Participaient à la séance : Philippe de LADOUCETTE, président, Olivier CHALLAN BELVAL, Hélène GASSIN, Jean-Pierre SOTURA et Michel THIOLLIÈRE, commissaires.
En application de l'article L. 134-2, 4°, du code de l'énergie, la CRE dispose du pouvoir de préciser la méthodologie d'établissement des tarifs d'utilisation des réseaux de transport de gaz et les évolutions tarifaires.
Les articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de l'énergie encadrent les compétences tarifaires de la CRE. L'article L. 452-2 dudit code prévoit que la CRE fixe les méthodologies utilisées pour établir les tarifs d'utilisation des réseaux de gaz naturel. Par ailleurs, l'article L. 452-3 dispose que « la Commission de régulation de l'énergie délibère sur les évolution tarifaires […] avec, le cas échéant, les modifications de niveau et de structure des tarifs qu'elle estime justifiées au vu notamment de l'analyse de la comptabilité des opérateurs et de l'évolution prévisible des charges de fonctionnement et d'investissement. Ces délibérations […] peuvent prévoir […] des mesures incitatives appropriées à court ou long terme pour encourager les opérateurs à améliorer leurs performances […]. La Commission de régulation de l'énergie transmet aux ministres chargés de l'énergie et de l'économie ses délibérations motivées relatives aux évolutions en niveau et en structure des tarifs d'utilisation des réseaux de transport […] de gaz naturel […], ainsi que les règles tarifaires et leur date d'entrée en vigueur. Ces délibérations sont publiées au Journal officiel de la République française ».
Les tarifs actuels d'utilisation des réseaux de transport de gaz naturel de GRTgaz et de TIGF, dits « tarifs ATRT5 », sont entrés en vigueur le 1er avril 2013 pour une période d'environ quatre ans et font l'objet d'une mise à jour automatique au 1er avril de chaque année.
Au vu des fortes tensions constatées sur le marché du gaz dans le sud du territoire depuis plusieurs mois notamment pendant l'hiver 2013-2014, la CRE a souhaité mettre en œuvre à compter de l'hiver 2014-2015 des mesures transitoires jusqu'à la création d'une place de marché unique en France prévue en 2018. Dans cette optique, la délibération du 7 mai 2014 a envisagé la mise en œuvre de différentes mesures transitoires dont certaines nécessitent une évolution tarifaire (1).
Du 18 juillet au 29 août 2014, la CRE a consulté les acteurs de marché afin de recueillir leurs positions sur les mesures transitoires qui pourraient être mises en œuvre dès l'hiver 2014-2015 (2).
La CRE a également questionné les acteurs de marché sur les phénomènes qui amènent certains acteurs, depuis avril 2014, à décharger des quantités importantes de gaz naturel liquéfié (GNL) en Grande-Bretagne alors que les prix de marché de gros apparaissent plus attractifs au PEG Sud et que des capacités sont disponibles sur les terminaux méthaniers de Fos.
La présente délibération a pour objet de définir les mesures transitoires qui seront mises en place dès l'hiver 2014-2015 dans l'attente de la création d'une place de marché unique en France à l'horizon 2018. Le tarif ATRT5 est modifié afin de les prendre en compte.
Le Conseil supérieur de l'énergie a rendu son avis le 23 octobre 2014.
I. - Contexte
- Travaux antérieurs
Dans sa délibération du 7 mai 2014, la CRE a présenté des orientations importantes :
- création d'une place de marché du gaz (PEG) unique en France à l'horizon 2018 sur la base du schéma d'investissements associant les projets Val de Saône sur le réseau de GRTgaz et Gascogne-Midi sur les réseaux de GRTgaz et de TIGF ;
- analyse des mesures pouvant être mises en œuvre dès l'hiver 2014-2015 afin de réduire les tensions sur les prix en zone Sud.
- Consultation publique de la CRE
La CRE a mené une consultation publique du 18 juillet au 29 août 2014 portant notamment sur les mesures transitoires qui pourront être mises en œuvre dès l'hiver 2014-2015 et sur la situation des terminaux méthaniers de Fos au regard des évolutions du marché du GNL.
37 contributions, dont 8 confidentielles, ont été reçues dont :
- 10 provenant d'industriels, dont 2 associations d'industriels (UNIDEN, UIC) et 6 réponses identiques à celle de l'UNIDEN ;
- 15 provenant d'expéditeurs (13) ou d'associations d'expéditeurs (AFIEG, EFET) ;
- 9 provenant de gestionnaires d'infrastructures, dont Enagas ;
- 1 provenant du régulateur espagnol (CNMC) ;
- 2 provenant d'associations (AFG, Uprigaz).
