Participaient à la séance : Philippe de LADOUCETTE, président, Olivier CHALLAN BELVAL, Jean-Christophe LE DUIGOU et Michel THIOLLIÈRE, commissaires.
En application de l'article 5 du décret n° 2009-1603 du 18 décembre 2009, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a été saisie pour avis, le 27 septembre 2011, par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et le ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, d'un projet d'arrêté fixant les tarifs réglementés de vente de gaz naturel en distribution publique (DP) de GDF Suez.
Le projet d'arrêté prévoit que, au 1er octobre 2011 :
― les tarifs sont maintenus identiques à ceux en vigueur pour les clients résidentiels et petits professionnels avec un contrat individuel (tarifs Base, B0 et B1), ainsi que pour les consommateurs résidentiels des tarifs B2I, B2S et TEL (chauffage collectif essentiellement) ;
― les tarifs applicables aux autres consommateurs augmentent en moyenne de 4,9 %.
La CRE déplore le caractère tardif de la saisine, qui ne lui a pas permis de procéder aux auditions auxquelles elle procède habituellement en la matière.
- Contexte
Les tarifs actuels ont été précisés par un arrêté du 27 juin 2011 dont l'entrée en vigueur a été fixée au 1er juillet 2011. Cet arrêté avait déjà gelé les tarifs pour les clients résidentiels et petits professionnels avec un contrat individuel (tarifs Base, B0 et B1), ainsi que pour les consommateurs résidentiels des autres tarifs ; les tarifs applicables aux autres consommateurs avaient, en revanche, augmenté de 3,2 %.
Dans sa délibération du 23 juin 2011 relative au projet d'arrêté précité, la CRE avait alors estimé « impératif qu'un mouvement tarifaire intervienne au 1er octobre 2011 sur l'ensemble des tarifs en distribution publique, s'il s'avérait nécessaire pour refléter les coûts d'approvisionnement de GDF Suez à cette date, quel que soit par ailleurs l'état de la réflexion sur la formule tarifaire ».
Par ailleurs, les ministres chargés de l'économie et de l'énergie ont sollicité la CRE pour une mission d'expertise des coûts d'approvisionnement de GDF Suez, dans le but d'approfondir les propositions qu'elle avait formulées dans sa délibération du 30 mars 2011. Les ministres ont souhaité que la CRE, sur la base de cette expertise et après concertation avec les acteurs concernés, puisse faire des propositions d'évolution du dispositif tarifaire actuel avant la fin de l'année. Conformément aux délais qu'elle avait annoncés dans son courrier de réponse adressé aux ministres, la CRE vient de rendre son rapport.
- Cadre juridique
L'article L. 445-3 du code de l'énergie prévoit que « Les tarifs réglementés de vente du gaz naturel sont définis en fonction des caractéristiques intrinsèques des fournitures et des coûts liés à ces fournitures. Ils couvrent l'ensemble de ces coûts à l'exclusion de toute subvention en faveur des clients qui ont exercé leur droit prévu à l'article L. 441-1. ».
L'article 5 du décret du 18 décembre 2009 prévoit que pour chaque fournisseur, un arrêté des ministres pris après avis de la CRE, au moins une fois par an, fixe les barèmes des tarifs réglementés de vente de gaz.
L'article 3 précise que les tarifs doivent couvrir les coûts d'approvisionnement et hors approvisionnement des fournisseurs.
L'article 4 prévoit que les coûts d'approvisionnement sont évalués par une formule définie par un arrêté des ministres chargés de l'économie et de l'énergie après avis de la CRE.
Un arrêté du 9 décembre 2010 a fixé cette formule pour les tarifs en distribution publique de GDF Suez.
L'arrêt du Conseil d'Etat Poweo du 10 décembre 2007 est venu préciser les conditions dans lesquelles les tarifs réglementés de vente de gaz naturel doivent être fixés par l'autorité administrative.
