JORF n°0241 du 18 octobre 2018

Participaient à la séance : Jean-François CARENCO, président, Christine CHAUVET, Catherine EDWIGE, Hélène GASSIN, Jean-Laurent LASTELLE et Jean-Pierre SOTURA, commissaires.
La présente délibération est prise en application des dispositions du règlement (UE) n° 347/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2013 concernant des orientations pour les infrastructures énergétiques transeuropéennes (le Règlement). En application de l'article 12 de ce dernier, elle a pour objet d'établir une décision de répartition transfrontalière des coûts du projet de modification des réseaux de transport de gaz naturel français et belge nécessaire à la conversion au gaz H de la zone actuellement approvisionnée en gaz B. Les gestionnaires de réseau de transport (GRT) de gaz naturel, GRTgaz et Fluxys Belgium, sont les promoteurs du projet respectivement pour la France et la Belgique. Cette décision conjointe des régulateurs nationaux, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) pour la France et la Commission de régulation de l'électricité et du gaz (CREG) pour la Belgique, se fonde sur la demande d'investissement des GRT et, en particulier, sur l'analyse des coûts et des bénéfices du projet.

  1. Contexte et saisine de la CRE
    1.1. Le Règlement (UE) n° 347/2013

Le Règlement (UE) n° 347/2013 vise à promouvoir l'interconnexion des réseaux européens. Il introduit notamment la notion de projet d'intérêt commun (PIC) qui, dans le domaine du gaz, peut concerner des infrastructures de transport, de stockage souterrain ou les installations de réception, de stockage et de regazéification ou de décompression du gaz naturel liquéfié (GNL) ou du gaz naturel comprimé (GNC). Ces projets sont considérés comme nécessaires à la mise en œuvre des corridors prioritaires pour la construction du marché intérieur de l'énergie. La France appartient à deux corridors prioritaires dans le secteur du gaz :
Les interconnexions Nord-Sud de gaz en Europe de l'Ouest qui vise à développer les infrastructures gazières pour les flux gaziers Nord-Sud en Europe de l'Ouest en vue de diversifier davantage les voies d'approvisionnement et d'améliorer la capacité de livraison du gaz à court terme. Les États membres concernés sont l'Allemagne, la Belgique, le Danemark, l'Espagne, la France, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, le Portugal et le Royaume-Uni ;
Le Corridor gazier sud-européen visant à développer les infrastructures pour le transport de gaz depuis le bassin de la mer Caspienne, l'Asie centrale, le Moyen-Orient et l'Est du bassin méditerranéen vers l'Union en vue d'accroître la diversification de l'approvisionnement gazier. Les États membres concernés sont l'Allemagne, l'Autriche, la Bulgarie, Chypre, la Croatie, la France, la Grèce, la Hongrie, l'Italie, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie.
Les Etats appartenant à un corridor prioritaire constituent un groupe régional chargé de la sélection des projets d'intérêt commun, auquel participent des représentants des Etats membres, des autorités nationales de régulation et des opérateurs de réseau, ainsi que la Commission européenne, l'Agence pour la coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) et le réseau européen des gestionnaires de réseau de transport de gaz (ENTSOG). Les listes régionales de projets d'intérêt commun sont établies sur la base d'une demande de sélection soumise par les porteurs de projets.
Parmi les mesures destinées à favoriser la réalisation des PIC, le Règlement prévoit des mécanismes de financement visant à pallier les problèmes de viabilité commerciale des projets lorsque ceux-ci font obstacle à la prise de décision d'investissement. L'article 12 du Règlement dispose ainsi que, à la demande des porteurs de projet et sur la base d'une analyse des coûts et bénéfices d'un PIC pour les pays concernés, les autorités de régulation nationales compétentes décident, de manière coordonnée, d'une répartition des coûts d'investissement dans les six mois à compter de la réception de la dernière demande d'investissement. Cette décision ouvre la possibilité de solliciter une aide financière de l'Union européenne au titre de l'article 14 du Règlement.

