Participaient à la séance : M. Philippe de LADOUCETTE, président, M. Michel THIOLLIÈRE, M. Olivier CHALLAN BELVAL, M. Frédéric GONAND, M. Jean-Christophe LE DUIGOU, commissaires.
La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a été saisie pour avis, le 22 avril 2011, par la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et par le ministre auprès de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, d'un projet d'arrêté pris en application de l'article 4-1 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 fixant les modalités d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique.
Le projet d'arrêté fixe à 42 €/MWh à compter du 1er janvier 2012 le prix de l'électricité devant être cédée par Electricité de France (EDF) aux fournisseurs d'électricité dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH).
La CRE a procédé à l'audition de M. CHAMPSAUR auquel le Gouvernement avait demandé de faire des propositions sur le niveau de prix de l'ARENH, d'EDF, de GDF-Suez, des associations AFELINS et ANODE représentant des fournisseurs alternatifs alimentant des clients sur l'ensemble des segments du marché de détail de l'électricité ainsi que de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC).
- Contexte et objet
La loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 (dite « loi NOME ») s'inscrit dans le processus d'ouverture à la concurrence du marché de l'énergie en France en application des directives européennes, et notamment des directives 2003/54/CE du 26 juin 2003 et 2009/72/CE du 13 juillet 2009.
Le législateur a souhaité, par l'adoption de la loi NOME, mettre un terme aux deux procédures engagées par la commission, l'une pour transposition incorrecte des directives dites du « 2e paquet » (IP/06/1768), la seconde au titre des aides d'Etat (IP/07/815 et IP/09/376).
L'économie générale de la loi NOME repose sur l'accès des fournisseurs alternatifs à une part de la production de l'électricité nucléaire du parc historique français.
Dans ce contexte, le VII de l'article 4-I de la loi n° 2000-108, tel que modifié par la loi NOME, dispose que le prix de l'électricité cédée aux fournisseurs de consommateurs finals sur le territoire métropolitain continental ou de gestionnaires de réseaux pour leurs pertes (ci-après « le prix de l'ARENH ») est fixé par arrêté des ministres en charge de l'économie et de l'énergie sur proposition de la CRE.
La décision ministérielle est réputée acquise en l'absence d'opposition de l'un des ministres passé un délai de trois mois suivant la réception de la proposition de la CRE.
Toutefois, à titre transitoire, la loi prévoit que, pendant une durée de trois ans à compter de la promulgation de la loi NOME, le prix de l'ARENH est arrêté par les ministres chargés de l'énergie et de l'économie après avis motivé de la CRE.
Le VII de l'article 4-1 de la loi n° 2000-108 précise qu'afin d'assurer une juste rémunération à EDF, le prix est représentatif des conditions économiques de la production d'électricité par les centrales nucléaires d'EDF sur la durée du dispositif.
Enfin, la loi précise que le prix initial de l'ARENH est fixé « en cohérence avec le tarif visé à l'article 30-1 de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 [...] (ci-après le TaRTAM) en vigueur à la date de publication du décret mentionné au X du présent article ou en vigueur le 31 décembre 2010 dans le cas où la publication de ce décret interviendrait après cette date ».
Il résulte ainsi des termes de la loi qu'une fois le prix initial de l'ARENH déterminé « en cohérence » avec le TaRTAM, toute modification ultérieure de ce prix doit obéir aux principes énoncés par le législateur, c'est-à-dire au principe d'addition des coûts tel que mentionné au VII de l'article 4-1 de la loi n° 2000-108.
Le projet d'arrêté objet du présent avis porte à 42 €/MWh à compter du 1er janvier 2012 le prix de l'ARENH, initialement fixé à 40 €/MWh par un premier projet d'arrêté qui lui a été concomitamment transmis le 22 avril 2011.
- Observations de la CRE
2.1. Méthodes d'identification et de comptabilisation
des coûts permettant de fixer le prix de l'ARENH au 1er janvier 2012
Le VII de l'article 4-1 de la loi du 10 février 2000 précise que le prix de l'ARENH « réexaminé chaque année, est représentatif des conditions économiques de production d'Electricité par les centrales [nucléaires d'Electricité de France situées sur le territoire national et mises en service avant la publication de la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité] sur la durée du dispositif [...]. Il tient compte de l'addition :
1° D'une rémunération des capitaux prenant en compte la nature de l'activité ;
2° Des coûts d'exploitation ;
3° Des coûts d'investissement de maintenance ou nécessaires à l'extension de la durée d'autorisation d'exploitation ;
4° Des coûts prévisionnels liés aux charges pesant à long terme sur les exploitants d'installations nucléaires de base [...] ».
La loi du 10 février 2000 prévoit qu'un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la CRE, précise « les méthodes d'identification et de comptabilisation des coûts mentionnés au VII ».
La saisine du Gouvernement ne précise pas les méthodes d'identification et de comptabilisation des coûts ayant conduit à déterminer le prix de l'ARENH au niveau de 42 €/MWh au 1er janvier 2012.