Les réponses non confidentielles seront publiées sur le site de la CRE en même temps que la présente délibération.
II. - Analyse des acteurs de marché relative au marché européen du GNL
Depuis avril 2014, les livraisons de GNL sur le marché britannique et belge ont augmenté fortement.
Durant la même période, les prix du gaz en zone Sud ont été significativement plus élevés que ceux des marchés nord-ouest européens et des capacités de regazéification sont restées inutilisées sur le terminal de Fos Cavaou. La CRE a souhaité recueillir l'avis des acteurs de marché quant aux possibles origines de cette situation.
- Synthèse des réponses
A titre préliminaire, plusieurs acteurs de la chaîne du GNL rappellent que tous les terminaux européens sont sous-utilisés depuis plusieurs années. Ils notent également que la hausse des livraisons s'observe essentiellement sur le terminal de South Hook, au Royaume-Uni, et dans une moindre mesure sur le terminal de Zeebrugge.
La principale explication tient aux spécificités du terminal de South Hook : l'ensemble des capacités du terminal est souscrit à long terme par Qatar Petroleum International, actionnaire à 67,5 %, avec Exxon (24,15 %) et Total (8,35 %). Les quantités déchargées depuis avril 2014 correspondent à l'utilisation de ces capacités souscrites.
Par ailleurs, les clauses de destination des contrats d'approvisionnement en GNL peuvent être rigides, ce qui ne permet pas de profiter des arbitrages liés à des prix élevés sur les autres marchés à court terme.
D'autres contributeurs indiquent que les événements décrits précédemment au printemps et à l'été 2014 pourraient s'expliquer également par des spécificités du marché français :
- le manque de liquidité du marché en zone Sud et, en particulier sur les produits à terme, comparé aux autres marchés nord-européens, notamment le NBP ;
- le coût d'utilisation élevé du terminal de Fos Cavaou (près de 2 €/MWh pour une cargaison isolée) ;
- le relâchement tardif des capacités sur le marché secondaire. Les utilisateurs des terminaux régulés ont l'obligation de transmettre aux opérateurs au plus tard le 20 du mois m-1 leur programme de déchargement du mois suivant. Les capacités éventuellement relâchées sont ensuite publiées par les opérateurs le 25 du mois m-1, ce qui est trop tardif pour que d'autres expéditeurs puissent les utiliser.
Enfin, un acteur suggère que l'existence d'un service de rechargements sur de nombreux terminaux européens, dont celui de Fos Cavaou, pourrait avoir été un obstacle aux déchargements opérés par un producteur car celui-ci pourrait ne pas souhaiter que ses cargaisons soient réexportées vers des marchés plus attractifs.
- Analyse et propositions de la CRE
Analyse de la CRE :
Les éléments transmis par les contributeurs permettent de clarifier la situation sans pour autant apporter une explication vraiment satisfaisante du phénomène.
La CRE partage l'analyse des contributeurs en ce qui concerne les spécificités du terminal de South Hook. Le fait que l'ensemble des capacités soit souscrit par un exportateur de GNL peut expliquer la hausse de l'utilisation de ce terminal alors que les autres terminaux restent peu utilisés, y compris sur le marché britannique. En outre, la CRE considère, comme la majorité des contributeurs ayant répondu à la consultation publique, que le marché du GNL n'est pas totalement flexible, notamment parce que des clauses de destination sont encore souvent présentes dans les contrats de long terme.
La forte liquidité du NBP peut également constituer un facteur d'attractivité pour les acteurs de marché, tandis qu'il est possible que la faible liquidité du marché du sud constitue un frein supplémentaire à l'arrivée d'une cargaison de GNL.
En ce qui concerne l'attractivité des terminaux français, et notamment celui de Fos Cavaou, la CRE constate que les capacités inutilisées sont généralement proposées sur le marché secondaire le 25 du mois M-1 pour le mois M, les expéditeurs souhaitant conserver leurs possibilités d'arbitrage jusqu'au dernier moment. Cette pratique, conforme au cadre régulatoire en vigueur, peut freiner le dynamisme du marché secondaire.
La CRE note également que le tarif du terminal de Fos Cavaou est particulièrement élevé.
Propositions de la CRE :
Les règles actuelles de remise à disposition des créneaux de déchargements ont été approuvées par la CRE après une large concertation. Elles assurent un équilibre entre les intérêts des souscripteurs de capacités à long terme, qui permettent l'équilibre financier des terminaux, et les autres acteurs, qui doivent pouvoir utiliser les capacités disponibles à court terme.