1.2. Recommandation de l'ACER n° 05/2015 définissant des bonnes pratiques pour les décisions de répartition des coûts des projets d'intérêt commun

L'ACER a publié une recommandation le 18 décembre 2015, définissant des bonnes pratiques pour le traitement des demandes d'investissement dans le cadre du Règlement. Cette recommandation développe des lignes directrices notamment en ce qui concerne la maturité du projet nécessaire pour procéder à une répartition des coûts, la consultation des GRT des pays non hôtes du projet sur lesquels ce dernier a un impact, et la coopération entre les régulateurs. Elle recommande en particulier de ne procéder à une répartition des coûts que dans le cas où le projet a un impact net négatif sur l'un des pays hôtes.

1.3. Demande d'investissement de GRTgaz et de Fluxys Belgium

GRTgaz et Fluxys Belgium ont déposé une demande d'investissement visant à obtenir une décision conjointe des autorités de régulation nationales française et belge (respectivement la Commission de régulation de l'électricité et du gaz et la Commission de régulation de l'énergie, ci-après dénommées CREG et CRE ) sur la répartition des coûts pour le projet de modification des réseaux de transport français et belges nécessaire à la conversion au gaz H des parties des réseaux de transport alimentées en gaz B en France et en Belgique. Cette demande a été reçue le 27 septembre 2018 par la CRE et la CREG.
Après évaluation du dossier, les autorités de régulation ont considéré que le projet était suffisamment mature et que la demande d'investissement était complète. La CRE et la CREG en ont notifié l'ACER le 28 septembre 2018.

  1. Le projet de conversion et la demande des GRT

Une partie des territoires de la France et de la Belgique est actuellement alimentée par du gaz naturel à bas pouvoir calorifique (gaz B), issu principalement du gisement de Groningue aux Pays-Bas. La déplétion progressive du gisement ne permet pas d'envisager la prolongation des contrats d'approvisionnement depuis les Pays-Bas vers la France et la Belgique au-delà de leurs termes actuels (jusqu'en 2029). Afin d'assurer la continuité d'approvisionnement des 2,8 millions de consommateurs de cette région, il est nécessaire de convertir les réseaux de gaz naturel pour leur permettre d'accepter du gaz à haut pouvoir calorifique (gaz H) qui alimente le reste des territoires français et belges. En outre, les tremblements de terre dans la région de production pourraient conduire le gouvernement néerlandais à réduire encore plus rapidement la production de gaz B et nécessiter une accélération du calendrier de conversion.
En conséquence, bien que ce projet ne vise pas à la création de capacité de transport supplémentaire, la conversion au gaz H des parties des réseaux de transport alimentées en gaz B en France et en Belgique a été reconnue comme une priorité pour le Corridor des interconnexions gazières au Nord-Ouest de l'Europe. Ce projet a été inscrit au Plan décennal de développement du réseau à l'échelle européenne (Ten-Year Network Development Plan - TYNDP) préparé par le Réseau européen des gestionnaires de réseau de transport de gaz (ENTSOG) en 2017 et s'est vu accorder le statut de Projet d'intérêt commun (PIC) en 2017 (sous le numéro 5.21). Dans ce cadre, Fluxys Belgium et GRTgaz, ont déposé une demande d'investissement pour une partie du projet de conversion au gaz H des parties des réseaux de transport alimentées en gaz B en France et en Belgique.
En Belgique, l'objectifs du projet est d'adapter l'infrastructure de transport de gaz de Fluxys Belgium de manière à ce que le marché du gaz B en Belgique et en France puisse être complètement converti au gaz H d'ici 2030 (fin des exportations de gaz B des Pays Bas). Pour ce faire, l'infrastructure en gaz H de Fluxys Belgium sera progressivement connectée et intégrée à l'infrastructure en gaz B, principalement au niveau de l'installation existante de Winksele où les infrastructures gazières H et B sont physiquement proches les unes des autres mais non connectées.
En France, le plan de conversion du gaz B en gaz H est divisé en deux phases principales :

