JORF n°0158 du 11 juillet 2018

Délibération n°2018-116 du 7 juin 2018

Participaient à la séance : Jean-François CARENCO, président, Christine CHAUVET, Catherine EDWIGE, Hélène GASSIN, Jean-Laurent LASTELLE et Jean-Pierre SOTURA, commissaires.

  1. Contexte

La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a été saisie le 12 avril 2018, par le ministre de la transition écologique et solidaire, d'un projet d'arrêté pris en application de l'article R. 337-20-1 du code de l'énergie.
Ce projet d'arrêté prévoit :

- que la part fixe de chaque puissance souscrite de chaque option tarifaire du tarif bleu résidentiel n'excède pas 38 % de la facture hors taxes prévisionnelle moyenne à température normale ;
- qu'au moins une option du tarif réglementé de vente (TRV) bleu résidentiel comporte une différenciation d'au moins 7 entre le prix de la période tarifaire la plus élevée et le prix de la période tarifaire la plus faible.

Cet arrêté contraint certains aspects de la structure des tarifs réglementés de vente d'électricité, c'est-à-dire la répartition des coûts entre la part fixe et la part proportionnelle à l'électricité consommée et, au sein de la part variable, la relativité des prix entre les différents postes horosaisonniers.

  1. Cadre législatif et réglementaire

En application de l'article L. 337-4 du code de l'énergie, la Commission de régulation de l'énergie a depuis le 8 décembre 2015 pour mission de proposer aux ministres de l'énergie et de l'économie ces tarifs réglementés de vente de l'électricité.
En application de l'article L. 337-6 du code de l'énergie, « les tarifs réglementés de vente d'électricité sont établis par addition du prix d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, du coût du complément d'approvisionnement au prix de marché, de la garantie de capacité, des coûts d'acheminement de l'électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d'une rémunération normale de l'activité de fourniture. »
Les dispositions des articles R. 337-18 à R. 337-24 du code de l'énergie, en vigueur depuis le 1er janvier 2016, telles qu'issues du décret n° 2015-1823 du 30 décembre 2015 qui codifient tout en les modifiant les dispositions du décret n° 2009-975 du 12 août 2009, mettent en œuvre la tarification par empilement.
Dans son avis du 3 décembre 2015, la CRE notait que le projet de décret « permet d'élaborer, en métropole continentale, une structure tarifaire fondée, comme c'est le cas pour l'établissement du niveau moyen, sur l'empilement des coûts, dans l'optique d'atteindre la contestabilité de l'ensemble des tarifs réglementés de vente d'électricité par les fournisseurs alternatifs » et indiquait qu'elle « élaborera désormais ses propositions tarifaires sur la base d'une tarification par empilement en niveau et en structure » (1).
Le deuxième alinéa de l'article L. 337-6 prévoit que :
« Sous réserve que le produit total des tarifs réglementés de vente d'électricité couvre globalement l'ensemble des coûts mentionnés précédemment, la structure et le niveau de ces tarifs hors taxes peuvent être fixés de façon à inciter les consommateurs à réduire leur consommation pendant les périodes où la consommation d'ensemble est la plus élevée ».
L'article R. 337-20-1 du code de l'énergie précise ces dispositions et dispose qu'« afin d'inciter à la maîtrise de la consommation, en particulier pendant les périodes de pointe, les ministres chargés de l'énergie et de l'économie peuvent fixer par arrêté pris annuellement après avis de la Commission de régulation de l'énergie :

- le pourcentage maximal que peut représenter la part fixe dans la facture hors taxes prévisionnelle moyenne à température normale pour chaque puissance souscrite de chaque option tarifaire du « tarif bleu » ;
- le niveau minimal du rapport entre le prix de la période tarifaire le plus élevé et le prix de la période tarifaire le plus faible que doit respecter au moins une option du « tarif bleu » accessible aux consommateurs résidentiels. ».

