JORF n°0041 du 17 février 2019

Participaient à la séance : Jean-François CARENCO, président, Christine CHAUVET, Catherine EDWIGE, Hélène GASSIN, Jean-Laurent LASTELLE et Jean-Pierre SOTURA, commissaires.
La présente délibération est prise en application des dispositions du règlement (UE) n° 347/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2013 concernant des orientations pour les infrastructures énergétiques transeuropéennes (le Règlement). Elle a pour objet d'adopter une décision conjointe de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et de la Comisión Nacional de los Mercados y la Competencia (CNMC) relative à la demande d'investissement portant sur projet d'infrastructure de transport de gaz « South Trans-East Pyrénées » (STEP), qui inclut une demande de répartition transfrontalière des coûts entre la France et l'Espagne, déposée par les gestionnaires de réseau de transport (GRT) français et espagnol, Teréga et Enagás, promoteurs du projet.

  1. Contexte et saisine de la CRE
    1.1. Le Règlement (UE) n° 347/2013

Le Règlement vise à promouvoir l'interconnexion des réseaux européens. Il introduit notamment la notion de projet d'intérêt commun (PIC) qui, dans le domaine du gaz, peut concerner des infrastructures de transport, de stockage ou de regazéification de gaz naturel liquéfié (GNL). Ces projets sont considérés comme nécessaires à la mise en œuvre des corridors prioritaires pour la construction du marché intérieur de l'énergie. Les interconnexions entre la France et l'Espagne relèvent du corridor « interconnexions nord-sud pour l'Europe de l'Ouest ».
Les Etats appartenant à un corridor prioritaire constituent un groupe régional chargé de la sélection des PIC, auquel participent des représentants des Etats membres, des autorités nationales de régulation et des opérateurs de réseau, ainsi que la Commission européenne, l'Agence pour la Coopération des Régulateurs de l'Energie (ACER) et le réseau européen des gestionnaires de réseau de transport de gaz (ENTSOG). Sur la base de demandes soumises par les porteurs de projets, ces groupes régionaux proposent des listes régionales de PIC qui sont adoptées sous la forme d'un règlement délégué par la Commission européenne.
Parmi les mesures destinées à favoriser la réalisation des PIC, le Règlement prévoit des mécanismes de financement visant à pallier les problèmes de viabilité commerciale des projets lorsque ceux-ci font obstacle à la prise de décision d'investissement. L'article 12 du Règlement dispose ainsi que, à la demande des porteurs de projet et sur la base d'une analyse des coûts et bénéfices d'un PIC pour les pays concernés, les autorités de régulation nationales décident, de manière coordonnée, d'une répartition des coûts d'investissement dans les six mois à compter de la date de réception de la demande d'investissement.

1.2. Cadre de développement des interconnexions entre la France et la péninsule Ibérique

L'amélioration de l'intégration des marchés de l'électricité et du gaz est une priorité de la politique énergétique européenne. En particulier, assurer un niveau satisfaisant d'interconnexion entre la France et la péninsule Ibérique et au sein de la péninsule est un objectif partagé par les gouvernements espagnol, français et portugais, ainsi que la Commission européenne. Cet objectif a été traduit dans la déclaration de Madrid du 4 mars 2015 signée par les chefs d'Etat et de gouvernement de la région et le président de la Commission européenne. Dans la déclaration de Madrid, les signataires ont décidé de la mise en place d'un groupe de haut niveau pour les interconnexions au sud-ouest de l'Europe présidé par la Commission européenne et dont le rôle serait d'assurer la bonne mise en œuvre des objectifs de développement des interconnexions.
Dans ce contexte, la Commission européenne a lancé plusieurs études visant à évaluer l'intérêt de la création de nouvelles capacités d'interconnexion pour le gaz. En ce qui concerne le projet STEP, gazoduc reliant les réseaux espagnol et français à l'est des Pyrénées sans procéder aux renforcements de réseau nécessaires à la création de capacité ferme, la Commission européenne a mandaté le cabinet Pöyry pour réaliser une étude sur les coûts et bénéfices du projet. Publiée le 27 avril 2018, elle est venue compléter des études techniques réalisées par les opérateurs de réseau de transport espagnol et français, Enagás, Teréga et GRTgaz, qui ont analysé la disponibilité effective des capacités créées selon différents scénarios de flux sur les réseaux français et espagnol.
STEP a été inclus, en novembre 2017, dans la troisième liste des PIC approuvée par le Conseil et le Parlement européen.

1.3. Demande d'investissement de Teréga et Enagás pour le projet STEP

Teréga et Enagás ont déposé une demande d'investissement pour le projet STEP auprès des autorités de régulation nationales qu'ils estimaient être concernées sur la base des analyses coûts-bénéfices, à savoir la CRE et la CNMC, en tant qu'autorités compétentes pour l'approbation et la réalisation du projet, et l'autorité de régulation portugaise, l'Entidade reguladora dos serviços energéticos (ERSE), au titre du bénéfice que le Portugal obtiendrait du projet et qui justifierait, selon les promoteurs, sa contribution au financement du projet le cas échéant. La demande d'investissement incluait en effet une demande de répartition des coûts entre l'Espagne, la France et le Portugal.
La demande d'investissement a été reçue le 23 juillet 2018 par la CRE. Après évaluation des pièces fournies par les porteurs du projet, les autorités de régulation ont considéré que le dossier était complet et en ont notifié l'ACER.

  1. Le projet STEP et la demande d'investissement des GRT

Le dossier soumis par les GRT comprend un document principal ainsi que plusieurs analyses et études, notamment :
- les études techniques et économiques des cabinets Pöyry et Frontier Economics sur lesquelles est basée l'analyse coûts-bénéfices des promoteurs ;
- les études techniques conduites par GRTgaz, Teréga et Enagás pour évaluer les conditions d'interruption des capacités ;
- les analyses de risque de dérives des coûts.

Le dossier comprend également les résultats des consultations menées par les promoteurs. En mars 2018, conformément au Règlement, Teréga et Enagás ont consulté les GRT des Etats membres où le projet pourrait avoir un impact significatif. Parmi les trois GRT consultés, le GRT portugais REN et le GRT espagnol Reganosa ont émis un avis positif sur le projet STEP. Ils émettent néanmoins des réserves importantes sur la répartition des bénéfices, et sur ses conséquences en termes de répartition des coûts. Ainsi, selon Reganosa, davantage de coûts devraient être alloués à la partie française car ses bénéfices seraient sous-estimés. Pour sa part, REN considère que les bénéfices attendus pour le Portugal seraient insuffisants pour justifier qu'une part des coûts lui soit allouée. Enfin, GRTgaz, le dernier GRT consulté, a émis un avis négatif sur le projet STEP.

