JORF n°0273 du 24 novembre 2019

Délibération n°2019-215 du 26 septembre 2019

Participaient à la séance : Jean-François CARENCO, président, Christine CHAUVET, Catherine EDWIGE et Ivan FAUCHEUX, commissaires.

  1. Contexte, compétence et saisine de la CRE

L'autoconsommation collective a été définie par l'ordonnance n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l'autoconsommation d'électricité. L'article L. 315-2 du code de l'énergie, créé par cette ordonnance, prévoyait qu'une opération d'autoconsommation était « collective » lorsque la fourniture d'électricité était effectuée entre un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs finals liés entre eux au sein d'une personne morale et dont les points de soutirage et d'injection étaient situés sur une même antenne basse tension du réseau public de distribution.
La loi n° 2017-227 du 24 février 2017 (1) a modifié les dispositions de cet article en précisant que les utilisateurs d'une opération d'autoconsommation collective doivent se situer en aval d'un même poste de transformation d'électricité de moyenne en basse tension (ci-après « poste HTA/BT »).
L'article 126 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (ci-après « loi PACTE ») a également modifié les dispositions de l'article L. 315-2 du code de l'énergie, à titre expérimental et pour une durée de cinq ans. Cet article précise désormais que :

  1. Une opération d'autoconsommation est collective lorsque la fourniture d'électricité est effectuée entre un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs finals liés entre eux au sein d'une personne morale et dont les points de soutirage et d'injection sont situés sur le réseau basse tension ;

  2. Un arrêté du ministre chargé de l'énergie fixe les critères additionnels, notamment de proximité géographique, que doit respecter une opération d'autoconsommation collective, après avis de la Commission de régulation de l'énergie (CRE).
    La CRE a été saisie, par courrier du 8 juillet 2019, reçu le 10 juillet 2019, d'un projet d'arrêté pris en application de l'article L. 315-2 du code de l'énergie tel que modifié par la loi PACTE.
    La présente délibération comporte une présentation du contenu de ce projet d'arrêté ainsi que les éléments d'analyse à l'appui desquels la CRE émet son avis.

  3. Description du projet d'arrêté
    2.1. Critères de proximité géographique et de puissance maximale que doit respecter une opération d'autoconsommation collective

Le projet d'arrêté soumis à la CRE prévoit, à son article 2, les critères suivants d'application de l'article L. 315-2 du code de l'énergie :

  1. « [Les participants à une opération d'autoconsommation collective] sont raccordés au réseau basse tension d'un unique gestionnaire du réseau public de distribution d'électricité et sont contenus dans un périmètre d'un kilomètre de rayon (défini comme une distance maximale de deux kilomètres entre deux participants au projet d'autoconsommation collective). La distance entre les sites participants à l'opération d'autoconsommation collective s'apprécie à partir :

- du point de livraison pour les sites de consommation ;
- du point d'injection pour les sites de production.

  1. La puissance cumulée des installations de production est inférieure à :

- 3 MW sur le territoire métropolitain continental ;
- 0,5 MW dans les zones non interconnectées.

Pour l'énergie solaire, la puissance considérée est la puissance crête. »

2.2. Collecte de données permettant un retour d'expérience

L'article 126 de la loi PACTE prévoit qu'avant le 31 décembre 2023, le ministère chargé de l'énergie et la Commission de régulation de l'énergie dressent un bilan de l'expérimentation.
L'article 3 du projet d'arrêté prévoit qu'afin d'assurer le suivi de cette expérimentation, les personnes morales organisatrices des opérations d'autoconsommation collective et les gestionnaires des réseaux de distribution d'électricité concernés collectent les informations mentionnées en annexe du projet d'arrêté relevant de leur responsabilité et les transmettent au ministre chargé de l'énergie. Ces données sont de trois types : informations à transmettre en amont du projet, données à transmettre annuellement durant l'expérimentation et données à transmettre avant le 1er janvier 2023 pour permettre l'évaluation de l'expérimentation.