  1. Une phase pilote avec la conversion d'environ 100 000 consommateurs entre 2018 et 2020 ; ces travaux sont déjà en cours et ne sont pas visés par la demande d'investissement des GRT ;

  2. Une phase de déploiement avec des conversions à partir de 2021 jusqu'en 2028. La demande d'investissement des GRT concerne la première partie de cette phase de déploiement, avec des investissements devant être décidés en 2019 et réalisés avant 2023.
    La demande d'investissement des GRT porte sur 44 M€ pour GRTgaz (soit 41 M€2017) et 23,7 M€ pour Fluxys Begium (soit 23 M€2017).

  3. Analyse conjointe de la CRE et de la CREG

Les projets de conversion au gaz H des réseaux acheminant du gaz B sont étudiés par la CREG et la CRE depuis plusieurs années.
En Belgique, le processus de conversion a été officiellement lancé par les autorités en octobre 2017 est également décrit et mis à la disposition du public via le site Web public suivant : https://www.legazchange.be/fr.
En France, la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a introduit deux nouveaux articles confiant aux gestionnaires de réseaux de transport et de distribution la mission de mettre en œuvre les dispositions nécessaires pour garantir l'approvisionnement des utilisateurs de leurs réseaux en cas de modification de la nature du gaz acheminé. Dans ce cadre, les gestionnaires d'infrastructures ont pour mission d'élaborer conjointement un plan de conversion qui a fait l'objet d'un avis positif de la CRE en mars 2018 à la suite de l'évaluation technico-économique qu'elle avait menée.
Les éléments fournis par les GRT dans leur demande d'investissement conjointe sont cohérents avec les plans de conversion établis en France et en Belgique.

3.1. Calendrier

Concernant le calendrier prévisionnel de réalisation du projet, la CREG et la CRE considèrent que la coordination entre les deux GRT est bien prise en compte, la mise en œuvre en Belgique du projet d'investissement concernant Winksele se déroule durant la période allant de mai 2020 à juin 2022. Ce calendrier tient compte de l'état d'avancement du projet de conversion en France, afin de garantir en tout temps le transport nécessaire du gaz B vers la France.

3.2. Coûts

Concernant les coûts prévisionnels d'investissement en France, les études de conception de GRTgaz ne sont pas finalisées. Le budget-cible de GRTgaz peut encore être révisé. Les coûts effectivement supportés par GRTgaz dans les conditions fixées par la présente décision et après déduction des éventuelles aides financières de l'Union européenne seront intégrés par la CRE au tarif du gestionnaire de réseau, en application des règles tarifaires en vigueur et dans la mesure où ils correspondent à ceux d'un opérateur efficace.

3.3. Bénéfices

Lors de l'évaluation technico-économique du plan de conversion français, il a été établi que l'adaptation au gaz H de la zone actuellement approvisionnée en gaz B était la meilleure solution des points de vue économique, environnemental et de la sécurité d'approvisionnement.
La solution alternative aurait consisté à construire une installation de conversion de gaz H en gaz B à Taisnières. Cette option n'a pas été retenue car elle aurait représenté un coût supérieur, aurait eu un impact environnemental négatif et n'aurait pas permis d'atteindre un niveau satisfaisant de sécurité d'approvisionnement.
En tout état de cause, quand bien même les consommateurs auraient recouru à une énergie de substitution en l'absence de conversion, les coûts échoués liés au déclassement des infrastructures pour le gaz B dépasseraient le milliard d'euros, ce montant représentant en lui-même un minimum.

3.4. Analyse Coûts-Bénéfices

Au regard des éléments fournis par les GRT, les bénéfices attendus en France et en Belgique excèdent les coûts du plan complet de conversion au gaz H dans chacun des deux pays. Le projet faisant l'objet de la demande d'investissement des GRT s'intègre dans ce plan et est nécessaire à sa réalisation.
Les analyses respectives de la CREG et de la CRE confirment que la conversion au gaz H des réseaux actuellement en gaz B est la meilleure solution pour assurer l'approvisionnement des consommateurs belges et français dans le futur.