Ces règles ont déjà été modifiées dans la délibération du 20 juin 2013, relative aux informations publiées concernant l'utilisation des terminaux méthaniers (3), dans laquelle la CRE rappelle que « les utilisateurs des terminaux méthaniers sont tenus de communiquer aux opérateurs sans délai, dès qu'ils en ont pris décision ou connaissance, leurs meilleures prévisions d'utilisation des terminaux (…) ».
La situation de tension du marché au PEG Sud et les constatations décrites précédemment pourraient justifier une modification de cet équilibre entre souscriptions à long terme et à court terme, de façon à maximiser l'attractivité à court terme des terminaux de Fos.
La CRE envisage, dans le cadre de la mise à jour du tarif ATTM4, de consulter les acteurs de marché sur des évolutions temporaires de la régulation des terminaux méthaniers, jusqu'à la création d'un PEG unique France, favorisant les acteurs de court terme sur les terminaux de Fos :
- mise en place des nominations engageantes plus tôt que le 25 du mois M-1, assorties d'une pénalisation des expéditeurs qui modifieraient tardivement leurs nominations ;
- mise en place d'une réduction tarifaire pouvant aller jusqu'à 50 %, soit environ 1 €/MWh, sur le tarif des cargaisons réservées à court terme, sur le terminal de Fos Cavaou.
III. - Mesures transitoires applicables dès l'hiver 2014-2015
- Optimisation de l'utilisation de la liaison Nord-Sud
a) Propositions soumises à consultation publique :
Modification de la clé de répartition entre Cruzy et Castillon :
GRTgaz et TIGF proposent pour l'hiver 2014-2015 de réorganiser les flux entre les deux interconnexions de leurs réseaux, Cruzy et Castillon, afin de limiter l'occurrence de la congestion dans le sud-est du réseau de GRTgaz. Cette mesure permettra de libérer en moyenne sur l'hiver 40 GWh/j de capacités à la liaison Nord vers Sud, dont 20 GWh/j peuvent être considérées comme fermes.
GRTgaz propose de commercialiser les 20 GWh/j de capacités fermes sous forme de capacités fermes mensuelles aux enchères sur la plate-forme Prisma et de consacrer les 20 autres GWh/j à l'amélioration de la disponibilité des capacités interruptibles à la liaison Nord vers Sud.
Service conjoint transport stockage (JTS) pour l'hiver 2014-2015 :
GRTgaz et Storengy ont proposé de reconduire pour l'hiver 2014-2015 le service conjoint transport-stockage (JTS) (4), prévu par le tarif ATRT5 (5). Ce service issu de l'optimisation des infrastructures de transport et de stockage permettra en début d'hiver de mettre à disposition du marché du jour pour le lendemain de l'ordre de 10 GWh/j de capacités fermes supplémentaires à la liaison Nord-Sud. Cette quantité pourra augmenter au fur et à mesure de l'hiver en fonction du niveau de remplissage des stockages salins.
Création d'un système de gaz circulant :
Le système de gaz circulant proposé par GRTgaz, en collaboration avec d'autres opérateurs d'infrastructures, a pour objectif de lisser la disponibilité des capacités interruptibles de la liaison Nord vers Sud. Dans les périodes de forte disponibilité, GRTgaz diminuerait le taux de disponibilité de la capacité interruptible pour faire transiter du gaz du nord de la France jusqu'aux terminaux de Fos pour y constituer un stock de gaz. Dans les périodes de faible disponibilité, GRTgaz utiliserait ce stock pour augmenter le taux de disponibilité de la capacité interruptible en injectant du gaz depuis les terminaux de Fos.
Deux variantes pour la gestion du gaz en zone Nord ont été proposées dans la consultation publique :
- variante 1 : une gestion utilisant les stockages de Storengy ;
- variante 2 : une gestion fondée sur des achats/ventes de GRTgaz au PEG Nord.
b) Synthèse de la consultation publique :
Modification de la clé de répartition entre Cruzy et Castillon :
Les contributeurs sont quasi unanimement favorables au changement de clé de répartition entre les stations d'interconnexion de Cruzy et Castillon. Certains acteurs demandent d'aller plus loin en diminuant davantage les flux à Cruzy. Deux acteurs souhaitent que la règle de répartition soit optimisée chaque jour.
Les acteurs sont en revanche partagés sur la manière dont ces capacités doivent être allouées.