En avril 2018, les promoteurs ont consulté les acteurs du marché. Ils ont inclus les résultats de cette consultation dans leur dossier de demande d'investissement. Ils ont reçu 24 réponses d'expéditeurs, de traders, d'utilisateurs finals, d'associations de consommateurs, d'organismes représentatifs, d'opérateurs et d'organisations non gouvernementales. La plupart des participants à la consultation ont exprimé leur scepticisme au sujet de la nécessité de STEP en particulier pour les raisons suivantes :
- les capacités d'interconnexion existantes ne sont pas congestionnées ;
- il n'y a aucun intérêt commercial ; et,
- l'analyse coûts-bénéfices du projet n'a pas clairement démontré que les bénéfices l'emportaient sur les coûts. Le fait que seules des capacités interruptibles soient offertes contribue également manque d'intérêt du marché.

Surtout, aucun des participants potentiellement concernés n'a manifesté d'intérêt pour réserver des capacités qui seraient créées par STEP.

2.1. Description du projet STEP

Le projet STEP constituerait une troisième interconnexion gazière entre la France et l'Espagne, à l'est des Pyrénées, et nécessiterait les investissements suivants :
- sur le territoire français, un nouveau gazoduc reliant Barbaira à la frontière espagnole en Occitanie et l'adaptation de l'actuelle station de compression à Barbaira ;
- sur le territoire espagnol, deux nouvelles canalisations reliant Hostalrich à Figueres et Figueres à la frontière française, ainsi qu'une nouvelle station de compression à Martorell, toutes situées en Catalogne.

Le tableau ci-dessous résume les principales caractéristiques de ces infrastructures :

| GRT | Infrastructure |Diamètre - Pression / Puissance|Longueur| |-----------------------------|----------------------------|-------------------------------|--------| | Teréga |Barbaira-Frontière espagnole| DM900-PMS 80 bar | 120 km | | Enagás | Hostalrich-Figueras | DM900-PMS 80 bar | 79 km | |Figueras-Frontrière française| DM900-PMS 80 bar | 28 km | | | CS Martorell | 36 MW | --- | |

Le projet STEP permettrait la création des capacités suivantes :

| Pays |Type de capacité|Capacité par pays (GWh/j)| | |-------------|----------------|-------------------------|---| | France | Interruptible | Entrée |230| | Sortie | 180 | | | | Espagne | Ferme | Entrée |110| | Sortie | 120 | | | |Interruptible| Entrée | 70 | | | Sortie | 110 | | |

2.2. Estimation des coûts

Enagás et Teréga ont estimé les coûts associés au projet STEP, pour sa construction et pendant les 20 premières années après la mise en service de la nouvelle interconnexion, soit jusqu'en 2042. Dans leur demande d'investissement, les promoteurs présentent ces montants actualisés en euros 2023, année théorique de mise en service de l'interconnexion.
Selon Enagás et Teréga, les investissements nécessaires à la réalisation de STEP représentent les montants suivants :

| GRT | Infrastructure |CAPEX (M€ courants)|Total (M€2023)| |----------------------------|----------------------------|-------------------|--------------| | Teréga |Barbaira-Frontière espagnole| 290 | 315 | | Enagás | Hostalrich-Figueras | 72 | 169 | |Figueras-Frontière française| 27 | | | | CS Martorell | 53 | | | | Total | 442 | 484 | |

Les promoteurs ont également réalisé une prévision des charges d'exploitation qui seraient générées par ces nouvelles infrastructures lorsqu'elles seraient en service :

| GRT |OPEX
(M€/an)|Total 2023-2042
(M€2023)| |------|--------------------|--------------------------------| |Teréga| 3,0 | 42 | |Enagás| 4,25 | 60 | |Total | 7,25 | 102 |

La valeur actualisée en 2023 des coûts du projet s'élève donc à 587 M€2023, avec la répartition suivante :

| GRT |CAPEX
(M€2023)|OPEX 2023-2042
(M€2023)|Total
(M€2023)| |------|----------------------|-------------------------------|----------------------| |Teréga| 315 | 42 | 358 | |Enagás| 169 | 60 | 229 | |Total | 484 | 102 | 587 |

2.3. Estimation des bénéfices

Enagás et Teréga ont estimé les bénéfices découlant du projet STEP pendant les 20 premières années suivant sa mise en service, soit jusqu'en 2042. Dans leur demande d'investissement, les promoteurs présentent ces montants actualisés en euros 2023, année théorique de mise en service de l'interconnexion.

2.3.1. Méthode et hypothèses

Les bénéfices présentés dans la demande d'investissement des promoteurs se fondent sur deux études.
D'une part, la Commission a mandaté le cabinet Pöyry, en association avec VIS, pour réaliser une analyse coûts-bénéfices selon une méthodologie cohérente avec celle développée par l'ENTSOG, conformément à l'article 11 du Règlement. L'analyse des bénéfices vise principalement à examiner les répercussions de l'ajout d'une infrastructure sur le coût de l'approvisionnement en gaz à l'échelle européenne et examine également certains indicateurs quantitatifs et qualitatifs plus généraux.
Pour conduire cette analyse, le consultant a utilisé une série de scénarios construits sur la base des scénarios Green Revolution et Blue Transition élaborés dans le cadre du Plan décennal de développement du réseau d'ENTSOG de 2017 (1). En plus de ces deux scénarios centraux, quatre déviations ont été étudiées afin d'évaluer l'impact de l'abondance ou de la rareté du GNL et du gaz algérien sur la valeur du projet. Pour chacun de ces scénarios, le marché européen du gaz a été modélisé avec et sans STEP.

| | 1. Green Revolution | 2. Green Rev / LNG+5 | 3. Green Rev / LNG+5 / OIES Alg | 4. Green Rev / LNG+10 / OIES Alg | 5. Blue Transition | 6. Blue Transition / Competitive LNG | |----------------------------|-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------|---------------------------------------------------------------------------------------------------------------|--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------|---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------|-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------|--------------------------------------------------------------------------------------------------| | Description |Scénario d'ENTSOG Green Revolution :
demande limitée, hypothèse centrale de Pöyry concernant les conditions d'approvisionnement|Hypothèses similaires au scénario Green Revolution, avec un coût d'approvisionnement en GNL augmenté de 5 €/MWh|Hypothèses similaires au scénario Green Revolution, avec un coût d'approvisionnement en GNL augmenté de 5 €/MWh, et des capacités d'exportation algériennes réduites|Hypothèses similaires au scénario Green Revolution, avec un coût d'approvisionnement en GNL augmenté de 10 €/MWh, et des capacités d'exportation algériennes réduites| Scénario d'ENTSOG Blue Transition : demande élevée, hypothèse centrale de Pöyry concernant les conditions d'approvisionnement |Hypothèses similaires au scénario Blue Transition avec un approvisionnement en GNL plus compétitif| | Demande | Green Revolution (~ 380 Gm3 en 2030) | Blue Transition (~ 480 Gm3 en 2030) | | | | | | Infrastructures | Existantes, ou dont l'investissement est décidé, ou figurant dans la 2nd liste de PIC | | | | | | |Capacité d'approvisionnement| En ligne avec les hypothèses maximales et minimales d'ENTSOG | Approvisionnement depuis l'Algérie réduit (15 Gm3 en 2030) | En ligne avec les hypothèses d'ENTSOG | | | | | Coûts d'approvisionnement | Hypothèses centrales de Pöyry (marché du GNL compétitif avec un niveau de prix général de 20€/MWh) | Hypothèses centrales de Pöyry, avec un prix du GNL relevé de 5 €/MWh (marché tendu) | Hypothèses centrales de Pöyry, avec un prix du GNL relevé de 10 €/MWh (marché très tendu) | Hypothèses centrales de Pöyry |Hypothèses centrales de Pöyry, avec un marché du GNL plus compétitif (niveau de prix général de 15€/MWh inférieur au prix des approvisionnements européens par gazoducs).| |

