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CNCDH appelle à l'action contre le conflit et la famine à Gaza
Assemblée plénière du 20 mai 2025 (Adoption à l'unanimité)
- Le 5 mai dernier, le cabinet de sécurité israélien a adopté, à l'unanimité, une nouvelle campagne militaire dans la bande de Gaza, qui prévoit « la conquête de la bande de Gaza et le contrôle des territoires » et inclut « le déplacement de la majorité de la population de la bande de Gaza » (1). Dans ce contexte, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), qui assume le mandat de commission nationale de mise en œuvre du droit international humanitaire, déclare que la situation humanitaire catastrophique dans le Territoire palestinien occupé est non seulement une crise inacceptable mais le résultat d'une politique assumée de destruction de Gaza et de déportation de sa population. Le 13 mai 2025, le Président de la République affirmait lors d'une intervention télévisée que la situation dans la bande de Gaza était « une honte ». Au regard de l'urgence, condamner n'est plus suffisant : il faut agir.
- La France co-présidera en juin prochain la Conférence internationale de haut niveau pour le règlement pacifique de la question palestinienne et la mise en œuvre de la solution à deux Etats organisée sous l'égide des Nations unies. La CNCDH engage le gouvernement français à placer au cœur des discussions l'impératif pour toutes les parties de respecter le droit international humanitaire. Elle rappelle que l'ensemble des Etats ont l'obligation, aux termes du droit international humanitaire, de le respecter et de le faire respecter. Ainsi, les Etats doivent tout mettre en œuvre pour faire cesser les violations massives du droit international humanitaire. Cette conférence internationale doit également être l'occasion de rappeler que le droit international humanitaire interdit notamment « sans équivoque et de manière absolue le meurtre sous toutes ses formes, les prises d'otages, les traitements inhumains ou dégradants, et la torture » (2). A cet égard, la CNCDH salue les nombreuses déclarations et actions des autorités françaises en faveur de la libération des otages israéliens capturés lors des attaques perpétrées le 7 octobre 2023.
L'interdit absolu d'utiliser la famine comme méthode de guerre :
- Comme la CNCDH a pu le souligner dans ses déclarations de novembre 2023 (3) et mars 2024 (4), le droit international humanitaire interdit expressément l'utilisation de la famine comme méthode de guerre, laquelle est également constitutive d'un crime de guerre aux termes du droit international pénal. La Cour pénale internationale (CPI) a d'ailleurs émis des mandats d'arrêt à l'encontre du Premier ministre Benyamin Netanyahou et de l'ancien ministre de la défense Yoav Gallant pour avoir utilisé la famine comme méthode de guerre et pour entrave à l'accès humanitaire (5). Le blocage total de l'aide humanitaire mis en place par Israël depuis début mars 2025 - ayant conduit à ce qu'une personne sur cinq à Gaza soit confrontée au niveau d'insécurité alimentaire le plus grave selon le Cadre Intégré de Classification de la sécurité alimentaire (6) - ne relève pas seulement d'une action moralement condamnable mais constitue aussi la violation d'un interdit absolu en droit international. Seule une forte mobilisation des Etats sur le respect du droit international humanitaire peut permettre d'enrayer ce que les Nations unies qualifient de « boucle meurtrière sans fin » (7) pour les civils, enfants, femmes et hommes. La CNCDH demande au gouvernement français de condamner fermement l'utilisation de la famine comme méthode de guerre, et d'amplifier, avec ses partenaires européens et internationaux, les initiatives qui visent à mettre un terme à toute restriction délibérée aux secours humanitaires.