La moitié des expéditeurs est favorable à la proposition de GRTgaz. D'autres souhaitent que l'ensemble des capacités dégagées soient consacrées à l'affermissement des capacités interruptibles déjà allouées. Un dernier groupe d'expéditeurs considère au contraire que toutes les nouvelles capacités dégagées devraient être allouées aux enchères.
GRTgaz rappelle que commercialiser plus de 20 GWh/j sous forme de capacités fermes pourrait dégrader la disponibilité des capacités interruptibles.
Service conjoint transport stockage (JTS) pour l'hiver 2014-2015 :
Les contributeurs sont unanimement favorables à la poursuite du JTS pour l'hiver 2014-2015.
Les expéditeurs sont quasi unanimement favorables à ce que l'allocation des capacités JTS soit réalisée sur PRISMA. Ils estiment, d'une part, que les allocations de capacités quotidiennes devraient avoir lieu après la publication du taux d'interruption des capacités interruptibles, d'autre part, que toutes les allocations devraient avoir lieu sur une plate-forme unique. Seul un expéditeur souhaite poursuivre l'allocation des capacités JTS quotidiennes sur la plate-forme Trans@ction.
GRTgaz privilégie dans sa réponse la poursuite de l'utilisation de la plate-forme Trans@ction.
Les consommateurs industriels demandent que toutes les capacités nouvelles dégagées soient en priorité allouées aux consommateurs gazo-intensifs dont la compétitivité est fortement pénalisée par les tensions sur les prix dans le sud. Selon eux, la situation des autres acteurs de marché serait inchangée.
Création d'un système de gaz circulant :
L'ensemble des consommateurs industriels est favorable à la création d'un système de gaz circulant. Les autres contributeurs sont partagés.
Plusieurs contributeurs sont favorables à ce système qui donnera plus de stabilité au taux de disponibilité de la capacité interruptible, ce qui améliorera le fonctionnement du marché dans le sud.
Certains contributeurs sont défavorables, considérant que cette mesure présente un coût élevé alors qu'elle ne crée pas de capacités additionnelles. Un d'entre eux indique que la mesure n'est pas utile car l'utilisation des stockages au sud, très souscrits pour cet hiver, permettra d'amortir la variabilité de la disponibilité de la liaison. D'autres contributeurs indiquent que ce service ne doit en aucun cas dégrader la qualité du service délivrée par les terminaux.
Plusieurs contributeurs sont favorables sur le principe mais estiment que les coûts doivent être examinés au regard du service offert au marché.
Enfin, de nombreux contributeurs souhaitent obtenir plus d'informations sur les coûts du dispositif, d'une part, et sur ses modalités de mise en œuvre, d'autre part.
Choix de la variante :
Les avis des contributeurs sont partagés concernant le choix de la variante. Certains contributeurs souhaitent simplement la mise en œuvre de la solution la moins coûteuse pour le marché.
Une majorité de contributeurs sont favorables à la variante 2 qui repose sur des achats/vente de gaz au PEG Nord. Ils considèrent que cette variante contribuerait à animer et à accroître la liquidité du marché tout en limitant les coûts pour le système.
Enfin, certains contributeurs s'opposent à la variante 2, sans pour autant se prononcer en faveur de la variante 1, basée sur l'utilisation des stockages de Storengy. En effet, ils estiment qu'il n'est pas dans les missions du GRT d'intervenir sur les marchés. A ce titre, GRTgaz note que ce dispositif pourrait être contraire au code de l'énergie. Outre ce risque juridique, GRTgaz considère que cette variante pose des difficultés sur les plans opérationnel et économique : son coût est difficilement maîtrisable et l'importance des volumes échangés pourrait déséquilibrer le marché.
En conséquence, GRTgaz considère que la mise en œuvre de la variante 2 n'est pas envisageable pour l'hiver 2014-2015.
c) Analyse de la CRE :
Modification de la clé de répartition entre Cruzy et Castillon :
La CRE est favorable à la proposition des GRT qui va permettre d'améliorer la disponibilité globale de la liaison Nord-Sud et ainsi d'accroître les flux du Nord vers le Sud.
Elle considère que les capacités libérées doivent être principalement allouées sous forme de produits fermes mensuels afin d'améliorer la visibilité sur le niveau de capacité à la liaison Nord vers Sud. GRTgaz indique que 20 GWh/j constituent un maximum à consacrer à la commercialisation de produits fermes ; augmenter davantage ce niveau nuirait significativement à la disponibilité de la capacité interruptible. La CRE est favorable à ce que les autres capacités rendues disponibles soient consacrées à l'amélioration de la capacité interruptible.