Au surplus, le projet ne comporte pas, en l'état, d'indications précises sur les motifs économiques conduisant à un relèvement du prix initial de l'ARENH à compter du 1er janvier 2012.
En l'absence du décret susmentionné, la CRE a dû, afin de rendre un avis motivé sur le projet d'arrêté soumis à son appréciation, établir la méthode d'identification et de comptabilisation des coûts qu'elle estime pertinente pour refléter les conditions économiques de production de l'électricité nucléaire historique.
2.1.1. Les capitaux immobilisés dans le parc nucléaire d'EDF seront remboursés et rémunérés
au moyen d'une base d'actifs amortie sur la durée du dispositif au coût moyen pondéré du capital d'EDF
Parmi les différentes méthodes existantes de valorisation des actifs, la CRE considère qu'il convient d'utiliser la méthode qui permet de rembourser et rémunérer la valeur nette comptable du parc (i.e. les investissements non encore amortis) ; cette méthode permet, en outre, d'assurer une bonne continuité avec les méthodes actuelles de prise en compte des coûts dans les tarifs réglementés de vente.
La CRE considère que les capitaux immobilisés dans le parc nucléaire historique sont, d'une part, les montants initialement investis dans le parc nucléaire historique qui n'ont pas encore été amortis et, d'autre part, les capitaux qu'EDF a investis et doit encore investir dans des actifs destinés à couvrir ses charges nucléaires de long terme (démantèlement, déconstruction, gestion des déchets, etc.), en application de la loi n° 2006-739 du 28 juin 2006.
Pour rémunérer ces capitaux, la CRE propose de constituer une base d'actifs recouvrant :
― le capital résiduel immobilisé dans le parc de centrales nucléaires historiques d'EDF, égal à la valeur nette comptable du parc de ces centrales figurant dans les comptes d'Electricité de France arrêtés au 31 décembre 2010. Cette valeur est en effet représentative de l'investissement initial non encore amorti du parc nucléaire et correspond dès lors au capital qui n'a pas encore été remboursé ;
― une quote-part des actifs destinés à couvrir les coûts prévisionnels liés aux charges pesant à long terme sur les exploitants d'installations nucléaires de base mentionnées au I de l'article 20 de la loi n° 2006-739 du 28 juin 2006. Deux solutions sont envisageables pour déterminer cette quote-part :
― dans un premier cas, la quote-part est calculée comme le rapport de la durée de la période de régulation (quinze ans) à la durée de vie du parc nucléaire (soit quarante ans) ;
― dans un deuxième cas, la totalité des actifs destinés à couvrir les charges nucléaire de long terme est intégrée dans la base d'actifs, la quote-part étant alors égale à 1.
A la date du présent avis, EDF n'a pas constitué l'intégralité du portefeuille d'actifs financiers destiné à couvrir ses charges nucléaires de long terme ; le III de l'article 20 de la loi n° 2006-739 susmentionnée, amendé par la loi n° 2010-1488 du 10 décembre 2010, prévoit d'ailleurs un report de cinq ans pour la mise en œuvre du plan de constitution de ces actifs.
En conséquence, la CRE estime que la valeur des actifs destinés à couvrir les charges nucléaires de long terme d'EDF à prendre en compte pour la constitution de la base d'actifs à rémunérer devrait être égale à l'addition :
― de la valeur nette de ces actifs, telle que figurant dans les documents comptables d'EDF arrêtés au 31 décembre 2010 ;
― de la valeur des actifs financiers restant à constituer par EDF.
Compte tenu de la durée de la période de régulation, la CRE considère que la base d'actifs ainsi constituée doit être amortie sur la durée du dispositif de régulation et rémunérée à un coût moyen pondéré du capital représentatif de la nature de l'activité.
2.1.2. Les charges d'exploitation afférentes au parc nucléaire seront remboursées au fur et à mesure
qu'elles sont constatées, sur la base d'une prévision et de la correction ex post de cette prévision
Les charges opérationnelles qu'EDF supporte pour exploiter son parc nucléaire doivent être intégralement répercutées dans le prix de l'ARENH, année après année. Ces charges sont les suivantes :
― les coûts liés au combustible nucléaire consommé, y compris les provisions des dépenses engagées pour l'aval du cycle, et le coût d'immobilisation du stock de combustible ;
― les coûts liés aux réévaluations des provisions pour démantèlement, gestion à long terme des déchets radioactifs et derniers cœurs, consécutives à l'application de la loi n° 2006-739 du 28 juin 2006 susmentionnée ;
― les achats engagés pour l'exploitation et la maintenance en exploitation des centrales mentionnées au II de l'article 4-1 de la loi n° 2000-108 ;
― une quote-part des coûts centraux, représentant la part de ces coûts affectée à l'exploitation des centrales mentionnées au II de l'article 4-1 de la loi n° 2000-108, définie en fonction de ce que représente l'exploitation des centrales nucléaires historiques dans l'activité d'Electricité de France ;
― les charges du personnel affecté, directement ou indirectement, à l'exploitation des centrales mentionnées au II de l'article 4-1 de la loi n° 2000-108 et comprenant l'ensemble des obligations associées : rémunération principale, charges sociales, provisionnement des charges pour retraite et avantages en nature ;
― les impôts et taxes supportés par les centrales mentionnées au II de l'article 4-1 de la loi n° 2000-108, hors impôt sur les sociétés.