D'autre part, une seconde étude a été réalisée à la demande de Teréga, qui estimait que l'analyse des bénéfices réalisée selon la méthodologie d'ENTSOG ne permettait pas d'identifier tous les bénéfices que l'on pouvait attendre de STEP. Teréga a mandaté le cabinet Frontier Economics pour entreprendre d'autres analyses plus larges, sans remettre pour autant en question les bénéfices déjà identifiés par Pöyry. Teréga a ainsi identifié et quantifié trois types de bénéfices additionnels non valorisés l'analyse de Pöyry en application de la méthodologie élaborée par l'ENTSOG. Ces bénéfices supplémentaires correspondent à une amélioration de la liquidité du marché et de la concurrence en France, en Espagne et au Portugal, et à des investissements évités pour le réseau de transport français.

2.3.2. Bénéfices socio-économiques calculés en cohérence avec la méthode d'analyse coûts-bénéfices d'ENTSOG (issus de l'étude Pöyry)

Dans tous les scénarios étudiés par Pöyry, le projet STEP permettrait une augmentation des flux de gaz de la France vers la péninsule Ibérique (des flux de l'Espagne vers la France ne sont envisagés que dans le scénario Blue Transition après 2035). Les bénéfices identifiés correspondent donc très majoritairement à une meilleure compétitivité de l'approvisionnement en gaz et à une diminution des coûts de production d'électricité à partir du gaz. Ces bénéfices sont presqu'exclusivement localisés dans la péninsule Ibérique.
Ces bénéfices estimés pour chacun des scénarios considérés par Pöyry sont présentés dans le tableau suivant :

| M€2023 |Bénéfices socio-économiques (2023-2042)| | | | | |-------------------------------------|---------------------------------------|-------|--------|------|-----| | | France |Espagne|Portugal|Autres|Total| | Green revolution | - 46 | 200 | 34 |- 106| 83 | | Green revolution / LNG+5 | - 72 | 707 | 128 |- 418| 345 | | Green Revolution / LNG+5 / OIES Alg | - 5 | 371 | 59 | 27 | 452 | |Green Revolution / LNG+10 / OIES Alg.| - 13 | 625 | 97 |- 64 | 644 | | Blue Transition | 12 | - 12 | - 1 | 14 | 13 | | Moyenne | - 25 | 378 | 63 |- 109| 307 |

2.3.3. Bénéfices supplémentaires identifiés par les promoteurs

Trois types de bénéfices supplémentaires ont été identifiés par Teréga.

2.3.3.1. Investissements évités

Selon Teréga, la réalisation du projet STEP permettrait d'éviter des renforcements de réseaux régionaux dans les zones de Narbonne et Perpignan, d'un montant évalué à 52 millions d'euros 2023.
Sur ce point, la CRE tient à souligner que Teréga n'avait pas informé la CRE d'un tel besoin de renforcement des réseaux régionaux et que ces investissements ont pour la première fois été évoqués dans le cadre des discussions sur le développement des interconnexions entre les GRT, la Commission européenne et les autorités publiques françaises, espagnoles et portugaises. La première mention formelle de ce projet de renforcement figure dans le dernier Plan décennal de développement, que Teréga a publié en octobre 2018, soit trois mois après que sa demande d'investissement pour le projet STEP ait été soumise aux autorités de régulation.

2.3.3.2. Liquidité

Teréga et Enagás considèrent que la nouvelle capacité créée par le projet STEP augmenterait la liquidité du marché. Selon eux, les coûts de transaction diminueraient par conséquent de l'ordre de 5 % en France, en Espagne et au Portugal (2) (ce qui correspondrait à des bénéfices sur la durée de vie du projet allant de 191 M€2023 à 608 M€2023 selon les scénarios).

| M€2023 |Bénéfices associés à une amélioration de la liquidité (2023-2042)| | | | | |-------------------------------------|-----------------------------------------------------------------|-------|--------|------|-----| | | France |Espagne|Portugal|Autres|Total| | Green revolution | 78 | 179 | 28 | 0 | 285 | | Green revolution / LNG+5 | 82 | 203 | 31 | 0 | 317 | | Green Revolution / LNG+5 / OIES Alg | 86 | 236 | 36 | 0 | 359 | |Green Revolution / LNG+10 / OIES Alg.| 89 | 450 | 69 | 0 | 608 | | Blue Transition | 62 | 113 | 16 | 0 | 191 | | Moyenne | 80 | 236 | 36 | 0 | 352 |

2.3.3.3. Concurrence

Selon Teréga et Enagás, le projet STEP pourrait contribuer à renforcer la concurrence et à réduire les marges des fournisseurs sur le marché de détail, au profit des consommateurs finals. Cette hypothèse est justifiée de la manière suivante :
Les promoteurs relèvent qu'il y a actuellement, sur les marchés de détail, 21 fournisseurs actifs en France et 9 en Espagne. Parmi ces fournisseurs, 5 sont actifs à la fois en France et en Espagne. Enagás et Teréga suggèrent que STEP pourrait contribuer à l'entrée, respectivement sur le marché français et sur le marché espagnol, de 4 et 16 fournisseurs supplémentaires.
Les promoteurs estiment par conséquent que le bénéfice des fournisseurs diminuerait de 0,375 % à 0,5 %, tant en France qu'en Espagne (ce qui correspondrait à des bénéfices sur la durée de vie du projet compris entre 97 M€2023 et 130 M€2023 selon les scénarios, la moyenne étant de 123 M€2023).

| M€2023 |Bénéfices associés à une amélioration de la concurrence (2023-2042)| | | | | |-------------------------------------|-------------------------------------------------------------------|-------|--------|------|-----| | | France |Espagne|Portugal|Autres|Total| | Green revolution | 93 | 35 | 2 | 0 | 130 | | Green revolution / LNG+5 | 93 | 35 | 2 | 0 | 130 | | Green Revolution / LNG+5 / OIES Alg | 93 | 35 | 2 | 0 | 130 | |Green Revolution / LNG+10 / OIES Alg.| 93 | 35 | 2 | 0 | 130 | | Blue Transition | 70 | 26 | 2 | 0 | 97 | | Moyenne | 88 | 33 | 2 | 0 | 123 |

La CRE a fait parvenir à la Commission européenne, le 4 décembre 2017, une note détaillant les faiblesses méthodologiques de l'analyse justifiant ces bénéfices associés à une amélioration de la liquidité et de la concurrence. Cette note est publiée sur le site internet de la CRE.