Cette mesure génèérera des coûts de compression supplémentaires pour les GRT qui seront pris en compte dans le poste « énergie » lors de la prochaine mise à jour annuelle des tarifs ATRT5.
La CRE demande à GRTgaz et à TIGF de mettre en œuvre leur proposition.
Service conjoint transport stockage (JTS) pour l'hiver 2014-2015 :
La CRE est favorable à la poursuite par GRTgaz du JTS, conformément aux dispositions du tarif ATRT5. Elle note que les expéditeurs sont quasi unanimement favorables à la commercialisation des capacités sur la plate-forme PRISMA.
La CRE demande à GRTgaz de commercialiser les capacités Nord-Sud du service JTS sur la plate-forme PRISMA dans les meilleurs délais. GRTgaz informera régulièrement les acteurs de marché en Concertation Gaz sur les évolutions de l'offre de capacités à la liaison Nord-Sud issues du JTS.
Création d'un service de gaz circulant :
La CRE considère, comme de nombreux acteurs ayant répondu à la consultation publique, que le système de gaz circulant présente un intérêt certain. Il permet de lisser la disponibilité de la capacité interruptible dans un contexte de forte volatilité du spread Nord-Sud. A titre d'illustration, ce spread a varié entre 1 et 9 €/MWh ces trois derniers mois d'une façon souvent corrélée à la disponibilité de la capacité interruptible. Cette volatilité est dommageable pour le bon fonctionnement et l'efficacité du réseau.
En ce qui concerne la variante 2 reposant sur des achats/ventes sur les marchés de gros, la CRE partage globalement l'analyse de GRTgaz concernant les risques juridiques et opérationnels et doute de la possibilité de mettre en œuvre cette variante pour l'hiver 2014-2015.
La CRE note que GRTgaz est en mesure de mettre en œuvre la variante 1 reposant sur l'utilisation par GRTgaz des stockages de Storengy.
Storengy a remis à GRTgaz, le 15 septembre 2014, une offre commerciale. La prestation est facturée sur la base d'un terme fixe de 37 k€ par mois et d'un terme variable de 0,47 € par MWh cyclé. Concernant la prestation proposée par Elengy et Fosmax LNG, pour chaque terminal, le terme est fixé à 40 k€ par mois et le terme variable à 0,10 € par MWh cyclé.
Sur la base d'une hypothèse d'utilisation de 600 GWh (soit un volume stocké de 200 GWh et 3 cycles d'utilisation pendant l'hiver), le coût global du dispositif est estimé à 1,2 M€, dont 500 k€ pour Elengy/Fosmax et 700 k€ pour Storengy. A cela s'ajoute la rémunération au CMPC de l'immobilisation d'un stock de gaz en cuve de 200 GWh.
La CRE considère que le coût global du dispositif, de l'ordre de 1,5 M€ par an, est raisonnable au regard des bénéfices attendus.
En conséquence, elle demande à GRTgaz de mettre en œuvre, pour l'hiver 2014-2015, le système de gaz circulant, selon la variante fondée sur le stockage dans la limite d'un stock de 200 GWh. La CRE demande également à GRTgaz de présenter les modalités détaillées de fonctionnement du dispositif en Concertation Gaz dans les meilleurs délais.
- Rabais tarifaire au PITTM de Fos
a) Proposition soumise à consultation publique :
Dans sa délibération du 7 mai 2014, la CRE a demandé que soit étudiée en Concertation Gaz l'attribution d'un rabais tarifaire au PITTM de Fos aux quantités de GNL émises au-delà d'un certain seuil. La mesure a pour objectif de limiter les pics de prix dans le sud. Elle pourrait conduire à augmenter marginalement les quantités de GNL importées dans le sud de la France.
b) Synthèse des réponses :
Une très large majorité des contributeurs est défavorable au rabais tarifaire au PITTM de Fos. Ils considèrent que cette mesure est complexe, coûteuse et que son efficacité est incertaine. Plusieurs contributeurs estiment qu'elle introduit un traitement différencié entre les expéditeurs en avantageant ceux ayant des capacités importantes de GNL, en particulier l'opérateur historique. Certains considèrent que cette mesure crée une distorsion de marché et une perte de signal prix. Enfin, plusieurs contributeurs estiment qu'elle introduit une distorsion de concurrence entre les terminaux méthaniers français.
Plusieurs acteurs demandent que le dispositif soit étendu au PIR Pirineos si la CRE décide de le mettre en œuvre.
