JORF n°0229 du 2 octobre 2012

Délibération du 26 juillet 2012

Participaient à la séance : Philippe de LADOUCETTE, président, Olivier CHALLAN BELVAL, Frédéric GONAND, Jean-Christophe LE DUIGOU et Michel THIOLLIERE, commissaires.
La présente délibération est prise sur le fondement de l'article L. 134-2 du code de l'énergie.

  1. ― Contexte
    1.1. Le projet de développement de capacités d'entrée en France depuis la Suisse

Dans leur configuration actuelle, les réseaux de transport de gaz naturel permettent d'acheminer du gaz depuis la France vers l'Italie à travers la Suisse. Les gestionnaires de réseaux de transport italien, suisse et français (Snam Rete Gas, FluxSwiss et GRTgaz) envisagent de réaliser des investissements pour être en mesure d'inverser le sens des flux.
GRTgaz, en collaboration avec FluxSwiss, a lancé une procédure d'appel au marché afin de développer ces capacités d'entrée en France. La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a conduit une consultation publique du 22 juin au 13 juillet 2012 pour recueillir l'avis des acteurs sur cet appel au marché.

1.2. Les capacités offertes dans le cadre de l'appel au marché

La création de cette capacité d'entrée à Oltingue augmenterait la quantité de gaz susceptible d'alimenter l'actuelle zone Nord de GRTgaz, ce qui pourrait aggraver la congestion entre les zones Nord et Sud de GRTgaz. Pour cette raison, deux scénarios de développement et deux produits de capacité sont envisagés :
― développement de 100 GWh/j de capacités interruptibles qui pourraient entrer en service en 2016 pour un coût de 11 M€ ;
― développement de 100 GWh/j de capacités fermes « conditionnelles » qui pourraient entrer en service en 2018. La disponibilité de ces capacités serait conditionnée à la pression de livraison à Oltingue depuis la Suisse. Les investissements nécessaires pour ce développement s'élèvent à 258 M€.

  1. ― Synthèse de la consultation publique

Sept contributions ont été adressées à la CRE ; six proviennent d'expéditeurs et une de GRTgaz.

2.1. Sur les capacités interruptibles

Quatre des expéditeurs ayant contribué à la consultation publique ne voient, par principe, que peu d'intérêt à la création de capacités interruptibles au point d'interconnexion d'Oltingue, mais ne s'y opposent pas fermement. Deux autres contributeurs soutiennent la création de ces capacités interruptibles, car leur mise en service est rapide et qu'elles représentent une option moins onéreuse que la capacité ferme. Les contributeurs sont favorables aux dispositions tarifaires proposées dans la consultation publique (soit un tarif équivalent à celui des capacités interruptibles aux autres points d'entrée terrestres sur le réseau de GRTgaz).

2.2. Sur les capacités fermes « conditionnelles »

Trois des expéditeurs ayant répondu à la consultation publique estiment improbable l'arrivée de flux significatifs de gaz depuis l'Italie. Selon eux, la création de capacités fermes au point d'interconnexion d'Oltingue ne présente pas d'intérêt pour le marché français en termes de sécurité d'approvisionnement ou de développement de la concurrence. Le coût du projet leur semble très élevé pour un bénéfice incertain et de toute façon limité, car la quantité de capacités créées est faible. En conséquence, ces contributeurs considèrent que ces investissements ne doivent pas être mutualisés dans le tarif de transport, afin que les consommateurs français n'en supportent pas le coût. Ils sont donc favorables aux dispositions tarifaires proposées dans la consultation publique pour la capacité ferme (400 €/MWh/j/an).
En outre, selon certains de ces acteurs, ce projet accroît les capacités d'entrée en zone Nord et pourrait rendre plus difficile la fusion des PEGs Nord et Sud, qui est en cours d'étude.
Inversement, trois contributeurs sont favorables au développement de capacités fermes « conditionnelles » à Oltingue. Selon eux, cet investissement contribuera à l'intégration du marché européen du gaz et à la sécurité d'approvisionnement de la France, ce qui justifie que ses coûts soient mutualisés. Ils sont défavorables aux dispositions tarifaires proposées, qui selon eux constitueraient une barrière à l'entrée, et souhaitent que le tarif d'entrée à Oltingue soit le même que celui des autres points d'entrée terrestres de la zone Nord (soit environ 100 €/MWh/j/an).