Les charges d'exploitation à prendre en compte au titre de l'année N pour laquelle est calculé le prix de l'ARENH seront l'addition :
1° De la prévision des charges que supporte et prévoit de supporter EDF sur cette année ;
2° De la différence entre les charges d'exploitation effectivement supportées au titre de l'année N ― 2 et la prévision de ces charges établie par EDF au titre cette même année, qui avait été prise en compte dans le calcul du prix de l'année N ― 2.
2.1.3. Les investissements de maintenance et de prolongation de la durée d'autorisation d'exploitation seront pris en compte dans le prix de l'ARENH à mesure qu'ils sont engagés par EDF, sur la base d'une prévision et de la correction ex post de cette prévision
La méthode usuelle de comptabilisation des investissements réalisés sur un outil de production consiste à en étaler la rémunération et le remboursement sur la durée de vie de l'actif, en précisant la durée et l'échéancier de ces remboursements et en définissant le coût moyen pondéré du capital permettant d'en assurer la rémunération. Une telle méthode présente, entre autres, l'avantage de lisser l'impact de ces investissements dans le prix de l'ARENH.
Toutefois, en l'espèce, de nombreuses incertitudes pèsent sur le montant des investissements de maintenance et également sur l'allongement de la durée d'autorisation d'exploitation, qui dépendent notamment des décisions de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et des conséquences, le cas échéant, de l'audit des centrales nucléaires du parc historique d'EDF consécutif à l'accident nucléaire de Fukushima. A ces incertitudes s'ajoute celle relative à la durée d'exploitation des centrales nucléaires qui sera finalement autorisée par l'ASN.
En conséquence, la CRE propose qu'EDF soit remboursée des investissements au fur et à mesure qu'ils sont consentis, ce qui lui assure de disposer des liquidités correspondant au montant de ces investissements, sans recours à l'endettement, tout en écartant les incertitudes liées à la durée d'exploitation. En outre, les investissements rendus nécessaires par les conclusions de l'audit de sûreté seront également intégralement remboursés dès que constatés.
Les coûts des investissements de maintenance ou nécessaires à l'extension de la durée de l'autorisation d'exploitation qui seront pris en compte au titre de l'année N pour laquelle est calculé le prix de l'ARENH seront donc l'addition :
1° De la prévision des montants d'investissement que supporte et prévoit de supporter EDF sur cette année ;
2° De la différence entre les montants d'investissement effectivement engagés au titre de l'année N ― 2 et la prévision de ces montants établie par Electricité de France au titre de cette même année, qui avait été prise en compte dans le calcul du prix de l'année N ― 2.
2.1.4. Le prix de l'ARENH dépend de la production d'électricité
du parc nucléaire historique constatée chaque année
Le prix de l'ARENH, représentatif des conditions économiques de production d'électricité du parc nucléaire, dépend du volume d'électricité produit par les centrales nucléaires sur l'année considérée.
2.2. Résultats obtenus
En application de la méthode exposée précédemment et sur le fondement des prévisions de coûts d'investissement et d'exploitation présentées par EDF pour l'année 2012, le prix de l'ARENH représentatif des conditions économiques de production d'électricité (1) par le parc nucléaire historique est compris entre 36 €/MWh et 39 €/MWh, dont :
25 €/MWh au titre des charges opérationnelles ;
5 €/MWh au titre des investissements de maintenance et d'allongement de la durée d'autorisation d'exploitation ;
Entre 6 et 9 €/MWh au titre du remboursement et de la rémunération du capital immobilisé dans les centrales du parc nucléaire, en fonction de la quote-part retenue pour la prise en compte des actifs destinés à couvrir les coûts prévisionnels liés aux charges pesant à long terme sur les exploitants d'installations nucléaires de base mentionnées au I de l'article 20 de la loi n° 2006-739 du 28 juin 2006.
L'effet sur les coûts de production qui résulterait des audits de sécurité des centrales nucléaires consécutifs à l'accident de Fukushima ne peut aujourd'hui être évalué. Il devra être intégralement pris en compte dans le prix de l'ARENH à mesure qu'il se matérialisera dans les comptes d'EDF, comme c'est le cas pour les autres dépenses en capital couvertes par le prix de l'ARENH.
(1) Ces chiffres ont été établis sur la base d'une évaluation prudente du volume d'électricité produit par les centrales nucléaires en 2012.
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