La CRE avait émis un avis favorable sur le projet de décret sous réserve de la suppression des dispositions susmentionnées mais précisait toutefois qu'« à titre subsidiaire, si [ces] dispositions […] devaient être maintenues, le décret devrait prévoir que les arrêtés prévus par [ces] dispositions […] seront pris après avis de la CRE, qui vérifiera [qu'elles] n'affectent pas substantiellement le fonctionnement du marché de détail et l'exercice de la concurrence ».
Ces dispositions ont été maintenues dans le décret finalement adopté, codifié à l'article R. 337-20-1 du code de l'énergie, tout en prévoyant que la CRE soit saisie pour avis du projet d'arrêté pris en application de ces dispositions.

  1. Analyse du projet d'arrêté
    3.1 Plafonnement de la part fixe

Le projet d'arrêté prévoit à l'article 1er : « En application de l'article R.337-20-1 du code de l'énergie, le pourcentage maximal que peut représenter la part fixe dans la facture hors taxes prévisionnelle moyenne à température normale pour chaque puissance souscrite de chaque option tarifaire du « tarif bleu » ouverte pour tout site faisant un usage résidentiel de l'électricité est égal à 38 % ».
Le plafonnement de la part fixe prévu dans le projet d'arrêté impacterait la structure de l'option Base 3kVA seule. La part fixe de ce TRV, déterminée selon la méthode par empilement, représentait au 1er février 2018 39 % de la facture hors taxes (2). L'ensemble des autres options et puissances souscrites proposées aux clients résidentiels présentaient une proportion de la part fixe dans la facture hors taxes inférieure à 27 % et n'auraient donc pas impacté par le plafonnement du projet d'arrêté (3).
Si le plafonnement à 38 % semble au vu de ces éléments avoir un impact limité, la CRE souligne que les composantes de coûts de l'empilement ainsi que le portefeuille de clients d'EDF sont amenés à évoluer d'ici le mouvement de cet été et par suite à modifier les proportions évaluées ici. Au vu des éléments de coûts à disposition de la CRE à date, la part fixe de l'option Base 3kVA, déterminée selon la méthode par empilement, devrait s'établir au 1er août 2018 autour de 43 % de la facture hors taxes. Cette évolution est due principalement à la fin du rattrapage des montants non couverts de l'année 2012 et à l'augmentation de la composante de gestion du TURPE.
Comme elle l'a déjà mentionné dans ses précédents avis, la CRE maintient que le plafonnement de la part fixe de l'option Base 3kVA favorise les clients ayant des consommations relativement faibles (exemple : porte de garage, parties communes des immeubles, résidences secondaires…) aux dépens des clients faisant un usage de l'électricité pour leur résidence principale (4).

En conclusion, la CRE accueille favorablement le relèvement du plafonnement à 38 % (préalablement établi à 30 %) mais considère que le maintien d'un plafonnement de la part fixe n'est pas fondé et nuit aux consommateurs résidentiels qui font usage de l'électricité pour leur consommation de base.
En conséquence, la CRE émet un avis défavorable et demande la suppression du plafonnement de la part fixe du projet d'arrêté qui lui a été soumis.

3.2 Différenciation minimale entre postes horosaisonniers d'une option du tarif bleu résidentiel

Le projet d'arrêté prévoit à l'article 2 : « Le niveau minimal du rapport entre le prix de la période tarifaire le plus élevé et le prix de la période tarifaire le plus faible que doit respecter au moins une option du « tarif bleu » accessible aux consommateurs résidentiels, mentionné à l'article R. 337-20-1 du code de l'énergie, est égal à 7 ».
La mise en œuvre du marché de capacité au 1er janvier 2017 augmente sensiblement, par rapport à la situation en 2016, la différenciation maximale théorique, en application de l'empilement, des options à pointe mobile Tempo et EJP. Celles-ci présentent en effet des plages horosaisonnières restreintes en durée et regroupant la majorité des jours PP1 tels que définis dans les règles du mécanisme de capacité. Le coût de la capacité est versé sur ces heures.
Le tableau ci-dessous présente la différenciation maximale de prix des options Tempo et EJP selon différentes hypothèses de prix de la capacité.

| Hypothèses prix capacité (€/MW) | 0 |9 342,65 (5)|15 750 (6)| |------------------------------------------|---|------------|----------| |Différenciation maximale Tempo Résidentiel|1,7| 2,4 | 2,8 | | Différenciation maximale EJP |1,4| 1,9 | 2,2 |