Décision de la CRE

GRTgaz et Fluxys Belgium ont déposé une demande d'investissement visant à obtenir une décision conjointe de la CREG et de la CRE sur la répartition transfrontalière des coûts pour le projet d'intérêt commun 5.21 Passage du gaz pauvre au gaz riche en France et en Belgique . Ce projet consiste à convertir au gaz H des parties des réseaux de transport actuellement alimentées en gaz B en France et en Belgique et nécessite 44 M€ d'investissement pour GRTgaz et 23,7 M€ pour Fluxys Belgium.
La CRE adopte la décision conjointe relative au traitement de la demande des GRT, qui a été rédigée avec la CREG et est annexée à la présente délibération.
Cette décision conjointe prend en compte la recommandation de l'ACER publiée le 18 décembre 2015 qui préconise, s'agissant des projets d'intérêt commun, que les compensations transfrontalières devraient être limitées aux cas où le pays hôte d'un projet subit un bénéfice net négatif.
Après avoir étudié l'analyse coûts-bénéfices proposée par GRTgaz et Fluxys Belgium et en avoir conclu que la France et la Belgique tiraient chacune un bénéfice net positif du projet de conversion, la CRE et la CREG décident que la France et la Belgique supporteront séparément les coûts engagés par leurs GRT respectifs.
Dans la mesure où ils correspondent à ceux d'un opérateur efficace, les coûts effectivement supportés par GRTgaz après déduction des aides financières éventuelles de l'Union européenne seront intégrés au tarif du gestionnaire de réseau, en application des règles tarifaires en vigueur.
La présente délibération sera transmise à la CREG et à l'ACER et sera notifiée à GRTgaz et Fluxys Belgium.
La présente délibération sera publiée au Journal officiel de la République française et sera transmise au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.


Historique des versions

Version 1

Participaient à la séance : Jean-François CARENCO, président, Christine CHAUVET, Catherine EDWIGE, Hélène GASSIN, Jean-Laurent LASTELLE et Jean-Pierre SOTURA, commissaires.

La présente délibération est prise en application des dispositions du règlement (UE) n° 347/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2013 concernant des orientations pour les infrastructures énergétiques transeuropéennes (le Règlement). En application de l'article 12 de ce dernier, elle a pour objet d'établir une décision de répartition transfrontalière des coûts du projet de modification des réseaux de transport de gaz naturel français et belge nécessaire à la conversion au gaz H de la zone actuellement approvisionnée en gaz B. Les gestionnaires de réseau de transport (GRT) de gaz naturel, GRTgaz et Fluxys Belgium, sont les promoteurs du projet respectivement pour la France et la Belgique. Cette décision conjointe des régulateurs nationaux, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) pour la France et la Commission de régulation de l'électricité et du gaz (CREG) pour la Belgique, se fonde sur la demande d'investissement des GRT et, en particulier, sur l'analyse des coûts et des bénéfices du projet.

1. Contexte et saisine de la CRE

1.1. Le Règlement (UE) n° 347/2013

Le Règlement (UE) n° 347/2013 vise à promouvoir l'interconnexion des réseaux européens. Il introduit notamment la notion de projet d'intérêt commun (PIC) qui, dans le domaine du gaz, peut concerner des infrastructures de transport, de stockage souterrain ou les installations de réception, de stockage et de regazéification ou de décompression du gaz naturel liquéfié (GNL) ou du gaz naturel comprimé (GNC). Ces projets sont considérés comme nécessaires à la mise en œuvre des corridors prioritaires pour la construction du marché intérieur de l'énergie. La France appartient à deux corridors prioritaires dans le secteur du gaz :