2.3. Sur les règles d'allocation

Plusieurs contributeurs regrettent l'absence de coordination entre les procédures de commercialisation des capacités en Suisse et en France. Néanmoins, tous les contributeurs estiment logique d'attribuer prioritairement les capacités d'entrée en France aux expéditeurs qui possèdent déjà les capacités de sortie en Suisse. Un contributeur souhaite qu'au moins 10 % des capacités soient commercialisés sur le court terme uniquement.

  1. Analyse de la CRE

Le projet de création de capacités de transport de gaz de l'Italie vers la France à travers la Suisse s'inscrit dans une logique européenne. Il figure dans le plan décennal 2011 de développement des réseaux de l'ENTSOG et dans le plan régional d'investissement de l'ENTSOG pour le corridor Sud-Nord. Ce projet est également candidat au label de projet d'intérêt commun de la Commission européenne et pourrait à ce titre se voir attribuer ultérieurement un soutien financier.
La CRE est favorable aux propositions de GRTgaz pour la création de capacités interruptibles d'entrée à Oltingue, qui rencontrent l'assentiment des acteurs de marché et ne soulèvent pas de difficultés. Pour ces capacités, la CRE confirme qu'un tarif égal à celui appliqué aux capacités interruptibles sur les autres points d'entrée terrestres de la zone Nord H permettrait de couvrir les coûts de leur développement.
En revanche, la CRE considère que le rapport coûts/bénéfices du projet de développement de capacités d'entrée fermes « conditionnelles » à Oltingue n'est pas favorable.
Ce projet développe relativement peu de capacités (100 GWh/j) alors qu'il engendre des surcoûts d'investissement importants (258 M€ contre 11 M€ pour la création de capacités interruptibles). En outre, les capacités fermes n'ont de valeur ajoutée par rapport aux capacités interruptibles que dans le cas de flux d'entrée simultanés élevés à Taisnières, depuis la Belgique, à Obergailbach, depuis l'Allemagne, et à Oltingue. Ce scénario ne peut se réaliser que dans l'hypothèse où, d'une part, le marché italien est en situation d'exporter et, d'autre part, le prix du GNL est significativement plus élevé que le prix du gaz provenant du nord et de l'est de l'Europe.
En l'état actuel des analyses, les scénarios justifiant l'utilité de cet investissement pour les consommateurs sont trop aléatoires pour que ses coûts soient mutualisés dans le tarif de transport. En conséquence, la CRE considère que les souscriptions de capacité devront couvrir le coût annuel du projet pendant quinze ans. Cela entraîne un tarif maximum de 400 € 2012/MWh/j/an si les souscriptions sont de 75 GWh/j pendant quinze ans, de 300 € 2012/MWh/j/an si les souscriptions sont de 100 GWh/j sur la même durée. Ces tarifs pourraient être revus à la baisse si le coût du projet venait à être réduit, si le projet bénéficiait de subventions européennes ou si des analyses ultérieures montraient que le rapport coûts/bénéfices du projet est positif pour les consommateurs de gaz.
La CRE constate que la majorité des capacités de sortie depuis la Suisse a été attribuée unilatéralement en Suisse en 2010. Elle regrette cette absence de coordination mais elle ne s'oppose pas à l'appel au marché lancé par GRTgaz.
La CRE est favorable aux règles d'allocation proposées par GRTgaz, qui sont adaptées à cette situation d'absence de coordination.
Enfin, la CRE observe que le projet d'investissement présenté par GRTgaz est à un stade peu avancé : l'estimation du coût du projet ne pourra être affinée qu'à l'issue des études détaillées en 2014, la mise en service étant prévue en 2018. L'éligibilité de ce projet à un soutien financier européen n'est pas connue à ce jour. En outre, GRTgaz n'a pas présenté d'analyse sur les conséquences éventuelles de la création de capacités fermes « conditionnelles » d'entrée à Oltingue sur la congestion entre le nord et le sud du réseau en cas de création d'un PEG Nord ― Sud unique.

  1. Décision de la CRE

La CRE autorise GRTgaz à mener à son terme l'appel au marché pour la création de capacités d'entrée au point d'interconnexion Oltingue.
La CRE approuve les règles d'allocation des capacités proposées par GRTgaz.
Compte tenu du calendrier prévisionnel du projet, les conditions de rémunération que la CRE envisage d'appliquer aux investissements de ce projet seront celles définies dans le cadre du prochain tarif d'utilisation des réseaux de transport de gaz (ATRT5), dont l'entrée en vigueur aura lieu le 1er avril 2013.
La présente délibération sera publiée au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris, le 26 juillet 2012.

Pour la Commission de régulation de l'énergie :

Le président,

P. de Ladoucette