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Avis de la CNIL sur les caméras individuelles des agents de police et de gendarmerie
La Commission nationale de l'informatique et des libertés,
Saisie par le ministre de l'intérieur d'une demande d'avis concernant un projet de décret portant modification du titre IV du livre II du code de la sécurité intérieure ;
Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, notamment son titre III ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-817 DC du 20 mai 2021 ;
Après avoir entendu le rapport de Mme Sophie LAMBREMON, commissaire, et les observations de M. Benjamin TOUZANNE, commissaire du Gouvernement,
Emet l'avis suivant :
La Commission a été saisie, conformément à l'article 33-II de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, par le ministère de l'intérieur d'une saisine rectificative relative à un projet de décret portant modification du titre IV du livre II du code de la sécurité intérieure (CSI) relatif aux caméras individuelles des agents de la police et de la gendarmerie nationales.
Dans sa délibération n° 2022-005 du 20 janvier 2022, la Commission a déjà eu à se prononcer sur ce projet de décret ; elle regrette que certaines de ses observations n'aient pas été prises en compte à ce stade, notamment celle visant à ce que la garantie selon laquelle il n'y aura pas de mises en relation automatisées ou d'interconnexions avec d'autres traitements de données à caractère personnel soit précisée dans le projet de décret, ainsi que celle visant à ce que des critères repris de la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-817 du 20 mai 2021 soient mentionnés dans le projet de décret définissant les circonstances qui interdisent d'informer les personnes concernées avant le déclenchement de la caméra. Elle réitère donc lesdites observations.
L'article 14 de la loi n° 2022-052 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure a modifié l'article L. 241-1 du CSI, d'une part, en précisant que l'intégrité des enregistrements est garantie jusqu'à leur effacement et, d'autre part, en réduisant la durée de conservation des enregistrements audiovisuels de six à un mois. Le projet de décret rectificatif a été complété sur les deux points précités afin de prendre en compte l'entrée en vigueur de cette loi.
Le ministère a également souhaité apporter des précisions afin de clarifier le fonctionnement du mode « sécurité » des caméras.
Sur la compatibilité du dispositif retenu avec l'article L. 241-1 du CSI :
S'agissant des caméras en cause, la Commission comprend, à la lumière de l'ensemble des éléments transmis par le ministère dans le cadre de cette saisine et de la précédente, qu'il y aura trois modes de fonctionnement des caméras :
- le mode « normal » qui filme, enregistre, et supprime en continu l'enregistrement datant de plus de trente secondes, pour ne conserver en mémoire que les trente dernières secondes de mémoire tampon. Un signal lumineux vert fixe caractérise ce mode ;
- le mode « caméra activée » qui filme, enregistre en continu, et conserve les enregistrements, y compris les trente secondes de vidéo enregistrées avant le déclenchement de ce mode. Dans ce mode, un signal lumineux (deux voyants rouges qui clignotent) et sonore est activé. L'enregistrement porte donc sur toute la période pendant laquelle le signal lumineux est visible, ainsi que les trente secondes précédentes issues de la mémoire tampon ;
- le mode « sécurité » qui filme, enregistre, et supprime en continu l'enregistrement datant de plus de trente secondes, et pour lequel le signal lumineux est éteint. Le ministère indique que ce mode est utilisé dans certaines circonstances particulières, notamment lorsqu'il s'agit de désactiver les éléments sonores ou lumineux pouvant alerter un adversaire et guider des tirs hostiles.
Il ressort de ces éléments que les caméras, quel que soit le mode utilisé, procède à un enregistrement temporaire dans une mémoire tampon de trente secondes. Il en ressort également que la caméra ne peut être désactivée, de sorte que ces trois modes sont les seules possibilités offertes aux agents (pas d'extinction possible de la caméra par exemple). En outre, dans le cas où, une fois les agents porteurs revenus dans leur unité, les enregistrements sont par la suite transférés sur la station de stockage dédiée, les données conservées comprendront bien l'enregistrement réalisé lorsque la caméra est activée ainsi que les trente secondes qui précèdent cette activation. En revanche, si la caméra n'a pas été activée durant l'intervention, aucun enregistrement de la mémoire tampon ne sera conservé ni transféré sur la station de stockage.