  1. Analyse de la CRE

En substituant un critère de proximité géographique à un critère dépendant jusqu'alors de la topographie du réseau de distribution d'électricité, ce projet d'arrêté étend le champ d'action potentiel d'une opération d'autoconsommation collective. Une même opération pourrait effectivement selon ce critère concerner des participants raccordés en aval de plusieurs postes HTA/BT différents, pour autant que les points de livraison de ces participants soient situés à moins de deux kilomètres l'un de l'autre. Ce nouveau critère de proximité rend possible la réalisation de davantage d'opérations d'autoconsommation collective, tout en conservant la dimension « locale » inhérente à l'autoconsommation.
La CRE note toutefois que ce critère dilue la possibilité d'un éventuel avantage de l'autoconsommation collective en matière de dimensionnement du réseau électrique. Du point de vue du réseau, en effet, le poste de distribution publique HTA/BT délimite une « poche de réseau », dont il est le seul point d'entrée, permettant de garantir le caractère local des flux quand il y a injection et soutirage simultanés dans la poche. A l'inverse, une production et une consommation situées dans deux poches différentes, même proches géographiquement, peuvent être éloignées d'un point de vue électrique, et impliquent des transits sur les réseaux en HTA, voire en HTB.
Dès lors, la CRE rappelle que le tarif d'utilisation des réseaux publics de distribution d'électricité (TURPE) optionnel à destination des utilisateurs participant à une opération d'autoconsommation collective, introduit par la délibération du 7 juin 2018 (2) et reconduit dans la délibération n° 2018-148 du 28 juin 2018 (3), construit sur la distinction entre flux « alloproduits » et « autoproduits » (soit produits et consommés à l'aval d'un même poste HTA/BT), ne pourra s'appliquer qu'aux opérations d'autoconsommation collective dont l'ensemble des participants se situe à l'aval d'un même poste HTA/BT.
Par ailleurs, le critère de distance entre deux points de livraison est complété par un critère en puissance cumulée des installations de production participantes. Ce critère complémentaire garantit que les opérations d'autoconsommation collective conservent des proportions contenues.
La CRE rappelle que les opérations d'autoconsommation collective dérogent aux règles de droit commun applicables à la fourniture d'électricité, dans un cadre moins protecteur pour les consommateurs. Par exemple, la personne morale organisatrice d'une opération d'autoconsommation collective n'est pas soumise aux obligations spécifiques d'informations précontractuelles, ni à l'obligation de proposer un contrat d'une durée d'un an, ou de respecter les dispositions relatives à la facturation de l'électricité consommée. Le consommateur ne dispose pas du droit de résilier son contrat à tout moment sans frais, et est ainsi soumis aux conditions de résiliation fixées dans le contrat entre le consommateur et la personne morale organisatrice. Il ne peut pas non plus utiliser de « chèque énergie » pour s'acquitter de sa facture d'électricité autoconsommée.
Pour ces raisons, il est souhaitable que le cadre de l'opération d'autoconsommation collective reste limité à des opérations de taille modeste. La CRE estime à ce titre qu'une capacité cumulée de production de 3 MW, qui permet déjà la participation de plusieurs centaines de consommateurs résidentiels, constitue un plafond trop élevé dans le cadre d'une expérimentation. La CRE propose de limiter le plafond en métropole à 1 MW (ce qui représente déjà environ 1 ha de panneaux photovoltaïques).
Enfin, la CRE accueille favorablement l'article 3 du projet d'arrêté, concernant le retour d'expérience que réaliseront la CRE et le ministère chargé de l'énergie. La diversité des données demandées permettra d'évaluer les impacts des opérations d'autoconsommation collective réalisées concernant tant les droits des consommateurs y participant que l'impact de ces opérations sur les réseaux de distribution. La CRE estime toutefois que certaines pièces pourraient être demandées en complément, afin que le retour d'expérience puisse répondre aux objectifs suivants :