Les interconnexions Nord-Sud de gaz en Europe de l'Ouest qui vise à développer les infrastructures gazières pour les flux gaziers Nord-Sud en Europe de l'Ouest en vue de diversifier davantage les voies d'approvisionnement et d'améliorer la capacité de livraison du gaz à court terme. Les États membres concernés sont l'Allemagne, la Belgique, le Danemark, l'Espagne, la France, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, le Portugal et le Royaume-Uni ;

Le Corridor gazier sud-européen visant à développer les infrastructures pour le transport de gaz depuis le bassin de la mer Caspienne, l'Asie centrale, le Moyen-Orient et l'Est du bassin méditerranéen vers l'Union en vue d'accroître la diversification de l'approvisionnement gazier. Les États membres concernés sont l'Allemagne, l'Autriche, la Bulgarie, Chypre, la Croatie, la France, la Grèce, la Hongrie, l'Italie, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie.

Les Etats appartenant à un corridor prioritaire constituent un groupe régional chargé de la sélection des projets d'intérêt commun, auquel participent des représentants des Etats membres, des autorités nationales de régulation et des opérateurs de réseau, ainsi que la Commission européenne, l'Agence pour la coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) et le réseau européen des gestionnaires de réseau de transport de gaz (ENTSOG). Les listes régionales de projets d'intérêt commun sont établies sur la base d'une demande de sélection soumise par les porteurs de projets.

Parmi les mesures destinées à favoriser la réalisation des PIC, le Règlement prévoit des mécanismes de financement visant à pallier les problèmes de viabilité commerciale des projets lorsque ceux-ci font obstacle à la prise de décision d'investissement. L'article 12 du Règlement dispose ainsi que, à la demande des porteurs de projet et sur la base d'une analyse des coûts et bénéfices d'un PIC pour les pays concernés, les autorités de régulation nationales compétentes décident, de manière coordonnée, d'une répartition des coûts d'investissement dans les six mois à compter de la réception de la dernière demande d'investissement. Cette décision ouvre la possibilité de solliciter une aide financière de l'Union européenne au titre de l'article 14 du Règlement.

1.2. Recommandation de l'ACER n° 05/2015 définissant des bonnes pratiques pour les décisions de répartition des coûts des projets d'intérêt commun

L'ACER a publié une recommandation le 18 décembre 2015, définissant des bonnes pratiques pour le traitement des demandes d'investissement dans le cadre du Règlement. Cette recommandation développe des lignes directrices notamment en ce qui concerne la maturité du projet nécessaire pour procéder à une répartition des coûts, la consultation des GRT des pays non hôtes du projet sur lesquels ce dernier a un impact, et la coopération entre les régulateurs. Elle recommande en particulier de ne procéder à une répartition des coûts que dans le cas où le projet a un impact net négatif sur l'un des pays hôtes.

1.3. Demande d'investissement de GRTgaz et de Fluxys Belgium

GRTgaz et Fluxys Belgium ont déposé une demande d'investissement visant à obtenir une décision conjointe des autorités de régulation nationales française et belge (respectivement la Commission de régulation de l'électricité et du gaz et la Commission de régulation de l'énergie, ci-après dénommées CREG et CRE ) sur la répartition des coûts pour le projet de modification des réseaux de transport français et belges nécessaire à la conversion au gaz H des parties des réseaux de transport alimentées en gaz B en France et en Belgique. Cette demande a été reçue le 27 septembre 2018 par la CRE et la CREG.

Après évaluation du dossier, les autorités de régulation ont considéré que le projet était suffisamment mature et que la demande d'investissement était complète. La CRE et la CREG en ont notifié l'ACER le 28 septembre 2018.

