, Smiths, L-3 et QinetiQ (sécurité). La R&D est retraitée comme dans la méthode précédente.

La banque conseil écarte d'autre méthodes d'évaluation : multiples de transactions comparables (à défaut d'échantillon pertinent), l'actif net réévalué (s'agissant d'une société industrielle en activité) et l'actualisation des flux de dividendes futurs (qui dépend du taux de distribution).

Au total, la banque conseil conclut que les évaluations présentées par les différentes méthodes retenues sont cohérentes tant entre elles qu'avec les niveaux de cours récents de Safran, étant observé que l'évaluation intrinsèque conduit à un montant supérieur à celui des évaluations extrinsèques.

VIII. - La commission a analysé l'appréciation de Safran par les marchés ainsi que les forces et faiblesses du groupe.

Dans son précédent avis sur la valeur de Safran du 2 mars 2015, la commission avait souligné la forte hausse du cours de bourse de l'action durant l'année 2013 puis au premier trimestre 2015. Cette dernière hausse s'expliquait en partie par l'évolution favorable de la parité dollar/euro et par la hausse générale du marché soutenu par les annonces de la BCE quant aux opérations de « quantitative easing ». La cession d'actions par l'Etat de mars 2015 s'est opérée au prix de 62,61 €. Depuis mars 2015, le cours de Safran a évolué dans un tunnel entre 60 et 70 €. D'abord affecté d'une érosion progressive vers le bas de ce tunnel, le cours s'est repris vigoureusement à la veille de l'annonce des résultats semestriels dépassant par moments 70 €. Touché durant la seconde quinzaine d'août par la baisse générale du marché, il a été ensuite soutenu, grâce notamment à son entrée en septembre dans l'indice Euro Stoxx 50, évoluant entre 67 € et 70 € et connaissant ainsi sur la période considérée, une évolution plus favorable que celles de ses comparables ou de l'indice CAC 40.

A la suite cependant de la publication hier 12 novembre 2015 par le motoriste Rolls-Royce d'un quatrième avertissement sur ses résultats 2015, le cours de l'action de cette société s'est effondré de 20 % sur le marché et a entraîné la baisse de l'ensemble de son secteur, Safran perdant ainsi dans la journée 3,45 % à 68 €, baisse qui se poursuit aujourd'hui.

Le cours de bourse apparaît comme un élément de référence important dans le cadre de l'analyse de la valeur de la société compte tenu de l'importance du flottant et des volumes de transaction : sur les 12 derniers mois, les volumes moyens échangés par mois s'élèvent à 23,8 millions d'actions soit 1,5 milliard d'euros et 7,5 % du flottant.

L'action Safran est suivie régulièrement par un nombre important d'analystes des grands établissements financiers. Leur opinion est favorable, un nombre significatif étant toutefois passés au cours des derniers mois d'une recommandation d'acheter à une recommandation de conserver, le cours étant devenu proche de leurs objectifs. La moyenne des objectifs de cours, régulièrement relevés à la hausse par les analystes, est aujourd'hui de 73,4 € avec toutefois un écart-type important.

L'activité de Safran n'est certes pas exempte de risques parmi lesquels :

- l'incertitude quant à la conjoncture économique générale à venir et quant à l'éventuel retournement du cycle aéronautique ;

- la dépendance à l'égard des commandes publiques, spécialement dans le secteur défense, dans un contexte de contraintes budgétaires croissantes qui peuvent se traduire par des retards de paiement ou de programmes ;

- les risques de réalisation qui demeurent sur les importants programmes en cours. Le moteur LEAP a franchi jusqu'à présent avec succès ses phases d'essais et atteint ses objectifs techniques mais il va désormais devoir entrer dans sa phase de production industrielle, avec les risques techniques et financiers inhérents. S'y ajouteront les risques résultant des garanties associées aux nouveaux modes de facturation en fonction de la disponibilité des moteurs. L'entreprise a par ailleurs annoncé un ajustement de calendrier et d'éventuels suppléments de coût du programme du moteur Silvercrest ;

- l'incertitude sur l'activité et la rentabilité du secteur défense (alors que, porté par le contexte, le secteur sécurité s'est redressé) ;

- les conséquences du poids grandissant des services et de l'issue de l'enquête de la Commission européenne sur les politiques de prix des services après-vente de moteurs d'avions.

Les éléments favorables restent cependant déterminants :

- l'environnement qui reste porteur du secteur de l'aviation civile favorable tant à la propulsion qu'aux équipements aéronautiques ;

- l'importance du parc de moteurs CFM56 en maintenance ;

- l'avancée conforme aux prévisions du programme du nouveau moteur LEAP qui se substituera au CFM56, et son succès commercial ;

- la lisibilité que procure l'importance du carnet de commandes ;

- le niveau du cours du dollar américain par rapport à celui de l'euro ;

- la réalisation régulière par la société des objectifs qu'elle a annoncés.

Au total, Safran est un groupe industriel de haute technologie dont les produits, principalement dans la propulsion, sont reconnus internationalement et connaissent un grand succès commercial. D'un point de vue boursier, la valeur est recherchée par les investisseurs et son statut a été renforcé par son entrée récente dans l'indice Euro Stoxx 50.

Comme il a été exposé au point II ci-dessus, la commission observe que la cession conduit à une diminution de la participation et donc des droits de vote de l'Etat dans Safran qui demeureront cependant au niveau élevé d'un minimum de 23,47 %. Cette diminution est sans conséquence du point de vue des intérêts nationaux compte tenu des droits spécifiques dont dispose conventionnellement l'Etat.

L'opération présentée à la commission consiste en un placement privé garanti par un syndicat bancaire quant à sa bonne fin et à son prix, ainsi qu'il avait déjà été procédé lors des précédentes cessions. Le recours à cette procédure paraît approprié dans le contexte général du marché.

IX.- Compte tenu de l'ensemble de ces éléments et au vu des informations qui lui ont été communiquées ainsi que des données les plus récentes du marché, la commission estime que la valeur de Safran ne saurait être inférieure à 62 euros par action soit globalement à environ 25,86 milliards d'euros pour 417 029 585 actions composant le capital social.

Adopté dans la séance du 13 novembre 2015 où siégeaient MM. Bertrand SCHNEITER, président, Pierre ACHARD, Mme Dominique DEMANGEL, M. Marc-André FEFFER, Mme Daniele LAJOUMARD, M. Philippe MARTIN et Mme Inès-Claire MERCEREAU, membres de la commission.