- Quantifier la rentabilité des projets réalisés et leur impact économique pour leurs différents participants (consommateurs et producteurs). A cette fin, il convient de demander à chaque porteur de projet :
- un plan d'affaires, sur la base d'un modèle établi par le ministère s'inspirant des plans d'affaires des appels d'offres, qui précise le montage financier retenu ;
- le contrat de vente de l'électricité produite en surplus ;
- une synthèse de l'impact financier pour chaque consommateur participant à l'opération (contribution à l'investissement et aux frais de gestion de l'opération, économies de facture, impact de l'éventuel pilotage de la consommation…).
- Comprendre l'impact potentiel de l'opération d'autoconsommation sur le réseau électrique. Ce sujet, déjà envisagé par le projet d'arrêté, nécessiterait en complément un accès aux informations suivantes :
- en plus de l'évolution de la pointe locale déjà mentionnée dans le projet d'arrêté, une présentation des sous-jacents de cette évolution (actions de pilotage mises en œuvre par exemple) est nécessaire ;
- sous réserve de leur consentement, les courbes de charge de chaque consommateur avant la mise en place de l'opération.
- Analyser l'impact de l'opération sur les consommateurs et les éventuels risques associés. Ce point est également déjà envisagé par le projet d'arrêté, et la CRE suggère pour pouvoir le traiter d'ajouter à la liste des documents demandés le contrat conclu entre les consommateurs et la personne morale.

Avis de la CRE

La CRE a été saisie le 8 juillet 2019, par la directrice de l'énergie du ministère de la transition écologique et solidaire, d'un projet d'arrêté fixant à titre expérimental, pour une durée de 5 ans, le critère de proximité géographique de l'autoconsommation collective, pris en application de l'article L. 315-2 du code de l'énergie.
Le développement de l'autoconsommation collective permet à davantage de parties prenantes de s'investir dans le système électrique français en s'échangeant de l'énergie produite localement, ce à quoi la CRE est favorable. Les opérations d'autoconsommation collective doivent toutefois s'inscrire dans un cadre précisément défini qui garantisse à la fois la protection des participants à ces opérations mais aussi, plus largement, celle de l'ensemble des utilisateurs des réseaux. L'autoconsommation collective ne doit à ce titre pas remettre en cause la péréquation tarifaire.
A ce sujet, la CRE souligne qu'en élargissant à titre temporaire le périmètre des opérations d'autoconsommation collective, cette expérimentation permet à davantage de ces opérations de se développer et de trouver leur rentabilité, mais elle méconnait la réalité des configurations des réseaux électriques. Les opérations réalisées selon cette définition ne pourront ainsi pas toutes permettre de faire baisser les coûts de réseaux.
De ce fait, le TURPE optionnel à destination des utilisateurs participant à une opération d'autoconsommation collective en vigueur restera réservé aux opérations au sein desquelles les consommateurs et producteurs sont raccordés en aval d'un même poste de transformation d'électricité de moyenne en basse tension (HTA/BT).
Par ailleurs, cette nouvelle définition permet à des opérations d'autoconsommation collective aux dimensions potentiellement massives de se développer. La CRE rappelle que ces opérations, qui dérogent aux règles de droit commun applicables à la fourniture d'électricité, offrent un cadre moins protecteur pour les consommateurs, et estime à ce titre que le plafond de puissance cumulée des installations de production participant devrait être limité à 1 MW.
La CRE souligne enfin l'importance du bilan de cette expérimentation, qu'elle mènera conjointement avec le ministère chargé de l'énergie avant le 31 décembre 2023.
Nonobstant les observations qui précèdent et sous réserve que le périmètre des opérations soit réduit à 1 MW en métropole et que la liste des pièces demandées soit complétée, la CRE émet un avis favorable au projet d'arrêté qui lui a été soumis.
La présente délibération sera publiée sur le site internet de la CRE et transmise au ministre de la transition écologique et solidaire.

Délibéré à Paris, le 26 septembre 2019.

Pour la Commission de régulation de l'énergie :

Le président,

J.-F. Carenco

(1) Loi n° 2017-227 du 24 février 2017 ratifiant les ordonnances n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l'autoconsommation d'électricité et n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d'électricité à partir d'énergies renouvelables et visant à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d'électricité et de gaz et aux énergies renouvelables.

(2) Délibération de la Commission de régulation de l'énergie du 7 juin 2018 portant décision sur la tarification de l'autoconsommation, et modification de la délibération de la CRE du 17 novembre 2016 portant décision sur les tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité dans les domaines de tension HTA et BT.

(3) Délibération de la CRE n° 2018-148 du 28 juin 2018 portant décision sur les tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité dans les domaines de tension HTA et BT.