2. Le projet de conversion et la demande des GRT

Une partie des territoires de la France et de la Belgique est actuellement alimentée par du gaz naturel à bas pouvoir calorifique (gaz B), issu principalement du gisement de Groningue aux Pays-Bas. La déplétion progressive du gisement ne permet pas d'envisager la prolongation des contrats d'approvisionnement depuis les Pays-Bas vers la France et la Belgique au-delà de leurs termes actuels (jusqu'en 2029). Afin d'assurer la continuité d'approvisionnement des 2,8 millions de consommateurs de cette région, il est nécessaire de convertir les réseaux de gaz naturel pour leur permettre d'accepter du gaz à haut pouvoir calorifique (gaz H) qui alimente le reste des territoires français et belges. En outre, les tremblements de terre dans la région de production pourraient conduire le gouvernement néerlandais à réduire encore plus rapidement la production de gaz B et nécessiter une accélération du calendrier de conversion.

En conséquence, bien que ce projet ne vise pas à la création de capacité de transport supplémentaire, la conversion au gaz H des parties des réseaux de transport alimentées en gaz B en France et en Belgique a été reconnue comme une priorité pour le Corridor des interconnexions gazières au Nord-Ouest de l'Europe. Ce projet a été inscrit au Plan décennal de développement du réseau à l'échelle européenne (Ten-Year Network Development Plan - TYNDP) préparé par le Réseau européen des gestionnaires de réseau de transport de gaz (ENTSOG) en 2017 et s'est vu accorder le statut de Projet d'intérêt commun (PIC) en 2017 (sous le numéro 5.21). Dans ce cadre, Fluxys Belgium et GRTgaz, ont déposé une demande d'investissement pour une partie du projet de conversion au gaz H des parties des réseaux de transport alimentées en gaz B en France et en Belgique.

En Belgique, l'objectifs du projet est d'adapter l'infrastructure de transport de gaz de Fluxys Belgium de manière à ce que le marché du gaz B en Belgique et en France puisse être complètement converti au gaz H d'ici 2030 (fin des exportations de gaz B des Pays Bas). Pour ce faire, l'infrastructure en gaz H de Fluxys Belgium sera progressivement connectée et intégrée à l'infrastructure en gaz B, principalement au niveau de l'installation existante de Winksele où les infrastructures gazières H et B sont physiquement proches les unes des autres mais non connectées.

En France, le plan de conversion du gaz B en gaz H est divisé en deux phases principales :

1. Une phase pilote avec la conversion d'environ 100 000 consommateurs entre 2018 et 2020 ; ces travaux sont déjà en cours et ne sont pas visés par la demande d'investissement des GRT ;

2. Une phase de déploiement avec des conversions à partir de 2021 jusqu'en 2028. La demande d'investissement des GRT concerne la première partie de cette phase de déploiement, avec des investissements devant être décidés en 2019 et réalisés avant 2023.

La demande d'investissement des GRT porte sur 44 M€ pour GRTgaz (soit 41 M€2017) et 23,7 M€ pour Fluxys Begium (soit 23 M€2017).

3. Analyse conjointe de la CRE et de la CREG

Les projets de conversion au gaz H des réseaux acheminant du gaz B sont étudiés par la CREG et la CRE depuis plusieurs années.

En Belgique, le processus de conversion a été officiellement lancé par les autorités en octobre 2017 est également décrit et mis à la disposition du public via le site Web public suivant : https://www.legazchange.be/fr.

En France, la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a introduit deux nouveaux articles confiant aux gestionnaires de réseaux de transport et de distribution la mission de mettre en œuvre les dispositions nécessaires pour garantir l'approvisionnement des utilisateurs de leurs réseaux en cas de modification de la nature du gaz acheminé. Dans ce cadre, les gestionnaires d'infrastructures ont pour mission d'élaborer conjointement un plan de conversion qui a fait l'objet d'un avis positif de la CRE en mars 2018 à la suite de l'évaluation technico-économique qu'elle avait menée.

Les éléments fournis par les GRT dans leur demande d'investissement conjointe sont cohérents avec les plans de conversion établis en France et en Belgique.