L'obligation d'une assistance humanitaire impartiale :
- La CNCDH s'inquiète particulièrement des annonces récentes du gouvernement israélien visant à confier à des organisations privées, sous contrôle militaire, l'acheminement de l'aide humanitaire, et ce sans garanties du respect du droit international humanitaire ni des principes humanitaires. En effet, « l'aide humanitaire ne devrait jamais être conditionnée, ni même influencée, par des motifs d'ordre politique, diplomatique ou stratégique » (8). La CNCDH rappelle l'exigence d'une aide humanitaire impartiale et dénonce les tentatives de contournement par Israël de l'action et de la coordination des Nations unies. Elle demande au gouvernement français de ne participer ni directement ni indirectement à un tel projet. Elle salue à ce titre la récente prise de parole de la France devant la Cour internationale de justice (CIJ) en soutien à l'action de l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA). Ainsi, après avoir dénoncé la « situation humanitaire désastreuse dans la bande de Gaza » et pointé « l'interruption totale de l'aide humanitaire depuis le 2 mars, l'épuisement des produits essentiels y compris des stocks alimentaires, ainsi que la violence des opérations militaires dont beaucoup touchent les civils et les travailleurs humanitaires », la France a notamment appelé « Israël à coopérer avec ses partenaires internationaux y compris l'ONU afin d'assurer de toute urgence l'accès et la sécurité des opérations humanitaires dans la bande de Gaza et l'ensemble du Territoire palestinien occupé ». Elle a en outre rappelé qu'« à l'obligation d'Israël d'assurer un accès humanitaire au titre du droit international humanitaire, s'ajoutent plusieurs obligations tirées du droit international des droits de l'homme au regard du risque grave et imminent de famine auquel sont confrontés les civils palestiniens à Gaza » (9). La CNCDH recommande aux autorités françaises de poursuivre leurs efforts en ce sens, et d'appeler à la levée immédiate du blocus total imposé à Gaza.
L'obligation de prévention du génocide et de lutte contre l'impunité :
- Comme elle l'a rappelé dans ses déclarations adoptées en novembre 2023 (10) et janvier 2025 (11), la CNCDH insiste sur le fait que tous les Etats parties à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 doivent user de tous les moyens à leur disposition pour empêcher la survenance de ce crime ou le faire cesser. En outre, il incombe aux Etats membres des Nations unies de veiller à la bonne exécution des mesures conservatoires édictées par la CIJ qui enjoignent à Israël de prendre « toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l'incitation directe et publique à commettre le génocide à l'encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza » (12). Récemment, des membres du gouvernement israélien se sont exprimés en formulant le projet d'une « destruction et d'[une] dévastation totale » de la bande de Gaza. Or, l'utilisation du terme « destruction » renvoie à une intention génocidaire telle que définie par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (13). D'autres prises de parole officielles sont intervenues dans le même sens. Le ministre Bezalel Smotrich a ainsi indiqué que « Gaza sera entièrement détruite et les civils, envoyés dans le sud […] d'où ils commenceront à partir en grand nombre vers des pays tiers » (14). Le projet d'une reprise de contrôle total de certaines zones de la bande de Gaza de manière durable a également été affirmé par le Premier ministre israélien qui a indiqué que « les forces israéliennes n'interviendront pas pour ensuite se retirer. Nous ne sommes pas là pour ça. L'objectif est tout autre. » (15), puis le 12 mai dernier, devant des soldats réservistes, que : « Dans les prochains jours, nous entrerons avec toute notre force pour achever l'opération et vaincre le Hamas » […] Il n'y aura aucune situation où nous arrêterons la guerre » (16).
- Dans une communication conjointe du 7 mai dernier, des rapporteurs spéciaux des Nations unies soulignaient qu'« en continuant à soutenir Israël matériellement ou politiquement, notamment par des transferts d'armes et la fourniture de services militaires et de sécurité privés, les Etats risquaient de se rendre complices d'un génocide et d'autres crimes internationaux graves » (17). Cette communication donne toute sa pertinence à la demande de la CNCDH formulée auprès du gouvernement français de suspendre les licences d'exportation de matériels de guerre et de biens à double usage déjà octroyées ainsi que la délivrance de nouvelles autorisations d'exportation à destination d'Israël. Elle appelle en outre les autorités françaises à fournir au Parlement une information exhaustive, actualisée et détaillée sur les biens exportés vers Israël et ajoute la nécessité d'appeler nos partenaires européens et internationaux à faire de même auprès de leurs parlementaires.