Au contraire, un expéditeur est très favorable à ce dispositif car il considère que sa mise en œuvre permettrait de réduire les risques de pics de prix en zone Sud. Afin de limiter les possibilités d'arbitrage du dispositif, il propose une nouvelle variante qui plafonne le rabais distribué à un expéditeur à une proportion qui correspond à ses besoins sur la zone Sud (sorties vers l'Espagne, stockages et consommation).
Enfin, un acteur renouvelle sa proposition de mettre en œuvre un mécanisme « de type ARENH », qui consiste à obliger l'opérateur historique à maximiser le déchargement de ses ressources de GNL historiques livrables aux terminaux de Fos, et à les mettre à disposition à prix coûtant de tous les fournisseurs livrant des clients finals au Sud, en proportion de leurs portefeuilles de clients.
c) Analyse de la CRE :
La CRE constate qu'une très large majorité de contributeurs est défavorable à la baisse du tarif au PITTM de Fos. Elle partage le point de vue des contributeurs quant à l'impossibilité de définir un mécanisme efficace de rabais tarifaire au PTTM de Fos.
En conséquence, la CRE ne retient pas cette mesure.
- Rééquilibrage, via des mécanismes de marché, des flux à la frontière espagnole en cas de situation de tension importante dans le sud
a) Proposition soumise à consultation publique :
Cette mesure consiste à rééquilibrer les flux à l'interconnexion entre la France et l'Espagne, via un mécanisme de marché, en cas de tension importante sur le prix du gaz ou sur l'approvisionnement dans le sud de la France.
GRTgaz et TIGF réaliseraient conjointement un appel d'offres, qui pourrait porter sur deux types de produits ou prestations :
- rachat de capacité de transport France vers Espagne ;
- engagement de flux Espagne vers France.
Dans sa note de consultation publique, la CRE a présenté une analyse juridique défavorable à la mise en œuvre d'un appel d'offres sous la forme d'un rachat de capacité.
Estimation du coût de cette mesure :
Les coûts de cette mesure dépendront des conditions de marché dans le sud de la France et en Espagne au moment de la réalisation de l'appel d'offres et sont en conséquence impossibles à évaluer par avance.
Dans son analyse, la CRE a considéré que ces coûts devraient être plafonnés avant le lancement des appels d'offres. Des prix proposés trop élevés conduiraient donc à déclarer l'appel d'offres infructueux.
Les coûts seraient partagés entre les tarifs de GRTgaz et de TIGF suivant une clé de répartition représentative de leur revenu autorisé et seraient compensés sur une période d'un an au maximum.
b) Synthèse des réponses :
Tous les consommateurs industriels sont favorables au dispositif d'appel d'offres d'engagements de flux de l'Espagne vers la France en cas de tension importante dans le sud de la France.
Les avis des autres contributeurs sont partagés.
De nombreux contributeurs sont favorables au principe de cette mesure. Toutefois, une majorité émet des réserves concernant la finalité même ou les modalités de mise en œuvre du dispositif. Plusieurs acteurs demandent une clarification des coûts, du traitement tarifaire et des autres modalités de la mesure. Certains sont favorables à la proposition de la CRE quant aux modalités opérationnelles : l'appel d'offres serait limité à des situations de forte tension et un plafond serait fixé afin de limiter les coûts de l'appel d'offres et d'éventuels effets d'aubaine. Enfin, un expéditeur demande d'étendre ce dispositif à tous les points d'entrée et de sortie et deux opérateurs d'infrastructure demandent de l'étendre aux PITTM et PITTS en zone sud.
Plusieurs acteurs s'interrogent sur l'efficacité de ce dispositif car ils considèrent que l'engagement de flux risque de s'accompagner d'un déplacement de GNL des terminaux de Fos vers l'Espagne, ce qui annulerait les effets de la mesure sur l'équilibre offre/demande de la zone Sud.
Plusieurs expéditeurs sont très défavorables au principe même d'un tel dispositif car ils considèrent que cela revient à essayer de s'opposer aux flux de gaz induits par le fonctionnement normal du marché. En tant que tel, cela constitue une manipulation de marché.
Pour les mêmes raisons, le GRT espagnol est défavorable à ce dispositif.
Les deux GRT français sont réservés sur la mise en œuvre de ce dispositif. TIGF considère que l'achat de flux pour un besoin autre que l'équilibrage n'est pas dans le cœur de métier du GRT. En outre, GRTgaz signale que le décalage temporel entre le constat de la crise et l'effet de la mesure pourrait en annuler les bénéfices. Enfin, il souligne la fragilité juridique attachée à cette mesure au regard du droit européen.