  1. Principaux éléments d'analyse retenus dans la décision conjointe de la CRE et de la CNMC

Après avoir analysé les éléments fournis par les porteurs de projet dans la demande d'investissement, la CNMC et la CRE sont arrivées aux conclusions suivantes :

  1. Les promoteurs n'ont pas soumis un projet offrant de la capacité d'interconnexion ferme.
    Les capacités de transport entre la France et l'Espagne créées par le projet STEP sont définies comme interruptibles. Il s'agit là d'un facteur qui pèse de manière fortement négative sur l'intérêt du projet et sa contribution à promouvoir des prix compétitifs et stables pour les consommateurs de la région.
  2. Le marché n'a manifesté aucun intérêt commercial pour de nouvelles capacités d'interconnexion.
    Les expéditeurs ont été consultés à plusieurs reprises et ont pu exprimer leur demande de capacités supplémentaires entre la France et l'Espagne (soit lors d'appels au marché engageants, soit lors de consultations non engageantes) :

- évaluation de la demande du marché en 2017 (sur la base d'indications de demande non-engageantes) en application du Règlement 2017/459 (CAM NC) ;
- consultation des acteurs de marché spécifique réalisée par les promoteurs de STEP en mars 2018 ;
- deux consultations de la Commission européenne par le biais de l'ancienne plateforme « Votre point de vue sur l'Europe » dans le cadre de la deuxième et de la troisième liste PIC ;
- analyses réalisées lors de l'élaboration du Plan décennal de développement du réseau de l'ENTSOG de 2017 et lors du processus de sélection des PIC 2017 ;
- deux appels au marché réalisés par Enagás, GRTgaz et Teréga en 2009 et 2010 pour évaluer les demandes engageantes des utilisateurs du réseau pour des capacités d'interconnexion supplémentaires.

Aucune de ces consultations n'a permis d'identifier un besoin de capacité suffisant pour justifier la réalisation d'une nouvelle interconnexion.
3. La capacité actuelle d'interconnexion entre la France et l'Espagne n'est pas saturée.
La capacité actuelle d'interconnexion n'est pas entièrement réservée. D'importantes capacités interruptibles sont déjà disponibles mais font l'objet de peu de souscriptions.
4. Le coût du projet est élevé par rapport aux moyennes européennes.
Le coût du projet, mesuré en termes de coûts unitaires d'investissement, est élevé par rapport aux moyennes européennes et aux estimations de l'ACER. Les coûts unitaires d'investissement entre Barbaira et la frontière avec l'Espagne, compte tenu des spécificités du projet STEP, sont importants, et nettement plus élevés que ceux affichés du côté espagnol.
5. Le projet ne garantit pas l'alignement des prix entre les marchés gaziers en France et en Espagne.
Le manque d'intérêt commercial pour des capacités supplémentaires entre la France et l'Espagne et le caractère interruptible des capacités proposées ne permettront pas aux expéditeurs de signer des contrats d'approvisionnement de gaz à long terme fondés sur ces nouvelles capacités. En conséquence, le projet ne permettra pas d'améliorer la compétitivité de l'approvisionnement en gaz de la péninsule Ibérique. De plus, dans l'analyse coûts-bénéfices, le fait que le projet ne crée pas de capacité ferme n'est pas pleinement pris en compte dans l'estimation du niveau de capacité d'interconnexion réservée. Cela conduit notamment à surestimer les recettes supposées provenir des réservations de capacité.
6. L'analyse coûts-bénéfices du projet ne montre pas clairement que ses bénéfices l'emportent sur ses coûts dans les scénarios les plus crédibles.
L'analyse coûts-bénéfices présentée par les promoteurs s'appuie largement sur les résultats de l'étude réalisée par Pöyry, mandatée par la Commission européenne, qui utilise une méthodologie cohérente avec celle développée par ENTSOG, conformément à l'article 11 du Règlement. L'analyse coûts-bénéfice a pour objet principal d'examiner les effets de l'ajout d'une infrastructure sur les coûts de l'approvisionnement européen, en utilisant par ailleurs des indicateurs quantitatifs/qualitatifs plus larges dans le cadre du modèle ENTSOG du marché européen du gaz. Cette étude examine six scénarios. Seuls deux d'entre eux mettent en évidence des bénéfices supérieurs aux coûts. Les deux scénarios les plus généralement acceptés donnent quant à eux un rapport coûts-bénéfices négatif (Green Revolution et Blue Transition). Ce n'est en effet que dans les deux scénarios les plus extrêmes (GNL très cher et approvisionnement en provenance d'Algérie restreint) que le projet aurait un bénéfice net positif. Dans ces scénarios, tous les bénéfices, selon l'étude Pöyry, sont concentrés en Espagne et au Portugal.
Dans leur demande d'investissement, les promoteurs ont ajouté des bénéfices calculés dans le cadre d'une étude confiée au cabinet Frontier Economics visant à évaluer des effets sur la liquidité et la concurrence. Pour des raisons de méthodologie et considérant le caractère interruptible des capacités créées, ces bénéfices ne sont pas recevables.
Enfin, en ce qui concerne les bénéfices correspondant à des investissements évités sur le réseau de Teréga, la CRE émet de fortes réserves quant à la nécessité de tels renforcements.