3.1. Calendrier

Concernant le calendrier prévisionnel de réalisation du projet, la CREG et la CRE considèrent que la coordination entre les deux GRT est bien prise en compte, la mise en œuvre en Belgique du projet d'investissement concernant Winksele se déroule durant la période allant de mai 2020 à juin 2022. Ce calendrier tient compte de l'état d'avancement du projet de conversion en France, afin de garantir en tout temps le transport nécessaire du gaz B vers la France.

3.2. Coûts

Concernant les coûts prévisionnels d'investissement en France, les études de conception de GRTgaz ne sont pas finalisées. Le budget-cible de GRTgaz peut encore être révisé. Les coûts effectivement supportés par GRTgaz dans les conditions fixées par la présente décision et après déduction des éventuelles aides financières de l'Union européenne seront intégrés par la CRE au tarif du gestionnaire de réseau, en application des règles tarifaires en vigueur et dans la mesure où ils correspondent à ceux d'un opérateur efficace.

3.3. Bénéfices

Lors de l'évaluation technico-économique du plan de conversion français, il a été établi que l'adaptation au gaz H de la zone actuellement approvisionnée en gaz B était la meilleure solution des points de vue économique, environnemental et de la sécurité d'approvisionnement.

La solution alternative aurait consisté à construire une installation de conversion de gaz H en gaz B à Taisnières. Cette option n'a pas été retenue car elle aurait représenté un coût supérieur, aurait eu un impact environnemental négatif et n'aurait pas permis d'atteindre un niveau satisfaisant de sécurité d'approvisionnement.

En tout état de cause, quand bien même les consommateurs auraient recouru à une énergie de substitution en l'absence de conversion, les coûts échoués liés au déclassement des infrastructures pour le gaz B dépasseraient le milliard d'euros, ce montant représentant en lui-même un minimum.

3.4. Analyse Coûts-Bénéfices

Au regard des éléments fournis par les GRT, les bénéfices attendus en France et en Belgique excèdent les coûts du plan complet de conversion au gaz H dans chacun des deux pays. Le projet faisant l'objet de la demande d'investissement des GRT s'intègre dans ce plan et est nécessaire à sa réalisation.

Les analyses respectives de la CREG et de la CRE confirment que la conversion au gaz H des réseaux actuellement en gaz B est la meilleure solution pour assurer l'approvisionnement des consommateurs belges et français dans le futur.

Décision de la CRE

GRTgaz et Fluxys Belgium ont déposé une demande d'investissement visant à obtenir une décision conjointe de la CREG et de la CRE sur la répartition transfrontalière des coûts pour le projet d'intérêt commun 5.21 Passage du gaz pauvre au gaz riche en France et en Belgique . Ce projet consiste à convertir au gaz H des parties des réseaux de transport actuellement alimentées en gaz B en France et en Belgique et nécessite 44 M€ d'investissement pour GRTgaz et 23,7 M€ pour Fluxys Belgium.

La CRE adopte la décision conjointe relative au traitement de la demande des GRT, qui a été rédigée avec la CREG et est annexée à la présente délibération.

Cette décision conjointe prend en compte la recommandation de l'ACER publiée le 18 décembre 2015 qui préconise, s'agissant des projets d'intérêt commun, que les compensations transfrontalières devraient être limitées aux cas où le pays hôte d'un projet subit un bénéfice net négatif.

Après avoir étudié l'analyse coûts-bénéfices proposée par GRTgaz et Fluxys Belgium et en avoir conclu que la France et la Belgique tiraient chacune un bénéfice net positif du projet de conversion, la CRE et la CREG décident que la France et la Belgique supporteront séparément les coûts engagés par leurs GRT respectifs.

Dans la mesure où ils correspondent à ceux d'un opérateur efficace, les coûts effectivement supportés par GRTgaz après déduction des aides financières éventuelles de l'Union européenne seront intégrés au tarif du gestionnaire de réseau, en application des règles tarifaires en vigueur.

La présente délibération sera transmise à la CREG et à l'ACER et sera notifiée à GRTgaz et Fluxys Belgium.

La présente délibération sera publiée au Journal officiel de la République française et sera transmise au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.