Enfin, un expéditeur propose de mettre en place un dispositif qui consiste à rémunérer la capacité France-Espagne inutilisée sous certaines conditions et un tarif défini par le régulateur (spread, niveau de nomination de l'expéditeur).
c) Analyse de la CRE :
La CRE note que les consommateurs industriels sont unanimement favorables au dispositif d'engagements de flux. Les autres contributeurs sont partagés.
Ce dispositif est le seul outil dont la CRE disposerait en cas de fortes tensions sur les prix du sud de la France cet hiver. Néanmoins, comme plusieurs expéditeurs ayant répondu à la consultation publique, la CRE considère que l'effet du dispositif sur le prix au PEG Sud est incertain.
La CRE prend note de la position de certains expéditeurs et du GRT espagnol, qui sont fortement opposés à ce dispositif, car il va à l'encontre du fonctionnement normal du marché.
En outre, la CRE partage globalement l'analyse faite par GRTgaz, dans sa réponse à la consultation publique, concernant les difficultés opérationnelles associées à la mise en œuvre de ce dispositif. Elle note en particulier que les paramètres de l'appel d'offres sont difficiles à définir, notamment les conditions de déclenchement, le choix du plafond de prix, du volume, du préavis et de la durée de l'appel d'offres.
A ce stade, la CRE juge que les risques du dispositif sont supérieurs aux gains attendus. Elle ne retient pas la mise en œuvre de ce dispositif pour l'hiver 2014-2015.
- Régulation incitative des capacités fermes additionnelles à la liaison Nord-Sud
a) Proposition soumise à consultation publique :
En application du tarif ATRT5 (6), GRTgaz restitue aux utilisateurs du réseau, via le CRCP, l'intégralité des revenus liés au service JTS, déduction faite des sommes dues à Storengy.
La CRE, dans la dernière mise à jour tarifaire, a introduit une incitation financière à la création de capacités Nord vers Sud fermes additionnelles. Chaque GWh proposé par GRTgaz à la commercialisation (soit par le service JTS, soit sous forme de capacité ferme mensuelle) au-dessus d'un seuil de 3 TWh est rémunéré à 0,2 €/MWh. Dans sa délibération du 7 mai 2014, la CRE a envisagé de renforcer cette incitation en créant un seuil de 5 TWh au-delà duquel chaque MWh serait rémunéré à 0,4 €/MWh.
Dans sa note de consultation publique, la CRE a proposé de mettre en place pour l'année 2014 cette règle, qui couvre les coûts supplémentaires de GRTgaz et crée une forte incitation pour GRTgaz à commercialiser des capacités Nord-Sud supplémentaires. GRTgaz a demandé une incitation tarifaire plus importante qui débuterait dès les premiers MWh à 0,2 €, les MWh au-delà de 1,2 TWh étant rémunérés à 0,48 €.
b) Synthèse des réponses :
Les acteurs sont majoritairement favorables à la régulation incitative sur les capacités additionnelles à la liaison Nord-Sud proposée par la CRE.
Trois acteurs considèrent que les coûts de compression supplémentaires doivent être couverts mais qu'aucune incitation financière à la création de capacité ne doit être mise en place, cette mission faisant partie du cœur de métier des GRT.
Au contraire, deux acteurs considèrent que l'incitation proposée par la CRE n'est pas suffisante.
TIGF souhaite que le mécanisme de régulation incitative proposée par la CRE lui soit également appliqué, du fait de son rôle actif dans la création de ces capacités supplémentaires.
c) Analyse de la CRE :
La CRE considère, comme la majorité des contributeurs, que le mécanisme proposé dans sa note de consultation publique crée une incitation suffisante à commercialiser des capacités Nord-Sud supplémentaires.
En conséquence, la CRE retient la règle proposée dans sa consultation publique pour l'année 2014.
La CRE étudiera l'application d'un mécanisme de régulation incitative à TIGF dans le cadre de la prochaine mise à jour tarifaire.
- Baisse du tarif des capacités mensuelles à la liaison Nord vers Sud
a) Proposition soumise à consultation publique :
Dans sa délibération du 7 mai 2014, la CRE envisage de diminuer de 1,5 à 1 le multiplicateur entre les produits annuels et mensuels applicable au tarif régulé des capacités mensuelles Nord vers Sud. En conséquence, le tarif régulé de la capacité quotidienne, égal à 1/30 du tarif de la capacité mensuelle, serait diminué dans la même proportion.