- Comme la CNCDH l'a rappelé dans sa déclaration du 23 janvier 2025, en tant qu'Etat partie aux Conventions de Genève, la France a une obligation de rechercher, poursuivre et condamner, ou extrader, les auteurs présumés d'infractions graves (18), quelle que soit leur nationalité, leur qualité ou leur fonction. Plus encore, en tant qu'Etat partie au Statut de Rome, la France a également une obligation de coopération internationale et d'assistance judiciaire et est tenue d'exécuter les mandats d'arrêt de la CPI en arrêtant et en remettant à la CPI les personnes visées par de tels mandats dès lors qu'elles se trouvent sur le territoire français. Dans ce cadre, la jurisprudence internationale (19) et la jurisprudence nationale (20) établissent que la qualité officielle de chef d'Etat ou de chef de gouvernement ne peut constituer un obstacle à la régularité de ces mandats d'arrêt, et donc à leur mise en œuvre. Dès lors, le gouvernement français s'est placé en contradiction avec ces obligations et décisions précitées lorsqu'il a déclaré, le 27 novembre 2024, que le Premier ministre et d'autres ministres israéliens bénéficiaient d'immunités qui « devront être prises en considération si la CPI devait nous demander leur arrestation et remise » (21). La France a également méconnu son obligation de coopération lorsqu'elle a autorisé le Premier ministre et d'autres ministres israéliens, visés par un mandat d'arrêt de la CPI depuis le 21 novembre 2024, à circuler dans l'espace aérien français. C'est pourquoi, la CNCDH demande à nouveau au gouvernement français de retirer formellement sa déclaration du 27 novembre 2024, de se conformer à ses obligations au titre du Statut de la CPI et de s'engager à pleinement coopérer avec celle-ci pour lutter contre l'impunité.
- Enfin, la CNCDH s'alarme qu'un grand nombre de journalistes ont été tués par l'armée israélienne. Reporters sans frontières souligne, à cet égard, que la Palestine figure parmi les territoires les plus dangereux au monde pour la presse (22). La CNCDH tient à rappeler qu'aucun journaliste ne devrait être pris pour cible ou tué. La présence des journalistes dans la bande de Gaza est indispensable pour informer sur la réalité de la situation, et documenter la nature et l'ampleur des violations commises. Ils doivent pouvoir exercer librement et en sécurité leur mission d'information.
La nécessité d'une action au niveau européen :
- Outre le signal politique et diplomatique fort qui pourra être envoyé lors de la conférence internationale de juin au niveau des Nations unies, la CNCDH souligne l'importance d'actions concertées au niveau européen. A ce titre, elle salue les récentes déclarations du Président de la République et du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères s'associant à la demande néerlandaise de réexamen de l'accord d'association liant l'Union européenne et Israël (23). Lors de ce réexamen, la CNCDH rappelle que seuls les impératifs tenant à la protection des personnes civiles en temps de guerre devraient guider les décisions des autorités françaises et de leurs homologues (24). La CNCDH engage également les Etats de l'Union européenne à se prémunir contre tout « double standard » selon les conflits. Elle les exhorte à prendre contre les autorités israéliennes toutes les mesures propres à faire cesser les crimes de masse, tels que l'utilisation de la famine comme méthode de guerre.
- La CNCDH enjoint ainsi à la France et à ses partenaires de prendre toutes les mesures politiques, diplomatiques, juridiques et économiques pour que cesse la destruction en cours de Gaza et de sa population. Ces atrocités nous somment toutes et tous d'agir. Il en va de la crédibilité de l'ordre international, et plus encore de notre humanité commune.
(1) France Info - AFP, « Guerre au Proche-Orient : Israël approuve un plan prévoyant la “conquête de la bande de Gaza” », 5 mai 2025.
(2) CNCDH, Déclaration « Rappel des règles fondamentales du droit international humanitaire applicable dans le cadre du conflit impliquant le Hamas, d'autres groupes armés et Israël » (D - 2023 - 7), Assemblée plénière du 30 novembre 2023, JORF n° 0283 du 7 décembre 2023, texte n° 117.
(3) Déclaration de la CNCDH du 30 novembre 2023, précitée, paragraphe 6.
(4) CNCDH, Déclaration « Gaza : la famine comme méthode de guerre est un interdit fondamental » (D - 2024 - 1), Assemblée plénière du 28 mars 2024, JORF n° 0082 du 7 avril 2024, texte n° 54.
(5) Cour pénale internationale, 21 novembre 2024, Chambre préliminaire. Voir également Cour internationale de justice, Ordonnance relative à l'Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du sud c. Israël), 24 mai 2024, rôle général n° 192 ; dans laquelle la CIJ enjoint Israël à « prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture de base et de l'aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d'existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza ».
(6) Integrated Food Security Phase Classification, Gaza Strip: IPC accute food insecurity and acute malnutrition special snapshot, 12 mai 2025.
(7) (traduction libre) United Nations, Secretary-General's Press Encounter on Gaza, 8 avril 2025.
(8) CNCDH, Déclaration relative aux obligations de la France en matière de mise en œuvre du droit international humanitaire (D - 2025 - 1), Assemblée plénière du 23 janvier 2025, JORF n° 0027 du 1 février 2025, texte n° 96, para 14.