Décision de la CRE

Le 23 juillet 2018, Enagás et Teréga ont déposé auprès de la CRE la version complète de leur demande d'investissement incluant une demande de répartition transfrontalière des coûts pour le projet STEP, qui consiste en la création de capacités interruptibles entre la France et l'Espagne.
A la suite de leur évaluation conjointe des éléments présentés par les porteurs du projet, la CRE et la CNMC sont convenues que le projet STEP, dans sa configuration et ses capacités actuelles, ne répond pas aux besoins du marché et ne présente pas une maturité suffisante pour pouvoir faire l'objet d'une décision favorable des régulateurs et, a fortiori, pour faire l'objet d'une décision de répartition transfrontalière des coûts conformément à l'article 12, paragraphe 3, du Règlement. Par conséquent, la CRE, conjointement avec la CNMC, rejette la demande d'investissement.
L'instruction de cette demande a été réalisée conjointement avec la CNMC, l'autorité de régulation espagnole.
La CRE adopte la décision, annexée à la présente délibération, conjointement élaborée avec la CNMC, par laquelle il est conclu au rejet de la demande d'investissement relative au projet d'interconnexion STEP proposé par Enagás et Teréga.
La décision conjointe annexée à la présente délibération sera transmise à l'ACER et notifiée à Teréga.
La présente délibération sera publiée sur le site internet de la CRE et au Journal officiel de la République française et sera transmise au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.


Historique des versions

Version 1

Participaient à la séance : Jean-François CARENCO, président, Christine CHAUVET, Catherine EDWIGE, Hélène GASSIN, Jean-Laurent LASTELLE et Jean-Pierre SOTURA, commissaires.

La présente délibération est prise en application des dispositions du règlement (UE) n° 347/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2013 concernant des orientations pour les infrastructures énergétiques transeuropéennes (le Règlement). Elle a pour objet d'adopter une décision conjointe de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et de la Comisión Nacional de los Mercados y la Competencia (CNMC) relative à la demande d'investissement portant sur projet d'infrastructure de transport de gaz « South Trans-East Pyrénées » (STEP), qui inclut une demande de répartition transfrontalière des coûts entre la France et l'Espagne, déposée par les gestionnaires de réseau de transport (GRT) français et espagnol, Teréga et Enagás, promoteurs du projet.

1. Contexte et saisine de la CRE

1.1. Le Règlement (UE) n° 347/2013

Le Règlement vise à promouvoir l'interconnexion des réseaux européens. Il introduit notamment la notion de projet d'intérêt commun (PIC) qui, dans le domaine du gaz, peut concerner des infrastructures de transport, de stockage ou de regazéification de gaz naturel liquéfié (GNL). Ces projets sont considérés comme nécessaires à la mise en œuvre des corridors prioritaires pour la construction du marché intérieur de l'énergie. Les interconnexions entre la France et l'Espagne relèvent du corridor « interconnexions nord-sud pour l'Europe de l'Ouest ».

Les Etats appartenant à un corridor prioritaire constituent un groupe régional chargé de la sélection des PIC, auquel participent des représentants des Etats membres, des autorités nationales de régulation et des opérateurs de réseau, ainsi que la Commission européenne, l'Agence pour la Coopération des Régulateurs de l'Energie (ACER) et le réseau européen des gestionnaires de réseau de transport de gaz (ENTSOG). Sur la base de demandes soumises par les porteurs de projets, ces groupes régionaux proposent des listes régionales de PIC qui sont adoptées sous la forme d'un règlement délégué par la Commission européenne.

Parmi les mesures destinées à favoriser la réalisation des PIC, le Règlement prévoit des mécanismes de financement visant à pallier les problèmes de viabilité commerciale des projets lorsque ceux-ci font obstacle à la prise de décision d'investissement. L'article 12 du Règlement dispose ainsi que, à la demande des porteurs de projet et sur la base d'une analyse des coûts et bénéfices d'un PIC pour les pays concernés, les autorités de régulation nationales décident, de manière coordonnée, d'une répartition des coûts d'investissement dans les six mois à compter de la date de réception de la demande d'investissement.

1.2. Cadre de développement des interconnexions entre la France et la péninsule Ibérique

L'amélioration de l'intégration des marchés de l'électricité et du gaz est une priorité de la politique énergétique européenne. En particulier, assurer un niveau satisfaisant d'interconnexion entre la France et la péninsule Ibérique et au sein de la péninsule est un objectif partagé par les gouvernements espagnol, français et portugais, ainsi que la Commission européenne. Cet objectif a été traduit dans la déclaration de Madrid du 4 mars 2015 signée par les chefs d'Etat et de gouvernement de la région et le président de la Commission européenne. Dans la déclaration de Madrid, les signataires ont décidé de la mise en place d'un groupe de haut niveau pour les interconnexions au sud-ouest de l'Europe présidé par la Commission européenne et dont le rôle serait d'assurer la bonne mise en œuvre des objectifs de développement des interconnexions.

Dans ce contexte, la Commission européenne a lancé plusieurs études visant à évaluer l'intérêt de la création de nouvelles capacités d'interconnexion pour le gaz. En ce qui concerne le projet STEP, gazoduc reliant les réseaux espagnol et français à l'est des Pyrénées sans procéder aux renforcements de réseau nécessaires à la création de capacité ferme, la Commission européenne a mandaté le cabinet Pöyry pour réaliser une étude sur les coûts et bénéfices du projet. Publiée le 27 avril 2018, elle est venue compléter des études techniques réalisées par les opérateurs de réseau de transport espagnol et français, Enagás, Teréga et GRTgaz, qui ont analysé la disponibilité effective des capacités créées selon différents scénarios de flux sur les réseaux français et espagnol.

STEP a été inclus, en novembre 2017, dans la troisième liste des PIC approuvée par le Conseil et le Parlement européen.

1.3. Demande d'investissement de Teréga et Enagás pour le projet STEP

Teréga et Enagás ont déposé une demande d'investissement pour le projet STEP auprès des autorités de régulation nationales qu'ils estimaient être concernées sur la base des analyses coûts-bénéfices, à savoir la CRE et la CNMC, en tant qu'autorités compétentes pour l'approbation et la réalisation du projet, et l'autorité de régulation portugaise, l'Entidade reguladora dos serviços energéticos (ERSE), au titre du bénéfice que le Portugal obtiendrait du projet et qui justifierait, selon les promoteurs, sa contribution au financement du projet le cas échéant. La demande d'investissement incluait en effet une demande de répartition des coûts entre l'Espagne, la France et le Portugal.

La demande d'investissement a été reçue le 23 juillet 2018 par la CRE. Après évaluation des pièces fournies par les porteurs du projet, les autorités de régulation ont considéré que le dossier était complet et en ont notifié l'ACER.

2. Le projet STEP et la demande d'investissement des GRT

Le dossier soumis par les GRT comprend un document principal ainsi que plusieurs analyses et études, notamment :

- les études techniques et économiques des cabinets Pöyry et Frontier Economics sur lesquelles est basée l'analyse coûts-bénéfices des promoteurs ;

- les études techniques conduites par GRTgaz, Teréga et Enagás pour évaluer les conditions d'interruption des capacités ;

- les analyses de risque de dérives des coûts.