Dans sa note de consultation publique, la CRE a proposé de mettre en œuvre cette mesure.
b) Synthèse des réponses :
Les acteurs sont majoritairement favorables à la proposition de la CRE.
Néanmoins, une large majorité d'industriels est défavorable à la baisse des capacités de court terme car ils considèrent que cette mesure bénéficiera principalement aux acteurs financiers et fournisseurs.
Deux acteurs demandent que cette baisse s'applique uniquement aux capacités quotidiennes pour ne pas augmenter la durée des enchères des capacités mensuelles.
Certains acteurs notent que l'effet de cette mesure sera faible compte tenu des spreads Nord-Sud observés.
c) Analyse de la CRE :
La CRE note qu'une majorité d'acteurs est favorable à cette mesure d'effet limité, qui permet de faciliter les flux du Nord vers Sud même en cas de faible tension sur le marché du sud de la France.
En outre, la CRE note que, la liaison Nord-Sud étant congestionnée, la baisse des coefficients de court terme n'aura pas d'effet sur les réservations des capacités de long terme.
En conséquence, la CRE retient la baisse du tarif des capacités mensuelles à la liaison Nord-Sud.
IV. - Décision de la CRE
a) Modification de la clé de répartition des flux entre Cruzy et Castillon :
La CRE demande à GRTgaz et TIGF de modifier la clé de répartition des flux entre Cruzy et Castillon. La CRE approuve la commercialisation de 20 GWh/j de capacités mensuelles fermes aux enchères sur la liaison Nord vers Sud sur les mois de novembre à mars, le reste des capacités dégagées par la mise en œuvre de cette nouvelle clé de répartition étant consacré à l'amélioration de la disponibilité des capacités interruptibles à la liaison Nord vers Sud.
b) Poursuite du service JTS :
La CRE demande à GRTgaz de poursuivre le service JTS, dans les conditions prévues par la délibération portant décision sur l'évolution du tarif ATRT5 au 1er avril 2014 précitée.
La CRE demande à GRTgaz de commercialiser les capacités Nord-Sud du service JTS sur la plate-forme PRISMA dans les meilleurs délais.
c) Baisse du tarif des capacités mensuelles à la liaison Nord-Sud :
La CRE fixe le multiplicateur tarifaire entre les produits annuels et mensuels de capacité à la liaison Nord-Sud à 1 dans le sens Nord vers Sud, à compter du 1er novembre 2014. Le tarif régulé de la capacité quotidienne reste égal à 1/30 du tarif régulé de la capacité mensuelle.
d) Système du gaz circulant :
La CRE demande à GRTgaz de constituer un stock de gaz, dans la limite de 200 GWh, et de signer les contrats nécessaires avec Storengy, Elengy et Fosmax LNG afin de mettre en œuvre dès le 1er novembre 2014 le système de gaz circulant. Les coûts correspondants seront couverts dans le cadre de la prochaine mise à jour tarifaire.
e) Renforcement de la régulation incitative sur la mise à disposition du marché de capacités fermes supplémentaires à la liaison Nord-Sud :
Un seuil de 5 TWh au-delà duquel chaque MWh est rémunéré à 0,4 €/MWh est ajouté au régime d'incitation financière introduit dans la mise à jour tarifaire au 1er avril 2014 pour la création de capacités Nord vers Sud fermes additionnelles.
| CALCUL | VOLUME ANNUEL CUMULÉ DE CAPACITÉ FERME SUPPLÉMENTAIRE
commercialisé par GRTgaz à la liaison Nord-Sud, dans le sens Nord vers Sud |
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| Périmètre | Volume cumulé de capacité ferme commercialisé au-delà du niveau de 230 GWh/jour au premier trimestre 2014, puis 270 GWh/jour.
Ce volume n'intègre pas d'éventuelles conversions de capacité interruptible en capacité ferme. |
| Suivi | Fréquence de calcul : mensuelle.
Fréquence de remontée à la CRE : mensuelle.
Fréquence de publication : mensuelle.
Fréquence de calcul des incitations financières : annuelle. |
|Incitations |Aucune incitation pour les trois premiers TWh cumulés sur l'année de capacité journalière ferme commercialisée.
0,20 € par MWh/jour supplémentaire commercialisé au-delà du seuil de 3 TWh et en deçà du seuil de 5 TWh.
0,40 € par MWh/jour supplémentaire commercialisé au-delà du seuil de 5 TWh.|
|Date d'effet| 1er janvier 2014. |
La présente délibération sera publiée au Journal officiel de la République française.
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