Tableau 1 : Etude de sensibilité au prix de la capacité de la différenciation maximale de prix des options Tempo et EJP pour les clients résidentiels

Sans contrainte particulière, en application de la méthode par empilement des coûts, le ratio, pour les options à effacement EJP et Tempo, serait inférieur à 3 selon les conditions de prix actuelles. Ce ratio demeure très inférieur au ratio envisagé par le projet d'arrêté de 7. A titre d'illustration, il faudrait un prix de la capacité de l'ordre de 70 000 €/MW pour obtenir ce niveau de différenciation.
Toutefois, comme elle l'indiquait déjà dans son avis du 24 mai 2017, la CRE estime qu'il pourrait être pertinent de maintenir ce ratio à 7 afin de conserver l'incitation pour le consommateur à s'effacer durant les heures les plus chères.
La CRE conserve l'objectif de faire évoluer la structure de l'ensemble des TRV vers la structure issue de l'empilement afin que les tarifs soient contestables à l'échelle la plus fine possible. Si le ratio de 7 est maintenu dans l'arrêté final, la CRE continuera en conséquence de l'appliquer au seul tarif Tempo résidentiel, comme cela a été le cas dans ses propositions tarifaires du 13 juillet 2016, du 6 juillet 2017 et du 11 janvier 2018. L'option EJP (7) continuerait quant à elle d'être construite par empilement sans qu'aucune contrainte ne lui soit appliquée.
La CRE évalue le gisement d'effacement de l'option Tempo à quelques centaines de MW.

En conclusion, la CRE émet un avis favorable sur le ratio proposé dans le projet d'arrêté en considérant qu'il permet de préserver le gisement d'effacement important de l'option Tempo.

Avis de la CRE

  1. Avis sur l'article 1er
    La CRE accueille favorablement le relèvement du plafonnement à 38 %.
    Elle rappelle néanmoins son opposition au maintien de ce plafonnement en ce qu'il nuit, au sein de cette catégorie tarifaire, aux clients faisant un usage de l'électricité pour leur résidence principale et favorise les clients ayant des consommations relativement faibles (exemple : porte de garage, parties communes des immeubles, résidences secondaires…).
    En conséquence, la CRE émet un avis défavorable à la fixation d'un plafonnement de la part fixe à 38 % pour les clients au tarif bleu résidentiel option Base 3kVA et demande la suppression de ce plafonnement.
  2. Avis sur l'article 2
    La CRE émet un avis favorable sur la différenciation minimale de 7 entre le prix de la période tarifaire la plus élevée et le prix de la période tarifaire la plus faible d'au moins une option du TRV bleu résidentiel en ce qu'elle préserve le gisement d'effacement important de l'option Tempo.
  3. La présente délibération sera publiée sur le site Internet de la CRE et transmise au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, ainsi qu'au ministre de l'économie.

Délibéré le 7 juin 2018.

Pour la Commission de régulation de l'énergie :

Le président,

J.-F. Carenco

(1) Délibération de la Commission de régulation de l'énergie du 3 décembre 2015 portant avis sur le projet de décret modifiant le décret n° 2009-975 du 12 août 2009 relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité. (2) Pour rappel, la part fixe correspond à la somme (i) d'une composante liée au coût d'acheminement (part fixe et part puissance du TURPE) et (ii) d'une composante liée aux coûts fixes de commercialisation. (3) Les factures hors taxes sont évaluées à partir des grilles TRV en vigueur au 1er février 2018 et sur la base de données de consommation des clients d'EDF, ramenées à température normale. (4) Une analyse chiffrée est présentée dans l'avis de la CRE du 24 mai 2017. (5) Prix de référence du marché de capacité pour 2018, issu des enchères du 9 novembre 2017 et du 14 décembre 2017, qui est retenu dans la construction des TRV. 6 Moyenne des prix révélés par les deux premières enchères de capacité pour 2019. Pour information, cinq autres enchères sont prévues au cours de l'année 2018 et le prix retenu dans la construction des TRV pour 2019 sera la moyenne des prix révélés par ces enchères. (7) A noter que l'option EJP est une option en extinction. Plus aucun client ne peut y souscrire.