Le dossier comprend également les résultats des consultations menées par les promoteurs. En mars 2018, conformément au Règlement, Teréga et Enagás ont consulté les GRT des Etats membres où le projet pourrait avoir un impact significatif. Parmi les trois GRT consultés, le GRT portugais REN et le GRT espagnol Reganosa ont émis un avis positif sur le projet STEP. Ils émettent néanmoins des réserves importantes sur la répartition des bénéfices, et sur ses conséquences en termes de répartition des coûts. Ainsi, selon Reganosa, davantage de coûts devraient être alloués à la partie française car ses bénéfices seraient sous-estimés. Pour sa part, REN considère que les bénéfices attendus pour le Portugal seraient insuffisants pour justifier qu'une part des coûts lui soit allouée. Enfin, GRTgaz, le dernier GRT consulté, a émis un avis négatif sur le projet STEP.

En avril 2018, les promoteurs ont consulté les acteurs du marché. Ils ont inclus les résultats de cette consultation dans leur dossier de demande d'investissement. Ils ont reçu 24 réponses d'expéditeurs, de traders, d'utilisateurs finals, d'associations de consommateurs, d'organismes représentatifs, d'opérateurs et d'organisations non gouvernementales. La plupart des participants à la consultation ont exprimé leur scepticisme au sujet de la nécessité de STEP en particulier pour les raisons suivantes :

- les capacités d'interconnexion existantes ne sont pas congestionnées ;

- il n'y a aucun intérêt commercial ; et,

- l'analyse coûts-bénéfices du projet n'a pas clairement démontré que les bénéfices l'emportaient sur les coûts. Le fait que seules des capacités interruptibles soient offertes contribue également manque d'intérêt du marché.

Surtout, aucun des participants potentiellement concernés n'a manifesté d'intérêt pour réserver des capacités qui seraient créées par STEP.

2.1. Description du projet STEP

Le projet STEP constituerait une troisième interconnexion gazière entre la France et l'Espagne, à l'est des Pyrénées, et nécessiterait les investissements suivants :

- sur le territoire français, un nouveau gazoduc reliant Barbaira à la frontière espagnole en Occitanie et l'adaptation de l'actuelle station de compression à Barbaira ;

- sur le territoire espagnol, deux nouvelles canalisations reliant Hostalrich à Figueres et Figueres à la frontière française, ainsi qu'une nouvelle station de compression à Martorell, toutes situées en Catalogne.

Le tableau ci-dessous résume les principales caractéristiques de ces infrastructures :

GRT

Infrastructure

Diamètre - Pression / Puissance

Longueur

Teréga

Barbaira-Frontière espagnole

DM900-PMS 80 bar

120 km

Enagás

Hostalrich-Figueras

DM900-PMS 80 bar

79 km

Figueras-Frontrière française

DM900-PMS 80 bar

28 km

CS Martorell

36 MW

---

Le projet STEP permettrait la création des capacités suivantes :

Pays

Type de capacité

Capacité par pays (GWh/j)

France

Interruptible

Entrée

230

Sortie

180

Espagne

Ferme

Entrée

110

Sortie

120

Interruptible

Entrée

70

Sortie

110

2.2. Estimation des coûts

Enagás et Teréga ont estimé les coûts associés au projet STEP, pour sa construction et pendant les 20 premières années après la mise en service de la nouvelle interconnexion, soit jusqu'en 2042. Dans leur demande d'investissement, les promoteurs présentent ces montants actualisés en euros 2023, année théorique de mise en service de l'interconnexion.

Selon Enagás et Teréga, les investissements nécessaires à la réalisation de STEP représentent les montants suivants :

GRT

Infrastructure

CAPEX (M€ courants)

Total (M€2023)

Teréga

Barbaira-Frontière espagnole

290

315

Enagás

Hostalrich-Figueras

72

169

Figueras-Frontière française

27

CS Martorell

53

Total

442

484

Les promoteurs ont également réalisé une prévision des charges d'exploitation qui seraient générées par ces nouvelles infrastructures lorsqu'elles seraient en service :

GRT

OPEX

(M€/an)

Total 2023-2042

(M€2023)

Teréga

3,0

42

Enagás

4,25

60

Total

7,25

102

La valeur actualisée en 2023 des coûts du projet s'élève donc à 587 M€2023, avec la répartition suivante :

GRT

CAPEX

(M€2023)

OPEX 2023-2042

(M€2023)

Total

(M€2023)

Teréga

315

42

358

Enagás

169

60

229

Total

484

102

587

2.3. Estimation des bénéfices

Enagás et Teréga ont estimé les bénéfices découlant du projet STEP pendant les 20 premières années suivant sa mise en service, soit jusqu'en 2042. Dans leur demande d'investissement, les promoteurs présentent ces montants actualisés en euros 2023, année théorique de mise en service de l'interconnexion.

2.3.1. Méthode et hypothèses

Les bénéfices présentés dans la demande d'investissement des promoteurs se fondent sur deux études.

D'une part, la Commission a mandaté le cabinet Pöyry, en association avec VIS, pour réaliser une analyse coûts-bénéfices selon une méthodologie cohérente avec celle développée par l'ENTSOG, conformément à l'article 11 du Règlement. L'analyse des bénéfices vise principalement à examiner les répercussions de l'ajout d'une infrastructure sur le coût de l'approvisionnement en gaz à l'échelle européenne et examine également certains indicateurs quantitatifs et qualitatifs plus généraux.

Pour conduire cette analyse, le consultant a utilisé une série de scénarios construits sur la base des scénarios Green Revolution et Blue Transition élaborés dans le cadre du Plan décennal de développement du réseau d'ENTSOG de 2017 (1). En plus de ces deux scénarios centraux, quatre déviations ont été étudiées afin d'évaluer l'impact de l'abondance ou de la rareté du GNL et du gaz algérien sur la valeur du projet. Pour chacun de ces scénarios, le marché européen du gaz a été modélisé avec et sans STEP.