(9) Extrait issu de l'intervention française à l'occasion des Audiences publiques consacrées à la demande d'avis consultatif sur les Obligations d'Israël en ce qui concerne la présence et les activités de l'Organisation des Nations Unies, d'autres organisations internationales et d'Etats tiers dans le Territoire palestinien occupé et en lien avec celui-ci, 30 avril 2025.
(10) CNCDH, Déclaration « Rappel des règles fondamentales du droit international humanitaire applicable dans le cadre du conflit impliquant le Hamas, d'autres groupes armés et Israël » (D - 2023 - 7), Assemblée plénière du 30 novembre 2023, op.cit.
(11) CNCDH, Déclaration relative aux obligations de la France en matière de mise en œuvre du droit international humanitaire (D - 2025 - 1), Assemblée plénière du 23 janvier 2025, JORF n° 0027 du 1 février 2025, texte n° 96.
(12) Cour internationale de justice, Ordonnance du 24 mai 2024, op.cit.
(13) L'article 2 de cette Convention requiert pour caractériser le crime de génocide « l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Voir à ce sujet la tribune des professeurs Julian Fernandez et Olivier de Frouville, « Les déclarations du ministre israélien de la défense sont l'expression transparente d'une intention génocidaire à Gaza », Le Monde, 11 avril 2025. Dans sa déclaration du 23 janvier 2025, la CNCDH a rappelé que de nombreux chercheurs ou organisations, en particulier Amnesty International ou la Fédération internationale pour les droits humains, concluent à l'existence d'un génocide dans la bande de Gaza.
(14) France Info - AFP, « Guerre dans la bande de Gaza : l'enclave palestinienne "sera totalement détruite", affirme le ministre des Finances israélien », 6 mai 2025.
(15) Le Monde, « Guerre à Gaza : Israël s'apprête à lancer une offensive à grande échelle et à occuper durablement l'enclave », 6 mai 2025.
(16) France Info, « Guerre dans la bande de Gaza : l'armée israélienne appelle à évacuer “immédiatement” des zones du nord de l'enclave palestinienne », 13 mai 2025.
(17) Communication « Mettre un terme au génocide en cours ou le voir mettre fin à la vie à Gaza : des experts de l'ONU affirment que les Etats sont confrontés à un choix décisif », 7 mai 2025, https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2025/05/end-unfolding-genocide-or-watch-it-end-life-gaza-un-experts-say-states-face
(18) Les infractions graves aux Conventions de Genève sont celles spécifiquement énumérées aux articles 50/51/130/147 et qui fondent la compétence universelle. Toutes les infractions graves aux Conventions de Genève sont des crimes de guerre au sens du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI). Voir sur ce point CNCDH, Avis sur le respect et la protection du personnel humanitaire, 14 décembre 2020, Assemblée plénière du 14 décembre 2020, JORF n° 0307 du 20 décembre 2020, texte n° 86, §15.
(19) Voir la décision ICC-01/22-90 du 24 octobre 2024 de la chambre préliminaire II de la CPI concluant que la Mongolie a violé ses obligations internationales qui lui incombent en vertu du Statut de Rome en n'exécutant pas la demande de la Cour concernant l'arrestation et la remise de Vladimir Poutine alors qu'il se trouvait sur le territoire mongol et réaffirmant que l'immunité personnelle, y compris des chefs d'Etat, n'est pas opposable devant la CPI.
(20) Communiqué de presse du ministère de la justice, « Décision de la chambre de l'instruction concernant la régularité du mandat d'arrêt décerné à l'encontre du Président syrien Bachar Al Assad », 26 juin 2024.
(21) France diplomatie, « Israël - Cour pénale internationale (27 novembre 2024) », disponible sous www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/israel-territoires-palestiniens/article/israel-cour-penale-internationale-27-11-24.
(22) https://rsf.org/fr/classement-mondial-de-la-libert%C3%A9-de-la-presse-2025-plus-de-la-moiti%C3%A9-de-la-population-mondiale-dans
(23) L'article 2 de l'accord d'association entre l'UE et Israël prévoit que « les relations entre les parties, ainsi que toutes les dispositions de l'accord lui-même, sont fondées sur le respect des droits humains et des principes démocratiques, qui guide leur politique intérieure et internationale et constitue un élément essentiel du présent accord ».
(24) Déclaration de la CNCDH du 23 janvier 2025, précitée, paragraphe 14.
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