Le Conseil d'Etat indique ainsi qu'« il appartient aux ministres compétents, à la date à laquelle ils prennent leur décision, premièrement, de permettre au moins la couverture par les tarifs des coûts moyens complets des opérateurs tels qu'ils peuvent être évalués à cette date, deuxièmement, de prendre en compte une estimation de l'évolution de ces coûts sur l'année à venir, en fonction des éléments dont ils disposent à cette même date, et, troisièmement, d'ajuster ces tarifs s'ils constatent qu'un écart significatif s'est produit entre tarifs et coûts, du fait d'une sous-évaluation des tarifs, au moins au cours de l'année écoulée, afin de compenser cet écart dans un délai raisonnable ».
- Observations
Analyse des tarifs envisagés
Conformément aux dispositions de l'article L. 445-3 du code de l'énergie et en application de la jurisprudence du Conseil d'Etat précitée, les tarifs envisagés doivent nécessairement couvrir les coûts supportés par GDF Suez tels qu'ils peuvent être estimés au 1er octobre 2011.
Dans le cadre réglementaire actuel, c'est l'application de la formule tarifaire contenue dans l'article 2 de l'arrêté du 9 décembre 2010 qui permet d'évaluer les coûts d'approvisionnement en gaz naturel de GDF Suez.
L'application de cette formule aurait conduit à une hausse moyenne des tarifs au 1er octobre 2011 de 10 % pour les tarifs Base, B0, B1 et les usages résidentiels des tarifs B2I, B2S et TEL, et de 8,8 % pour les tarifs B2I, B2S et TEL hors usages d'habitation.
La CRE constate donc que la hausse proposée est insuffisante pour permettre une couverture des coûts d'approvisionnement tels qu'ils résultent de l'application de la formule.
Le rapport transmis par la CRE aux ministres formule des recommandations, qui pourraient pour certaines aboutir à la modification de la formule tarifaire représentative des coûts d'approvisionnement de GDF Suez. Une nouvelle formule ne peut néanmoins être fixée que par un arrêté, pris après avis de la CRE.
Par ailleurs, la CRE avait accepté, dans sa délibération du 23 juin 2011, de se prononcer à titre conservatoire sur le fondement du dernier prix moyen d'importation connu à la date du mouvement.
En tout état de cause, et quelle que soit l'approche retenue, l'évolution des tarifs prévue par le projet d'arrêté est très insuffisante pour couvrir les coûts d'approvisionnement tels qu'ils peuvent être évalués par application des recommandations de la CRE comme par la méthode qui avait été retenue dans la délibération du 23 juin 2011.
Ce constat est effectué indépendamment de toute réévaluation des coûts hors approvisionnement qui doivent être pris en compte dans les tarifs réglementés de vente conformément au décret du 18 décembre 2009.
Effet d'un gel tarifaire prolongé sur le marché
La CRE insiste sur le fait qu'un gel prolongé des tarifs réglementés de vente de gaz n'est pas compatible avec un marché du gaz ouvert à la concurrence.
Les tarifs réglementés de vente doivent constituer une référence prévisible pour les acteurs de marché, ce qui nécessite qu'ils couvrent les coûts de GDF Suez et évoluent selon le cadre réglementaire défini. Ils permettront ainsi :
― aux fournisseurs alternatifs de pouvoir faire des offres plus compétitives par rapport aux tarifs réglementés de vente. A ce jour, pour un client au tarif B1 (résidentiel en chauffage gaz) consommant 17 MWh par an, l'offre de marché la plus compétitive lui permet d'économiser 90 € par an, soit 8 % de sa facture ;
― aux consommateurs de comparer les offres de marché par rapport à une référence et de choisir une offre plus compétitive chez un fournisseur alternatif, avec la possibilité de revenir à tout instant aux tarifs réglementés de vente.
Il résulte de l'application des principes dégagés par la décision du Conseil d'Etat du 10 décembre 2007 que l'écart entre les tarifs réglementés de vente et les coûts qui seront effectivement constatés sur l'année 2011 devrait être ultérieurement compensé par un ajustement des tarifs.
- Avis de la CRE
Contrairement à ce qu'exige la loi, l'évolution des tarifs prévue par le projet d'arrêté est très insuffisante pour couvrir les coûts d'approvisionnement et hors approvisionnement de GDF Suez au 1er octobre 2011.
En conséquence, la Commission de régulation de l'énergie émet un avis défavorable au projet d'arrêté qui lui est soumis.
Fait à Paris, le 29 septembre 2011.
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