1. Green Revolution

2. Green Rev / LNG+5

3. Green Rev / LNG+5 / OIES Alg

4. Green Rev / LNG+10 / OIES Alg

5. Blue Transition

6. Blue Transition / Competitive LNG

Description

Scénario d'ENTSOG Green Revolution :

demande limitée, hypothèse centrale de Pöyry concernant les conditions d'approvisionnement

Hypothèses similaires au scénario Green Revolution, avec un coût d'approvisionnement en GNL augmenté de 5 €/MWh

Hypothèses similaires au scénario Green Revolution, avec un coût d'approvisionnement en GNL augmenté de 5 €/MWh, et des capacités d'exportation algériennes réduites

Hypothèses similaires au scénario Green Revolution, avec un coût d'approvisionnement en GNL augmenté de 10 €/MWh, et des capacités d'exportation algériennes réduites

Scénario d'ENTSOG Blue Transition : demande élevée, hypothèse centrale de Pöyry concernant les conditions d'approvisionnement

Hypothèses similaires au scénario Blue Transition avec un approvisionnement en GNL plus compétitif

Demande

Green Revolution (~ 380 Gm3 en 2030)

Blue Transition (~ 480 Gm3 en 2030)

Infrastructures

Existantes, ou dont l'investissement est décidé, ou figurant dans la 2nd liste de PIC

Capacité d'approvisionnement

En ligne avec les hypothèses maximales et minimales d'ENTSOG

Approvisionnement depuis l'Algérie réduit (15 Gm3 en 2030)

En ligne avec les hypothèses d'ENTSOG

Coûts d'approvisionnement

Hypothèses centrales de Pöyry (marché du GNL compétitif avec un niveau de prix général de 20€/MWh)

Hypothèses centrales de Pöyry, avec un prix du GNL relevé de 5 €/MWh (marché tendu)

Hypothèses centrales de Pöyry, avec un prix du GNL relevé de 10 €/MWh (marché très tendu)

Hypothèses centrales de Pöyry

Hypothèses centrales de Pöyry, avec un marché du GNL plus compétitif (niveau de prix général de 15€/MWh inférieur au prix des approvisionnements européens par gazoducs).

D'autre part, une seconde étude a été réalisée à la demande de Teréga, qui estimait que l'analyse des bénéfices réalisée selon la méthodologie d'ENTSOG ne permettait pas d'identifier tous les bénéfices que l'on pouvait attendre de STEP. Teréga a mandaté le cabinet Frontier Economics pour entreprendre d'autres analyses plus larges, sans remettre pour autant en question les bénéfices déjà identifiés par Pöyry. Teréga a ainsi identifié et quantifié trois types de bénéfices additionnels non valorisés l'analyse de Pöyry en application de la méthodologie élaborée par l'ENTSOG. Ces bénéfices supplémentaires correspondent à une amélioration de la liquidité du marché et de la concurrence en France, en Espagne et au Portugal, et à des investissements évités pour le réseau de transport français.

2.3.2. Bénéfices socio-économiques calculés en cohérence avec la méthode d'analyse coûts-bénéfices d'ENTSOG (issus de l'étude Pöyry)

Dans tous les scénarios étudiés par Pöyry, le projet STEP permettrait une augmentation des flux de gaz de la France vers la péninsule Ibérique (des flux de l'Espagne vers la France ne sont envisagés que dans le scénario Blue Transition après 2035). Les bénéfices identifiés correspondent donc très majoritairement à une meilleure compétitivité de l'approvisionnement en gaz et à une diminution des coûts de production d'électricité à partir du gaz. Ces bénéfices sont presqu'exclusivement localisés dans la péninsule Ibérique.

Ces bénéfices estimés pour chacun des scénarios considérés par Pöyry sont présentés dans le tableau suivant :

M€2023

Bénéfices socio-économiques (2023-2042)

France

Espagne

Portugal

Autres

Total

Green revolution

- 46

200

34

- 106

83

Green revolution / LNG+5

- 72

707

128

- 418

345

Green Revolution / LNG+5 / OIES Alg

- 5

371

59

27

452

Green Revolution / LNG+10 / OIES Alg.

- 13

625

97

- 64

644

Blue Transition

12

- 12

- 1

14

13

Moyenne

- 25

378

63

- 109

307

2.3.3. Bénéfices supplémentaires identifiés par les promoteurs

Trois types de bénéfices supplémentaires ont été identifiés par Teréga.

2.3.3.1. Investissements évités

Selon Teréga, la réalisation du projet STEP permettrait d'éviter des renforcements de réseaux régionaux dans les zones de Narbonne et Perpignan, d'un montant évalué à 52 millions d'euros 2023.

Sur ce point, la CRE tient à souligner que Teréga n'avait pas informé la CRE d'un tel besoin de renforcement des réseaux régionaux et que ces investissements ont pour la première fois été évoqués dans le cadre des discussions sur le développement des interconnexions entre les GRT, la Commission européenne et les autorités publiques françaises, espagnoles et portugaises. La première mention formelle de ce projet de renforcement figure dans le dernier Plan décennal de développement, que Teréga a publié en octobre 2018, soit trois mois après que sa demande d'investissement pour le projet STEP ait été soumise aux autorités de régulation.

2.3.3.2. Liquidité

Teréga et Enagás considèrent que la nouvelle capacité créée par le projet STEP augmenterait la liquidité du marché. Selon eux, les coûts de transaction diminueraient par conséquent de l'ordre de 5 % en France, en Espagne et au Portugal (2) (ce qui correspondrait à des bénéfices sur la durée de vie du projet allant de 191 M€2023 à 608 M€2023 selon les scénarios).

M€2023

Bénéfices associés à une amélioration de la liquidité (2023-2042)

France

Espagne

Portugal

Autres

Total

Green revolution

78

179

28

0

285

Green revolution / LNG+5

82

203

31

0

317

Green Revolution / LNG+5 / OIES Alg

86

236

36

0

359

Green Revolution / LNG+10 / OIES Alg.

89

450

69

0

608

Blue Transition

62

113

16

0

191

Moyenne

80

236

36

0

352

2.3.3.3. Concurrence

Selon Teréga et Enagás, le projet STEP pourrait contribuer à renforcer la concurrence et à réduire les marges des fournisseurs sur le marché de détail, au profit des consommateurs finals. Cette hypothèse est justifiée de la manière suivante :

Les promoteurs relèvent qu'il y a actuellement, sur les marchés de détail, 21 fournisseurs actifs en France et 9 en Espagne. Parmi ces fournisseurs, 5 sont actifs à la fois en France et en Espagne. Enagás et Teréga suggèrent que STEP pourrait contribuer à l'entrée, respectivement sur le marché français et sur le marché espagnol, de 4 et 16 fournisseurs supplémentaires.

Les promoteurs estiment par conséquent que le bénéfice des fournisseurs diminuerait de 0,375 % à 0,5 %, tant en France qu'en Espagne (ce qui correspondrait à des bénéfices sur la durée de vie du projet compris entre 97 M€2023 et 130 M€2023 selon les scénarios, la moyenne étant de 123 M€2023).

M€2023

Bénéfices associés à une amélioration de la concurrence (2023-2042)

France

Espagne

Portugal

Autres

Total

Green revolution

93

35

2

0

130

Green revolution / LNG+5

93

35

2

0

130

Green Revolution / LNG+5 / OIES Alg

93

35

2

0

130

Green Revolution / LNG+10 / OIES Alg.

93

35

2

0

130

Blue Transition

70

26

2

0

97

Moyenne

88

33

2

0

123

La CRE a fait parvenir à la Commission européenne, le 4 décembre 2017, une note détaillant les faiblesses méthodologiques de l'analyse justifiant ces bénéfices associés à une amélioration de la liquidité et de la concurrence. Cette note est publiée sur le site internet de la CRE.