Ainsi que cela a été souligné par le gouvernement, ce mode de fonctionnement des caméras était déjà connu de la Commission. Il avait en effet été constaté lors de contrôles antérieurs opérés par les services de la CNIL. L'existence d'une mémoire tampon et le fait que les trente seconde précédant l'activation de la caméra sont conservées en cas d'enregistrement n'avaient à l'époque pas donné lieu à des observations ou à une mise en demeure de la CNIL. Consciente de ce que ces échanges antérieurs n'ont pas permis d'alerter le ministère sur une éventuelle difficulté à ce sujet, le collège de la Commission ne peut cependant, à l'examen du dossier qui lui est soumis, que souligner qu'il s'interroge sur la compatibilité de ce mode de fonctionnement avec l'article L. 241-1 du CSI.
Il résulte en effets des dispositions de cet article que l'enregistrement par les caméras ne doit pas être permanent, qu'un signal visuel spécifique doit indiquer que la caméra est en train d'enregistrer et que le déclenchement de l'enregistrement doit faire l'objet d'une information des personnes filmées, sauf si les circonstances l'interdisent.
Quoique le dispositif, tel que décrit ci-dessus, conduise techniquement la caméra à procéder en permanence à un enregistrement de trente secondes dans une mémoire tampon, la Commission admet, comme le soutient le gouvernement, que la disposition de l'article L. 241-1, qui interdit qu'une caméra individuelle portée par un policier ou gendarme enregistre en permanence, vise à empêcher qu'un enregistrement de toute la durée d'une intervention puisse être conservé et consulté. Dans la mesure où, en l'espèce, l'enregistrement datant de plus de trente secondes est supprimé de manière systématique de la mémoire tampon, de sorte que si un agent n'a pas activé la caméra durant son intervention aucun enregistrement ne sera consultable et que, s'il l'a activée, seul un enregistrement de la durée d'activation augmentée de trente seconde sera conservé, la Commission admet que l'utilisation de cette mémoire tampon ne constitue pas un enregistrement permanent au sens de l'article L. 241-1 du CSI.
Cependant, la Commission s'interroge sur la conformité à l'article L. 241-1 du CSI de l'information visuelle et vocale qui est fournie aux personnes filmées. En effet, d'une part, il est prévu par l'article L. 241-1 du CSI qu'« un signal visuel spécifique indique si la caméra enregistre ». Le signal lumineux utilisé étant différent entre les modes « caméra activée » et « normal », et inexistant dans le mode « sécurité », il en résulte que, lorsque la caméra est activée, l'enregistrement des trente secondes précédant son activation est conservé alors que, pendant cette période, le signal lumineux avait indiqué une absence d'enregistrement, ou qu'il n'y avait aucun signal lumineux (si on était en mode sécurité).
D'autre part, l'article L. 241-1 du CSI prévoit que le déclenchement de l'enregistrement fait l'objet d'une information des personnes filmées, sauf si les circonstances l'interdisent. La Commission s'interroge sur la compatibilité du dispositif projeté avec cette disposition, éclairée par la décision du 20 mai 2021 précitée, dans laquelle le Conseil constitutionnel a relevé, d'une part, que cette information se fait « lors du déclenchement » de l'enregistrement et, d'autre part, que, si l'article L. 241-1 du CSI permet que le déclenchement de l'enregistrement puisse, par exception, ne pas faire l'objet d'une information des personnes concernées lorsque « les circonstances l'interdisent », ces circonstances recouvrent les seuls cas où cette information est « rendue impossible pour des raisons purement matérielles et indépendantes des motifs de l'intervention ». Or la Commission relève que l'enregistrement des trente secondes précédant le déclenchement de la caméra ne fait pas l'objet d'une information concomitante. Si le gouvernement souligne que l'information orale qui sera donnée pourra préciser qu'un enregistrement des trente secondes précédentes sera conservé, cette information, outre les difficultés pratiques que sa complexité pourrait entraîner pour les agents lors des opérations, intervient, par définition, après que l'enregistrement a été déclenché et réalisé.
Sur la modification de la durée de conservation des données et sur l'intégrité des enregistrements :
Les modifications projetées, qui visent à prendre en compte l'article 14 de la loi n° 2022-052 du 24 janvier 2022 précitée, n'appellent pas d'observation de la part de la Commission.
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