3. Principaux éléments d'analyse retenus dans la décision conjointe de la CRE et de la CNMC

Après avoir analysé les éléments fournis par les porteurs de projet dans la demande d'investissement, la CNMC et la CRE sont arrivées aux conclusions suivantes :

1. Les promoteurs n'ont pas soumis un projet offrant de la capacité d'interconnexion ferme.

Les capacités de transport entre la France et l'Espagne créées par le projet STEP sont définies comme interruptibles. Il s'agit là d'un facteur qui pèse de manière fortement négative sur l'intérêt du projet et sa contribution à promouvoir des prix compétitifs et stables pour les consommateurs de la région.

2. Le marché n'a manifesté aucun intérêt commercial pour de nouvelles capacités d'interconnexion.

Les expéditeurs ont été consultés à plusieurs reprises et ont pu exprimer leur demande de capacités supplémentaires entre la France et l'Espagne (soit lors d'appels au marché engageants, soit lors de consultations non engageantes) :

- évaluation de la demande du marché en 2017 (sur la base d'indications de demande non-engageantes) en application du Règlement 2017/459 (CAM NC) ;

- consultation des acteurs de marché spécifique réalisée par les promoteurs de STEP en mars 2018 ;

- deux consultations de la Commission européenne par le biais de l'ancienne plateforme « Votre point de vue sur l'Europe » dans le cadre de la deuxième et de la troisième liste PIC ;

- analyses réalisées lors de l'élaboration du Plan décennal de développement du réseau de l'ENTSOG de 2017 et lors du processus de sélection des PIC 2017 ;

- deux appels au marché réalisés par Enagás, GRTgaz et Teréga en 2009 et 2010 pour évaluer les demandes engageantes des utilisateurs du réseau pour des capacités d'interconnexion supplémentaires.

Aucune de ces consultations n'a permis d'identifier un besoin de capacité suffisant pour justifier la réalisation d'une nouvelle interconnexion.

3. La capacité actuelle d'interconnexion entre la France et l'Espagne n'est pas saturée.

La capacité actuelle d'interconnexion n'est pas entièrement réservée. D'importantes capacités interruptibles sont déjà disponibles mais font l'objet de peu de souscriptions.

4. Le coût du projet est élevé par rapport aux moyennes européennes.

Le coût du projet, mesuré en termes de coûts unitaires d'investissement, est élevé par rapport aux moyennes européennes et aux estimations de l'ACER. Les coûts unitaires d'investissement entre Barbaira et la frontière avec l'Espagne, compte tenu des spécificités du projet STEP, sont importants, et nettement plus élevés que ceux affichés du côté espagnol.

5. Le projet ne garantit pas l'alignement des prix entre les marchés gaziers en France et en Espagne.

Le manque d'intérêt commercial pour des capacités supplémentaires entre la France et l'Espagne et le caractère interruptible des capacités proposées ne permettront pas aux expéditeurs de signer des contrats d'approvisionnement de gaz à long terme fondés sur ces nouvelles capacités. En conséquence, le projet ne permettra pas d'améliorer la compétitivité de l'approvisionnement en gaz de la péninsule Ibérique. De plus, dans l'analyse coûts-bénéfices, le fait que le projet ne crée pas de capacité ferme n'est pas pleinement pris en compte dans l'estimation du niveau de capacité d'interconnexion réservée. Cela conduit notamment à surestimer les recettes supposées provenir des réservations de capacité.

6. L'analyse coûts-bénéfices du projet ne montre pas clairement que ses bénéfices l'emportent sur ses coûts dans les scénarios les plus crédibles.

L'analyse coûts-bénéfices présentée par les promoteurs s'appuie largement sur les résultats de l'étude réalisée par Pöyry, mandatée par la Commission européenne, qui utilise une méthodologie cohérente avec celle développée par ENTSOG, conformément à l'article 11 du Règlement. L'analyse coûts-bénéfice a pour objet principal d'examiner les effets de l'ajout d'une infrastructure sur les coûts de l'approvisionnement européen, en utilisant par ailleurs des indicateurs quantitatifs/qualitatifs plus larges dans le cadre du modèle ENTSOG du marché européen du gaz. Cette étude examine six scénarios. Seuls deux d'entre eux mettent en évidence des bénéfices supérieurs aux coûts. Les deux scénarios les plus généralement acceptés donnent quant à eux un rapport coûts-bénéfices négatif (Green Revolution et Blue Transition). Ce n'est en effet que dans les deux scénarios les plus extrêmes (GNL très cher et approvisionnement en provenance d'Algérie restreint) que le projet aurait un bénéfice net positif. Dans ces scénarios, tous les bénéfices, selon l'étude Pöyry, sont concentrés en Espagne et au Portugal.

Dans leur demande d'investissement, les promoteurs ont ajouté des bénéfices calculés dans le cadre d'une étude confiée au cabinet Frontier Economics visant à évaluer des effets sur la liquidité et la concurrence. Pour des raisons de méthodologie et considérant le caractère interruptible des capacités créées, ces bénéfices ne sont pas recevables.

Enfin, en ce qui concerne les bénéfices correspondant à des investissements évités sur le réseau de Teréga, la CRE émet de fortes réserves quant à la nécessité de tels renforcements.

Décision de la CRE

Le 23 juillet 2018, Enagás et Teréga ont déposé auprès de la CRE la version complète de leur demande d'investissement incluant une demande de répartition transfrontalière des coûts pour le projet STEP, qui consiste en la création de capacités interruptibles entre la France et l'Espagne.

A la suite de leur évaluation conjointe des éléments présentés par les porteurs du projet, la CRE et la CNMC sont convenues que le projet STEP, dans sa configuration et ses capacités actuelles, ne répond pas aux besoins du marché et ne présente pas une maturité suffisante pour pouvoir faire l'objet d'une décision favorable des régulateurs et, a fortiori, pour faire l'objet d'une décision de répartition transfrontalière des coûts conformément à l'article 12, paragraphe 3, du Règlement. Par conséquent, la CRE, conjointement avec la CNMC, rejette la demande d'investissement.

L'instruction de cette demande a été réalisée conjointement avec la CNMC, l'autorité de régulation espagnole.

La CRE adopte la décision, annexée à la présente délibération, conjointement élaborée avec la CNMC, par laquelle il est conclu au rejet de la demande d'investissement relative au projet d'interconnexion STEP proposé par Enagás et Teréga.

La décision conjointe annexée à la présente délibération sera transmise à l'ACER et notifiée à Teréga.

La présente délibération sera publiée sur le site internet de la CRE et au Journal officiel de la République française et sera transmise au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.